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Féminité et société ou l’amour en question : le point de vue des conteuses utopistes

Marie-Françoise Bosquet

Bosquet, Marie-Françoise, « Féminité et société ou l’amour en question : le point de vue des conteuses utopistes », Dix-huitième siècle 1/2009 (n° 41), p. 319-338.

Extrait de l’article

Depuis l’essor de la préciosité, nombreuses sont les femmes de l’aristocratie ou de la bourgeoisie qui se pensent en tant qu’individus : elles ne veulent plus être un chaînon insignifiant dans le lien social qui unit les hommes. Elles ne veulent plus être réduites au rôle physiologique maternel, éventuellement sentimental, que la société leur réserve et que Marivaux a si finement mis en scène, sur le mode comique, dans La Colonie. Elles veulent exercer leurs capacités intellectuelles : en ce sens, Poullain de la Barre a démontré que l’esprit n’avait pas de sexe et établi avec une rigueur toute cartésienne un programme d’éducation féminine dans son traité De l’éducation des dames pour la conduite de l’esprit dans les sciences et dans les mœurs.
Elles prennent donc la plume dans un genre mineur, une « bagatelle » selon l’expression consacrée des préfaces, mais qui suscite l’engouement à la fin du XVIIe siècle et tout au long du XVIIIe siècle : le conte. Certaines, comme Marguerite de Lubert ou Louise Levesque, expérimentent littérairement des sociétés qui diffèrent sensiblement de celles que les auteurs masculins imaginent dans le grand nombre d’utopies qui s’écrivent dans cette même période. Du modèle théorique de l’utopie narrative classique telle que l’a définie Jean-Michel Racault, l’épisode utopique inséré dans le conte emprunte le schéma qui répond à son étymologie : c’est un lieu de nulle part (ou-topos) où tout est bien (eu-topos) et qui pourrait se définir comme création littéraire d’une société fictive. Cette création sociale établit dans le temps ou l’espace un écart qui l’isole de la société réelle à laquelle elle se réfère implicitement ou explicitement, permettant une dialectique entre ces deux sociétés dans une perspective critique. Cependant cette distance créée avec le monde réel se creuse dans la féerie du conte littéraire qui ne sécrète pas d’effet réaliste comme l’univers romanesque, d’où une synergie entre utopie et conte qui conjuguent leurs modes de distanciation pour créer un espace littéraire de grande liberté dans l’univers des possibles.

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