"Une perle de pris" : la maison de la reine Eléonore d’Autriche
Aline Roche
Comment citer cette publication :
Aline Roche, "Une perle de pris" : la maison de la reine Eléonore d’Autriche, Paris, Cour de France.fr, 2010. Article inédit publié en ligne le 1er octobre 2010 (https://cour-de-france.fr/article1646.html).
Introduction
Qui est Eléonore d’Autriche ? Cette question apparemment simple recouvre une réalité complexe. Sœur de Charles Quint et de Marie de Hongrie, petite-fille des rois catholiques, infante d’Espagne, puis tour à tour reine de Portugal et de France, cette souveraine au cœur de la diplomatie européenne et de ses enjeux est tombée dans l’oubli. A-t-elle eu pour autant si peu d’importance, si peu d’influence ?
Commençons par soulever un paradoxe intéressant : d’une reine effacée on attendait une maison sans relief, peu nombreuse et finalement elle aussi effacée ; au contraire, d’emblée, la maison de la reine Eléonore apparaît comme un ensemble riche, un lieu de représentation et de rayonnement au sein de la cour de France. Par maison royale, nous entendons donc un « ensemble d’officiers, éventuellement des dames, attachés au service domestique d’un membre de la famille royale et qui forment autour de lui le premier cercle de ses familiers. » [1], c’est-à-dire une aire d’influence. Nous l’avons donc considérée à la fois comme une alcôve réunissant les favoris et les proches, et comme un lieu de magnificence et de rayonnement. Véritable miroir des enjeux d’alors, des conflits auliques et politiques, la maison d’Eléonore d’Autriche se présente comme le microcosme des idées de son temps. Ce temps, nous avons choisi d’en commencer l’étude en 1530, date de l’arrivée de la reine en France, sans pour autant taire les influences dont elle a bénéficié auparavant, notamment celle de la maison bourguignonne de sa tante Marguerite d’Autriche qui l’a élevée ou celle, castillane, de sa mère Jeanne la Folle. 1547 nous a semblé une date intéressante pour clore cette étude qui s’achèvera avec la fin du règne de François Ier.
L’intérêt toujours croissant pour l’histoire de la cour et le renouveau de la Gender History nous ont permis de mener à bien cette étude et de renouveler la vision d’une reine effacée, qui dominait jusqu’alors. Les travaux réalisés dans le cadre de la Gender History, parce qu’ils analysent les différentes modalités du pouvoir féminin, nous ont amené à réfuter l’idée admise d’une reine apolitique.
C’est dans cette optique que nous avons voulu saisir la spécificité de la maison d’Eléonore, son autonomie par rapport à la cour ; cela nous a amené à nous interroger sur sa position et sur la perception qu’en avaient ses contemporains. Réfléchissant à la maison, nous réfléchissions donc aussi à la reine. Théâtre de rivalités et de jeux de pouvoir, la maison d’Eléonore en est rapidement venue à cristalliser la haine envers l’Empereur et à devenir le symbole détesté de la défaite de Pavie. Cependant, n’oublions pas que son mariage avec le roi de France recouvrait une nécessité tant politique que financière, cette dernière dimension étant le ressort principal de son influence. Un personnel important, de nombreuses commandes, une richesse héritée de son précédent mariage, un douaire considérable, sont autant de signes de sa magnificence, autant de moyens indispensables à un pays toujours en guerre, à une cour qui veut briller à l’étranger et imposer sa supériorité aux cours étrangères. La sœur de Charles Quint n’a pas seulement eu une influence culturelle riche et novatrice, elle a aussi joué un rôle économique fort. C’est pourquoi sa maison nous a semblé être un angle d’étude très intéressant pour comprendre une reine qui a transformé ce qui était censé être l’alcôve de ses familiers en un lieu de représentation, une vitrine de la magnificence de la cour de France et un modèle à l’échelle européenne. A sa suite, cette institution ne devient-elle pas alors un intérieur ouvert sur l’extérieur ?
En partant de l’analyse de la maison en elle-même, c’est-à-dire de sa composition et de sa situation à la cour, mais surtout en nous intéressant à sa spécificité, il s’agira de comprendre sa formation, son fonctionnement et son organisation. Quant au personnel, parce qu’il donne corps à la structure et qu’il entretient des liens privilégiés avec la souveraine, il fera l’objet d’un second temps. Nous essaierons de comprendre comment il participe de la création d’une relation verticale, c’est-à-dire réciproque et pourtant déséquilibrée. Car, derrière les fidélités apparaît une véritable « utilité », pour les deux membres de la relation, la reine et le commensal [2]. Enfin, nous verrons que si les officiers se présentent comme les émissaires privilégiés de la reine, la maison est surtout un moyen d’impressionner par son raffinement et sa magnificence et s’érige en vitrine du royaume.
Un élément clé de l’institution aulique
Lorsqu’Eléonore d’Autriche arrive en France en 1530, la maison de la reine n’en est encore qu’à ses premiers pas. Si sa fondatrice, Anne de Bretagne, lui a donné ses lettres de noblesse, cette institution nouvelle doit encore s’organiser de façon précise et s’affirmer au cœur de la cour. Comment, sous la férule de la reine Eléonore, la maison de la reine parvient-elle à s’affirmer comme un organe autonome ? Les différents séjours de la souveraine au sein des plus grandes cours d’Europe lui ont permis de nourrir sa maison, tant dans l’organisation que dans le mode de vie, d’influences diverses et d’en faire un lieu attractif. Riche d’héritages, légués par les membres de la famille de la reine ou par celles qui l’ont précédée sur le trône de France, sa maison est à n’en pas douter une composition baroque où les coutumes se bousculent et se complètent, relayées par des officiers venus de tous horizons.
I. La maison royale française : une structure récente
Nous l’avons dit, la maison dont Eléonore d’Autriche se voit attribuer la gestion à son arrivée reste encore à définir. Encore malléable, elle attend les transformations qui feront d’elle une institution à part entière. Saisir son visage en ce milieu du règne de François Ier et en dessiner les contours nous paraît donc essentiel. Les textes officiels permettent une appréhension théorique, tandis que l’aspect concret sera abordé à travers les legs des reines précédentes, Anne de Bretagne dans un premier temps, puis sa fille Claude de France, mais surtout à travers l’étude de l’organisation spatiale. Tout à fait significative, elle permet d’évaluer l’importance de cet ensemble et de la reine au sein de la cour en fonction de sa situation dans l’interminable suite de logis que sont les châteaux. Sur quelles fondations Eléonore d’Autriche bâtit-elle sa maison et comment l’inscrit-elle dans le réseau de la cour, seront les questions auxquelles nous tâcherons de répondre ici.
La maison dans les textes officiels
L’inscription de la maison royale dans les textes officiels ne date pas de François Ier, loin de là. Vitrine de la puissance du souverain, par son nombre, sa vertu et sa richesse, la maison du roi se doit d’être organisée ; et Jean du Tillet de nous rappeler que « lesdites maisons paroissent à tous dignes d’estre regardees et imitees, et que le renommee de saincte opinion abbreuue tres-abondamment les autres subiets & tous les estrangers : & qu’en elle ou toutes dissenssions & discordes doivent estre pacifiees, & toute malice comprimee par auctorité superieure ne soit trouvé ce qu’elle entend & doit corriger. » [3]. Cette exigence, associée aux ordonnances qui se multiplient, doit donner à la maison du roi le visage de la dignité et du respect.
L’Hôtel, que l’on connaît au 16e siècle sous le nom de maison du roi, apparaît pour la première fois dans les ordonnances des Capétiens, dont la première connue date de 1261, où sont distingués six « métiers » : la paneterie, l’échansonnerie, la cuisine, la fruiterie, l’écurie et la fourrière, les services indispensables à la gestion de la vie quotidienne du roi. Un peu à l’écart de l’Hôtel, la chapelle royale fait elle aussi ses premiers pas, dont les offices sont règlementés dès le 14e siècle sous l’autorité du pape Clément VI, affirmant clairement la situation particulière des chapelains qui appartiennent au roi et à son service. Par conséquent, très rapidement, le rôle primordial et le statut privilégié des officiers apparaissent. Ces commensaux, appelés ainsi parce qu’autrefois ils étaient nourris, logés et vêtus par le souverain sont les premiers concernés par les ordonnances royales qui visent à l’organisation de la maison du souverain [4]. Le sieur de la Marinière établit ainsi dès la Toussaint 1288, l’existence d’un arrêt exemptant de toutes tailles et subsides un officier de Philippe le Bel et quatorze ans après il constate l’exemption de toutes tailles par le parlement des Brandons de Baudoüin de Royat, maître d’hôtel du roi [5]. Ces deux arrêts constituent donc les fondements d’une organisation que l’on retrouve près de deux siècles plus tard, puisque la charge de maître d’hôtel existe toujours, le grand maître d’hôtel ayant pour fonction de régir les services de la maison et le premier maître d’hôtel remplissant l’office de grand maître les jours ordinaires. La maison du roi est donc une institution déjà ancienne qui a su prouver sa nécessité.
Si François Ier n’a pas créé la maison du roi, il l’a développée, conscient de tenir entre ses mains une arme symbolique ; il en a donc étendu le principe aux autres membres de la famille royale. Malheureusement, nous n’avons pas pu trouver de documents mentionnant la création à proprement parler de la maison de la reine et les traces dont on dispose correspondent aux ordonnances qui enregistrent les privilèges des officiers des souveraines. Car si Claude de France a dès son enfance des officiers à son service, ceux-ci ne bénéficient que par une ordonnance de février 1522 des mêmes privilèges que les domestiques du roi, à savoir l’exemption de différents impôts. Les documents officiels se succèdent alors qui ne cessent de rappeler et de préciser ces privilèges, tel un arrêt de la cour des aides en août 1525, ou encore les « lettres d’exemption du ban et de l’arrière-ban en faveur des officiers ordinaires et commensaux du roi, de la reine et des enfants de France » du 13 mars 1533 [6].
Les états d’officiers permettent également d’appréhender cette création, dans la mesure où l’on voit apparaître des états plus nombreux mentionnant les services dans un ordre établi et devant être respecté, là où les états des officiers d’Anne de Bretagne laissent percevoir une organisation plus mouvante. Un rôle de cette dernière pour les années 1496, 1497 et 1498, laisse voir que les aides ne sont pas clairement distingués dans le service auquel ils appartiennent, contrairement à ce qui apparaît déjà en 1526 pour la maison de Claude de France ; on y lit alors l’inscription de la catégorie « aides » en dessous du service auquel ils sont rattachés. Ainsi peut-on voir, sous « tapissiers » et à la suite des deux noms des commensaux, deux traits indiquant le nombre d’« aides » [7]. Un effort d’exhaustivité transparaît peu à peu dans ces états où les chiffres sont remplacés par des noms ; d’ailleurs, très rares sont ceux qui manquent sur les états d’Eléonore d’Autriche. Même les galopins, ces jeunes garçons servant dans les cuisines, sont recensés et leur provenance consignée, comme c’est le cas sur cet état du second semestre de 1530, où l’on lit à la rubrique « gallopins », « un de la cuisine de Madame 12 sols », « un de la cuisine de Monsieur le grant maître 12 sols », « un de Monsieur de Forets 12 sols » [8]. Cette volonté de contrôle du personnel fait écho à celle d’ordre évoquée plus haut. Loin de se contenter d’étendre les maisons royales à son entourage, François Ier en a officialisé la création et renforcé l’organisation.
Pour autant ce terme d’extension que nous employons signifie-t-il que la maison de la reine serait une excroissance de la maison du souverain, tout au plus son annexe ? A première vue, le roi paraît présider à la formation de la maison de la reine [9]. Les ordonnances établissant clairement une comparaison entre les deux maisons royales, à l’instar de cette « Déclaration portant que les officiers domestiques et commensaux de la maison de la reine Eléonore jouiront des mêmes privilèges, franchises et exemptions que les officiers de la maison du roi », enregistrée le 22 mai 1543 au Parlement de Paris [10], ne vont-elles pas dans ce sens ? Ce document, trace précieuse de la mise en place de la maison de la reine, témoigne de l’élaboration de sa structure sur le même modèle que celle du roi ; quant à l’élévation des officiers au même rang que ceux de son époux, cela met les deux maisons sur un pied d’égalité, ou presque.
Cette structure connaît néanmoins deux différences d’avec son homologue masculin : tout d’abord, sa direction est confiée à un « chevalier d’honneur », l’équivalent du grand maître chez le roi, qui sont « dans ces cours surintendants de toute la maison et sont reconnus comme ayant autorité sur tous les maîtres et gouverneurs de celle-ci » et dont « la charge principale et la plus honorable […] consiste à accompagner et à servir les reines partout où elles se rendent, de les aider à monter ou descendre tous les escaliers, à monter ou à descendre de leurs chevaux et de leurs carrosses ou dans tout passage difficile. » [11] et le service de la chambre est assuré par des femmes et placé sous la responsabilité de la « dame d’honneur ». Il n’est pas sûr que ces deux variations soient le véritable fondement de la spécificité de la maison de la reine et la raison principale nous permettant d’affirmer qu’elle n’est pas une annexe de celle de son époux. Certes, le cadre, la structure sont à l’identique de ceux du roi, mais ces cadres sont vides et restent à remplir, tâche qui revient alors à la reine, notamment à travers l’organisation interne et les coutumes, comme le montrent les héritages laissés par Anne de Bretagne et Claude de France.
Organisation interne et modes de vie : héritage(s) des reines précédentes
Pour comprendre au mieux les spécificités de la maison de la reine Eléonore, il convient de faire un point sur les influences dont elle a bénéficié, et on ne saurait mieux commencer que par celle considérée comme la fondatrice de cette institution : Anne de Bretagne.
Tout d’abord, il nous faut rappeler qu’Anne de Bretagne n’a pas créé la maison de la reine et pour preuve, états et registres de précédentes maisons royales féminines sont conservés dans divers fonds d’archives [12]. Cependant, elle l’a profondément réorganisée et lui a donné un visage sensiblement identique à celui que nous observons en 1530. Surtout, on assiste à un véritable accroissement du nombre de commensaux de la reine à la fin du 15e siècle : entre 74 et 113 personnes se trouvaient au service d’Anne de Beaujeu, là où elles sont plus de 325 à se presser autour d’Anne de Bretagne en 1496 [13]. Derrière ces chiffres considérables, perce la volonté de s’entourer de ce qu’on a appelé une « clientèle », ou plus modestement d’un cercle de familiers. Anne de Bretagne venait d’offrir à plusieurs générations de souveraines un mode de rayonnement efficace, dont chacune chercherait à s’approprier les bénéfices.
Un aspect plus particulier de ce rayonnement a été très précisément étudié par Ch. Cazaux dans sa thèse d’Ecole des Chartes sur la musique à la cour de François Ier [14]. Elle observe que la présence d’Eléonore d’Autriche à la cour de France, ne correspond pas à une renaissance, puisqu’elle ne se réfère pas à l’Antiquité, mais bien à une naissance de la musique. Pour autant, Louis XII, est le premier roi à avoir consacré une rubrique spécifique à la musique. Quant à Anne de Bretagne, si la mention des musiciens est parfois désordonnée dans ses registres, leur rubrique s’intitulant tantôt « chantres » tantôt « joueurs d’instruments », ils n’en sont pas moins présents, au nombre de 5 entre 1496 et 1498. Anne de Bretagne en introduisant durablement des musiciens a établi au sein de sa propre maison une forme de mécénat. Des traces de ce legs musical apparaissent chez les souveraines qui lui ont succédé : telle la présence d’un musicien au service de Claude de France et de trois à celui d’Eléonore d’Autriche [15].
Ces apports, aussi significatifs soient-ils, sont loin d’égaler l’intérêt suscité par l’introduction plus nombreuse des femmes. D’Anne de Bretagne à Catherine de Médicis et son « escadron volant », en passant par Eléonore d’Autriche, le mythe d’une cour majoritairement féminine subsiste parfois encore. Si leur nombre s’est accru en même temps que leur rôle, néanmoins prévenons toute exagération, à l’instar de ces paroles de Brantôme, dont la modération n’a pas fait la réputation : « ce fut la première qui commença à dresser la grande cour des dames, que nous avons vue depuis elle jusqu’à cette heure ; car elle avait une très grande suite, et de dames et de filles, et n’en refusa jamais aucune » [16]. Rappelons ici que si la maison de la reine Anne de Bretagne comptait bien plus de 300 personnes, celles-ci n’étaient pas toutes de sexe féminin, et ne constituaient même qu’une minorité. C’est donc une maison féminine davantage policée et bien mieux organisée que lègue Anne de Bretagne à sa fille.
La maison dont hérite Claude de France est encore à l’état embryonnaire, c’est d’ailleurs peut-être pourquoi sa propre maison a connu une faible évolution. Contrairement à celle de sa mère, elle n’a guère attiré l’attention de ses contemporains ni des historiens. Méconnue, la maison de Claude de France n’a pas été précisément étudiée et les sources la concernant rarement repérées. Toutefois, afin de mieux comprendre l’évolution de la maison de la reine en ce premier 16e, nous avons procédé à une étude sommaire de ses effectifs : en 1526, la fille de Louis XII comptait 209 personnes à son service, soit une centaine de moins que sa mère [17]. Faut-il pour autant parler de régression ? Cela paraît excessif, car si elle n’a pas fait fructifier cet héritage, Claude de France ne l’a pas pour autant laissé péricliter : elle s’inscrit dans une continuité et contribue au maintien de la maison comme pôle incontournable de la cour.
