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L’éclat des ténèbres : Eros et le scandale dans les Mémoires

Delphine Mouquin de Garidel

Mouquin de Garidel, Delphine. L’éclat des ténèbres : Eros et le scandale dans les Mémoires, Cahiers Saint-Simon, n° 42, 2014. Eros chez Saint-Simon. Journée d’études du samedi 8 mars 2014, p. 99-111.

Extrait de l’article

Il est beaucoup de scandales dans les Mémoires , mais il ne faudrait pas s’y tromper : Saint-Simon n’y prend pas, ou pas d’abord, ou pas surtout, le plaisir que le public a trouvé, de tout temps, à connaître les actions secrètes et honteuses des grands de ce monde. Qu’est-ce qu’un scandale ? La provenance théologique du mot résonne bien évidemment chez notre fervent catholique, et nous ne perdrons pas de vue que le scandale est avant tout « dans le langage de l’Ecriture [...] tout ce qui nous peut porter au péché, ou qui nous y sollicite ». Plus couramment, il est aussi « une action, ou une doctrine qui choque les mœurs, ou la commune opinion d’une nation » : en tant que manifestation publique du décalage entre ce qui est et ce qui devrait être, la notion est éminemment adaptée au génie saint-simonien. On pourrait aller jusqu’à dire qu’elle est fondatrice dans l’écriture saint-simonienne, l’histoire entière étant scandale.

J’aborderai ici la question sous l’angle des scandales liés à la « sexualité », pour me servir d’un terme anachronique. Les scandales les plus scandaleux, si l’on peut dire, aux yeux de notre auteur, n’ont certes pas grand rapport avec Eros : rendre les bâtards habiles à la couronne, embler une place dans l’ordre des ducs, ne pas retirer son bonnet, ce sont là les vraies insultes faites à l’homme et à Dieu. Mais la bâtardise est justement le fruit direct d’un double adultère dont le désir amoureux fut le moteur. En outre, d’un point de vue méthodologique, le choix de ce champ plus resserré permettra de commencer à cerner la notion, sans perdre de vue les limites éventuelles d’une application plus générale. A l’inverse, la notion de scandale paraît particulièrement opératoire s’agissant de sexualité dans les Mémoires. En effet la notion de morale, elle, ne l’est pas complètement. Saint-Simon fait preuve envers les écarts de conduite d’une indulgence qui ne nous étonne que parce que nous avons tendance à faire coïncider son conservatisme politique et sa nostalgie passéiste avec ses jugements sur les individus, parce que, aussi, nous restons parfois prisonniers de l’image d’Epinal d’un duc aigri, contempteur hautain des vices de son temps.

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