Pierre Chirac, premier médecin du roi et le projet inachevé d’une surintendance médicale sur l’art de guérir
Alexandre Lunel (dir.)
Comment citer cette publication :
Alexandre Lunel (éd.), Pierre Chirac, premier médecin du roi et le projet inachevé d’une surintendance médicale sur l’art de guérir, Paris, Cour de France.fr, 2010. Documents inédits publié en ligne le 1er février 2010 (https://cour-de-france.fr/article1410.html) dans le cadre du projet "La médecine à la cour de France".
Devenu premier médecin, Pierre Chirac met à profit sa situation privilégiée auprès du roi, pour tenter de donner vie à certains projets ambitieux. Inquiet des abus qui sévissent dans le monde médical, Chirac avance dans les années 1730-1732 certaines idées très audacieuses. Certaines de ses réflexions sont contenues dans un projet d’édit, malheureusement incomplet, rédigé par ses soins qui tend à combattre l’usage qui consiste à imposer les épreuves d’un second doctorat aux praticiens désireux de s’établir dans un autre lieu que celui où ils ont été diplômés. Chirac fustige en particulier l’attitude des facultés et collèges de médecine qui imposent au médecin désirant s’installer des épreuves supplémentaires à celles prévues par l’édit de Marly de mars 1707. Ces mesures, qui sont motivées bien plus par le souci de limiter la concurrence que d’exiger du candidat à l’agrégation un certain niveau de compétences, ont pour effet d’appauvrir le nombre de médecins dans le royaume. En effet, le degré de difficultés et le coût important des épreuves, associés bien souvent à la partialité du jury, suffisent à décourager nombre de licenciés en médecine. L’impression laissée par le préambule laisse à penser que le premier médecin méditait de restreindre la liberté d’action des facultés et collèges dans l’élaboration des modalités de l’agrégation. (Document 1).
Face à la question du déficit de personnel médical dans le royaume et à ses répercussions sur l’accroissement du nombre des irréguliers, le roi semble s’être contenté jusqu’à présent de réitérer les mesures prescrites par l’édit de 1707. La plupart des projets rédigés par le premier médecin –il s’agit parfois de simples notes- pour améliorer la formation des praticiens et augmenter leur nombre, dressent le constat préoccupant d’une très inégale répartition géographique des médecins dans le royaume. (Document 2). La plupart des propositions avancées s’inscrivent dans la lignée de celles édictées par l’édit de 1707 ; il s’agit ainsi de contribuer à l’amélioration de l’enseignement médical dans les facultés et à la baisse du coût des études. Outre l’inégale couverture médicale et l’incompétence des praticiens dénoncées comme un mal commun aux campagnes mais également à certaines villes, ces différents projets apportent quelques lueurs sur les racines du mal. La médecine, peu rentable, attirerait ainsi moins de candidats. Elle serait également victime de la concurrence des chirurgiens et à un moindre degré des apothicaires. Bien que les frontières entre les trois corps soient très précisément délimitées, les chirurgiens et les apothicaires empiètent sur le champ réservé des médecins tandis que ceux-ci se mêlent de chirurgie et de pharmacie.
Le premier médecin prend acte de la situation. (Document 3). Dans les campagnes où les médecins sont faiblement représentés, les habitants consultent les chirurgiens locaux. Aussi Chirac propose-t-il d’instaurer un contrôle pour apprécier leur degré de compétences. Il désire également compléter leur formation pratique par un apprentissage théorique de certains des fondements essentiels de l’art de guérir. Enfin, il est interdit aux lieutenants du premier chirurgien de délivrer des lettres de maîtrise aux aspirants chirurgiens désireux de s’installer dans les bourgs et villages où il n’y a aucun apothicaire établi à moins qu’ils ne possèdent des permissions en bonne et due forme pour administrer les remèdes aux malades. La solution de Chirac est innovante et même ambitieuse mais elle revient à remettre en cause la traditionnelle séparation de l’art de guérir.