Mais revenons sur ces effectifs, étonnamment faibles. Alors que la maison de son époux connaît un véritable essor et une profonde réorganisation, qu’elle-même dispose d’un duché dont les revenus importants participent au financement de son service [18], comment comprendre un tel recul de la maison de la reine ? Ph. Hamon a tâché d’évaluer le coût de sa maison : les états de prévisions de 1518 et 1523 annonçaient une dépense de 145 000 et 160 000 l.t. ; à titre de comparaison, elle s’élève à 211 000 et 215 000 l.t. en 1531 et 1532 [19]. Faut-il attribuer cet écart au retrait de la souveraine à l’instar de Th. Wanegfellen, qui dans un chapitre intitulé « L’influence à défaut du pouvoir ? Les femmes des élites entre persistance et effacement » [20], la range dans la catégorie des femmes effacées aux côtés d’Eléonore d’Autriche ? Affirmation fondée sur ce que « tous les témoins insistent sur leur caractère simple, presque timoré, leur retrait par rapport aux cérémonies publiques, aux jeux politiques et aux enjeux des relations de cour. »., grâce à laquelle nous touchons à un élément essentiel de notre étude : celui du rapport intime entre la reine, sa maison et la cour. L’établissement de cette relation de pouvoir et sa traduction spatiale fournissent à cet égard de précieuses informations.
Hiérarchisation spatiale, la maison dans le réseau de la cour
Nombreuse et itinérante, la cour de France est loin d’être un havre de paix pour ses résidents : si le gîte et le couvert sont censés être offerts, ils font parfois défaut à cause du manque d’organisation. L’augmentation des effectifs de cour entraîne alors une pénurie de logements : lorsque les résidences royales ne suffisent pas, les habitants de la ville de résidence sont mis à contribution. Ainsi, le château de Saint Germain en Laye, l’un des plus grands, ne compte-t-il que 80 logements, alors que plus de 10 000 personnes suivent la cour [21]. Le logement, par son attribution et sa configuration, devient alors un véritable enjeu de la vie de cour et de ses rivalités : spatialisation et hiérarchisation sont indissociables.
Dans ce contexte, l’arrivée de la nouvelle épouse de François Ier en 1530 impose une réorganisation de la répartition des logements ainsi qu’une redistribution de nombreuses salles et services des résidences royales. M. Chatenet et R. Knecht, dans leurs ouvrages sur la cour de France, étudient de près cet aspect et permettent d’envisager l’ampleur des modifications effectuées. Pour commencer, force est de constater que l’emplacement du logis de la reine est variable et dépend de la configuration même du château : tandis qu’au Louvre il se situe, conformément à la tradition, au second étage au dessus de celui du roi, à Fontainebleau, à Villers-Cotterêts ou à Saint-Germain en Laye, les deux logis sont au même étage. On note combien le respect de la coutume et de la préséance est entravé par l’architecture des châteaux. Le schéma de base du logis de la reine, qui comprend une salle, où elle reçoit et prend ses repas, une chambre, une garde-robe et une chapelle varie en fonction des possibilités spatiales et architecturales. Pour preuve, les appartements créés pour Eléonore d’Autriche à Saint Germain en Laye à partir de 1540 : situés au fond de la cour au deuxième étage, il sont composés d’un « pavillon » avec la chambre, et d’un « corps d’hôtel » abritant la salle ; une grande vis donne accès à la salle, dont le « bas bout » s’ouvre sur la chapelle de la reine, insérée derrière la vis, et le « haut bout » donne sur la salle, suivie de trois petites pièces : « le cabinet de la tournelle », « le cabinet triangle » et une garde-robe [22]. L’importance de chacune de ces pièces dans le cérémonial de cour est évidente, chacune ayant une attribution spécifique, d’où également la récurrence du schéma de base évoqué plus haut.
La volonté de posséder un logement dans le château royal, et au plus près des souverains est une constante de la vie de cour ; car une fois la famille royale logée, restent encore plusieurs centaines de personnes à installer. Un service de la maison de la reine (et du roi) est d’ailleurs spécialement assigné à cette lourde tâche : la fourrière. Elle compte six personnes en 1532 – contre trois au service de Claude de France- chargées de répartir, selon le bon vouloir de la reine, et du roi, et en conformité avec les règles de préséance, leurs commensaux.
Si généralement le rang l’emporte, on note toutefois certaines exceptions, à commencer par le privilège donné aux dames. Les « filles françaises » dorment quant à elles à plusieurs par chambre et les femmes de chambre sont logées dans de grands dortoirs. Viennent ensuite les hommes en couple, puis ceux venus seuls, installés en fonction de leur rang là encore. Une seule façon de déroger à la règle consiste à faire appel à la faveur du roi ou de la reine, pour recevoir les appartements les plus en vue, les mieux situés, près de la famille royale. Ainsi, Anne de Pisseleu, prend-elle possession dès 1541 du logement d’Anne de Montmorency, alors en disgrâce, à Fontainebleau.
Les offices et dépendances sont également concernés par ce problème de l’augmentation des effectifs de la cour, car elle influe sur le nombre de domestiques. D’ailleurs, la coïncidence entre la construction de cuisines au Louvre et à Fontainebleau et l’arrivée en France de la nouvelle reine indique, par une nécessaire redéfinition de l’espace, l’importance sans précédent de sa maison [23]. Tant et si bien que, pour être servie au mieux, la famille royale, et avec elle Eléonore d’Autriche, donne la préférence à ses commensaux, interdisant de fait à des personnes de rang bien plus élevé de posséder un logis au château et les obligeant à se loger à l’extérieur [24].
Un autre obstacle de poids à une organisation stable de la cour doit être mentionné ici : l’itinérance de la cour. On peine aujourd’hui à imaginer cette petite ville lancée sur les chemins du royaume pendant des semaines entières. Cette ville qu’il faut loger à chaque étape dans les résidences royales ou chez les habitants et dont il faut transporter les innombrables effets. L’étude des comptes de la maison de la reine permet de se rendre compte du désordre créé par ces pérégrinations : ainsi, en octobre 1538, 3000 livres tournois ont-elles été payées aux bouchers qui fournissent la maison et 500 livres tournois aux poissonniers, en dédommagement de leurs pertes pendant le voyage en Languedoc et en Provence.
Des pertes qui sont loin d’être exceptionnelles, quand l’on connaît la quantité d’objets emportés pour subvenir aux besoins des voyageurs et de leur suite : rien que pour son voyage aux Pays-Bas en 1544, Eléonore d’Autriche est accompagnée de ses dames mais aussi de deux maîtres d’hôtel, de ses femmes de chambre de la reine, de celles de ses dames et filles d’honneur, de valets de chambre, du maître et des valets de la garde-robe, du trésorier de la chambre aux deniers, du contrôleur et des clercs de l’office et de l’argenterie, des gentilshommes servants, de son confesseur, de son médecin et de l’apothicaire, des officiers de la panèterie et de l’échansonnerie de bouche, des mêmes pour le commun, des valets de la fourrière, des valets de chambre tapissiers, du maréchal et des serviteurs mâles des dames, du capitaine des mulets et des charriots, du portier du logis de la reine, de pages, des lavandières, etc. Une suite impressionnante, chargée de coffres pleins des effets et des victuailles indispensables, sachant que pour un jour gras, un demi-bœuf, 18 moutons, 3 veaux, 12 porcs, 60 chapons, et 48 poulets étaient nécessaires [25] pour la cuisine du commun.
Par conséquent, loin d’obéir à des lois immuables, la situation de la maison de la reine dans le réseau de la cour doit s’accommoder d’obstacles et de difficultés croissantes. Mais en inscrivant sa maison au cœur de la cour, en imposant une redéfinition des espaces par sa venue, Eléonore d’Autriche a participé à l’évolution de la cour et à l’affirmation de sa propre position. Toutefois l’espace n’est pas le seul aspect de cette évolution, et il convient de l’étudier à présent à travers notamment les influences qui ont accompagné la reine dans son nouveau royaume.
II. L’impulsion donnée par Eléonore d’Autriche
L’étude de la structure de la maison royale féminine nous a amené à concevoir le rôle effectif joué par la souveraine, sa principale actrice, son chef d’orchestre. Quel a été le champ d’action de la reine ? A-t-il été restreint, comme le prétendent nombre de travaux, ou laisse-t-il au contraire entrevoir par son étendue, l’influence d’Eléonore d’Autriche ? Quel a été le rôle à cet égard de l’introduction d’habitudes et d’attitudes héritées de ses séjours dans d’autres cours européennes ?
Héritages bourguignons et castillans
Les séjours de la reine dans diverses cours européennes l’ont indubitablement enrichie d’influences variées que nous souhaiterions retracer ici. Depuis son enfance à Malines aux côtés de sa sœur Marie et de son frère Charles, jusqu’à sa venue en France, en passant par le royaume du Portugal et la cour de Castille, la fille aînée de Jeanne la Folle et Philippe le Beau, se situe à la croisée des chemins. Qu’en est-il de sa maison ?
Née le 15 novembre 1498 à Bruxelles, Eléonore d’Autriche passe toute son enfance et son adolescence à Malines avec ses deux cadets, Marie et Charles, sous l’autorité de leur tante Marguerite d’Autriche régente des Pays-Bas. C’est ici elle reçoit l’éducation indispensable à une princesse de ce temps : sciences, histoire, morale, musique et éducation ; on lui apprend également à écrire en français, sa langue maternelle et la langue de la cour. Surtout elle est entourée d’un climat d’émulation artistique privilégié qui a probablement formé son goût et sa sensibilité artistique. Déjà, en 1509, le peintre malinois, Jean Van der Wijckt, « peint les armes de monseigneur et d’autres plaisantes peintures sur un chariot pour mesdames ses sœurs pour aller jouer dessus à leur plaisir et passe-temps », tandis que quelques années plus tard, Olivier de la Marche, maître d’hôtel de son père, lui dédie un poème de 350 vers, parmi lesquels ceux-ci :
« Suis ordonné pour être gouverneur
D’une fille de Rois et d’Empereur ;
C’est Madame Aliénore d’Autriche,
A elle suis, et ne veux être chiche
De semer fruit de los et vertus
Devant la dame que j’aime le plus. » [26].
De cette atmosphère riche, composée de grands penseurs parmi lesquels citons tout de même Erasme et Cornélius Graphéus, des musiciens tels que Pierre de la Rue et Josquin des Prés, mais aussi de Dürer et Jean Lemaire des Belges, elle bénéficie grandement. Autre élément d’importance dans sa formation : le contact avec l’une des bibliothèques les plus prestigieuses de son temps, celle de sa tante Marguerite d’Autriche. L’inventaire qui en a été fait en 1523 a mis à jour une collection exceptionnelle, riche de plus de 379 ouvrages, parmi lesquels le livre d’heures du duc de Berry, Tite-Live, Suétone et Virgile, mais aussi Pétrarque et Boccace [27]. Une éducation physique vient en outre compléter cette éducation intellectuelle, puisqu’à la belle saison ils se rendent à Bruxelles ou au château de Tervueren pour chasser. Ces années à Malines sont donc des années d’initiation à sa position de future souveraine : élevée dans la magnificence et dans l’amour de l’art, Eléonore d’Autriche se veut, une fois maîtresse de sa propre maison, leur instigatrice à la cour de France.
Mais bien avant l’année de son arrivée en France, Eléonore continue son périple européen et accompagne, en 1517, son frère Charles en Espagne, où il doit alors régner. De ce séjour ibérique nous n’avons que peu de sources ; du reste, c’est un séjour extrêmement court, puisque dès octobre 1518, elle rejoint le royaume du Portugal et son roi, son premier époux. Que rapporte-t-elle en France de sa présence d’une dizaine d’années dans la péninsule ibérique ? Outre certains serviteurs espagnols, qui seront notre objet plus tard, ce sont surtout des coutumes et des conseils. L’un d’entre eux pourrait expliquer l’importance inédite de la suite de la nouvelle reine de France. En 1523, Charles Quint entreprend la réforme de sa maison royale, dont il augmente les effectifs et les gages et à laquelle il reconnaît un rôle éminemment politique [28]. Il en profite également pour introduire des commensaux castillans dans sa maison bourguignonne : dès lors, maison royale et pouvoir politique sont intimement liés, ce qui fait affirmer à J. Martínez Millán, que l’organisation de la maison royale « repercutió ineludiblemente en la organización de la propia Monarquía hispana. » (« se répercuta obligatoirement sur l’organisation de la monarchie espagnole elle-même. »). Dans une moindre mesure, on en retrouve le schéma dans l’organisation de la maison de la reine : des effectifs nombreux, des gages assez élevés et une mixité des officiers castillans et français.
Quant aux « coutumes » de ces cours ibériques, parfois qualifiées « d’espagnoles », elles sont difficiles à cerner. L’attribution de certaines attitudes de la reine à ses séjours dans la péninsule relève parfois du cliché : tels les soupers tardifs d’Eléonore d’Autriche [29]. Faut-il y voir une « coutume ibérique » ? Rien n’est moins sûr, surtout lorsque l’on sait que l’éducation de la reine Eléonore est une éducation bourguignonne, au cérémonial extrêmement rôdé et organisé. Par ailleurs, s’agit-il d’un fait exceptionnel rapporté par un ambassadeur étonné ou d’une attitude récurrente ? L’expression de « coutume ibérique » semble donc abusive, d’autant plus qu’à l’époque la péninsule recouvrait des réalités et des coutumes extrêmement diverses. Une information plus sûre nous est rapportée par Philippe de Lalaing et François de Bonvalot, ambassadeurs de Marguerite d’Autriche à la cour de France, dans une lettre du 9 septembre 1530 : évoquant une maladie de la reine, ils écrivent que « son mal n’est si grand qu’on la retiengne en sa chambre, plus qu’elle estoit accoustumée et fait très bonnes chières, sinon à l’instant que la foyblesse la surprent. L’on tient, Madame, que sela provient par l’indigestion, pour ce qu’elle mange du fruyt et boit de l’eau emmy le jour, comme elle fesoit en Espaigne où le fruit et l’eau sont d’aultres température et l’air plus propre pour user telles viandes. » [30]. Ce fait est significatif d’une habitude alimentaire propre à ses séjours ibériques et importée dans le royaume français. Mais là encore, il nous faut relativiser, car cette maladie intervient en septembre 1530, soit trois mois à peine après l’arrivée de la reine en France et nous n’avons pas d’autre mention de cette habitude alimentaire. Par ailleurs, convenons que cela est tout à fait anecdotique et n’a pu avoir que très peu d’influence sur la maison et son évolution.
De ces différents séjours, Eléonore a emporté avec elle des éléments propres à modifier la maison de la reine. Qu’ils soient structurels, telle la réforme castillane de 1523, ou anecdotiques, à l’instar de la consommation de fruits, ils nous renseignent sur le pluriculturalisme de la reine et sur ses conséquences. Ainsi la maison se redéfinit-elle, ce que laisse voir la coexistence d’anciennes et de nouvelles charges.
Charges anciennes et charges nouvelles
Nous l’avons donc dit au début de cette étude : les charges sont, d’une maison royale à l’autre, sensiblement les mêmes. Cependant, des changements n’en ont pas moins existé, qui tendent à renforcer les fidélités par l’attribution d’une charge à la cour. Le roi s’entoure de fidèles et de favoris, ses gentilshommes de la chambre, tandis que ses valets de chambre sont des hommes de mérite (artistes, humanistes, etc.) [31], mouvement dupliqué à la maison de la reine où peintres et poètes côtoient les plus grandes dames de la noblesse du royaume et ce, dans un seul but : renforcer son pouvoir en renforçant les fidélités ; Eléonore d’Autriche en a bien compris l’importance, au vu du soin apporté au recrutement de ces officiers [32]. Fourriers, écuyers, valets tranchants, maîtres d’hôtel, galopins et lavandières, constituent une forteresse autour de la souveraine ; mais loin de vivre en autarcie, elle se nourrit de ce qui l’entoure et cherche à rayonner hors les murs. Par sa fonction de protection et de représentation, la maison est donc vouée à évoluer au gré des reines et de leurs besoins : en effet, quel meilleur moyen existe-t-il pour une reine, dite « effacée », que d’afficher une maison aux effectifs inédits ?
Historiens et contemporains s’accordent sur ce point : sous François Ier la maison royale et la cour connaissent un essor réel. Mais surtout, ce qui intéresse ici notre étude, est que l’on en trouve également trace dans la maison de la reine : celle d’Anne de Bretagne comptait 298 personnes, Claude de France en avait seulement 185, tandis qu’Eléonore d’Autriche emploie pour son service 356 commensaux [33]. Des écarts considérables apparaissent d’une reine à l’autre qui dénotent bien cette évolution : faut-il l’attribuer à la souveraine en tant que personne ou bien à l’esprit du temps ? Nul doute que l’éducation de la reine Eléonore a participé de cette évolution, néanmoins la maison de son époux lui a ouvert la voie . Un autre point intéressant est la continuation de cet accroissement dans le temps : à la fin du règne de François Ier, il semblerait que 391 personnes, parmi lesquelles 98 femmes se soient pressées aux côtés de sa seconde épouse. Une permanence qui nous empêche d’en considérer l’essor comme un fait ponctuel et exceptionnel, attribuable à l’arrivée de la nouvelle femme du roi et à son installation ; les reines suivantes ne compteront ni les efforts ni les moyens pour entretenir une suite nombreuse. De toute évidence, en même temps que l’augmentation du personnel, s’impose une prise de conscience de ses effets : si M. Chatenet y voit le témoignage de « l’épanouissement d’une société » où les femmes ont un rôle de plus en plus significatif, cela entraîne aussi un renforcement du pouvoir de la souveraine.
De 1530 à 1547, les changements se succèdent à la maison d’Eléonore d’Autriche, impulsés par leur maîtresse, et s’accompagnent d’efforts d’organisation. Elle n’en reste pas moins une « construction baroque » [34], qui peine encore à se structurer et où le sang et la faveur entrent parfois en contradiction. Dans cette première partie, nous avons voulu suivre les différentes étapes de la formation de la maison royale féminine, afin d’envisager l’impact de l’arrivée de la nouvelle reine et d’aborder différemment les modalités de son influence. Quoiqu’indispensable, l’étude menée ici ne peut suffire à rendre compte de la maison de la reine, et après en avoir étudié l’extérieur, il convient maintenant d’en franchir le seuil pour la considérer de l’intérieur ; c’est pourquoi nous allons maintenant nous intéresser aux officiers de la reine, en tant qu’acteurs de la maison.
