La Cour de Navarre
Marie-Madeleine Fragonard
Fragonard, Marie-Madeleine, La Cour de Navarre, Albineana, Cahiers d’Aubigné, 2, 1990. D’Aubigné et les guerres poitevines (1586-1588) sous la direction de Marie-Madeleine Fragonard, p. 75-87.
Extrait de l’article
Celui qui aborde par la lecture des oeuvres littéraires le groupe qui entoure Henri de Navarre en ces années 1580- 1590 a d’abord une impression de cohésion, d’unité mentale. Des Méditations de Sponde à celles de Du Plessis et d’Aubigné, des poèmes de Chandieu aux lettres d’Henri IV, les mêmes métaphores rédisent un même ordre du monde. L’environnement royal ne semble pas correspondre aux accusations que les poètes portent contre les cours, si corrompues et débauchées ; il ne semble pas non plus correspondre à la réalité de la société de cour, telle que les ouvrages de Norbert Elias ou de Jean-Marie Apostolidès ont pu en montrer le fonctionnement pratique et symbolique au XVIIe siècle.
C’est dans cette impression que j’avais décidé de consacrer mon attention à la cour de Navarre, afin d’y voir la construction d’un groupe cohérent. Le bilan sera pourtant aux antipodes : la cour de Navarre est un lieu tourbillonnant, qui a toutes les caractéristiques d’un objet baroque, instable dans sa composition, traversé de haines et d’ambitions, perpétuellement centrifuge. Portrait noir, qui m’est apparu à la confrontation méthodique des biographies et mémoires de ceux qu’on sait pourtant des fidèles : Sully, alors baron de Rosny, Du Plessis-Mornay, Aubigné. La cohérence réelle des oeuvres purement littéraires y prend alors un autre sens : celui d’une volonté organisatrice, triomphant du désordre.