Il est clair en effet, au vu de l’exposé du premier médecin, que celui-ci considère les empiètements entre les différents corps comme l’un des facteurs favorisant le charlatanisme. Pour combattre ces « franchissements de frontières » entre les corps, le premier médecin médite de se voir attribuer un pouvoir de police sur les professions médicales dans le royaume. L’ambition des premiers médecins d’acquérir une juridiction sur l’art de guérir, a toujours été ressentie par la faculté parisienne comme une atteinte directe à ses privilèges. Ses inquiétudes semblent fondées. Pierre Chirac n’ambitionnerait-il pas même de se voir conférer des pouvoirs similaires à celles que possède le « protomedicato » espagnol de faire viser les lettres de docteur des nouveaux reçus ? (Document 4). Le doute n’est plus permis ; seule une centralisation du contrôle de la délivrance des diplômes serait de nature, pour Chirac, à pouvoir limiter tout risque de fraudes. Il établit une corrélation très claire entre l’inexécution des dispositions l’édit de 1707 et le défaut d’instance permettant de centraliser ce qui regarde le maintien de la police dans les trois corps en province mais aussi à Paris. L’établissement de lieutenants du premier médecin dans les différentes villes du royaume investis de fonction d’inspection des trois corps de la médecine, lui apparaît comme la solution la plus appropriée. Un tel pouvoir donnerait en fait au premier médecin une prépondérance sur toutes les facultés et collèges de médecine. Lucide, Chirac sait que sa proposition risque de susciter la réaction des corps de médecine et en particulier de la faculté de Paris ; aussi, entoure-t-il son projet de toutes les précautions nécessaires comme celle de ne nommer comme lieutenant dans les villes où il existe une faculté, le doyen. Il prend également soin de justifier sa démarche présentée comme un nouveau moyen qui permettrait d’obtenir plus de médecins en règle, et qui permettrait de fournir de bons médecins dans le royaume, tant l’hétérogénéité de l’enseignement dispensé par les facultés est grande. En fait, l’ambition louable de Chirac ne laisse planer aucun doute sur sa volonté profonde de devenir le « surintendant des trois corps de médecine ». Il est enfin un dernier propos qui tient très à cœur Pierre Chirac, c’est de faire fusionner médecine et chirurgie. Si la chirurgie gagne du terrain, Chirac en est l’un des avocats et « mécènes ». Le premier médecin du roi désire améliorer la condition des chirurgiens et souhaite la création de médecins-chirurgiens. Partout où cela est possible, il encourage les chirurgiens à obtenir le diplôme de maître ès-arts et de devenir à la fois docteur en médecine et maître en chirurgie. Le projet de lettres patentes médité par Chirac n’a cependant donné lieu à aucune réforme. Ce projet très novateur d’instaurer une juridiction complète sur l’art médical dans le royaume au profit du premier médecin s’est éteint avec la disparition de son auteur.
Document 1 : BIUM Ms 2006, Fol. 118
« Projet d’édit relatif à l’organisation des examens à subir pour obtenir le grade de docteur en médecine (s.d.) ».