Les officiers, acteurs de la maison de la reine
Loin d’être de simples figurants, les commensaux constituent la maison et l’animent. Là où les analyses se veulent parfois structuralisantes, nous avons voulu leur redonner la parole et comprendre comment ils pouvaient incarner la maison de la reine et participer de son rayonnement. Il convient dès lors de s’intéresser à leur identité, leur lieu de provenance pour mieux dégager les modes de recrutement qui leur permettent d’accéder à une charge. En effet, le personnel au service de la reine est-il un ensemble disparate de commensaux ou bien le socle d’un cercle de familiers et d’une aire d’influence pour la reine ? La composition de sa maison offre un véritable éclairage sur cette question et l’on assiste à la formation progressive d’un réseau de fidélités. Comment les commensaux travaillent-ils à son prestige et comment en retour celle-ci leur offre-t-elle le bénéfice de sa faveur ? Telles seront les questions auxquelles nous tâcherons de répondre ici, sans jamais perdre de vue le lien qui existe entre la reine et ses officiers et la façon dont ces deux entités n’en viennent à faire plus qu’une : la maison de la reine.
I. Origine des officiers : la diversité des modes de recrutement
De différents pays, de différentes cours, attachés précédemment à d’autres reines, les officiers participent de l’aspect composite et « baroque » de la maison de la reine [35]. Cette diversité permet d’envisager le processus de formation de cet organe de cour et d’aborder le premier contact entre l’officier et sa charge que constitue le moment du recrutement ; car comprendre d’où ils viennent n’est-ce pas déjà comprendre qui ils sont et quel rôle ils sont amenés à jouer dans la maison de la reine ?
D’une maison à l’autre
L’un des moyens d’identification de la provenance des officiers consiste à repérer leur présence dans d’autres maisons royales, à commencer par celles des souveraines précédentes. Les maisons d’Anne de Bretagne et de Claude de France, grâce à des états conservés à la Bibliothèque Nationale de France et à la base de données créée par C. zum Kolk [36], feront donc ici l’objet d’une étude visant à mettre en lumière ces legs d’officiers.
Il peut paraître singulier qu’une reine s’embarrasse des fidèles qui ont servi la reine précédente, au lieu de faire table rase et de placer ses propres officiers. A cet étonnement, nous pouvons apporter plusieurs réponses. Tout d’abord, rappelons que la monarchie est continuité, parler d’une volonté de rupture serait donc anachronique. En outre, pour le cas très précis d’Eléonore d’Autriche ce réemploi des officiers est nécessaire, puisque arrivant des royaumes espagnols, elle ne peut emmener toute sa suite avec elle. Les anciens commensaux de Claude de France et beaucoup plus rarement ceux d’Anne de Bretagne comblent alors les places vides et permettent une organisation rapide du service de la reine. Une dernière raison à invoquer concerne le problème que poserait une maison royale française entièrement constituée de fidèles étrangers. Elle serait alors une enclave en marge de la cour, incapable de s’intégrer à son réseau et de fait sans poids réel. Par ailleurs, comment ne pas imaginer la méfiance et l’hostilité face à une présence étrangère et même ennemie ? Les commensaux français sont en effet le meilleur moyen pour la reine d’être acceptée en son royaume et en sa cour. Pour ce qui est d’Eléonore d’Autriche peut-être sont-ils même le gage de sa volonté d’apaisement entre les deux royaumes ennemis. Mais quelle est la raison du maintien de tel ou tel officier plutôt que d’un autre ?
Si l’on regarde les états [37] de plus près et si l’on utilise habilement la base de données dont nous avons parlé plus haut, certains noms reviennent et en premier lieu ceux d’hommes occupant des charges importantes. Ainsi, peut-on voir Tristan Carné, consigné dans un état de 1523 comme maître d’hôtel en la maison de la reine Claude de France, conserver la même fonction au service d’Eléonore d’Autriche. Là où la première en comptait 6 en 1526, Eléonore d’Autriche n’en a pas moins de 8 pour l’année 1532. Un autre maître d’hôtel reste en sa charge : Charles de Bornes, seigneur de Rives, dans l’état de 1523 pour Claude de France, et dont la présence à la maison de la reine dure jusqu’en septembre 1539. Ce sont également les panetiers et les échansons que l’on retrouve d’une maison à l’autre, tel François Le Vasseur, dit Magister, panetier sous Claude de France, valet tranchant sous Eléonore d’Autriche jusqu’en 1537 et à nouveau panetier de 1537 à 1539, ou encore Jean Le Veneur, baron de Talye et de Tillères, valet tranchant de la reine Claude puis panetier d’Eléonore d’Autriche et maître d’hôtel de cette dernière à partir de 1538. Ici se fait jour une des limites à cette continuité : lorsqu’ils passent d’une maison à l’autre, les officiers gardent rarement la même charge. L’exemple de Jean le Veneur nous rappelle que la mobilité est la règle dans les maisons royales et même parfois entre elles. Si d’autres gardent la même charge, ils n’en restent pas moins à des offices rémunérateurs, à l’instar de Bernard de la Viefville, écuyer d’écurie des deux épouses de François Ier ou bien de Charles de Piedouault, valet tranchant de 1523 à 1545. Peut-être faut-il voir dans ce maintien des officiers en leur charge pendant d’aussi longues années et d’une souveraine à l’autre, la récompense d’années de fidélité, à moins qu’il ne s’agisse de garder les meilleurs officiers.
Pour d’autres charges, peut-être moins indispensables au fonctionnement quotidien de la maison, le maintien relève de la compétence de l’officier, comme le montre la présence de Guyon Saint-Mauris en la charge de fauconnier dans les états des deux reines. Seul en sa charge, on peut se demander s’il ne doit pas son passage d’une maison à l’autre au caractère unique de ses services. Raison que l’on peut également invoquer pour expliquer que Laurent Gaudin, ou Godin, musicien membre de la maison de Claude de France continue à servir Eléonore d’Autriche [38]. D’autres officiers restent, tels François Moysant secrétaire des deux reines et François Caillon, seigneur de Bellejoye, panetier chez l’une puis échanson chez l’autre, dont très peu sont des femmes. Ce phénomène nous semble tout à fait intéressant et il convient de s’y arrêter. En effet, la maison de la reine Eléonore d’Autriche hérite en premier lieu d’officiers masculins occupant des charges importantes, mais seulement de quatre femmes, à savoir Isabeau Picart, demoiselle d’Estelan, de Marie d’Acigné, dame de Canaples et de Françoise et Louise de Brézé et d’aucun aide ou galopins. Pour les premières, cela est probablement à relier à la question de la fidélité. Les dames sont le cercle le plus proche de la reine, sa suite directe. Celles-ci sont donc remplacées par les suivantes venues avec Eléonore d’Autriche de la péninsule ibérique, en attendant que certaines d’entre elles, reparties, le soient à leur tour par de nouvelles dames et demoiselles françaises. Cette hypothèse est renforcée par le fait que les quatre demoiselles qui se maintiennent sous les deux souveraines n’étaient que de petites filles : Françoise de Brézé a cinq ans en 1523, sa sœur Louise deux ans, et cela semble être le cas aussi pour Isabeau Picart qui devient dame du Ris en la maison d’Eléonore d’Autriche.
A n’en pas douter ce peu de continuité féminine est un facteur de renouvellement profond du personnel de la maison de la reine et de la maison elle-même. Changer les dames et demoiselles, n’est-ce pas changer le visage de la maison de la reine ? Cette discontinuité est à rapprocher du fait que les suivantes sont généralement issues du cercle familier de la reine : Claude de France avait des dames et demoiselles issues de grandes familles bretonnes, Eléonore d’Autriche s’est entourée quant à elle des dames des plus grandes familles d’Espagne.
Certains officiers au service de la reine se voient en effet reconduits dans leur charge mais dans une autre cour. Aussi la nouvelle maison garde un visage familier tant du point de vue du personnel que du mode de vie, évitant à la reine de se retrouver au milieu d’une cour voire d’une maison étrangères. Ainsi, à sa venue dans le royaume français, Eléonore d’Autriche était-elle accompagnée de ses officiers espagnols, pour la plupart des dames et les commensaux dont la charge impliquait un lien personnel avec elle, à l’instar de son secrétaire, Sancho Cota [39]. Ils ont par ailleurs contribué à véhiculer l’image d’une reine imprégnée des coutumes ibériques, culinaires comme vestimentaires, et leur présence aux côtés de la nouvelle souveraine n’a pas manqué d’attirer l’attention des contemporains. Les officiers espagnols ou bourguignons qui forment la maison de la reine lui confèrent, en cette année 1530, toute sa spécificité aux yeux du peuple comme à ceux de la cour.
D’un royaume à l’autre
Nous allons donc tâcher d’identifier ces commensaux venus d’ailleurs, dont la présence rapportée par les écrits du « bourgeois de Paris », se trouve attestée par les états de la reine Eléonore. Notre analyse s’appuiera sur deux états : l’un pour le second semestre de l’année 1530 et l’autre pour l’année 1532, car ces deux premières années correspondent à celles de la mise en place de la maison et de l’entrée en fonction des officiers [40] et nous offrent par conséquent une première vision d’ensemble du personnel. Les dames espagnoles sont plus facilement repérables dans les états que leurs compatriotes masculins, car elles sont regroupées dans peu de services. Louise de Montmorency, désignée sous le nom de « madame la mareschalle » dans l’état, est accompagnée de treize dames espagnoles. Certes, l’on trouve à la suite de ce service, celui des demoiselles françaises, puis celui des filles françaises qui nuancent l’idée d’une maison espagnole qu’ont pu avancer certains historiens [41]. Cependant force est de constater que celles-ci constituent l’essentiel de l’entourage proche de la reine, ce que renforce la présence de sept femmes de chambre venues de la péninsule ibérique sur huit, toujours dans l’état de 1530. La véritable difficulté a été de trouver la preuve de leur origine espagnole et surtout de leur présence dans la maison d’Eléonore d’Autriche dans les royaumes espagnols alors même que nous n’avons pas d’états d’officiers correspondant à cette période.
L’analyse s’appuie ici sur différentes sources : les états déjà mentionnés, même s’ils peuvent s’avérer trompeurs par leur orthographe hasardeuse et ne constituent pas un gage d’identification, des correspondances mentionnant la nationalité de ces officiers et des documents divers attestant leur présence à la maison de la reine avant son arrivée en France. Mais ce sont les lettres de naturalité, conservées dans le Catalogue des actes de François Ier qui ont avant tout alimenté notre analyse, dans la mesure où elles constituent une preuve solide et irréfutable [42]. Ainsi, constatons-nous la naturalisation de nombreux officiers d’origine espagnole, tels que Jacques Damas ou Du Mas, sommelier de la reine, né à Tolède, Pierre et Marguerite d’Escalante, respectivement huissier de chambre et dame de la reine, Marthe Fernandez et Elvire Vasquez, femmes de chambre de la reine, Beatrix de Pacheco, dame de la reine ou encore, Jeanne et Antoine de Latre. Ces derniers sont très intéressants, car ils ne sont pas originaire des royaumes espagnols, mais de Brabant, ce qui signifie qu’ils ont suivi la reine depuis les Flandres jusqu’en France : ce sont donc des fidèles parmi les fidèles. Une des difficultés du personnel de la maison d’Eléonore d’Autriche réside justement dans le fait qu’il s’est accumulé au fil de ses séjours dans les cours européennes, tant dans les Pays-Bas espagnols qu’au Portugal ou en Espagne. C’est par exemple le cas Thomas Carondelet, valet tranchant de la reine en 1530 et 1531, puisque J. Martínez Millán nous apprend qu’un officier nommé Jean Carondelet a fait partie de la maison du futur Charles Quint à Malines [43]. Y a-t-il un lien de parenté ou bien est-ce le fruit du hasard ? Le fait n’en reste pas moins assez étonnant pour être remarqué.
Quant aux lettres de naturalité octroyées « à la requête de la reine », si elles sont un moyen de faire obtenir aux officiers d’Eléonore d’Autriche de nombreux privilèges, elles sont surtout le signe d’une volonté de maintenir ces officiers dans sa maison royale française. D’autres documents à l’instar du « Procès verbal concernant la forme comme le roi François Ier espousa par parolles de présent Mad. Eleonor Reine de Portugal, et ce par le vicomte de Turenne envoié a cet effect en Espagne. » laissent envisager cette continuité. Deux officiers y sont mentionnés, Antoine de Latre et Etienne de Silly, l’un maître d’hôtel de la reine et l’autre son écuyer, ce qui signifie qu’ils ont bien suivi Eléonore d’Autriche d’une cour à l’autre [44] ; de même, une lettre du 9 juin 1530 de François de Bonvalot et Philippe de Lalaing adressée à Marguerite d’Autriche mentionne que la « Royne a envoyé icy le Sr de Gousman, son maistre d’hostel, visiter le Roy et Madame sa mère. », officier que l’on retrouve en la même charge dans les états de 1530 et 1532 [45]. Enfin, quelques lettres échangées entre la reine et l’Impératrice, font mention d’officiers espagnols, telle celle du 26 juillet 1530 demandant un passeport pour Dona Mencia Alvarez de Toledo, pour qu’elle puisse venir en France avec ses biens sans qu’on lui fasse de difficulté ou celle du 1er août recommandant Pedro d’Espinoza, garde de ses dames d’honneur qui retourne en Espagne.
Grâce à cette première identification du personnel nous envisageons plus précisément le visage composite de la maison de la reine. Pourtant, un problème apparaît : ce personnel étranger ne risque-t-il pas de former un parti autour de la reine ? Que dire de la présence de personnes issues des plus grandes familles ibériques, à l’instar de Garcia de Mendoza ? Ce dernier, panetier, appartient à une famille puissante et proche du pouvoir royal espagnol, dans la mesure où Diego Hurtado de Mendoza est « montero mayor », c’est-à-dire grand veneur, là où Luis Hurtado de Mendoza est « cazador mayor », autre office lié à la vènerie, de la maison de Charles Quint. Deux dames de la reine connaissent un cas identique, puisque Maria et Agnès de Velasco sont issues de la grande famille noble des Velasco qui occupe la charge de connétable de Castille tout au long du 16e siècle. Cependant, en 1530 l’heure n’est pas encore à la méfiance et les officiers espagnols ne semblent pas avoir été pris à parti ou avoir fait l’objet d’une hostilité avouée. De toute évidence les fidélités espagnoles sont rapidement complétées par le recrutement d’officiers issus de grandes familles françaises et s’émoussent peu à peu ; la tendance finit même par s’inverser au milieu des années 1530. Un véritable esprit de composition se fait jour au sein de la maison d’Eléonore d’Autriche, qui prend, grâce à la diversité du recrutement de ses officiers, le visage d’un certain cosmopolitisme.
La cour : un foyer de recrutement privilégié
Le troisième mode de recrutement consiste à puiser parmi les courtisans et les familiers du Roi pour les récompenser de leurs services ou se les attacher. La faveur passe ainsi des mains de la reine à celles du Roi qui participe au choix du personnel de la maison de son épouse. Cette dernière devient alors un nouveau relais de la faveur, vivement recherchée par les membres de la cour. Les grandes familles du royaume sont donc les premières à bénéficier des bontés royales par le biais d’Eléonore d’Autriche. La lecture du nom de Madeleine de Savoie sur les états de la reine Eléonore n’a donc rien d’étonnant, puisque celle-ci cumule l’avantage d’être la cousine du souverain et la femme de son « bon compère », Anne de Montmorency, très en faveur depuis le traité de Madrid et le retour du roi en son royaume. Celle-ci présente dès 1532 sur les registres y restera jusqu’à la fin du règne et ce, malgré la disgrâce de son mari en 1541. A l’instar d’autres grandes familles, « la connestable » [46] bénéficie de son rang et des services de son mari par sa nomination à l’office de dame de la reine. De même Philibert Babou, seigneur de la Bourdaisière cumule-t-il les honneurs, puisque après avoir servi Louise de Savoie, il est maître d’hôtel du roi et devient dès 1532, chevalier de la reine puis son maître d’hôtel, et enfin en 1543 il est nommé premier chevalier ; à quoi s’ajoute encore l’office de surintendant des finances de la reine qu’il remplit tout au long du règne [47]. Le bénéfice qu’il en retire ne doit pas dissimuler celui qui revient au roi lui-même, qui renforce de cette manière les fidélités, créant alors un véritable cercle de la faveur.
Cependant, il y a surtout un type de charge, dont l’attribution a été menée de façon privilégiée par François Ier : celle de suivante de la reine. La création de la maison de la reine rime en effet avec accroissement du personnel féminin et, pénétré du souvenir des dames et demoiselles de la maison de sa mère [48], le roi n’oublie pas tout le bénéfice qu’il peut en tirer. La maison de son épouse devient alors à la fois le moyen d’attribuer une récompense à ses maîtresses, de les avoir près de lui et enfin de renforcer, voire de créer, par un office pour elles ou leurs proches, leur attachement à sa personne. Tout comme Françoise de Foix, comtesse de Châteaubriant avait illuminé de sa beauté la maison de la reine Claude, Anne de Pisseleu devenue duchesse d’Etampes en 1536 fait partie des dames de la maison de la nouvelle reine, de même que son frère Antoine seigneur de Marseilles qui remplit l’office de panetier pour la seule année 1538 et que Jossine de Pisseleu inscrite au rang des « filles françoises » de 1540 à 1542 [49]. A leurs côtés se trouve Claude de Rohan, ce qu’atteste un état de 1530, dans la catégorie des « damoiselles françoises », également maîtresse du souverain. Le personnel de la maison de la reine est donc en partie nommé de la main du roi. René d’Arpajon, entré au service du roi comme enfant d’honneur en 1515, devient en 1538 maître d’hôtel de la reine, preuve des continuités d’une maison royale à l’autre [50].
