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Simon de Phares et les rapports entre astrologie et prophétie à la fin du Moyen Âge

Jean-Patrice Boudet

Jean-Patrice Boudet, "Simon de Phares et les rapports entre astrologie et prophétie à la fin du Moyen Âge", dans Mélanges de l’école française de Rome, année 1990, volume 102, numéro 102-2, p. 617-648.

Extrait de l’article

Le 9 mai 1498, un mois après la chute de Savonarole et deux semaines avant son supplice, les Responsiones in disputationes Iohannis Pici Mirandulae comitis adversus astrologos du médecin siennois Luca Bellanti sont achevées d’imprimer à Florence. L’auteur n’y cache pas sa satisfaction devant la disgrâce de celui qui avait été, pendant quatre ans, le maître de la cité. À n’en pas douter, le bûcher de Savonarole fut, pour bien des astrologues italiens du moment, un véritable feu de joie. Si l’on laisse de côté les aspects politiques de l’affaire et les préoccupations personnelles, cette réaction mérite une explication immédiate. Le prédicateur dominicain s’était en effet montré un adversaire féroce de l’astrologie divinatoire et avait fait publier en 1497 un pamphlet intitulé Contra gli astrologi, largement inspiré par les Disputationes de son ami Pic de la Mirandole, mais adressé cette fois au public des « huomini illiterati ». À la différence cependant de la critique de Pic, qui se situait en majeure partie sur le plan scientifique, celle de Savonarole insistait principalement sur l’impiété de l’astrologie et pouvait en même temps passer pour un plaidoyer pro domo : son refus de réduire la prophétie et les religions à des événements naturels déterminés par le cours des astres était en partie motivé par sa volonté de confirmer la valeur surnaturelle de ses propres prophéties et de les distinguer radicalement de toutes les formes de prédiction qui ne dérivaient pas directement de l’inspiration divine. Avec la chute du prophète de Ferrare, son procès en hérésie et sa mort sur le bûcher, les astrologues faisaient donc d’une pierre deux coups : ils se débarrassaient bien sûr d’un adversaire gênant qui se promettait d’être leur persécuteur, mais surtout ils trouvaient une occasion inespérée d’apporter une réplique cinglante aux très dangereuses critiques de Pic de la Mirandole contre la doctrine des grandes conjonctions, alors au centre de la problématique de l’astrologie occidentale : Savonarole n’était-il pas, à l’évidence, le pseudo-prophète incliné à l’hérésie dont l’avènement avait été annoncé par Paul de Middelbourg et Jean Lichtenberger dans leurs jugements sur la conjonction Saturne-Jupiter de 1484 ? Dans la lutte sans merci que s’étaient livrée cet imposteur, soumis en réalité comme tout un chacun aux lois de la nature, et des astrologues revigorés par la justesse de leurs prédictions en matière religieuse, ces derniers ne l’avaient-ils pas définitivement emporté ? C’est l’impression qui se dégage du traité de Luca Bellanti et de quelques autres.

Impression évidemment trompeuse, et à plusieurs égards. La situation de l’astrologie, au-delà des Alpes, n’est pas aussi confortable qu’en Italie. La condamnation de Simon de Phares et de ses livres par la Faculté de Théologie et le Parlement de Paris en 1494 en témoigne. La polémique sur la légitimité des prédictions astrologiques allait un peu partout rebondir de plus belle. Par ailleurs, il va de soi que l’épisode paroxystique de Savonarole ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt : il serait caricatural et erroné d’envisager seulement les rapports entre astrologie et prophétie, à la fin du Moyen Âge et au début de la période dite moderne, en termes de rivalité haineuse. Il n’en demeure pas moins que le débat autour de Savonarole vient d’emblée nous rappeler qu’il faut résolument se garder de toute démarche simplificatrice, tendant à annexer plus ou moins systématiquement les prédictions astrologiques à la littérature prophétique.

Si un tel amalgame a toutefois été rendu possible, c’est d’abord que les choses, en matière de vocabulaire, ne sont pas si claires, ni à l’heure actuelle, ni au Moyen Âge.

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