« Le feu Roi, toujours attentif à la conservation de ses sujets, ayant été plusieurs fois obligé d’opposer le renouvellement des lois à la licence effrénée de ces hommes criminels qui, sans titre et sans capacité, usurpaient l’exercice de la médecine au préjudice des biens et de la vie des malades, et jugeant qu’il était également nécessaire de remédier à l’extrême relâchement des facultés de médecine et aux abus qu’elles commettent chaque jour contre les vœux de leur établissement, rappela par son édit du mois du mois de mars1707 les lois portées contre les usurpateurs de la médecine et ordonna par le même édit l’ordre et la règle qu’il voulait être observée dans l’étude et l’exercice de la médecine. Nous aurions désiré que la sagesse de ces lois eût pu ramener et contenir dans le bon ordre tous ceux qui s’en étaient éloignés et qu’elles eussent rendus les études assez florissantes dans les facultés de médecine pour qu’il nous eût été permis d’abroger les restrictions provisoires apposées aux anciens droits accordés aux universités, et de rétablir les licenciés et docteurs en médecine dans l’exercice universel de leur grade, mais nous voyons avec douleur subsister les mêmes abus qui rendirent nécessaires l’édit du mois de mars 1707. La médecine, la pharmacie et la chirurgie sont encore aujourd’hui non seulement en proie à des hommes criminels qui se jouent des biens et de la vie de nos sujets, mais elles sont encore troublées par des usurpations mutuelles préjudiciables à leurs progrès et à la conservation de nos sujets. La médecine en a souffert les plus vives atteintes, devenue une profession infructueuse à laquelle peu de personnes veulent s’appliquer. Il advient que le nombre des médecins n’est pas proportionné au besoin de nos sujets et les villes principales manquent souvent de bons médecins. L’état présent de la plupart des facultés de médecine est une des causes de ce dernier désordre. Plusieurs bornées à deux professeurs ne peuvent dans le court espace de trois années donner à leurs élèves tous les principes de théorie et de pratique, les instruire de l’anatomie, de la matière médicale et des règles générales pour connaître et traiter les maladies. D’autres facultés plus nombreuses en professeurs négligeant d’édicter et d’expliquer l’histoire générale et particulière des maladies, et de leurs traitements laissent les jeunes gens sans secours et sans guide dans une étude où il est si facile de s’égarer, et sans laquelle on ne saurait devenir praticien. Cependant toutes ces facultés croyant avoir satisfait aux vœux de leur établissement, à leurs statuts et à l’édit du mois de mars 1707 desquelles ont exigé le temps d’étude prescrit par cet édit admettent aux examens de doctorat des élèves qu’ils n’ont pas encore instruit des principales connaissances nécessaires aux docteurs en médecine. L’état des études dans plusieurs facultés du royaume n’est pas seul nuisible au progrès de cet art, et à la conservation de nos sujets ; l’obligation de prendre un second doctorat imposée aux docteurs en médecine devenus praticiens et qui renonçant au droit d’enseigner la médecine veulent acquérir le droit de la pratiquer dans quelques-unes des principales villes de notre royaume où sont établies des universités, nous a paru un usage d’autant plus préjudiciable, que le doctorat n’étant pas présumé renfermer une preuve de capacité et d’expérience, puisque les jeunes gens qui le briguent sont dépourvus de toute expérience. Un second doctorat ne peut jamais éprouver le mérite du médecin praticien et ne sert qu’à éloigner des grandes villes les praticiens les plus expérimentés en les soumettant à des examens et en les confondant avec des jeunes écoliers. Nous avions cru que les agrégations établies dans notre royaume pour juger uniquement de la capacité des praticiens auraient pu nous fournir les moyens de remédier aux abus d’un second doctorat, mais nous nous sommes aperçu, que tous les corps et collèges d’agrégation loin d’exiger des épreuves non équivoques de la capacité et expérience des praticiens, ne proposaient que des examens sur la théorie et le pratique générale de la médecine, en sorte qu’outre que ces examens étaient insuffisants pour éprouver et reconnaitre le médecin praticien, et en cela contraires aux motifs de l’établissement des agrégations, ils ont encore le vice du second doctorat et doivent priver les villes où ils sont établis du secours utile des plus grands praticiens comme si les doctorats et les agrégations n’avaient été introduits que pour l’intérêt personnel des facultés de médecine et des médecins agrégés, ceux qui les composent sont clandestinement et sans aucun titre préposés à un tel excès ; les frais de réceptions, que des personnes qui ont eu le malheur de naître dans une fortune légère , ne peuvent quelques talents qu’ils ont acquis briguer ou le doctorat ou l’agrégation que sous le titre humiliant de mendicité. Le mérite et la réputation sont souvent même un obstacle à la réception, l’indépendance des jugements que prononcent les facultés et les corps d’agrégation, devenant pour les particuliers qui les composent une occasion propre à exercer leur haine et leur jalousie ; Aussi manquerions nous sans doute aux précieux exemples que nous ont laissés les rois nos prédécesseurs si nous ne rétablissions des règles générales et communes sans exception à tout notre royaume pour les études, et l’obtention des degrés en médecine et une méthode assurée et non équivoque pour l’agrégation des médecins praticiens, dépouillant le doctorat et l’agrégation des frais excessifs dont l’avarice les a surchargés et de l’indépendance des jugements, que la haine ou jalousie rendent nuisibles à nos sujets. »
Document 2: BIUM, Ms 2006, Fol. 8
« Note constatant qu’il y a peu de médecins en France (XVIIIe siècle) ».
