Morts et résurrections de Bernard Palissy
Anne-Marie Lecoq
Anne-Marie Lecoq, "Morts et résurrections de Bernard Palissy", dans Revue de l’Art, année 1987, volume 78, numéro 78, p. 26-32.
Extrait de l’article
Fours, ustensiles, essais, moules cassés, ratés de cuisson, appentis, dépotoirs, latrines... Par la grâce de l’archéologie (et par décision d’un Président de la République), Bernard Palissy vient d’atterrir brutalement parmi nous, ou si l’on préfère, de prendre pied dans le concret. Les secrets de son arrière-boutique s’étalent désormais sous nos yeux. On est passé presque sans transition du mythe le plus échevelé à la réalité la plus rassise...
Le mythe, comme on sait, datait du XIXe siècle. Au cours du XVIIe, l’« inventeur des rustiques figulines du Roy » était à peu près tombé dans l’oubli et seuls les écrits du naturaliste intéressaient sans doute encore quelques curieux. C’est cet aspect de Palissy qui connut un premier revival au XVIIIe siècle avec les mentions élogieuses de Jussieu, Fontenelle ou Réaumur, malgré quelques sarcasmes de Voltaire. La première réédition des œuvres (réelles ou supposées), en 1777, était due au naturaliste Faujas de Saint-Fond. Un peu plus tard, Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire, Buffon célèbrent à l’envie « le père de la géologie » et « l’un des créateurs de l’agriculture moderne ». En 1844, Paul-Antoine Cap donne une nouvelle édition des deux traités de 1563 et 1580, qui reste aujourd’hui encore la meilleure (en attendant l’étude critique de la Recepte annoncée par Droz). Dans la notice historique et les notes, Cap donne libre cours à son enthousiasme. Pour lui, Palissy a « posé les bases de la plupart des doctrines modernes sur les sciences et les arts ». Il a saisi les lois de l’hydrologie et de l’hydrostatique, deviné l’attraction universelle, pressenti la décomposition de la lumière, posé les premiers principes de la cristallographie, cherché à définir la force qui préside aux combinaisons chimiques, fondé la géologie moderne et l’agronomie...