Le pouvoir de l’habit ou l’habit du pouvoir
Philip Mansel
Philip Mansel, « Le pouvoir de l’habit ou l’habit du pouvoir », Apparence(s), 6, 2015
Extrait de l’article
« La toilette est donc la plus immense modification éprouvée par l’homme social, elle pèse sur toute l’existence. […] elle domine les opinions, elle les détermine, elle règne ! » écrivait Balzac en 1830. Et encore dans son chef-d’œuvre, Les Illusions perdues : « la question du costume est d’ailleurs énorme chez ceux qui veulent paraître avoir ce qu’ils n’ont pas, car c’est souvent le meilleur moyen de le posséder plus tard ».
L’habit, et en particulier l’habit de cour, n’est pas seulement un but, une pièce de musée se suffisant à elle-même. Comme l’a écrit Balzac, c’est un outil, qu’on ne peut comprendre que dans son contexte politique, économique et social. L’habit aide à avoir ce que l’on n’a pas et aide aussi à devenir ce que l’on n’est pas. Par exemple, l’abandon de l’habit national traditionnel est un aspect essentiel des politiques de modernisation menées par Pierre le Grand en Russie, Mahmud II et Mustafa Kemal en Turquie ou par l’empereur Meiji au Japon. Conseillé par un médecin de cour de continuer à autoriser le port du kimono pour les femmes, habit plus confortable que le costume féminin européen du XIXe siècle, ce dernier lui répondit : « Vous êtes peut-être un bon médecin, mais vous ne savez rien de la politique. » Il souhaitait que le Japon soit traité en égal par les puissances occidentales. Il estimait que l’habit de cour traditionnel « donnait une impression de faiblesse ». Sans le savoir, il était d’accord avec son contemporain Oscar Wilde, qui écrivit dans Le Portrait de Dorian Gray : « Il n’y a que les gens superficiels qui ne jugent pas sur l’apparence ».