« Si jamais la médecine a dû être regardée comme une véritable science, et un art pratique fondé sur des principes incontestables et certains, à la faveur desquels elle peut se conduire surement et avec grand avantage dans toutes ses opérations qui regardent la conservation de la santé et la guérison des maladies, c’est sans doute aujourd’hui que la structure du corps humain été sérieusement examinée et ses plus petits ressorts, et le jeu de tous, si développés et si détaillés, qu’on peut dire sans exagération que le corps humain est devenu, pour ainsi dire transparent pour tous les médecins qui se sont donnés la peine d’en faire l’analyse de leurs propres mains, et qu’ils ont pu se convaincre par leurs propres yeux, que ce corps composé de tant de ressorts, de tant de vaisseaux, d’une structure tout à fait admirables, n’est à proprement parler qu’un hydraulique merveilleux régi par les mêmes lois qui font jouer les hydrauliques artificiels, et dont le jeu ne peut être entretenu et redressé que par les mêmes principes et les mêmes lois que les constructeurs des hydrauliques artificiels suivent nécessairement pour la conservation et l’entretien de leurs ouvrages et pour le rétablissement de leur jeu quand il vient à se déranger, sans autre différence que l’hydraulique humain infiniment plus composé, et destiné à un nombre d’opérations incomparablement plus grands que ne le sont les hydrauliques artificiels.
Tel est l’état de la médecine d’aujourd’hui ; croirait-on qu’un art dont les connaissances sont si aisées à acquérir aujourd’hui à la faveur des découvertes qu’on a faites depuis près d’un siècle, sur la structure et l’usage des différentes parties du corps humain fût aussi négligée qu’il l’est, dans ce grand Etat, et qu’il y eût si peu de médecins qu’il y en a pour un peuple aussi considérable pour 18 millions de personnes qui habitent ce royaume et que le nombre des médecins en fut réduit au plus à 4 ou 5 mille ; que tous les bourgs, bourgades et villages en soient absolument dépourvus, et qu’il ne s’en trouve que quelques uns dans les villes principales. C’est pourtant un fait constant et un désavantage pour l’Etat qui demande grande attention de la part du gouvernement. »
Document 3 : BIUM, Ms 2006, Fol. 21
« Projet d’un édit pour régler l’étude et l’exercice de la médecine, établir une forme nouvelle d’agrégation et rétablir dans leurs anciens droits et limites la médecine, la pharmacie et la chirurgie (s.d.) ».
