De Dijon à Paris : réseaux d’argent et finance bourguignonne dans les emprunts du roi (1778-1783)
Marie-Laure Legay
Marie-Laure Legay, De Dijon à Paris : réseaux d’argent et finance bourguignonne dans les emprunts du roi (1778-1783), dans Histoire, économie & société, 2003, n° 3, p. 367-383.
Extrait de l’article
Le fait a déjà été souligné : les listes de souscripteurs d’emprunts sont souvent difficiles à exploiter. Elles ne contiennent que des informations parcellaires et ne permettent pas d’atteindre un taux d’identification satisfaisant.
L’intérêt du document que nous présentons ici apparaît donc très nettement. Il s’agit en effet d’un remarquable état des capitaux investis à Dijon et à Paris dans les emprunts ouverts entre mars 1778 et janvier 1783 par les États de Bourgogne pour le compte du roi. Il mentionne la date des contrats, leur numéro, les noms et surnoms des créanciers constitutionnaires, reconstitutionnaires ou cessionnaires, leur qualité parfois, le montant des capitaux et le montant des arrérages payables au premier janvier de chaque année.
Cette récapitulation de 1676 contrats, représentant près de 1100 personnes et une centaine d’institutions, porte sur 19 375 559 livres. On objectera qu’au regard des emprunts contractés par les ministres Necker et Joly de Fleury sur cette période (globalement 500 millions de livres), le panel est peu représentatif (3,9 %). Néanmoins, l’analyse de plus d’un millier de souscripteurs permet d’abord d’identifier clairement ces confortables « bourgeois rentiers » qui peuplent Paris et Dijon, évoqués à maintes reprises mais toujours expédiés, comme si le qualificatif de « rentier » suffisait à les définir. Par ailleurs, si cette étude met en scène l’ensemble des catégories constituant la société d’Ancien Régime, du duc de Luxembourg au palefrenier, du chancelier Maupeou au portefaix, de l’artiste Falconet au banquier Thelusson, elle cherche d’abord à dégager les réseaux préférentiels de mobilisation des capitaux. Parmi ceux-ci, on trouve naturellement la banque protestante, mais aussi le monde de l’office supérieur et moyen, particulièrement friand de ce type d’investissements. On rencontre surtout un réseau méconnu et pourtant bien vivant : celui de la province. À Dijon, comme à Paris, la finance bourguignonne a répondu présente à l’appel des États. Reste à savoir si le rentier, bourguignon ou d’origine bourguignonne, en engageant ses économies dans les emprunts du roi, ajoutait une raison de cœur à cette opération, ou bien si cet effet de levier « provincial » ne cachait pas des stratégies financières propres aux milieux sociaux dominants de la province concernée.