Apparaît donc l’image concrète d’une reine parfois limitée dans l’exercice de sa faveur par les désirs de son entourage. Relativisons pourtant, car les premiers temps de la présence de la reine Eléonore sont ceux d’une bienveillance affichée à l’égard de la nouvelle souveraine, qui dispose encore d’une marge de liberté dans ses choix. D’ailleurs, la présence d’artistes en charge d’offices va en ce sens ; car les Grands, déjà évoqués, qui jouissent de la faveur royale doivent côtoyer ceux qui ont su plaire au roi ou à la reine par leur talent et leur génie. Tel est le cas de Louis Hérault de Servissas, dont Christelle Cazaux nous apprend qu’il est à la fois Chantre et maître de la chapelle de François Ier et maître de la chapelle de son épouse [51]. Jean Pichelin, seigneur de Villemanoche, suit le même exemple et se trouve ainsi rémunéré « en récompense des passe-temps qu’il donne chaque jour à la reine et au roi » [52], tandis que la sœur du poète Pierre de Ronsard, Louise, est à compter au nombre des filles françaises. Le rang n’est donc pas le seul facteur de recrutement et s’ils sont encore peu nombreux à la maison de la reine en ce deuxième quart de siècle, les artistes n’en restent pas moins significatifs d’une évolution des modes de recrutement et surtout de leur diversification.
De cette première étape, nous apprenons que la maison s’élabore sur des fondations diverses mais solides : des officiers rôdés à leur charge d’une part, des fidèles proches de la reine et des favoris du roi d’autre part. Un casting de choix où rivalisent beauté, richesse et noblesse, qu’explique l’importance de l’enjeu : le prestige de cet organe de cour et par réfraction, de la reine Eléonore. Intéressons-nous donc aux rôles des officiers, hommes et femmes, ainsi qu’à leur répartition et tâchons de mettre un nom sur une charge.
II. Hommes et femmes au service de la reine
La répartition des officiers et la définition de leur rôle s’avère délicate, car la mouvance des offices, les modifications dans les catégories et la mobilité même des commensaux constituent un frein à son appréhension. Pourtant la compréhension du fonctionnement concret de la maison est indispensable. Les domestiques indiquent par la charge qu’ils occupent et le rôle qui leur est assigné un aspect de ce quotidien de la reine et permettent d’entrevoir le visage de sa maison dans les années 1530. Qui la sert et comment la sert-on, est ce que nous chercherons à déterminer ici en commençant par insister sur la féminité du lieu.
Un « vivier de fraîcheur »
Parlant de féminité, le rôle de la maison de la reine se doit d’être évoqué. Les offices féminins, à savoir les « dames et damoiselles », les « filles françaises », la gouvernante de ces filles et leur femme de chambre, ainsi que les femmes de chambre de la reine et les lavandières, nous laissent voir que la maison de Claude de France se trouve en deçà du nombre de femmes au service de la reine Habsbourg. Tandis que la fille de Louis XII compte 7 dames et demoiselles, la reine Eléonore en a 28 rien que pour l’année 1530, nombre qui augmente les années suivantes pour atteindre 30 en 1538 ; la même configuration se retrouve pour les femmes de chambre au nombre de 4 chez Anne de Bretagne, tandis que Claude de France n’en a qu’une et Eléonore d’Autriche en emploie 9.
L’essor est pour autant à relativiser selon les offices, puisque le nombre de lavandières est identique entre Anne de Bretagne et Eléonore d’Autriche, Claude de France se situant légèrement en retrait, mais surtout la reine Habsbourg dispose de sept filles d’honneur de moins qu’Anne de Bretagne. Peut-être faut-il y voir l’effet d’une différence de catégorisation, puisque ces « filles d’honneur » prennent le nom de « filles françaises » sous Eléonore. Cela n’en laisse pas moins apparaître une féminisation progressive de la cour, victime d’un léger infléchissement sous Claude de France mais à laquelle la venue de la reine Eléonore semble donner une nouvelle impulsion [53]. Les chiffres ne sont pas les seuls à indiquer cette croissance, largement rapportée par les contemporains qui en ont fait une donnée majeure de la maison de la reine à partir de 1530. Chaque apparition d’Eléonore d’Autriche s’accompagne d’une mention de ses dames, corps dont la souveraine semble presque indissociable. Les officiers masculins se trouvent quant à eux généralement éclipsés des récits de cérémonies ou d’entrevues diplomatiques : la relation de la venue en France de la reine proposé par le « bourgeois de Paris » n’en fait même pas cas, et si d’autres sources rapportent la présence de gentilshommes espagnols aux côtés de la reine, l’on n’a d’yeux que pour ces « dames et damoyselles de son pays, vestues à l’espaignolle » [54]. Présentes sous toutes les plumes, parmi lesquelles celle de Sébastien Moreau qui permet de constater que, déjà à la cour espagnole Eléonore d’Autriche était entourée de nombreuses dames [55] et celle d’Honorat de Valbelle qui, mentionnant le départ de la reine le 3 juillet 1538, ne manque pas de préciser qu’elle était « avec toutes ses dames » [56].
Un lien se crée bel et bien unissant la reine à ses dames, soulignant leur présence au détriment de leur maîtresse. Portées par leur rang et par leur richesse, soutenues par des réseaux solides qu’elles entretiennent à la cour et au sein-même de la maison de la reine, celles-ci forment le visage attractif de la maison d’Eléonore d’Autriche. Les historiens ont majoritairement souscrit à cette interprétation, à commencer par P.-L. Roederer qui voit dans l’accroissement du nombre de femmes à la cour la conséquence de la composition féminine de la maison de la reine et le facteur d’un intérêt renouvelé pour l’institution aulique. Il n’hésite d’ailleurs pas à en conclure que ces dames « exaltèrent, concentrèrent, l’esprit du courtisan. » [57] ; elles semblent en effet occuper le devant de la scène. Tous les discours relatifs ne se veulent pas aussi laudateurs que celui de P.-L. Roederer, et F. Decrue de Stoutz n’hésite pas à y voir une perversion et une décadence de la cour, un laisser-aller des mœurs qu’il fustige violemment [58]. Ces deux points de vue, s’ils nous font part d’une augmentation, ne s’appuient sur aucun chiffre et sur aucune véritable estimation du nombre de femmes à la maison de la reine et à la cour. Sans en étendre l’évaluation à cette dernière, mais en nous en tenant à la simple maison d’Eléonore d’Autriche, le beau sexe s’élève en 1531 à 56 commensales soit presque 20 % du personnel et à 61 en 1538 ce qui représente 20% des officiers [59]. A partir de là, les assertions de perversion ou de réforme complète de la cour sont à relativiser puisque rien qu’à la maison de la reine, qui se veut une enclave féminine, les dames constituent moins d’un quart du personnel. Afin de considérer leur impact, il convient donc maintenant de s’intéresser à leur rôle auprès de la reine.
Tout d’abord, rappelons que toutes ne sont pas des dames ou des demoiselles, mais que l’on y trouve des « femmes de retrait », d’extraction bien plus modeste. Lavandières, couturières et femmes de chambre, elles vivent dans l’ombre, contrairement aux suivantes de leur maîtresse, ce qui n’est pas pour en faciliter l’étude. Par ailleurs, leur rôle à la maison de la reine est spécialisé et localisé et n’a pas d’impact en dehors des limites du bon fonctionnement de la maison et de leur participation à la féminisation de la cour. La situation des femmes de chambre est plus ambiguë, puisque sans bénéficier des mêmes honneurs que leurs compagnes de rang élevé, elles approchent au plus près et peut-être le plus souvent la reine. Familières d’Eléonore d’Autriche, elles sont au fait de ses affaires personnelles. Mais leur rôle reste bien difficile à cerner, dans la mesure où les sources sont inexistantes et l’on est forcé de s’en tenir aux conjectures. Les dames et les demoiselles sont à cet égard plus accessibles. Mais avant d’étudier leur rôle, se pose la question de leur profil.
En effet, si nous avons étudié les modalités du recrutement, nous ne nous sommes pas précisément intéressés aux caractéristiques des « dames et damoiselles ». Une épigramme de Clément Marot donne quelques indices à ce sujet, puisque de mademoiselle du Brueil, il écrit que
« Jeune Beaulté, bon esprit, bonne Grace,
Cent foys le jour je m’esbahy comment
Tous troys avez en ung Corps trouvé place
Si à propos et si parfaictement.
Celle à qui Dieu faict ce bon traictement
Doibt bien aymer le jour de sa naissance :
Et moy le Soir, qui fut commencement
De prendre à elle honneste coignoissance. » [60]
Cet éloge offre deux informations d’intérêt : tout d’abord, le premier vers énonce ce que l’on pourrait considérer comme les trois qualités indispensables à une dame de la reine : beauté, intelligence, élégance. Un trio de vertu qui font de la maison une vitrine de la cour, un lieu de raffinement et de police des mœurs mais aussi ce que G. Chaussinand-Nogaret a qualifié de « vivier de fraîcheur » [61]. D’autre part, les deux derniers vers indiquent que la rencontre a eu lieu le soir, ce qui est à rapprocher des visites quotidiennes du roi aux dames de la maison de la reine après son souper ou bien à un divertissement de cour auxquelles les dames avaient l’habitude de participer. Cette épigramme témoigne de l’importance du rayonnement féminin de la maison de la reine et de son attrait sur les différents courtisans, à commencer par les artistes.
Pour autant, leur seule beauté n’est pas à l’origine de cet engouement et il faut aussi y voir l’effet du rang. L’intérêt de Jean et François Clouet pour les « dames et damoiselles » n’en est-il pas un signe ? De nombreux portraits ont été réalisés, preuves de leur place privilégiée à la cour et moyen d’identifier les commensales de la maison de la reine et leur « profil ». Toutes sont représentées arborant un léger sourire mi-énigmatique, mi-malicieux, comme s’il s’agissait de rappeler qu’elles sont des femmes d’esprit, et dans une posture à la fois digne et élégante, que renforce la richesse du vêtement. Deux portraits se détachent de cet ensemble : ceux d’Anna Mauriquez et Leonora Sapata, deux dames espagnoles de la reine dont le vêtement est d’une richesse plus marquée que ceux de leurs compagnes, car si toutes portent des robes ou des coiffes parsemées de bijoux, le chapeau à plumes et les perles portées par les deux ibériques dénotent une grande magnificence ; de même, les cheveux largement découverts et remontés en lourds bandeaux rompent avec les coiffures plus discrètes des autres dames. Du bijou constitué de perles et de ce qui semble être un rubis dans la chevelure d’Anna Mauriquez à la perle en forme de poire que laissent apparaître les cheveux de Léonora Sapata, en passant par l’encolure cousue de perles de Beatrix Pacheco, la richesse est à n’en pas douter une des qualités indispensables aux dames de la maison de la reine.
Outre le moyen d’en identifier les membres et le fait qu’ils permettent à l’historien de prouver leur existence et leur présence, les portraits de J. Clouet indiquent donc à la fois qui étaient et comment étaient les suivantes de la reine, mais aussi la perception des contemporains, même si la limite entre les deux est parfois bien floue [62]. Les dames de la maison de la reine en sont parfois venues à éclipser leur maîtresse et dans cette perspective, il nous faut établir leur rôle à la maison de la reine.
La fonction des dames et damoiselles consiste en premier lieu à suivre la reine dans ses déplacements et à lui tenir compagnie. La « dame d’honneur » a la responsabilité des « dames » et des « filles » de la reine et se doit d’être constamment aux côtés de la reine, tandis que la gouvernante des « filles françaises » a soin de leur bonne éducation et de l’organisation de leur quotidien. Toutes ces femmes servent d’escorte à la reine, notamment au cours de cérémonies ou d’entrevues diplomatiques auxquelles elles participent pour le plus grand bonheur de l’assemblée masculine.
Sans révolutionner la vie curiale, elles ont par leur présence accrue et par leur proximité avec la reine approché le cœur du pouvoir et se sont érigées en modèles de féminité, aussi bien aux yeux des courtisans français que des visiteurs étrangers. Des modèles, elles en constituent aussi pour les « filles françaises » présentes à la maison de la reine. Celles-ci sont une dizaine environ, appartiennent à de grandes familles de la noblesse et sont entrées à la maison de la reine Eléonore pour parfaire leur éducation. Lieu d’initiation, la maison de la reine permet surtout d’approcher le centre du pouvoir et d’espérer y occuper une place de choix. Ainsi Cécile de Boucart, peut-elle se réjouir de devenir demoiselle de la reine en 1546, après avoir été fille d’honneur pendant sept ans, tout comme Marie de Villaloez qui suit le même parcours. Ces évolutions restent toutefois limitées, et nombre des filles françaises finissent par quitter définitivement la maison de la reine au bout de quelques années. Cependant, ces femmes longuement étudiées ne doivent pas nous faire oublier leur entourage majoritairement masculin, aux rôles aussi différents qu’importants et auxquels il est maintenant temps de s’intéresser.
Les hommes de la maison de la reine
Tandis que le personnel féminin a suscité un vif intérêt de la part des contemporains comme des historiens, leurs homologues masculins n’ont pas eu le même succès ; il est vrai que leur présence est moins inédite. Ils n’en représentent pas moins plus des trois quarts de cette maison et occupent des charges aussi nombreuses que variées : fruitiers, porteurs, galopins, huissiers ou encore échansons. En avoir une vue d’ensemble est donc difficile et ce, d’autant plus que leurs rangs et leurs positions sociales sont aussi diversifiés que leurs offices. On peut toutefois tâcher d’entrevoir à travers leur rôle le fonctionnement de la maison de la reine.
Commençons par celui qui supervise la maison, à savoir le chevalier d’honneur. Il est à la maison de la reine ce que le grand maître est à la maison du roi, c’est-à-dire qu’il est chargé de l’intendance, qu’il a autorité sur tous ses officiers et qu’il doit accompagner la reine dans tous ses déplacements, l’aider à monter ou descendre les escaliers, à franchir tout passage difficile et surtout en tous lieux et en tous temps la servir [63]. A la maison de la reine Eléonore, cette charge est remplie par Girard de Vienne, seigneur de Ruffey, de 1530 à 1544, puis par le comte d’Entremont. La présence de ces deux officiers, fidèles de la reine l’ayant suivie depuis l’Espagne, n’est-elle pas un signe de l’importance de cette charge confiée à des familiers ? Les maîtres d’hôtel, qui se doivent quant à eux d’organiser la table et d’ordonner les repas, laissent apercevoir la même situation. Ils sont chargés de la direction des services de la cuisine de bouche et du commun, composés sous Eléonore d’Autriche de maîtres queux, de potagers, de « hasteurs » - c’est-à-dire les rôtisseurs - de porteurs qui apportent les plats, d’huissiers assignés au contrôle des entrées et des portes de la salle et enfin de galopins, jeunes garçons chargés de faire les commissions, soit 17 personnes pour les offices de bouche et 18 pour le commun, sans compter les sommeliers de paneterie et d’échansonnerie de bouche, les sommeliers et panetiers du commun, ni les écuyers de cuisine de bouche et du commun. Ainsi peut-on voir que la cuisine concentre à elle seule une part importante du personnel masculin de la maison de la reine. Le maître de la chambre de la reine Philibert Babou, dont la présence n’est attestée dans les états qu’à partir de 1532, occupe la même fonction que ces derniers mais pour le service de sa chambre qui comprend des huissiers et des valets de chambre, auxquels nous adjoignons le maître et les valets de la garde-robe, ce qui représente vingt personnes. Les services obéissent eux-mêmes à une hiérarchisation, puisque supervisé par un maître, leur fonctionnement est assuré par des valets, huissiers ou écuyers, eux-mêmes relayés par des aides.
Une autre catégorie importante à distinguer est celle de la chapelle qui se compose de l’aumônerie, de la chapelle à proprement parler, c’est-à-dire des chantres et de l’oratoire (les confesseurs et les prédicateurs royaux). Elle compte 19 personnes en 1531 et comprend quatre aumôniers, parmi lesquels Charles de Tournon et Jean de Wit, évêque de Cuba, un confesseur, frère Bernard Vredrenne jusqu’en 1546, sept chapelains, nom pour désigner les prêtres qui servent une chapelle autonome, quatre clercs de chapelle, qui organisent le service de la chapelle, et enfin trois musiciens qui se trouvent à leur suite dans les différents états et que l’on peut rattacher à la chapelle. Autant d’officiers chargés de la piété de la reine et du service religieux pour elle et sa maison. Cet office implique donc une certaine proximité avec la reine, en particulier pour son confesseur et laisse apercevoir une présence masculine importante dans son cercle le plus proche. Il en va de même pour son personnel médical, à savoir trois médecins, un apothicaire et un chirurgien, mais ce sont surtout ses secrétaires qui entretiennent avec elle un lien privilégié, à l’instar de Sancho Cota qui a suivi la reine depuis Malines et nous livre dans ses mémoires un véritable éloge de la souveraine [64]. Dans la mesure où ils ont connaissance de la correspondance de la reine et des affaires qui la concernent et qu’elle gère, ne sont-ils pas des personnages de premier plan, presque des conseillers ? Leur influence est impossible à évaluer puisque là encore les sources manquent, mais la présence de son secrétaire Jean de la Mothe sur son testament est là pour nous indiquer que leur office les prédispose à occuper une place de choix auprès d’elle [65].
Quant à l’écurie, son rôle est essentiel aux innombrables déplacements de la reine et de sa suite, d’où une multitude d’officiers aux fonctions précisément déterminées. On y trouve le maréchal des logis, responsable de la direction de l’écurie, les écuyers d’écurie, les charretiers, les valets qui se répartissent entre les valets des dames, les valets tranchants, attachés au service de la souveraine et qui portent ses couleurs, les valets de pied de litière et les palefreniers. A cela encore faut-il ajouter, le sellier, les maréchaux des forges, l’« eperonnier » et les fourriers, qui s’occupent des déplacements de la souveraine.
L’on pourrait encore mentionner les aides attachés aux différents services, les porteurs de table, les huissiers de la viande de bouche et les « gens de métier », menuisiers ou tapissiers. La maison de la reine est un ensemble complexe, un véritable microcosme, dont la compréhension est loin d’être facilitée par les registres et les états conservés ; car, malgré des tentatives d’organisation et de hiérarchisation des services, leur multiplication et leur spécialisation ajoutées à la mouvance de cette organisation sont de véritables obstacles pour leur étude. Nous avons donc essayé de rendre compte au mieux de cette organisation sans chercher à être exhaustif mais dans le but de souligner l’importance numérique, la complexité de la maison de la reine et sa difficile harmonisation, tâche qui revient au chevalier d’honneur. De cette diversité il ne faut pas tirer de conclusions hâtives, mais simplement y voir la conséquence d’un personnel abondant, dont le service doit être à la hauteur du prestige de la souveraine.