« Quelque précaution qu’aient prises nos prédécesseurs pour la conservation de la vie et des biens de nos sujets, pour exclure de l’exercice de la médecine toutes sortes de gens sans le mérite et la capacité requise ; quelques règlements qu’ils aient faits pour entretenir le bon ordre et la police dans les trois corps de la médecine, et quelque soin paternel qu’ait pris notre auguste bisaïeul par son édit du mois de mars de l’année 1707 pour prévenir le relâchement qui s’était glissé dans les facultés de médecine de notre royaume, nous sommes informés que beaucoup de personnes sans titre et sans capacité, abusant criminellement de la crédulité des peuples aux dépens de la vie des malades, continuent d’exercer la médecine dans toute l’étendue de notre royaume, sous le prétexte spécieux d’avoir des remèdes spécifiques pour toutes sortes de maladies ; que plusieurs médecins qui sont tenus pour la sureté publique et la garantie de leur conduite relative à leur serment de licence sont tenus de charger les registres des apothicaires, des ordonnances qu’ils font pour la cure des maladies, s’ingèrent de donner aux malades des remèdes particuliers sur le pied de remèdes spécifiques ; que les chirurgiens uniquement destinés à la cure des maladies externes, entreprennent la cure des maladies internes ; que les apothicaires bornés à la composition des remèdes osent contre toute bonne police traiter les maladies internes, qui sont le principal objet des médecins ; qu’enfin les abus et le relâchement des professeurs en médecine concernant les études et la réception des docteurs continuent encore dans la plupart des facultés de notre royaume. Nous croyons ne pouvoir rien faire de plus convenable pour rétablir les trois corps de la médecine dans leur ancien lustre que de renouveler d’un côté les défenses rigoureuses par lesquelles tous nos prédécesseurs ont interdit la cure des maladies internes à tous ceux qui n’ont ni la qualité ni la caractère de médecin, la cure des maladies externes à tous ceux qui n’ont ni études ni maîtrise en chirurgie, et la composition des remèdes à tous ceux qui n’ont ni études ni maîtrise en pharmacie, et de ranimer de l’autre la vigilance des facultés établies dans notre royaume par un règlement général concernant les études de la médecine et l’obtention des degrés. A ces causes et autres, disons, statuons, et ordonnons… Premièrement et parce qu’il nous a été représenté que n’y ayant aucun inspecteur pour veiller à l’application des édits et règlements concernant la médecine et pour maintenir la police et le bon ordre dans les trois corps de la médecine, et réprimer les entreprises des charlatans, et nos prédécesseurs ayant chargé le premier médecin de veiller à ce que personne ne puisse administrer , donner et distribuer aucune drogue et remède qu’il n’ait été examiné et fait un chef d’œuvre , et obtenu des lettres de lui pour pratiquer l’art de pharmacie, avec pouvoir dans tous les lieux du royaume où il n’y a point de jurande d’établir des lieutenants ou substituts pour l’examen et réception des aspirants à la maitrise de pharmacie, nous avons jugé convenable de charger le sieur Chirac notre premier médecin de la direction et inspection générale des études et réception des médecins dans toutes les écoles du royaume en qualité de surintendant des trois corps de la médecine pour veiller par lui-même ou par ses lieutenants au maintien des règlements et statuts concernant les trois corps de la médecine, chirurgie et pharmacie et sur les contraventions par lui rapportées à notre chancelier. Voulons en outre qu’arrivant des contestations entre les différents corps de la médecine au sujet du présent règlement et statuts concernant les trois corps de la médecine qu’elles soient portées par-devant les lieutenants de police pour être jugées et décidées sommairement et sans appel en nos cours supérieures de l’avis du lieutenant du premier médecin, du lieutenant du premier chirurgien et du syndic des maitres apothicaires, et en cas d’appel nous en réservons la connaissance à notre grand conseil. Et dérogeant à l’article donné en faveur du sieur Fagon, nous permettons à notre premier médecin et à ses successeurs de nommer des lieutenants également dans les villes où il y a université de médecine comme dans toutes les autres à condition d’y nommer toujours pour son lieutenant le doyen chancelier et président de chaque faculté. Et à l’égard de toutes les autres villes où il n’y a pas de faculté, pourra notre dit premier médecin y