La diffusion des tentures à la fin du Moyen Âge : l’exemple de la Bourgogne
Françoise Piponnier
Françoise Piponnier, " La diffusion des tentures à la fin du Moyen Âge : l’exemple de la Bourgogne", dans Mélanges de l’école française de Rome, année 1999, volume 111, numéro 111-1, p. 419-442.
Extrait de l’article
Les inventaires princiers ou royaux des XIVe-XVe siècles laissent leur lecteur ébloui par l’abondance d’étoffes somptueuses, vivement colorées, aux décors raffinés, employées pour draper les lits, les sièges ou les murs des châteaux et palais. Les matériaux et les techniques mis en œuvre pour leur ornementation, le choix des décors et des couleurs, mériteraient à eux seuls des recherches approfondies. Plus austère sans doute, la question qui nous retient est de savoir dans quelle mesure l’ornementation textile de la maison est diffusée en dehors du groupe dominant, sous quelle forme elle apparaît, et s’il est possible d’entrevoir une évolution au cours de la période relativement brève pour laquelle nous disposons d’un échantillon documentaire satisfaisant à la fois par son homogénéité régionale et par la diversité des catégories sociales représentées.
Des inventaires mobiliers sont en effet conservés en grand nombre aux archives de Bourgogne à Dijon. Une première série figure dans les comptes des châtellenies et des bailliages. Elle énumère les biens de mainmortables et de bâtards morts sans descendance, groupe dans lequel les paysans sont de beaucoup les plus nombreux. La plupart des documents correspondent au troisième quart du XIVe siècle ; ils disparaissent pratiquement au moment où commence le fonds dijonnais, composé d’environ 700 inventaires pour la période 1383-1460. Les documents concernant des paysans ont pu être analysés dans leur totalité car ils sont concis et d’ailleurs peu fournis en tentures, même si l’on prend le terme dans son acception la plus large, en incluant les couvertures de lit. En revanche, le corpus dijonnais, plus copieux et détaillé, a dû être échantillonné. Trois groupes ont été constitués, comptant chacun 65 à 75 inventaires. Le premier couvre la période 1383-1404, le second les années 1416-1417 et le troisième les inventaires des années 1439 à 1454. Ces trois ensembles n’offrent pas une composition exactement comparable. Les dernières années du XIVe siècle ont vu le duc de Bourgogne et sa cour effectuer des séjours répétés dans sa capitale, de sorte que plusieurs inventaires décrivent les biens de membres de son entourage décédés à Dijon, ou encore lors de la funeste bataille de Nicopolis. D’aussi hauts personnages ne se retrouvent ni en 1416-1417 ni, à une exception près, dans l’échantillon des années 1439-1454. En outre, certaines catégories sociales semblent sous-représentées dans le corpus dijonnais, et ce aux deux extrêmes des hiérarchies urbaines ; le groupe des « bourgeois de Dijon » n’a laissé qu’un petit nombre d’inventaires, souvent incomplets. D’autre part les classes les plus modestes et le prolétariat urbain, les « ouvriers de bras », les serviteurs et servantes, les valets, les apprentis, les marchands ambulants, y tiennent une place assurément inférieure à leur importance numérique dans la cité. L’échantillon, fort diversifié cependant, permet de pénétrer, à travers l’énumération de leurs biens, dans les maisons et dans la vie de nombreuses familles habituellement négligées par les textes.