Ainsi avons-nous pu voir le rôle des officiers, hommes et femmes qui composent la maison d’Eléonore d’Autriche et envisager leur répartition. Les femmes en nombre croissant, les hommes toujours aussi nombreux, exigent une organisation en services et une hiérarchisation des offices et des domestiques que les états, bien que lacunaires, laissent percevoir. Mais cette compréhension reste incomplète tant que n’a pas été abordé l’attrait de ces charges, à savoir la faveur et la protection royales.
III. Des charges attractives
L’attrait pour la maison de la reine est symptomatique de celui, plus général, pour la cour. On se bouscule donc aux portes des résidences royales pour bénéficier de ce lot de faveur, qui est un des aspects fondamentaux du pouvoir royal, comme le constate l’historienne anglaise L. Levy Peck à travers la récurrence de la désignation du roi comme source de grâce et de faveurs dans les traités du 16e et du 17e siècles [66]. A cet égard, la maison de la reine est une occasion de recevoir des émoluments importants, en dépit de la variation des revenus selon les offices : s’ils atteignent jusqu’à 1500 livres tournois pour le trésorier, dans l’ensemble ils se situent aux alentours de 200 livres, ce qui n’en reste pas moins confortable. A ces divers avantages, il convient d’ajouter la protection royale ainsi que les multiples dons et pensions. Dès lors, quels sont les moyens employés pour attirer le courtisan et dans quelle mesure la reine joue-t-elle de la faveur ? Autant de questions qui en amènent une seule, essentielle : comment, par l’intermédiaire de sa maison, la reine a-t-elle cherché à s’entourer de fidèles ?
Le système de la faveur : une nécessité
Déjà en cette première moitié du 16e siècle, la faveur est activement recherchée par les courtisans, qui n’ont de cesse d’obtenir une charge des membres de la famille royale : la vie à la cour de France est un gouffre financier, comme l’indiquent les correspondances d’ambassadeurs [67]. Posséder une charge dans les maisons royales semble être la solution idéale pour être près du pouvoir sans se ruiner, et cela permet aux grandes familles de servir sans s’avilir. Il est sans doute vrai que les voyages d’un château à l’autre, la nécessité de se loger et enfin l’importance de tenir son rang, sont autant de postes de dépenses importants. Bien entendu, certains commensaux bénéficient de leurs terres, en France ou en Espagne, et étant issus de grandes maisons peuvent encore compter sur leurs revenus patrimoniaux ; cependant, le complément généreusement consenti par le roi et son épouse est bienvenu. En ce qui concerne les gages, l’officier, très mobile, peut espérer obtenir une charge mieux rémunérée. Ceux qui occupent déjà le devant de la scène semblent bénéficier toujours plus de la générosité royale.
L’extension de cette faveur aux familiers d’un commensal en est un aspect et les couples sont nombreux au sein de la maison de la reine, avec parfois leur fille au rang des filles françaises [68]. Un très bon exemple en est Philibert Babou, maître d’hôtel de la reine et maître de sa chambre où il côtoie sa femme, Marie Gaudin, qui officie de 1532 à 1542 en tant que dame de la reine, ainsi que sa fille Claude, « fille française » de 1532 à 1537, ces trois charges leur rapportant presque 1000 l.t. Et encore, cela est sans compter les autres charges qu’occupe ce seigneur, également maître de la garde robe du Dauphin François [69], maître d’hôtel du roi, surintendant des Finances et maire de Tours. Loin d’être un cas isolé, Philibert Babou voit nombre de ses homologues adopter la même stratégie que lui, telle Louise de Polignac, dame de la reine, dont on retrouve la fille, Catherine au rang des filles françaises, ou encore les sœurs Claude et Renée des Rieux, toutes deux demoiselles de la reine. Une autre famille cependant règne sur la maison de la reine Eléonore et l’emporte sur celle de la famille Babou par l’ancienneté : la famille des Tombes. Famille qui suit la reine depuis l’Espagne au moins, le père Antoine est maître d’hôtel de 1530 à 1537, son épouse Jeanne de Lastres est une des premières dames de la reine puisqu’elle reçoit 1000 livres de gages, tandis que leur fille Marie est également présente au sein de la maison.
L’exemple d’une recommandation faite par Eléonore d’Autriche à son frère Charles, en faveur de Sancho de Larron, fils de Guyemar de Larron, une de ses dames est tout aussi révélatrice : elle demande qu’une commanderie vacante lui soit accordée, dans une autre lettre adressée au même, du 4 janvier 1539, la reine Eléonore demande l’attribution d’une pension ou d’un office à Gaspar de Aguerro, mari de Marthe Fernandez, sa femme de chambre [70]. Il est d’autant plus intéressant de le souligner que dans la première, une note autographe d’Eléonore d’Autriche apparaît en fin de page disant « le faisant votre majesté [Charles Quint] m’accordera une faveur personnelle », appuyant ainsi de tout son poids pour récompenser son officier. La faveur est donc à la fois un signe de pouvoir pour le souverain qui la dispense et un bénéfice réel pour le commensal qui la reçoit et peut renforcer sa position à la cour. L’étude de l’attraction exercée par cette institution sur le personnel de cour serait pourtant incomplète sans l’analyse de la mobilité des officiers entre les maisons ou en leur sein.
Tandis que la maison de la reine tend à se structurer et en vient même avec Eléonore d’Autriche à adopter un cadre fixe, les officiers demeurent extrêmement mobiles et contribuent de fait à l’évolution de la maison. Celle-ci se renouvelle constamment, nourrie par le flux toujours croissant des prétendants à ses charges. Quels sont donc les moteurs de cette mobilité et de ce renouveau permanent ?
La mobilité des officiers au sein de la maison
En premier lieu, il y a deux causes fâcheuses : le décès et la disgrâce, presque aussi inévitables l’un que l’autre. Pour ce qui est des places laissés vacantes par la mort d’un officier, elles peuvent être comblées de différentes façons et la première consiste à laisser la charge à son héritier. C’est le cas du fauconnier de la reine, Guyon de St Mauris, remplacé par son fils Jehan en 1539 ; il y a là un véritable avantage pour la reine, puisqu’elle est assurée d’avoir un commensal rôdé à la tâche et imprégné de la maison. L’héritier devient alors « survivancier » puisqu’il entre en la possession de l’office de son père, dont on trouve un autre exemple dans le renouvellement des valets tranchants de la reine. Un état indique en effet que Michel de Barbançon, seigneur de Cany devient valet tranchant de la reine « à survivance » de Carondelet décédé en 1531. Ce renouvellement présente une facilité d’exécution appréciable dans un ensemble aussi nombreux et composite que la maison de la reine, mais il n’est pas le seul à l’œuvre.
Bien au contraire, rappelons que la constante de la maison est sa souveraine, et à changement de souveraine correspond un changement de maison. L’attribution d’une charge n’est donc ni automatique ni éternelle, d’où l’importance de la conquérir et de la conserver. Ainsi, une lettre de Martin Vallez au commandeur Jean Vasquez de Molina du 29 novembre 1535, nous apprend-elle que, madame la maréchale de Châtillon, Louise de Montmorency a été disgraciée et remplacée en sa charge de dame d’honneur de la reine par Mme de Givry, ce que confirment les registres [71]. Il est difficile de conjecturer sur les éléments de cette disgrâce, puisque son mari déjà mort, ne peut en être la cause et Madeleine de Roye, sa fille, entre deux ans avant sa disgrâce comme dame de la reine et n’en sort que dix ans plus tard. L’absence de justification n’en laisse pas moins percevoir l’impact que cet évènement peut avoir sur la vie de la maison et de ses officiers.
Un autre facteur de mobilité, propre aux reines étrangères relève du départ des officiers qui l’ont accompagnée depuis son pays d’origine. Dès leur arrivée en France, certains officiers retournent dans les royaumes espagnols, à l’instar de Pedro d’Espinoza, garde des dames de la reine, qui laisse le sol français dès le mois d’août 1530 [72], même si la plupart des officiers de la reine Eléonore ont attendu d’y être forcés par François Ier, en 1537. Tous ces départs accumulés, pour les raisons que nous venons d’évoquer, sont autant de places libérées et de fait convoitées. Un intéressant processus de renouvellement se met alors en place : les charges vides permettent généralement à des officiers déjà en la maison ou à leurs héritiers d’en bénéficier en priorité et à d’autres de pénétrer dans la maison. Un exemple d’élévation dans une même maison est le passage de Pierre de la Milatière, seigneur de Lordre, de l’office de panetier à celui de maître d’hôtel, laissé vacant par Charles de Bornes seigneur de Ribes, aubaine qui lui octroie 200 l.t. de gages en sus et lui permet de briguer la place de premier maître d’hôtel soit 200 l.t. supplémentaires.
On constate les diverses possibilités offertes à un commensal à partir du moment où il entre dans la maison de la reine. Une belle progression, est celle de René de Montboucher, seigneur de Bordages, panetier de 1530 à 1533 pour 500 l.t. de gages, qui devient valet tranchant à peine un an pour la même somme et occupe l’office de maître d’hôtel jusqu’à sa mort en 1540, ce qui lui rapporte 600 l.t.. Louis Perreau constitue au contraire un cas exceptionnel, car de valet de chambre il devient maître d’hôtel en 1543, ce qui se traduit par un passage de 180 l.t. de gages à 600 l.t.. Relativisons pourtant, car ces évolutions sont généralement lentes et ne concernent pas la totalité du personnel. Les premiers à bénéficier de ces renouvellements sont ceux qui occupent les offices chargés de la direction, même si cela reste limité et suspendu au départ de l’un d’entre eux, tandis que les dames et les autres commensaux sont moins mouvants. Ainsi Jeanne de Lastre, reste-t-elle tout le long du règne aux côtés d’Eléonore d’Autriche, fidélité tout de même notable, car dans l’ensemble les évènements et les aléas de la vie finissent par éloigner et disperser les officiers.
Rétribuer et récompenser : deux actes de pouvoir
Dons et pensions complètent ce tableau de la faveur et constituent un avantage supplémentaire pour la maison, son personnel et sa souveraine. Faveurs certes ponctuelles et incertaines, donc peut-être plus difficiles à évaluer, elles sont toutefois un complément recherché. Souvent, elles prennent l’aspect d’une récompense, pour divers services, et parfois celui d’un dédommagement pour un voyage effectué ou pour l’achat de vêtements. Eléonore d’Autriche ne manque pas à son devoir et dispense des sommes à son personnel pour l’habillement et le quotidien, comme nous l’indique un compte de l’argenterie de 1544 [73].
Les vêtements représentent une dépense importante, car les tissus sont chers et généralement importés d’Angleterre pour le drap, de Venise pour le satin et d’Espagne pour la soie, même si les manufactures françaises de Tours et plus récemment de Lyon, se font timidement une place. Au prix élevé des étoffes s’ajoute celui de la confection, lui aussi pris en charge par la reine Eléonore. Ainsi, la catégorie des « dons extraordinaires » du compte de 1544, nous apprend-elle le don d’une robe à Mme d’Entremont et d’un manteau à Marie de Villalona, dames de la reine, d’un manteau de velours noir à Marthe Fernandez d’une valeur de 40 sols, sa femme de chambre, de 720 l.t. à 12 filles françaises pour leur habillement ou enfin un don de 28 livres et 13 sols à François Taffoureau et Anthoine de Coussy, galopins de cuisine de bouche de la reine. S’il faut souligner que ces sommes sont attribuées à toutes les catégories d’officiers d’Eléonore d’Autriche, aux petites mains comme aux grandes dames, la façon d’attribuer et le montant, ne nous y trompons pas, changent.
Les différentes modalités de don recouvrent deux réalités : d’un côté, une somme est donnée sans plus de précision pour « habits et livrée », tandis que d’un autre, un couturier est payé pour confectionner un vêtement précis, tel « le manteau en façon de robe bordé de velours noir » offert à Marthe Fernandes, qui est offert une fois confectionné. Le premier semble correspondre à une rétribution comprise dans la charge de commensal, tandis que le second serait un présent de la reine à un fidèle. De la même manière, les 25 sols par trimestres consacrés au nettoyage des vêtements des filles de la reine par Pierre Dubrueil n’ont rien d’un présent mais font partie des frais quotidiens financés par la reine. D’un côté un dédommagement, de l’autre une récompense. Dédommagement, les bagues offertes à Jeanne de Lastre lors de l’inventaire des bijoux de la couronne en possession de la reine Eléonore en 1547, dont il est écrit qu’elles ont été sorties « pour le service et le paiement de la dame d’Arpajon » [74], don estimable donc mais qui n’est finalement qu’un paiement pour un service rendu. Un autre bénéfice qui revient aux officiers de la reine est la protection royale : ainsi Thibault Cornu, officier de salle, obtient-il le soutien d’Eléonore d’Autriche dans un procès, qui, dans une lettre, demande aux magistrats « la meilleure et plus-brefve expedition de justice que faire se pourra » [75] ; exemple unique, mais non moins révélateur de la diversité des avantages.
Les récompenses sont évidemment plus irrégulières et très variées : argent, bijoux voire une pension. On trouve trace de l’argent dans certains registres, la somme donnée étant alors dite « pour gages et en récompense », à l’instar des 100 l.t. remis à André Royer, capitaine des mulets, pour le second semestre de 1530 [76] ou des 41 l.t. attribués à Marthe Fernandes pour le dernier trimestre de 1543 [77]. Ces paiements dépendent du bon vouloir de la souveraine, et ce d’autant plus lorsqu’il s’agit de pensions payées à des officiers « à la retraite » ou bien à d’anciens commensaux à la mort de la souveraine. Là encore, les registres nous indiquent pour la demie année 1530, l’attribution de pension de 40 l.t. chacune à cinq « femmes servant à la retraite », à savoir Marie Fernandez, Lucressia, Jehanne de Ste Marie, Catherine et « l’infirmière » [78], dont une seule demeure dans les états suivants, à savoir Marie Fernandez. Ces sommes sont de véritables compléments et concernent des femmes proches de la reine, ainsi remerciées de leurs services.
Certaines pensions ont été portées à notre connaissance par le testament d’Eléonore d’Autriche, rédigé à Bruxelles le 10 août 1556 et dans lequel elle attribue au seigneur de Lordres 1300 ducats et 200 écus à Jean de la Mothe, son secrétaire, deux personnes déjà rencontrées au cours de notre étude. Gages, élévations et présents sont donc autant de ressources précisément attribuées, car le hasard n’a pas sa place dans ce système de la faveur dont nous avons tâché de mettre à jour quelques stratégies, destinées à fidéliser les commensaux.
Rétribuer et récompenser, deux actes dont la différence fondamentale n’a pas échappé aux commensaux des maisons royales. Mais on récompense moins les officiers pour leur charge que pour leur capacité à servir la reine dans ses moindres demandes et à arborer le visage du dévouement. A travers l’étude de la faveur à la maison de la reine, nous pouvons voir comment les fidélités se sont constituées, comment les officiers, une fois entrés dans la maison, sont constamment encouragés par la prévenance et la prodigalité de la souveraine. Plus ou moins longues, plus ou moins solides, ces fidélités sont un élément essentiel du fonctionnement de la maison de la reine.
Pour conclure sur les officiers de la maison d’Eléonore d’Autriche, nous ne pouvons que constater, après avoir étudié leur identité, leur recrutement et leur fonction, le rôle fondamental qu’ils jouent dans le fonctionnement de cet organe curial. Celui-ci est animé, organisé et habité par une foule de commensaux, dont la fidélité est entretenue par un système de faveur en plein essor. Si la maison de la reine est une structure, il s’agit donc d’une structure vivante, habitée, en évolution constante autour de la figure royale immuable.
De la magnificence à l’influence, les atouts de la maison d’Eléonore d’Autriche
La maison de la reine est une vitrine : vitrine du pouvoir, des rivalités et surtout de la richesse. C’est ce dernier aspect, essentiel, qu’il nous faut à présent étudier. Elevée dans une cour bourguignonne raffinée, dotée de nombreuses terres et attachée aux signes extérieurs de richesse, la reine Eléonore se distingue à la cour de France. Mais d’où vient cette richesse et surtout comment l’évaluer ? Terres disséminées sur le territoire espagnol, douaire au Portugal, sommes mises à sa disposition par son frère sont autant d’éléments à recenser avant d’en étudier l’utilisation. Le mécénat, le choix de ses vêtements ou du décor de ses appartements traduisent en outre une volonté de rayonnement. Celle-ci n’en vient-elle pas à ériger la maison de la reine Eléonore d’Autriche en modèle pour les cours européennes et en atout pour la cour de France ? D’une richesse largement accumulée à l’exercice d’une influence au sein d’une cour et d’un royaume parfois hostiles, nous verrons donc les moyens qu’offre la maison à sa reine pour tenir son rang et affirmer sa souveraineté.
I. Une richesse accumulée
La magnificence assure à la souveraine une influence réelle, augmenter son patrimoine au fil des ans est donc essentiel. Terres, héritages, mais surtout mariages en sont les relais privilégiés : ainsi, parvient-on à l’établissement d’une fortune aussi solide que nécessaire. L’étude des différents aspects de l’enrichissement de la reine Eléonore d’Autriche est donc une étape indispensable.
Un « beau mariage »
Les traités de Madrid et de Cambrai constituent les points de départ de ce mariage qui intervient dans la continuité de la défaite de Pavie : ils en définissent les conditions et les modalités. Un des principaux intérêts de ce mariage pour Eléonore d’Autriche, réside moins dans la dimension diplomatique qu’économique. Le premier aspect est connu et étudié, le second, au contraire, l’est bien moins. Mariée au roi de France, elle représente pour Charles Quint un intermédiaire diplomatique ; en même temps, elle obtient un douaire conséquent dans le royaume français qui vient enrichir son propre patrimoine et celui de sa famille. Du côté de François Ier, si la diplomatie intervient dans cette union, n’oublions pas que la richesse d’Eléonore d’Autriche est alléchante pour un roi en manque de deniers et qu’elle a sûrement participé de son choix. Voilà pourquoi nous parlons de « beau mariage », reprenant l’expression d’Honorat de Valbelle : un « beau mariage » n’est-il pas en effet un mariage financièrement profitable ?