choisir tel médecin qu’il trouvera le plus approprié à remplir ses vues en qualité de directeur et d’inspecteur des trois corps qui composent la médecine auquel nous attribuons la prééminence sur les autres médecins, le droit d’examiner conjointement avec les maitres apothicaires tous les aspirants qui se présenteront pour pratiquer la pharmacie dans tous les lieux et bourgs et villages où il n’y a point de jurande et de leur expédier leurs lettres de maitrise ou permission d’administrer des remèdes internes et externes. Et attendu que la nécessité et le défaut de moyens obligent les gens à la campagne, qui ne peuvent appeler à leur secours des médecins, de se livrer au chirurgien qui se trouve établi dans le bourg ou la bourgade, lequel pour cela doit nécessairement être instruit de la composition et dose des remèdes, et une connaissance moins grossière de la nature des maladies, nous défendons à tous lieutenants de notre premier chirurgien d’admettre à l’examen et d’expédier aucune lettre de maitrise à aucun aspirant en chirurgie pour les bourgs et villages où il n’y a aucun apothicaire établi, que lesdits aspirants ne leur aient exhibés des lettres de maitrise en pharmacie ou des permissions en bonne et due forme pour administrer des remèdes tant internes qu’externes aux malades de la campagne, cassant et annulant toutes lettres de maîtrise qui seront expédiées par lesdits lieutenants de notre premier chirurgien, qui ne feront point mention du vœu des lettres de maitrise en pharmacie, ou d’une permission expresse des lieutenants de notre premier médecin pour tous les lieux où il n’y a point d’apothicaire établi. Et sur ce qui nous a été exposé qu’il périt un grand nombre de nos sujets à la campagne dans les bourgs et villages, par l’ignorance des chirurgiens qui y sont établis, par le peu de connaissances qu’ils ont des maladies, de la manière de les traiter, de la faculté et dose des remèdes, en attendant que nous ayons fait composer une instruction générale pour la connaissance et le traitement des maladies qui règnent le plus communément à la campagne, nous interdisons à tous maîtres chirurgiens reçus pour les bourgs et villages, où il n’ya point de médecin ni d’apothicaire juré, tout exercice de la chirurgie, et toute administration des drogues aux malades jusqu’à ce qu’il se soient présentés à un examen sur la pharmacie sur la faculté et les doses des médicaments par devant les lieutenants de notre premier médecin et le syndic ou doyen des apothicaires de la jurande la plus voisine du bourg ou village dans lequel lesdits chirurgiens se trouvent établis et qu’en conséquence de l’instruction préalable qui leur sera donné par lesdits lieutenants sur la cure des maladies communes, ils n’en aient obtenu ou des lettres de maitrise en pharmacie ou une permission provisionnelle pour administrer les remèdes nécessaires à la cure des maladies. Pour autoriser les lieutenants de notre premier médecin à remplir leurs fonctions d’inspecteurs des trois corps de la médecine par rapport au maintien de la police qui doit régner dans les trois corps de la médecine, nous accordions audits lieux tant de notre premier médecin la prééminence sur les autres médecins, les mêmes prééminences et prérogatives dont jouissent les premiers médecins de la famille royale avec le titre de conseiller du roi. Examinant quelque dispute ou contraventions, ou altercations au sujet de l’inobservation des statuts et règlements entre les trois cops de la médecine, nous ordonnons auxdits lieutenants de notre premier médecin de convoquer et d’appeler le lieutenant du premier chirurgien avec le syndic ou doyen des apothicaires pour prendre connaissance des différends survenus entre les particuliers des trois corps et déterminer à l’amiable sans procès, et en cas de la résistance des parties, nous enjoignons aux lieutenants de notre premier médecin de l’informer de la nature de l’affaire pour le rapport d’icelle fait à notre chancelier ; le premier chirurgien du roi appelé, être ordonné ce qu’il appartiendra conformément au présent édit et anciens règlements concernant les trois corps de la médecine. Et en cas d’instance formée par devant quelques juges au sujet des contraventions et de l’inobservation des statuts et règlements, nous ordonnons qu’elle sera renvoyée à notre grand conseil et nous en interdisons la connaissance à tous autres juges. »
Document 4 : Ms 2006, Fol. 55
« Projet pour augmenter le nombre des médecins et les moyens d’en former d’excellents (s.d.) ».
