Les écrivains “politiques” et la loi salique
Eliane Viennot
Viennot, Eliane, « Les écrivains “politiques” et la loi salique », dans T. Wanegffelen (dir.), De Michel de L’Hospital à l’édit de Nantes. Politique et religion face aux Églises, Clermont-Ferrand, PU Blaise Pascal, 2003.
Extrait de l’article
On sait que la règle d’éviction des femmes de la succession au trône de France fut forgée dans la seconde moitié du XIVe siècle par des légistes de l’entourage de Charles V cherchant à prouver le droit des Valois sur la Couronne, également revendiquée par les Plantagenets. Avant de donner naissance à un conflit international – et à l’élaboration d’une « loi » –, l’élimination de la jeune Jeanne de France (fille de Louis X le Hutin et petite‐ fille de Philippe le Bel) par ses oncles Philippe le Long en 1316, puis Charles le Bel en 1322, et enfin par son cousin Philippe de Valois en 1328, avait d’abord créé des conflits intérieurs, d’autant que Jeanne, devenue adulte, s’était mariée à un Français, et qu’ils avaient eu un fils, Charles (1322‐1387), qui se considérait héritier du trône. Charles et ses alliés battus, le flambeau avait été repris par Édouard III, autre petit‐fils de Philippe le Bel par sa mère et donc mieux placé que les Valois dans l’ordre de succession au trône. Parallèlement à la guerre des armes s’était donc ouverte une querelle juridique, que des clercs français crurent pouvoir refermer en exhibant un article du Code pénal des Francs saliens tombé en désuétude depuis la fin de l’empire carolingien, et qu’ils arrangèrent un peu pour qu’il ait l’air de statuer sur l’héritage du royaume. La loi salique était née. Bien évidemment, ce n’est pas elle qui gagna la guerre de Cent ans, puisqu’elle demeura parfaitement inconnue en dehors du petit monde de la diplomatie franco‐anglo‐romaine – où elle ne convainquit d’ailleurs personne. Pourtant, une fois le danger anglais écarté, l’invention ne fut pas remisée aux oubliettes. Au contraire : elle commençait alors véritablement sa carrière. Ce n’est en effet que dans la seconde moitié du XVe siècle, comme l’a montré Colette Beaune, qu’on commença à l’introduire systématiquement dans l’Histoire de France, mais de manière à ce qu’elle semble y avoir toujours été, pilier du droit public français, première des lois du royaume (on ne disait pas encore lois fondamentales), instituée par Clovis ou Pharamond, respectée depuis lors avec une régularité de pendule, et justifiée par les deux grands dangers qu’elle était censée éviter : d’une part la domination étrangère, toujours désagréable, d’autre part la domination féminine, toujours catastrophique. A la fin du siècle, grâce à l’intense travail des annalistes, la loi salique était devenue un mythe national.
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