Dans l’immédiat, les traités organisent la paix, comme l’indiquent les trois premières lignes de celui de Madrid, où l’on trouve ces trois mots significatifs : « union », « confederacion », « amistad » [79]. Les bases sont jetées et il ne reste plus qu’à établir les conditions de l’entente. Mais, d’emblée des désaccords et des hésitations se font jour, alimentés par la crainte d’être dupé. Ainsi, Eléonore d’Autriche a-t-elle refusé dans un premier temps de ratifier le traité de Madrid, ne sachant pas si, en renonçant à ses biens castillans, le royaume français lui en offrirait l’équivalent [80]. La méfiance domine, que le traité de Cambrai quelques années plus tard, ne parvient pas à dissiper totalement. Les points principaux établis par ce dernier sont le paiement par le roi de France de deux millions d’or sur lesquels 1,2 millions seront comptés le jour de la libération des fils de France, l’acquittement par le même d’une dette de 550 000 écus contractée par Charles Quint envers le roi d’Angleterre, la renonciation aux droits de la couronne de France sur les royaumes de Naples, Jérusalem, Sicile, duché de Milan, souverainetés des comtés de Flandres et d’Artois ainsi que son mariage avec Eléonore d’Autriche. Si dans un premier temps ces textes règlent la paix et organisent le mariage, dans le plus long terme de nombreuses entorses leur ont été faites, à l’origine de tensions. Ainsi une lettre des ambassadeurs de la régente des Pays-Bas à celle-ci du 27 avril 1530 constate-t-elle un refus d’assignation de la dot à plus de cinq pour cent, une contradiction avec l’article 14 du traité de Madrid et le 28 du traité de Cambrai qui demande de « bons et suffisans assignaux » [81]. Dans ce marché de dupe, la reine Eléonore semble être la principale victime : entre-deux, symbole de la défaite pour François Ier mais aussi de l’impossible paix entre le roi très-chrétien et l’empereur, ce « beau mariage » commence sous de biens mauvais auspices.
La dot et le douaire ont été à l’origine d’une multitude de désaccords qui transparaissent aussi bien dans les correspondances des ambassadeurs (ainsi la lettre évoquée ci-dessus adressée à la régente des Pays-Bas par ses ambassadeurs), que dans les lettres échangées entre Charles Quint et le roi de France. Vient ensuite la question –épineuse, nous l’avons vu – de l’assignation de la dot de la reine Eléonore. Cette question est réglée par François Ier dans une lettre écrite de Dijon, du 7 février 1529 ; on y lit l’assignation des 300 000 écus soleil octroyés par l’empereur [82] ainsi que la promesse de leur remboursement en cas de dissolution du mariage. Quant à sa rente, de 15 000 écus d’or, elle provient de son douaire, à savoir « les pays de Quercy, d’Agenois , Villefranche et les quatre chastellenies de Rouergue » [83]. Ce douaire constituera pour la reine, à la mort de son époux, un revenu annuel important que F. Cosandey estime à environ 60 000 livres tournois [84]. Par conséquent, en renonçant à ses biens castillans, la reine est loin de se priver de sa fortune. Une fois vérifiée, l’assignation est entérinée par la chambre des Comptes de Paris, et signée par la reine, qui en accuse bonne réception [85].
Sans grande surprise la méfiance domine dont la question de la renonciation d’Eléonore d’Autriche à ses biens castillans laisse voir un autre aspect. Celle-ci intervient le 16 octobre 1530, à Amboise, dans une lettre adressée à Charles Quint : la reine cède alors toutes ses possessions du royaume castillan à son frère, en contrepartie desquelles il lui constitue sa dot de 200 000 écus. S’il meurt sans héritier, elle pourra toutefois reprendre ses droits [86]. Ce dédommagement est donc très significatif des craintes de l’empereur de voir annexé, par ce mariage, une partie de son royaume par le roi de France. Il s’agit donc d’un garde-fou, à l’instar du mémoire adressé par la reine Eléonore au connétable de Montmorency concernant ses prétentions et faisant état de la gestion de ses affaires en cas de dissolution du mariage. Il commence par la déclaration suivante : « Pour la seureté de la retraicte de la Royne et de ses serviteurs haques et joyaulx en cas de dissolution de mariage et aussi de ses dot et douhaire, a esté accordé entre les ambassadeurs de l’empereur cestant à Fontarabie et monsieur le grand maître, sur les scellez de la ville de Paris, Rouen, Bourdeaulx et Thoulouze. » [87]. Suivent de nombreuses déclarations visant à assurer les biens de la reine ainsi que ses revenus en cas de dissolution du mariage – elle exige notamment l’assignation de sa dot à cinq pour cent -, nous invitant à penser que l’équilibre entre les deux royaumes, quoique précaire, réside dans ce mariage et que sa dissolution, surtout si naît un héritier, engendrerait tensions et conflits.
Le manque de confiance est une faille constante dans cette union qui incarne aux yeux de tous, quoique de façons différentes, la défaite [88]. A son arrivée seulement, on croit rencontrer de bonnes dispositions : Eléonore d’Autriche est alors acclamée comme instigatrice et garante de la paix. Toutefois, ne voit-on pas plutôt en elle le symbole d’une prospérité et d’une magnificence retrouvées ?
Eléments d’évaluation de la richesse d’Eléonore d’Autriche : le socle de sa magnificence
Grâce à leurs gens et leurs biens, les souveraines tendent à exercer à la cour une « autorité importante » [89]. Qu’il s’agisse de terres, de bijoux ou de sommes d’argent, ces biens sont significatifs : ils doivent être recensés et étudiés de près et ce, en dépit de nombreux obstacles : sources lacunaires, dispersion des terres issues de son héritage castillan, apports irréguliers et non datés, etc.
En premier lieu, certaines lettres d’Eléonore d’Autriche à ses officiers laissent penser qu’elle dispose encore de biens dans le royaume castillan et ce, malgré la renonciation effectuée lors de son mariage avec François Ier [90]. Malheureusement, ce document ne donne pas l’emplacement de ses terres, dispersées conformément à la règle dans les royaumes espagnols, et limite notre étude. A ces premiers revenus, s’ajoutent ceux de son douaire au Portugal, dont elle doit normalement encore bénéficier : celui-ci est censé lui rapporter 15 000 doblas de rente, mais là encore nous n’avons pu trouver de trace de cet apport. Plus irrégulières, sont les sommes attribuées par Charles Quint à sa sœur aînée : dans une lettre à l’empereur, son ambassadeur Saint-Mauris souligne les difficultés qui ont été faites à la reine, dans la péninsule ibérique, pour les 10 000 ducats mis à sa disposition par l’empereur. Pourquoi ce don ? S’agit-il des revenus de ses terres ou bien d’un présent de son frère ? Le doute est d’autant plus permis que ce dernier semble multiplier les envois d’argent à sa sœur, comme le laissent voir les sommes mentionnées dans certaines de ses lettres [91] ainsi que celles dont le cardinal du Bellay nous fait part dans sa correspondance (Correspondance, tome 2). Si ces rentrées d’argent ne semblent guère régulières, la reine semble pourtant jouir d’une certaine autonomie financière grâce à la perception de revenus divers.
Encore faut-il leur ajouter les biens matériels, c’est-à-dire les bijoux et les travaux d’orfèvres. Si l’on tâche de procéder dans un ordre chronologique, commençons alors par cet inventaire des bijoux de la reine effectué en 1518 [92]. Y sont consignés des bijoux, de l’argenterie et de l’orfèvrerie, correspondant au douaire qu’elle a apporté des Flandres ; d’une richesse extraordinaire, cet inventaire compte de nombreuses gemmes indiennes, des perles et des diamants. Le traité de mariage d’Eléonore d’Autriche et de Manuel de Portugal permet d’en évaluer approximativement le montant, puisque sont mentionnés « el oro y plata y joyas que la dicha señora Infanta consigo llevara » [93] d’une valeur d’environ 10 000 doblas. Par ailleurs, nous pouvons légitimement penser que sa présence sur le trône du Portugal n’a pu qu’augmenter cette somme. Ainsi en rapporte-t-elle un collier fort connu, qu’elle porte dans un de ses plus célèbres portraits, celui réalisé par J. Van Cleve : il s’agit d’un collier indien, serti de 76 rubis et de 86 perles de tailles diverses. Certains historiens lui attribuent également la commande d’un superbe reliquaire en or, conservé au Museu nacional de arte antigua à Lisbonne ; en fait, ce reliquaire avait été commandé par Eléonore de Portugal, la sœur de Manuel le Fortuné. Si ce reliquaire ne doit rien à Eléonore, son absence est compensée par les innombrables présents dont la souveraine a bénéficié tout au long de sa vie : qu’il s’agisse du navire en or reçu de la ville de Bordeaux en 1530, des présents reçus à l’occasion des étrennes, puisqu’Henry VIII lui offre le 1er janvier 1532 une paire de vases en or ainsi qu’une coupe en or, ou encore de la fontaine en argent doré offerte par la ville de Bruxelles en 1544 d’une valeur de 2700 ducats que mentionnent Charles Paillard et les ambassadeurs anglais dans une lettre d’octobre 1544 [94]. Ces présents interviennent lors des entrées royales, des entrevues entre souverains européens et des étrennes : des occasions répétées donc qui favorisent d’autant la magnificence des souverains. En ce qui concerne les entrevues officielles, un bon exemple est celui des 60 000 ducats distribués par l’empereur à la reine et à ses dames à leur départ pour la France, après leur court séjour dans les Flandres en 1544 [95]. Cette diversité des apports financiers et leur abondance sont des ressorts indispensables au financement d’une maison importante.
Eléonore d’Autriche a bel et bien renforcé le rôle de la richesse et en a fait un appui majeur pour la souveraine. Afin d’en assurer le maintien, il a fallu mettre en place une gestion minutieuse des comptes de la reine et un contrôle régulier de ses dépenses.
II. Coût et financement de la maison
L’organisation financière de la maison de la reine doit limiter les retards et les difficultés de paiement, nécessairement nombreux dans une institution si vaste et si riche.
Une organisation financière complexe
L’administration de la maison de la reine se divise en plusieurs services, semblables à ceux de la maison du roi : la Chambre aux deniers est chargée de la comptabilité de la maison et du financement des dépenses, son budget étant vérifié par la Chambre des Comptes et soumis à son acceptation. Cela doit faciliter la gestion de l’argent du royaume et en contrôler l’utilisation. D’ailleurs, la Chambre aux Deniers est chargée des dépenses ordinaires : gages des commensaux, vivres indispensables à la cuisine de bouche et du commun, tout ce qui est nécessaire à la vie quotidienne. L’extraordinaire est financé par les menus-plaisirs, qui échappent au contrôle de la Chambre des Comptes, et sont alimentés par la bourse personnelle du roi. Néanmoins, si les comptes de la reine Eléonore font état de cette distinction, ces catégories ont des limites floues, et il semblerait que le recours aux menus-plaisirs permette de limiter le contrôle du budget. Enfin l’argentier assure la garde de la vaisselle précieuse et des objets d’orfèvrerie. Notons d’ailleurs que ces derniers sont aussi bien une source d’argent potentielle – en cas de besoin immédiat on les fond, quitte à en racheter par la suite une fois les caisses remplies – qu’un facteur de rayonnement : exposés ils témoignent aux visiteurs de la richesse de leur hôte. Il s’agit donc d’un service à part, à la fois organe de financement et « caisse de réserve de la monarchie » [96]. Toutefois, la réalité s’avère plus complexe que ce simple schéma théorique, car le besoin pressant d’argent oblige le roi à des manœuvres aussi habiles qu’alambiquées, de là la nécessité de réformer ce système.
La réforme opérée par François Ier en 1523-1524 a bouleversé les finances royales telles qu’elles avaient été organisées depuis Charles VII [97]. L’ancien système comportait deux administrations : l’une en charge du Domaine royal, placé sous l’autorité des quatre trésoriers de France ; l’autre assignée aux dépenses extraordinaires, contrôlée par quatre généraux des finances. Ces « messieurs des finances » se réunissaient avec le roi afin d’établir l’Etat général des finances chargé d’équilibrer recettes et dépenses. Des comptables particuliers se chargent des dépenses spéciales, telles que celles des maisons royales. La volonté de François Ier est avant tout de limiter le pouvoir, jugé excessif, de ces « messieurs des finances », et de se départir des innombrables caisses de recettes ainsi que des lourdeurs administratives. Il entame donc sa réforme en plaçant par une lettre patente du 18 mars 1523, Philibert Babou à la tête du Trésor de l’Epargne ; celui-ci dépendant directement du roi. A partir du 23 décembre 1523, Philibert Babou encaisse les revenus de la monarchie par quittances, les changeurs du Trésor n’étant plus que de simples percepteurs.. Avec cette réforme, recettes et dépenses reposent dans les mains de deux hommes seulement : le roi et le Trésorier. Quant à la volonté de simplifier les comptes par une caisse unique, elle n’a pas été suivie de beaucoup d’effets, l’organisation initiale ayant été petit à petit complexifiée par des ajouts de fonctionnaires. Pour autant, ces évolutions permettent de comprendre l’organisation financière de la maison de la reine et surtout de constater la limitation considérable de l’autonomie de la maison d’Eléonore d’Autriche.
Non seulement la gestion de la maison revient au trésorier du royaume, directement subordonné au roi, mais en plus le financement de la maison de la reine est assuré par les finances de François Ier. Tandis que les dépenses de la maison de Claude de France étaient en partie assumées par la Bretagne, la reine Eléonore semble dépendre entièrement de son époux [98]. Dès lors, comment comprendre l’utilisation de ses propres apports financiers ? Il est évident que ses revenus sont employés en partie pour sa maison, mais selon nous cela concernerait davantage les dépenses extraordinaires telles que les bijoux ou les présents envoyés aux autres cours, dont le paiement n’est pas mentionné dans les nombreux états et comptes que nous avons étudiés.
Administrer et gérer une maison royale est donc une tâche complexe, que les réformes de François Ier auraient dû simplifier ; au contraire, elles ont essentiellement contribué à priver la reine d’autonomie en lui imposant un surintendant dépendant du roi. Cet obstacle ne doit pas pour autant masquer la richesse de la maison, que reflètent des dépenses importantes.
Le primat des dépenses
Leur montant, s’il a quelque peu diminué à la fin du règne, est bien supérieur à celui dépensé par Claude de France pour sa propre maison, ce qu’explique en partie la différence du nombre de commensaux. Ainsi, cette dernière aurait-elle dépensé 145 000 l.t. en 1518 et 165 000 l.t. en 1523 ; quant à Eléonore d’Autriche le coût de sa maison s’élève à 211 000 l.t. en 1531 et 215 000 l.t. en 1532. Un écart notable donc, d’une souveraine à l’autre, mais que les années vont combler : en 1545, les dépenses ne plus que de 160 000 l.t. et de 190 000 l.t. en 1546 [99]. Cette évolution irrégulière est problématique, et l’on s’attendrait plutôt à trouver une progression linéaire : comment l’expliquer ? A notre avis, les sommes conséquentes du début du règne sont liées à l’installation de la reine, qui doit « reconstruire » sa maison ailleurs. De surcroît, on imagine que dans les premiers temps l’organisation a fait défaut et a engendré des dépenses supplémentaires. Qu’il y ait eu une baisse des dépenses entre 1532 et 1545 n’a donc rien d’anormal, toutefois restent deux questions : pourquoi une telle baisse – presque 60 000 l.t.- et pourquoi une augmentation l’année suivante ? Peut-être faut-il voir dans l’importance de cet écart l’effet d’un certain retrait de la reine : en effet, en 1545, Eléonore d’Autriche, souvent malade, se déplace de moins en moins – son dernier grand voyage a eu lieu en 1544 pour se rendre dans les Flandres ; or, les voyages sont un poste de dépenses considérables, et il est tout à fait possible que leur absence participe d’une telle différence. En revanche, la deuxième question est bien plus périlleuse : s’agit-il d’achats plus importants ? De commandes artistiques ou de déplacements ? Rien ne nous est parvenu de notable pour cette année 1546 qui expliquerait cette reprise des dépenses. Une chose est sûre toutefois : cette dernière interdit de conclure à un retrait total de la souveraine à la fin du règne de François Ier.
Tâchons à présent de distinguer les postes de dépense de la reine, afin de comprendre et l’organisation de sa maison et ses priorités. Cet objectif a priori simple peut s’avérer un véritable « casse-tête » face à l’abondance d’informations désordonnées. D’autant que nous ne possédons parfois que de simples fragments de comptes ou encore des notifications de paiements concernant les années précédentes. Les archives nous rapportent les sommes allouées aux différents services : chambre aux deniers, argenterie, écurie et menus-plaisirs ; exception faite de l’écurie, celles-ci semblent constantes tout au long du règne. Pour les dépenses ordinaires la chambre aux deniers reçoit 27050 l.t. par quartier ; 14180 l.t. sont attribuées au paiement des gages des officiers, 3000 l.t. pour les menus-plaisirs et enfin 4000 l.t. à l’argenterie [100]. L’entretien des officiers constitue la dépense la plus importante, car aux gages s’ajoutent la nourriture et l’habillement. Quant à l’écurie l’augmentation de ses dépenses correspond aux nombreux voyages de la cour, mais surtout témoigne du goût de la reine Eléonore pour la chasse. En janvier 1532, elle dépensait 6500 l.t. par quartier, en juin 1537, cette somme s’est élevée à 9000 l.t. [101]. L’écurie assurant également le transport des dames de la reine, cela explique également son coût. Une fois de plus sa maison se présente comme son véritable instrument de pouvoir.