« Le royaume manque de médecins, et qu’il n’y en a pas un dixième de ceux qui soient nécessaires pour la conservation de quinze millions de personnes qui habitent ce royaume. D’où vient l’énorme diminution du nombre de médecins nécessaires à la conservation de la santé des sujets du roi ? C’est que cette profession (celle de médecin) ne donne plus à vivre à ceux qui l’embrassent. Les usurpations qu’on fait sur elle ; les deux républiques subalternes que les anciens médecins établirent il y a 8 ou 9 siècles pour se soulager, je veux dire les malades, les chirurgiens et les apothicaires traitent impunément les malades, non seulement dans les villages, bourgs et bourgades du royaume mais encore dans toutes les villes principales, et n’y appellent pour les guérir aucun médecin. Il est aisé de juger que les choses demeurant dans cet état, et les médecins demeurant sans pratique pour la cure des maladies, les pères de famille ne s’empressent guère de faire élever leur enfant à une profession si peu lucrative et dont l’exercice est abandonné au premier occupant , à toutes sortes de gens sans aveu, sans caractère, sans aucune connaissance des maladies, ni de la portée des remèdes ni de leur application. La diminution du nombre de médecins dans le royaume est sans doute un grand mal, et d’une très dangereuse conséquence pour l’Etat. Pour comble de malheur, parmi le nombre des médecins qui se trouvent dans le royaume, il y en a très peu qui méritent le nom à juste titre. L’inobservation des règlements et l’avidité du gain qui porte les professeurs de la plupart des facultés de médecine à admettre aux grades tous ceux qui se présentent, lettrés, illettrés, sans certificat d’étude de trois années réglées par l’édit de 1707, tout cela fait qu’il y a très peu de médecins qui aient saisi toutes les parties nécessaires à la pratique de cette importante profession, ils ne l’exercent que comme des misérables empiriques, et usant de l’anarchie qui règne dans les trois professions qui forment le corps de la médecine, et empiétant sur les droits des apothicaires, ils administrent comme des remèdes secrets et les plus précieux, ce qu’il y a de plus commun, qu’ils vendent très chèrement aux malades. Voilà un état sommaire du malheureux état où se trouve la profession des médecins. Et quels remèdes apporter à la décadence d’une profession si nécessaire à la conservation des sujets du roi ? Quels moyens de multiplier le nombre des médecins ? Quels moyen d’en former d’excellents ? Ils ne sont pas si difficiles à trouver ces moyens. Le premier c’est de faire revivre les anciens règlements, édits et arrêts concernant l’étendue, les fonctions et les limites de chacune des trois professions qui forment le corps de la médecine. C’est d’aggraver extrêmement les peines décernées contre les contrevenants aux règlements et de faire poursuivre les contrevenants aux règlements et aux anciens statuts de chaque profession, spécialement ceux qui entreprennent de traiter les maladies internes qui sont le partage des médecins, comme de vrais empoisonneurs publics et aussi dignes de punition capitale que le sont les assassins de guet apens, les voleurs publics les assassins imprudents. Il est surprenant que la police du royaume soit si appliquée à l’entretien des arts et métiers et à la multiplication des sujets qui forment les différents corps et qu’elle néglige si fort les trois professions qui composent le corps de la médecine. Il me semble que la vie des hommes mérite autant de considération pour la conserver que la belle construction de maisons par rapport au maintien des différents corps de métiers qui sont destinés à leur reconstruction, c’est malheur que les magistrats ainsi que les autres hommes soient moins occupés de leur santé que de toutes les affaires extérieures. Entre plusieurs moyens qui se présentent pour remédier au relâchement de toutes les Facultés, il en est un pratiqué de tout temps en Espagne qui rend le premier médecin du Roy chef de la médecine du royaume, en vertu duquel tous les médecins reçus dans les Facultés d’Espagne sont obligés de faire viser leurs lettres de doctorat par le premier médecin, ou par ses subdélégués dans les différentes provinces du royaume d’Espagne, faute de laquelle formalité nul médecin n’est reçu à pratiquer la médecine dans aucune ville d’Espagne. C’est un remède