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Le compliment : pro et contra

Françoise Poulet

Françoise Poulet, « Présentation. Le compliment : pro et contra », Exercices de rhétorique, 20, 2023

Extrait de l’article

Quel est ce mécanisme du harcèlement ? Que vient-il détraquer en moi ? À quoi ne m’a-t-on jamais préparée, qui n’a pas de vocabulaire et qu’est-ce que cette peur progressive de chaque nouvelle journée engendre, à me demander à quel moment tombera la sollicitation, l’insulte, le compliment dont on ne veut pas, la menace voilée ?

Militante impliquée dans le mouvement #MeToo, Zoé, personnage du dernier roman de Virginie Despentes, Cher connard (2022), pose une équivalence entre le fait d’être importunée, invectivée, menacée et complimentée par quelqu’un, dans le cadre du harcèlement de rue. Plus précisément, est ciblé ici en tant que discours agressif « le compliment dont on ne veut pas » : bien que les dictionnaires du français d’aujourd’hui le définissent comme une « parole élogieuse que l’on adresse à quelqu’un en différentes occasions », bien que les linguistes le présentent comme une « caresse verbale » inscrite au cœur de l’art de plaire et de l’agrément, Zoé regrette que les hommes qui l’interpellent dans la rue n’aient pas conscience – ou bien ne veuillent pas reconnaître – que le compliment puisse être perçu comme une agression verbale annonçant, voire entraînant la violence physique. Loin de s’opposer à l’offense dans une relation dialectique entre complaisance et brutalité, le compliment s’inscrit de ce fait dans un continuum de violence sexuelle, à tel point que certains courants féministes souhaiteraient en circonscrire les manifestations, voire le proscrire purement et simplement, au même titre que la galanterie. Moins franc que la « sollicitation » ou « l’insulte », le compliment exprime un désir qui avance masqué, sous le déguisement de la louange, et en cela, il a tout d’une « menace voilée ». Ainsi, force est de constater que la réception du compliment, notamment quand il implique des « dyades mixtes », n’est plus la même depuis 2007 et le début du mouvement #MeToo, à tel point que certains exemples de louanges cités par les linguistes dans les années 1990 et 2000 passent aujourd’hui pour des propos ou des comportements sexistes à proscrire. C’est bien parce que le compliment s’inscrit dans un « usage érotique » de la parole qui, même si ses modalités ont considérablement évolué jusqu’à nos jours, a toujours posé des problèmes de frontières et de franchissement dans l’ordre du tolérable et du licite.

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