Les dépenses de la maison sont une mine d’informations et permettent d’aborder les priorités de la reine. Que ces sommes élevées coïncident avec une réforme des finances ne doit pas étonner : cela relève de l’essor du phénomène curial autant que de la volonté propre de la reine de briller. Néanmoins, ces réformes laissent voir une véritable limitation de l’autonomie financière de la reine, comment celle-ci a-t-elle su faire de nécessité vertu et rayonner sans être brimée ?
III. Reflets de la magnificence : le rayonnement de la maison de la reine
Il y a plusieurs façons de briller à la cour : par la richesse de sa mise, par la possession d’objets de prix ou encore par des commandes artistiques. Eléonore d’Autriche a utilisé chacun de ces instruments pour affirmer son rang ; bien plus, elle a su par delà les frontières du royaume, faire de sa maison un véritable pôle de rayonnement et de magnificence.
Eléonore d’Autriche, maîtresse des arts
Par son éducation, Eléonore d’Autriche possède tous les attributs nécessaires à une princesse de la Renaissance : richesse, culture, goût pour la chasse et la musique. Devenue reine de France, c’est donc tout naturellement que d’élève elle devient maîtresse, et avant tout maîtresse des arts.
Le premier d’entre eux à avoir exécuté son portrait après sa venue en France, est Corneille de la Haye ; appelé par François Ier à la cour de France, ce dont la reine Eléonore aurait été l’instigatrice, il va peindre l’épouse royale et ses dames – notamment Catherine de Médicis portant les couleurs de sa souveraine, à savoir le jaune et le noir [102]. D’ailleurs, dès 1534, soit un an après son arrivée à la cour du roi François, il se voit nommé « painctre de la royne Helienor, royne de France », c’est-à-dire peintre officiel de la reine [103]. Notons également qu’il continue à officier après 1541 pour le dauphin Henri, signe d’un impact durable des démarches de la reine Eléonore sur le plan artistique. Il est remplacé par Antoine Trovéon, rencontré à Lyon en 1536 et qui réalise en 1544 à la demande de la reine une Crucifixion avec la Vierge, saint Jean et Marie Magdalene, aujourd’hui perdue. C’est également lui qui, ayant accompagné Claude de la Guiche au Portugal pour négocier avec Jean III le mariage de Maria, fille d’Eléonore d’Autriche, avec le dauphin Charles, réalise de nombreux portraits de l’infante. Plus qu’une simple relation de mécène à artiste se développe parfois une confiance réciproque : dès lors, l’artiste bénéficie d’une grande faveur. Enfin, c’est à Cornelis Anthonisz que l’on doit la représentation de la souveraine à cheval. Celle-ci nous renvoie à la réputation de très bonne chasseuse et cavalière de la souveraine, mais l’on peut aussi y voir la volonté de la reine de renforcer sa position à la cour où elle est en proie aux rivalités [104]. Malheureusement, une fois de plus les sources manquent et un certain flou demeure quant aux autres commandes que la reine a pu passer. Il est donc difficile, dans ces conditions, d’appréhender l’étendue de son mécénat.
Une chose est sûre : l’attachement à la famille royale est une position très recherchée par les artistes, qui rivalisent alors de virtuosité et de louanges. Tel est le cas de Clément Marot, dont l’« épître à la reine », célébrant la venue de la reine, véritable instigatrice de la paix entre son frère et son époux ou bien son poème dédié à la reine témoignent de sa volonté de lui être attaché. Dans ce dernier poème intitulé « Pour la reyne », il déplore son éloignement ainsi que son inaccessibilité, en même temps qu’il peint avec grâce la figure du poète transi d’amour [105]. Une pose significative de l’attrait exercé par la reine et sa maison sur la cour. Un autre exemple est celui de l’orateur Pichelin : Jean Pichelin, seigneur de Villemanoche est fou du roi, ce qu’atteste un mandement de ce dernier datant de 1534 [106]. Toutefois, c’est à la reine qu’il adresse une épître [107]. Le poète, en célébrant la médiatrice de paix, se fait le messager du peuple et de son ambition propre ; de cette façon, il peut espérer obtenir une place de choix à la cour et des gages fixes au lieu de mandements ponctuels. Loin d’être uniquement recherchée pour elle-même, Eléonore d’Autriche apparaît donc comme un tremplin vers la gloire, qui se trouve dans les mains du roi.
De l’intérieur à l’extérieur, des appartements au vêtement : « le spectacle du pouvoir » (Ph. Hamon)
Sans nul doute le vêtement est une dimension majeure de la magnificence d’une reine. Son rôle économique et politique a été souligné par J.-P. Dubost concernant Marie de Médicis. Bien avant elle, l’épouse de François Ier n’en avait-t-elle pas conçu l’importance ?
Fidèles à notre démarche – à savoir nous appuyer sur les récits des contemporains – nous ne pouvons manquer de constater l’intérêt suscité par les tenues de la souveraine et de ses officiers ; lors de son entrée à Bordeaux, on nous rapporte que la reine « avoit sur elle un ciel d’or frisé, vestue à la mode espaignolle, aiant en sa teste une coiffe ou crespine de drap d’or frizé, faicte de papillons d’or, dedans laquelle estoient ses cheveulx, qui luy pendoient par derriere jusques aux talons, entortillez de rubbens ; et avoit un bonnet de velours cramoisy en la teste, couvert de pierreries, où y avoit une plume blanche, tendue à la façon de la Roy la portoit ce jour. Aux oreilles de ladicte dame pendoient deux grosses pierres, grosses comme deux noix. » [108]. La complexité et la richesse de la coiffure parsemée de pierres précieuses semble avoir particulièrement attiré l’attention de l’auteur. Loin d’être seul à nous en donner une vision précise, le « bourgeois de Paris » est bientôt rejoint par Honorat de Valbelle qui assistant à l’arrivée de Catherine de Médicis à Marseille en 1533, voit la reine Eléonore « pareillement habillée de brocard, avec des perles, des diamants et toutes sortes de pierres précieuses si magnifiques qu’on ne les peut décrire. » [109]. De voir deux bourgeois de villes sensiblement différentes accorder plusieurs lignes au détail de la tenue et des bijoux d’Eléonore d’Autriche, notre curiosité se trouve piquée : par delà la magnificence habituelle d’une reine, celle-ci se serait-elle démarquée par son raffinement, par sa richesse sans précédent ou encore par l’introduction d’une nouvelle mode ? Avant d’étudier ces trois possibilités, rappelons seulement que cet aspect, oublié par les biographes de la reine, fut celui choisi par Hilarion de Coste, plus d’un siècle après, lorsqu’il dut en faire l’éloge [110]…
La richesse d’Eléonore d’Autriche, nous l’avons vu, n’est plus à démontrer, mais sa mise en scène par le vêtement propose un angle d’approche intéressant. Un inventaire de la garde-robe de la reine, datant de 1532, nous est parvenu, dont les données précises constituent une mine d’informations pour l’historien : robes, cottes, manteaux et draps de soie y sont répertoriés, en fonction de leur tissu et de leur couleur. On remarque tout d’abord la préférence de la reine pour le velours et le satin de Venise, , puisque sur les 29 robes, 15 sont faites de velours et 8 de satin. Quant aux couleurs, pour la plupart foncées (cramoisi, gris, noir), leur éclat est mis en valeur par le miroitement des tissus. Les cottes, plus généralement en taffetas ou en satin restent dans cette même gamme de couleurs. On observe un grand raffinement dans le choix et l’association des matières et couleurs, que renforcent les fourrures – d’hermine essentiellement, les broderies d’or ou d’argent, les cols passementés, les perles et les boutons d’or. Eléonore d’Autriche opte pour l’éclat et la magnificence et attribue de surcroît un rôle politique à ses tenues : elles font partie de ces garanties de légitimité indispensables à une reine.
Mais revenons sur le vêtement et étudions-en le choix d’un peu plus près. Mentionnant la tenue de la reine, il n’est pas rare que les contemporains la qualifient d’ « espaignolle » [111]. Nous retrouvons ce type de distinction dans l’inventaire de 1532, cité plus haut, où une « robe de satin blanc faicte à la française » côtoie une robe « à la castillane ». Rappelons ici que les reines sont avant tout des personnages publics et que chacune de leurs actions a une portée politique ; par conséquent, on ne peut y voir qu’une affaire de goût sans donner prise à un véritable anachronisme. Cette volonté d’arborer tantôt des robes à la castillane, tantôt à la française permet à la reine de s’affirmer sur le devant de la scène, tout d’abord en se faisant remarquer. Cela pourrait également signifier l’absence de choix entre les deux royaumes auxquels elle appartient et symboliser leur réconciliation. Cependant, elle semble de moins en moins recourir au costume ibérique, comme le note M. Anderson dans son ouvrage sur le costume à la Renaissance, qui y voit la conséquence d’une interdiction du roi de France [112]. Une liberté limitée donc, en rien surprenante, mais dont la reine Eléonore a su profiter dans un premier temps pour s’imposer à la cour de France.
La maison de la reine : un modèle ?
Le profond intérêt des contemporains pour la somptuosité des manifestations royales ainsi que les détails précis sur les tenues et les étoffes portées par la souveraine indiquent l’importance de cette figure féminine à leurs yeux. La reine et sa maison en viennent à cristalliser tous les regards et à s’ériger en modèles pour la cour et certains de ses contemporains. Les grands évènements et cérémonies sont l’occasion pour ces derniers de participer à la vie officielle de la famille royale [113]. De l’admiration à l’imitation, l’écart n’est pas si grand, d’où l’emploi de ce mot de « modèle » pour qualifier l’impact de la maison de la reine hors de la cour du roi de France.
Une fois de plus, nous devons nous contenter d’informations éparses. Celles dont nous disposons le plus concernent la mode vestimentaire : ainsi apprend-on que la mode du noir, venue d’Espagne, se répand dans toute l’Europe au 16e siècle [114]. Dans cette perspective, quel a été le rôle exact d’Eléonore d’Autriche ? Il nous faut revenir sur l’inventaire, déjà utilisé plus haut, des robes de la reine en 1532. Sur les 29 mentionnées, 10 sont en velours ou satin noir, quant aux manteaux noirs, ils sont au nombre de 9, soit un peu moins de la moitié. Cette prédilection pour le noir s’inscrit dans cette nouvelle mode voire même a pu contribuer à la répandre dans le royaume français, car la somptuosité des tenues d’Eléonore et son rang même ne nous permettent pas de la penser en retrait de ces évolutions vestimentaires. A-t-elle été pour autant à l’origine de leur diffusion ? A cette question délicate il nous faut répondre avec circonspection : il est certain qu’Eléonore par le choix de ses robes et manteaux a pu renforcer un mouvement déjà en marche, de là à en conclure qu’elle l’a instauré, le pas est grand ; une fois de plus, il est probable qu’elle ait été le trait d’union entre deux royaumes. De même, la « merlocte » ou « marlotte » portée dès le moment de sa présence à la cour de France est restée bien après dans la mode de ce royaume. Ce manteau assez long et d’aspect plutôt masculin, provient de la cour castillane ; à la fin du 16e siècle, le mot « marlotte » désigne encore un grand manteau, avec des manches courtes et bouffantes, et serré sous la gorge [115]. Or, parmi les manteaux mentionnés dans l’inventaire de juillet 1532, apparaissent à plusieurs reprises des « merloctes » de satin ou de taffetas, noires ou cramoisies, plus ou moins ornées, laissant ainsi supposer qu’ils ont été introduits par la reine Eléonore.
Il est encore plus malaisé de considérer l’influence de la reine hors du royaume, car les sources, dispersées et difficiles à retrouver, exigent d’importants dépouillements bien souvent infructueux. Loin de proposer une étude exhaustive ici, nous souhaitons achever notre travail sur la maison de la reine Eléonore par son rayonnement « européen », et permettre ainsi un éventuel prolongement de la réflexion. L’éclatement familial des Habsbourg facilite ce rayonnement, offrant à la reine différents relais hors du royaume français. Elle a pu en exporter les réalisations les plus belles, à l’instar des aiguillettes, ceintures et boutons, qu’elle envoie à sa sœur cadette Catherine, devenue reine du Portugal, et à sa fille Maria, également restée dans ce royaume [116]. Véritables marques significatives de la magnificence de la reine et du royaume, ces présents sont également des reflets de leur puissance. Ils n’ont donc rien d’anecdotique et dénotent une volonté élargie de s’ériger en modèle de raffinement, comme le montre le moment des étrennes, où les cours rivalisent d’inventivité et de richesse ; à Henri VIII, la reine Eléonore offre un sifflet en or et deux écritoires [117]. Autant de façons donc, d’exprimer sa richesse et de manifester sa souveraineté.
Les échanges d’officiers participent tout autant de ce rayonnement de la maison de la reine, dont le prestige rejaillit à la fois sur la souveraine et sur la cour de France. Tel est le cas de Roger Pathie, second organiste de la reine, arrivé à son service dès 1531 et qui se voit nommé valet de chambre du roi en 1533 et 1534. Mais celui-ci quitte sa maison pour s’attacher à celle de sa sœur, Marie de Hongrie : selon Ch. Cazaux, il est probable que, suite à l’entrevue de Cambrai en 1535, la reine Eléonore ait cédé son propre organiste et joueur d’épinette à sa sœur, également férue de musique [118]. De même, nomme-t-elle Antoine Trovéon, peintre de la reine dès le début des années 1540, pour accompagner Claude de la Guiche, évêque d’Agde, au Portugal afin de négocier auprès de Jean III le mariage de sa fille Maria de Portugal avec Charles, fils de François Ier [119]. Par delà, l’imbroglio familial, voyons bien l’intérêt de ces voyages, nous dirions presque de nos jours de ces « transferts », dans une cour étrangère : n’est-ce pas un moyen efficace pour s’assurer prestige et rayonnement auprès d’autres souverains ? Quant au voyage d’Antoine Trovéon il est clairement établi comme une mission politique, mais l’artiste profite de ce séjour pour réaliser de nombreux portraits de l’infante et donc pour faire preuve de ses talents. L’intention et l’organisation de ces voyages nous rappellent que ce désir de rayonnement dénote une volonté politique.
S’adressant à sa fille Marguerite, Catherine de Médicis lui aurait dit : « En quelque part que vous alliez la cour prendra de vous et non vous de la cour », leçon essentielle à une future reine qui se doit de manifester son influence par les moyens dont elle dispose. D’Eléonore d’Autriche, les contemporains nous rapportent presque uniquement la richesse des tenues et l’abondance des bijoux ; mais n’y voir que « l’esprit du temps » - expression fallacieuse – c’est ne rien voir du tout et s’en tenir à un simple constat. Bien au contraire, nous avons cherché ici à montrer comment la reine Eléonore avait tissé autour d’elle une toile solide, un réseau ouvert sur l’extérieur. La souveraine a donc su remplir son contrat et a participé du renforcement de la cour de France et de son prestige, que l’ambassadeur de Mantoue, G.-B. da Gambara résume sous ces quelques mots : « chi non ha visto la corte di Franza, non ha visto che sia grandezza » [120].
Conclusion
Nous avons voulu insister dans cette étude sur la façon dont la maison permet d’aborder la reine et de réviser la vision proposée jusqu’alors. Là où l’on nous dressait le portrait d’une reine timorée, nous avons une maison riche et influente, là où la reine était effacée, sa maison est en représentation constante. D’emblée n’a-t-elle pas vu l’appui que pouvait lui offrir une suite nombreuse ? L’aînée du lignage de Malines a su utiliser cette institution pour s’affirmer à la cour de France. Elle a donc rempli le cadre vacant laissé par celles qui l’avaient précédée, en y plaçant ses commensaux les plus fidèles, tout en s’attachant de nouvelles fidélités recrutées parmi les plus grandes familles du royaume.
Par ailleurs, Eléonore d’Autriche met son éducation raffinée et sa richesse au service du prestige du royaume français, tant par son mécénat que par ses tenues et celles de ses commensaux. En dépit des partis antagonistes qui se forment à la cour et dans sa maison, malgré l’indifférence voire l’hostilité du roi et de ses courtisans, la reine continue d’arborer sa richesse, d’être en représentation, d’affirmer son rang. De là, faut-il conclure que la maison de la reine est ce qui lui permet d’exister ? Sans aller jusque là, disons qu’elle est un relais de son influence.
Il est donc clair qu’Eléonore d’Autriche souhaitait accomplir sa fonction de reine. Sa maison, son mécénat en sont des exemples frappants, puisqu’elle a fait de sa magnificence le support de son influence.
Il est vrai qu’Eléonore d’Autriche n’a pas connu, historiographiquement, le même succès qu’Anne de Bretagne ou que Catherine de Médicis. On s’accorde pour y voir la cause de l’absence d’héritier laissé à la couronne de France, puisque François Ier, déjà père de trois fils, voyant sa succession assurée et n’éprouvant aucune attirance pour la reine, ne se soucie pas d’accomplir son devoir conjugal. Certes, pas d’héritier, mais elle a pourtant légué aux reines qui lui ont succédé, une maison de la reine réformée et enrichie, dont le rayonnement est la garantie d’une influence aussi bien dans le royaume que sur la scène européenne ; une maison, prête à recevoir la suite nombreuse de Catherine de Médicis et prête à devenir non plus un lieu d’influence, mais un véritable lieu de pouvoir.
Notes
[1] M. Chatenet, La Cour de France au 16e siècle, vie sociale et architecture. p.21.
[2] Cette étude de la relation entre la reine et ses officiers, repose en grande partie sur l’analyse proposée par José Martínez Millán, dans son introduction à Instituciones y Elites de Poder en la Monarquía Hispana durante el Siglo XVI, Madrid, 1992, p22, d’où nous tirons l’expression « utilité » (« utilidad » dans le texte).
[3] Jean du Tillet, Recueil des roys de France, leur couronne et leur maison, Paris, 1580, p. 324-325.
[4] Ibid.« soit le mot domestique entendu de ceux qui sont couchés en l’état de leurs maisons, autrement appelés commensaux, parce que anciennement ils avaient bouche à la cour et robes de livrée », p. 322.
[5] Sr de la Marinière, Estat des officiers domestiques et commençaux des Maisons du Roy, de la Reine Regente, de Monseigneur le Duc d’Orléans, de Madame, de Mademoiselle et de Monseigneur le Prince de Condé, Paris, 1649.