infaillible pour remédier à toutes les fraudes et à toutes les lettres frauduleuses et subreptices, et à tenir en règle toutes les Facultés disposées au relâchement. Ce nouveau règlement procurera sans doute au royaume plus de médecins mais il ne saurait en produire d’excellents tandis que la plupart des facultés n’auront que 2 ou 3 professeurs en titre, qui ne seront jamais en état d’enseigner toutes les parties de la médecine manquant même de commodités nécessaires à cet égard ; de jardin des plantes, de professeurs d’anatomie, de chimie, de pharmacie, n’ayant que les seules facultés de Paris et Montpellier qui aient un nombre suffisant de professeurs en état d’y enseigner les parties de la médecine et de la chirurgie dans toutes leur étendue pour l’instruction des écoliers. Malheureusement Paris est une ville de trop grande dépense, la modicité des fortunes des pères qui estiment leurs enfants à la médecine ne leur permet de les y envoyer pour y faires leurs études, sans parler de six mille livres qu’il en coûte aux récipiendaires pour y obtenir le grande de docteur. De sorte qu’ à proprement parler il n’ya que la faculté de Montpellier suffisamment pourvue de professeurs et de commodités pour l’exécution et l’entretien des écoliers sur laquelle on puisse jeter les yeux pour en faire une école et un espèce de séminaire pour y former d’excellents médecins, encore faut-il pour y réussir faire quelque réformes pour y rendre les études plus florissantes et y augmenter le nombre des sujets et dans les vues qui sont exposées dans le projet d’édit et de règlement ci-joint. On assujettit dans cet édit les écoliers en médecine à y étudier et à y recevoir le grade de docteur en chirurgie comme en médecine. En voici de puissants motifs. Le premier, c’est que le chirurgie est si étroitement liée et si dépendante de la médecine pour la cure des maladies externes et chirurgicales, qu’on ne peut absolument parvenir à la cure d’aucune des maladies chirurgicales par les remèdes externes, sans y employer en même temps les remèdes internes qui sont uniquement du ressort du médecin. Si la maladie chirurgicale dépend de cause externe, comme sont toutes les plaies, fractures, dislocations, contusions et qu’elles amènent communément la fièvre, les mouvements convulsifs, l’insomnie, le cours de ventre, et que pour les prévenir, il est nécessaire d’avoir recours aux remèdes internes que seul le médecin est en droit de prescrire et qu’il s’en suit qu’aucun chirurgien quelqu’éclairé qu’il soit dans l’application des remèdes internes, ne peut ni ne doit absolument se passer de l’assistance du médecin, et que ces deux professions sont absolument inséparables et d’une absolue nécessité pour la cure et l’avantage des malades qui ont besoin de secours des la chirurgie. C’est un grand malheur que ces deux professions aient été séparées et il serait d’une grande conséquence pour le bien de l’état qu’elles fussent réunies comme elle le furent autrefois, ou que les chirurgiens moins présomptueux qu’ils ne le sont présumant moins de leur capacité dans la connaissance des maladies externes appellent à leur secours les médecins dans les maladies internes, et s’ils n’étaient dans une guerre continuelle contre les médecins depuis un siècle, à raison de leurs usurpations journalières sur les droits des médecins en s’ingérant de traiter impunément et contre toute bonne police, les maladies internes comme externes et ne s’excitent unanimement et de concert dans tout le royaume à un mépris infini pour les médecins. Le seul moyen de remédier à un si grand mal et si périlleux pour le public, serait sans doute de faire rentrer tous les médecins du royaume dans leur ancien droit et usage de traiter également les maladies externes comme les internes. Ils n’ont pas grand chemin à faire pour y parvenir obligés comme ils le sont d’être instruits de toute la théorie de la chirurgie, de la faculté des remèdes externes, et de la manière de les appliquer, il ne manque que la pratique, qu’ils regardent mal à propos comme une occupation ignoble, et qu’ils livrent à leurs domestiques, en ce qui regarde tout le manuel, ne s’en réservant que la direction. Il y a un grand motif de réunir dans la même personne les fonctions du médecin et du chirurgien et de faire élever ou les chirurgiens à la médecine, ou les médecins à la chirurgie ».