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Marie-Claude Canova-Green : Faire le roi. L’autre corps de Louis XIII

Sylvène Édouard

Sylvène Édouard, "Marie-Claude Canova-Green, Faire le roi. L’autre corps de Louis XIII", Paris, Cour de France.fr, 2019. Compte rendu publié le 19 juin 2019 (https://cour-de-france.fr/article5319.html).

Marie-Claude Canova-Green, Faire le roi. L’autre corps de Louis XIII, Paris, Fayard, 2018, 358 p.

L’auteure, Marie-Claude Canova-Green – spécialiste des discours relevant du spectaculaire sous Louis XIII –, nous livre ici une réflexion globale bien documentée sur les enjeux de la présentation du corps de Louis XIII, depuis la naissance de ce dernier dans la grande chambre de Fontainebleau le 27 septembre 1601 jusqu’à sa mort au château de Saint-Germain-en-Laye le 10 mai 1643 et le transfert de sa dépouille embaumée dans la crypte de Saint-Denis.
Le biais du corps étant désormais acquis dans l’exercice du genre biographique, il revient souvent aux spécialistes des représentations de renouveler certaines approches du politique en puisant ici et là dans quelques cadres théoriques issus de la sociologie, de l’anthropologie, de la sémiologie ou encore de la phénoménologie. Si les principaux spécialistes évoqués dans cet ouvrage couvrent, depuis les années 1980, les questions de présentation et de symbolique du corps – sacramentel selon L. Marin ou social avec E. Goffman -, l’auteure, ici, relève le défi d’interroger le nombre de corps du roi. Ses conclusions confirment la tendance à dépasser la théorie des deux corps du roi en lui préférant celle du « simple corps ». Cependant, il ne s’agit pas, pour l’auteure, de reprendre l’idée de l’impossible sacralité évoquée autrefois par A. Boureau mais, plutôt, de questionner l’unicité du corps, soulignée par des études plus récentes portant sur des reines (J.-F. Dubost et Marie de Médicis, S. Édouard et Élisabeth de Valois). Les deux corps de la vie biologique et de la dignitas seraient confondus en un seul par des jeux subtils de superposition et d’alternance, de transsubstantiation et de consubstantiation.
L’auteure met ainsi en abyme, tout au long de sa recherche, l’empirisme des dires des contemporains – dires qui ne sont que l’expression du regard porté sur le corps du roi et donc ses perceptions – et les réflexions souvent éclairantes sur les modalités efficaces de présentation de la personne royale à travers son corps. Le passage en revue des principaux théâtres de la représentation résulte alors du croisement de plusieurs types de sources d’information : relations officielles, mémoires-journaux, traités de cour, de civilité et de politique, périodiques et représentations iconiques.
Dès le premier chapitre consacré la masculinité de l’enfant royal, le médecin Jean Héroard est à l’honneur avec son journal. Pour l’héritier, le sexe est au cœur d’un système d’exhibition - lequel finit par devenir très inhibant - pour dire la potentialité de sa puissance sexuelle. Si cette attention trop présente éloigna le roi de son propre sexe, ce qui a pu se traduire par un comportement plutôt chaste de Louis XIII, il me semble cependant plus hasardeux de l’associer à un supposé trouble du genre sous prétexte que Louis se déguisait en fille. Le sujet du corps travesti, au quatrième chapitre, revient d’ailleurs sur les usages du déguisement à la cour de France. Loin des jeux d’imitation de l’enfance, la pratique du ballet requérait des travestissements, plus ou moins audacieux, et une maîtrise du corps dansant. La formation du jeune prince, devenu roi à 8 ans, consistait en partie à en dresser le corps pour rendre celui-ci habile aux exercices de la société de cour - la chasse et la danse – et imperméable aux émotions par une parfaite maîtrise de son maintien. Le prétexte du ballet avait aussi cette particularité de produire du discours par une grammaire de signes ou « d’artifices programmés ». S’appuyant essentiellement sur les travaux du chorégraphe et théoricien de la danse Mark Franko, l’auteure déduit des stratégies de travestissement, allant de la sublimation à la déformation grotesque, une perception du corps soit politiquement ordonné – signe de l’absolutisme – soit déréglé, ce qui, selon l’auteur, en affaiblirait le dimension verticale politique à moins de considérer une lecture plus sociale qui ramènerait le corps physique du roi au même rang que celui de ses courtisans. L’auteure, considérant que cette présentification physique dite « grotesque » du roi nuirait à l’union et harmonie du corps du royaume en cessant d’être politique, semblerait en effet omettre que le roi, le premier de ses pairs, n’est jamais aussi proche d’eux et donc du « corps de son royaume » que lors de ces divertissements. Sans doute manque-t-il à ce chapitre un éclairage contextuel des ballets ayant marqué les premières années du règne, dès 1617, et surtout dans les années 1620. Dans l’ensemble des approches très stimulantes et argumentées, ce chapitre est sans doute le moins convaincant car trop conceptuel.
Cette nuance un peu critique ne doit pas gâcher notre plaisir à la lecture des autres chapitres levant le voile sur la complexité du simple corps de Louis XIII. Façonné dès l’âge tendre, le corps apprend à maîtriser son apparence en toutes circonstances et devient public. Le récit du Lit de justice ne montre-t-il pas un jeune homme, au lendemain de la mort de son père, retenant ses larmes devant un Parlement éploré ? Maîtrise des affects certes, mais aussi dressage du corps en maniant les armes, en s’exerçant à l’art équestre avec Pluvinel et en dansant. Le défi relevé, subtilement mis à nu par l’auteure, est de dissimuler le corps imparfait de Louis XIII sous le masque de la grandeur et de la maîtrise comme métaphore de sa compétence.
L’histoire officielle de Louis XIII, illustrée par les nombreux portraits équestres, insista sur l’endurance du roi à la chasse et au combat comme si, en effet, ce n’était pas tant le roi qui montait à cheval mais le fait de monter à cheval qui l’avait fait roi. Entre l’action de la performance physique et la fiction de l’être-roi, il est beaucoup question de masque et d’apparence, de ce qu’André Du Chesne, dans ses Antiquitez en 1609, nommait les « marques royalles », à savoir, concernant Louis XIII, quelques couleurs signifiantes telles que le rouge et le blanc ainsi qu’une mise qui se voulait modeste, autant pour ne pas être trop contraint par des accessoires encombrants que pour paraître digne des vertus de son ancêtre saint Louis. Le roi sut, à plus d’un titre, adapter les exigences de sa dignité, en termes de visibilité, à ses penchants : le goût de la simplicité, la maîtrise de ses émotions pour mieux dissimuler ses rancœurs mais sans pouvoir les oublier, mélancolique et colérique, au point de faire assassiner le maréchal d’Ancre. L’auteure nous fait suivre ainsi les errements d’un corps en conflit entre ses devoirs et ses volontés propres mais dont il sut faire cause commune à la guerre et à l’heure de mourir tel un saint, humble dans la souffrance. Et, pour finir, ce beau chapitre sur la démultiplication du corps qui ne fut qu’un mais dont les viscères et le cœur furent déposés, les uns à Notre-Dame et l’autre à l’église Saint-Louis des Jésuites (Saint-Paul-Saint-Louis) tandis que le corps embaumé rejoignait la nécropole des Bourbons, dans la crypte de Saint-Denis.

Sylvène Édouard, MC HDR Université de Lyon – LARHRA