[6] Catalogue des Actes de François Ier, tome 2, p. 641, 6856.
[7] BNF, ms fr 21451, « Recueil des pièces sur la maison des rois et reines de France »
[8] BNF, 500 de Colbert 7, « Etat fait par Eléonore à Nicolas Vanderlaen son trésorier et receveur général de finance, pr demie année commencée en juillet « passé » et finissant le dernier jour de décembre prochain. ».
[9] P.-L. Roederer, Conséquences du système de cour établi sous François Ier, Paris, 1833, p. 58-59.
[10] Catalogue des Actes de François Ier, tome 4, p. 423, 12954.
[11] R. Cooks cité par M. Chatenet, La Cour de France au 16e siècle, vie sociale et architecture, Paris, 2002, 387 p.
[12] Un état très complet des maisons royales féminines françaises est conservé à la BSG (ms. 808).
[13] M. Chatenet, La Cour de France….op.cit. p.27-28.
[14] Ch. Cazaux, La Musique à la cour de François Ier, Paris, 2002, 414 p.
[15] BNF, ms. fr. 21451.
[16] Brantôme, Œuvres complètes, Paris, 1864-1882, t. III. Cité in M. COTTRET, « Les Reines étrangères » dans Sociétés et idéologies des Temps Modernes, hommage à Arlette Jouanna, Université de Montpellier 3, éd. Fouilleron Joël, 1996.
[17] BNF, ms. fr. 21451
[18] Ph. Hamon, L’Argent du roi. Les Finances sous François Ier, Paris, 1994, p. 6
[19] Ibid.
[20] Th. Wanegfellen, Le Pouvoir contesté. Souveraines d’Europe à la Renaissance, Paris, 2008, p. 66.
[21] M. Chatenet, La Cour de France….op.cit. p. 63.
[22] Cet examen du logement de la reine Eléonore d’Autriche a été conduit de façon extrêmement précise par M. Chatenet dans son ouvrage sur la cour de France, cité plus haut.
[23] C’est une lettre de Nicolas de Neufville à Anne de Montmorency qui nous apprend la construction des cuisines du Louvre : « tout ce qu’il a pleu au roy ordonner estre faict aud. Louvre le sera dans la fin de septembre prochain, assavoir quatre cuisines de bouche avec quatre gardemangers et quatre retrectz de gobellet et quatre fructeries ». In M. Chatenet, op. cit. p. 89.
[24] Ibid. p. 100.
[25] Toutes les informations sur ce voyage de 1544, proviennent de Ch. Paillard, Voyage dans les Pays-Bas et maladie d’Eléonore d’Autriche, Bruxelles, 1878.
[26] Les deux citations proviennent de M. Combet, Eléonore d’Autriche, p. 35.
[27] M. Debae, La bibliothèque de Marguerite d’Autriche : essai de reconstitution d’après l’inventaire de 1523-1524, Louvain, 1995, 689 p.
[28] Cette réforme nous est rapporté, dans une étude précise de l’ouvrage, dirigé par J. Martínez Millán, La Monarquía de Felipe III : la Casa del Rey, vol. 1, p. 309.
[29] M. Chatenet, La Cour de France…. op.cit., p. 190 : reprenant la lettre de G.-B. Gambara à la duchesse de Mantoue, du 26 octobre 1541, dans laquelle il écrit « qu’il est toujours minuit passé quand S. E. [la duchesse de Bar] arrive à son logis [de la reine] », elle en conclut que celle-ci vit « à l’heure ibérique ».
[30] Correspondance de Marguerite d’Autriche, et de ses ambassadeurs à la cour de France, concernant l’exécution du traité de Cambrai. Ed. Ghislaine de Boom, Bruxelles, 1935, p. 160.
[31] M. Chatenet, op. cit., p. 21.
[32] Sur l’étude précise des officiers, se reporter à la seconde partie de ce travail. Quant au mécénat, il intervient plus précisément dans la troisième partie.
[33] Nous avons établi ces données à partir de deux états conservés à la BNF (ms. fr. 21451 et naf. 9175), pour les années 1496-1498, 1526 et 1532.
[34] J.-F. Solnon, La Cour de France, Paris, 1987.
[35] J.-F. Solnon, La Cour de France, Paris, 1987, 649 p.
[36] Caroline zum Kolk, La Maison des reines de France au 16e siècle. Nobles, officiers et domestiques (1494-1590). Base de données publiée en ligne sur Cour de France.fr le 19 décembre 2007, élargi par la suite aux maisons des rois (https://cour-de-france.fr/rubrique438.html)
[37] Nous nous appuyons ici sur les états d’Anne de Bretagne, Claude de France et Eléonore d’Autriche conservés sous la cote naf. 9175 de la BNF et sur ceux conservés sous la cote ms. fr. 21451 de la BNF également.
[38] On se reportera ici à l’étude très précise des officiers en charge de la musique dans les maisons royales, proposée par Ch. Cazaux dans La Musique à la cour de François Ier, Paris, 2002, p 131.
[39] Présence qu’il mentionne lui-même dans ses mémoires et que les historiens de l’enfance de la lignée de Malines attestent. Pour ces derniers, on se reportera avant tout à La Corte de Carlos V, sous la direction de J. Martínez Millán, Madrid, 2000.
[40] BNF, ms. fr. 21451 : « Premier compte de Nicolas Vanderlaen. Estat faict par la Reyne a Nicolas Vanderlaen son tresorier le receveur general de ses finances des gaiges des officiers de sa maison pour une demye annee commencee le premier jour de juillet 1530 et finissant le dernier jour de decembre 1530 » et BNF, ms. fr. 2952 : « Estat pour une annee commencee le premier jour de 1532 et finissant le dernier jour de decembre ensuivant 1533 ».
[41] P. d’Espezel dans Les Reines de France, Strasbourg, 1947, écrit qu’Eléonore d’Autriche vivait isolée, dans un petit cercle de dames espagnoles jusqu’au renvoi de celles-ci en 1537.
[42] Catalogue des Actes de François Ier, t.7, p.621-622, 27627-27631 : « Lettres de naturalité octroyées, à la requête de la reine, aux gentilshommes, dames, damoiselles et autres officiers étrangers de ladite dame, avec permission de disposer de leurs biens par testament, et aux ecclésiastiques de tenir bénéfices dans le royaume, et pour tous dispense de payer aucune finance. », dont on trouvera l’intitulé entier en annexe.
[43] J.Martínez Millán (dir.), op. cit., p122-123.
[44] BNF, Dupuy, 175 : traité de mariage entre Eléonore d’Autriche et François Ier.
[45] Correspondance de Marguerite d’Autriche, et de ses ambassadeurs à la cour de France, concernant l’exécution du traité de Cambrai, Bruxelles, 1935, p96.
[46] BNF, naf. 9175 « Etat des officiers domestiques de la reine depuis le 1er juillet 1530 jusqu’à 1547 inclus ».
[47] Caroline zum Kolk, La Maison des reines de France au 16e siècle. Nobles, officiers et domestiques (1494-1590). Base de données publiée en ligne sur Cour de France.fr le 19 décembre 2007, élargis par la suite aux maisons des rois (https://cour-de-france.fr/rubrique438.html)
[48] Cet élément est mentionné par plusieurs historiens, comme G. Chaussinand-Nogaret, S. Bertière ou encore E. Viennot, qui aperçoivent le goût du futur roi pour les femmes dès son enfance. Les suivantes de sa mère auraient ainsi été des sortes d’éducatrices.
[49] Ibid.
[50] Cette présence de René d’Arpajon en la maison du roi nous est indiquée par M. de Barrau, Documens historiques et généalogiques sur les familles et les hommes remarquables du Rouergue dans les temps anciens et modernes, Rodez, 1853, t. 1, p.376.
[51] Ch. Cazaux, op. cit., p.357.
[52] Catalogue des actes de François Ier, III, 29, 7589, cité par A. Noël « Le petit orateur Pichelin, fou du roi à la cour de François Ier », in B. Barbiche, J.-P. Poussou et A. Tallon, Pouvoirs, contestations et comportements dans l’Europe moderne. Mélanges en l’honneur du professeur Yves-Marie Bercé.
[53] Les comparaisons opérées ici reposent sur le tableau comparatif des maisons des trois reines, présent en annexe.
[54] Journal d’un bourgeois de Paris…p.343.
[55] S. Moreau, « La Prinse et délivrance du Roy, venue de la Royne, seur aisnée de l’empereur, et recouvrement des enfans de France », in Archives curieuses de l’histoire de France, tome 1, il nous dit que la reine était « accompaignée de ses plus principalles dames et demoyselles qui là luy faisoient compaignie » p.323.
[56] Histoire journalière d’Honorat de Valbelle 1498-1539 : journal d’un bourgeois de Marseille au temps de Louis XII et de François Ier. p.521.
[57] P.-L. Roederer, Conséquences du système de Cour établi sous François Ier, Paris, 1833, p.69.
[58] F. Decrue de Stoutz, La Cour de France et la société au 16e siècle, Paris, 1888, p.177
[59] Nous avons établi ces pourcentages à partir du tableau comparatif du nombre d’officiers de la maison d’Eléonore, situé en annexe.
[60] Clément Marot, « De ma Damoyselle du Brueil », Œuvres complètes, t. 1, Paris, 2007, p471.
[61] G. Chaussinand-Nogaret, op.cit.
[63] La description la plus précise est proposée par R. Cooks, cité par M. Chatenet, La Cour de France au 16e siècle…, p23.
[64] S. Cota, Memorias, Cambridge, 1964, 261p.
[65] AN, K 1680.
[66] L. Lévy Peck, Court patronage and Corruption in Early Stuart England, cité par J. Martínez Millán, Instituciones y Elites de Poder en la Monarquía Hispana durante el Siglo XVI, Madrid, 1992, p 19.
[67] Le fonds de Simancas regorge de lettres de St Mauris, ambassadeur de Charles Quint en France, demandant le paiement de ses gages. Un rapide coup d’œil aux Letters and papers of the reign of Henry VIII, est tout aussi convaincant.
[68] Nous avons ici travaillé à partir du Dictionnaire de la noblesse, de F.-A. de la Chesnaye des Bois, Paris, 1776, 12 vol.
[69] L’ouvrage de L. Bourgeois, Quand la cour de France vivait à Lyon 1491-1551, Paris, 1980, p154-155, nous apprend en effet la présence de Philibert Babou au service du Dauphin.
[70] La première lettre citée est du fonds AN, K 1483, il s’agit d’une lettre du 10 janvier 1531 ; la seconde provient du fonds AN, K1484.
[71] AN, K 1484 pour la lettre de M. Vallez.
[72] AN, K 1483, lettre d’Eléonore d’Autriche à l’Impératrice du 1er août 1530.
[73] AN, KK 105
[74] BNF, Dupuy, 846.
[75] BNF, Moreau, 833.
[76] BNF, Cinq Cents de Colbert, 7.
[77] AN, KK 105
[78] BNF, Cinq Cents de Colbert, 7.
[79] Traité de Madrid, AN. 21 mi 87.
[80] « La Reyna dizé q tiene su hazienda en Castilla segura y cierta y no sabe ny conosce la calidad de que se le ha de dar en Francia en recompensia ( ?) de bienes tan ciertos y tan priviligiados como por los bienes dotales », Traité de Madrid, AN. 21 mi 87.
[81] « ils n’ont voulu assigner la dot à plus de cincq par cent, quoy qu’ayons sceu dire », une note renvoie ensuite à Du Mont, Corps universel diplomatique du droit des gens, Amsterdam, 1726, 1e partie p403 et 2nde p13, qui dit que roi de France devait « l’assigner bien et convenablement sur bons et suffisans assignaux, dont ladite Dame, ses hoirs, successeurs et ayans cause seront et demeureront saisis, jouissans et possesseurs, jusqu’à l’entière restitution de ladite somme ». In Correspondance de Marguerite d’Autriche, et de ses ambassadeurs à la cour de France, concernant l’exécution du traité de Cambrai. éd Ghislaine de Boom, Bruxelles, 1935, p. 62
[82] « lesquels assignaux nous baillons a nostre bien amee compagne et les luy faisons bons pour quinze mil escus d’or de rente chacun. », BNF, ms. fr. 15837.
[83] Ibid.
[84] F. Cosandey, La Reine de France : symbole et pouvoir, la place de la reine dans le système monarchique français (XVe-XVIIIe), Paris, 2000, 414 p.
[85] Lettre du 3 juillet 1530 de Fontarabie.
[86] BNF, ms. fr. 15837.
[87] BNF, ms. fr. 3086.
[88] Pour François Ier c’est à véritablement parler la défaite : sa captivité, celle de ses fils et le paiement d’un lourd tribut ; quant à son rival, cette défaite est la renonciation à la terre de ses ancêtres.
[89] E. Viennot, La France, les femmes et le pouvoir, Paris, 2006, vol. 1, p. 13.
[90] AN, K1483.
[91] AN, K1643.
[92] Inventaire mentionné in A.-M. Jordan et K. Wilson-Chevalier, « L’Epreuve du mécénat : « Alienor d’Austriche », une reine de France effacée ? », dans Patronnes et mécènes en France à la Renaissance, Etudes réunies et présentées par Kathleen Wilson-Chevalier avec la collaboration d’Eugénie Pascal, Saint-Etienne, 2007, p. 347
[93] AN, K 1680 : « l’or, l’argent et les bijoux que lad. dame emmènera avec elle ».
[94] Les deux derniers présents sont mentionnés dans les Letters and papers of the reign of Henry VIII, t. 19, p. 450.
[95] Lettre des ambassadeurs anglais à Henry VIII du 7 novembre 1544, Letters and papers…
[96] Ph. Hamon, L’Argent du roi. Les Finances sous François Ier, Paris, 1994, 609 p.
[97] Pour cette contextualisation, nous nous appuyons sur l’article « Trésor royal », in L. Bély (dir.), Dictionnaire de l’Ancien Régime, Paris, 2003.
[98] Ph. Hamon, op. cit.
[99] Tous les chiffres utilisés ici proviennent de Ph. Hamon, op.cit.
[100] Ces sommes proviennent du Catalogue des Actes de François Ier. Pour la chambre aux deniers nous en trouvons mention pour janvier 1532, avril 1533, juillet 1538 et mars 1539 ; pour les gages de officiers en avril 1530 et janvier 1531 : pour les menus-plaisirs en avril 1530, janvier 1531, janvier 1532 et janvier 1537 ; enfin, pour l’argenterie en janvier 1532, en juillet et ctobre 1537 et en janvier 1538.
[101] On retrouve cette somme de 9000 l.t. en avril, mars et octobre 1538.
[102] Sur cet aspect, nous nous référons aux travaux de K. Wilson-Chevalier et A.-M. Jordan, in « L’Epreuve du mécénat : « Alienor d’Austriche », une reine de France effacée ? » op. cit.
[103] Cité par K. Wilson-Chevalier et A.-M. Jordan, ibid.
[104] Nous reprenons cette interprétation à K. Wilson-Chevalier dans la mesure où elle nous paraît coïncider tout à fait avec les choix de la reine et avec l’image que l’on a cru apercevoir dans cette étude.
[105] BNF, ms. Fr. 3979 : « Dames d’honneur voyez mon adventure/Pour deux grandz biens qui me donnent esmoy/Que aymer je doibtz par devoyr de nature/ET sont tous deulx absans et loing de moy/L’ung je ne puys l’aultre trop peu je voy/Tout me voues dolente et deporbvue/Las il sont tant esloingnez de ma vuees/Et sy sont tant agreables a voyr/Il me fust oncques dame sy bien pourbveue/Sy ce que j’ay je le povais avoyr ».
[106] « Mandement au trésorier de l’épargne de payer à Jean de Pichelin, sr de Villemanoche, 225 livres tournois en récompense des passe-temps qu’il donne chaque jour à la reine et au roi. Anet, 11 mars 1534. », Catalogue des Actes de François Ier, t. 3, p. 29. 7589.
[107] « Serrenissime dame votre très humble subgect et obéissant peuple françoys rend graces affectuseuses au doulx sauveur et rédempteur et se renoist en luy, demeure de pensée et de toute sa possibilité par chans spirituels, hymne, proses, cantiques et instrumens mélodieux en glorifiant et magnifiant son inestimable puissance, admirable sapience et infinie bonté, de cinq années de votre bénigne grace, estre médiatrice envers l’empereur, votre trescher et tresaymé frère, de faire la paix en France. »
[108] Journal du Bourgeois de Paris, p. 344
[109] Histoire journalière d’Honorat de Valbelle 1498-1539 : journal d’un bourgeois de Marseille au temps de Louis XII et de François Ier., p. 254
[110] Nous racontant le mariage de François Ier et de sa nouvelle épouse, H. de Coste s’arrête longuement sur ses vêtements : « sa Majesté estoit habillée très-richement, car son corset estoit tout couvert de perles, & brodé d’or, son surcot d’hermines, garny et enrichy de gros diamans, & son ornement de teste d’une infinité de pierreries, le tout estoit estimé plus d’un million d’or », Éloges et les vies des reynes, des princesses et des dames..., 1647, p. 526.
[111] H. de Coste, op. cit. et in le Journal d’un Bourgeois de Paris, p. 344
[112] “Eleanor kept this fashion until 1537, when Francis sent home her Spanish attendants and begged her to adopt French styles”, M. Anderson, Hispanic Costume 1480-1530, New-York, 1979, p. 22, n. 3. Cette affirmation reste toutefois à relativiser, car nous n’avons aucune trace de l’obligation faite par le roi à son épouse, de se vêtir « à la française ».
[113] Cette réflexion sur « Les bourgeois juges de la cour » a été menée par Madeleine Lazard, in La Cour au miroir des Mémorialistes, 1530-1682, Actes et colloques 31, 1991, p. 415. On notera l’importance de la borne chronologique de départ : 1530, soit l’année à laquelle Eléonore d’Autriche est arrivée à la cour de France. Noémie Hepp, justifie ce choix en invoquant le fait qu’à partir de ce moment, François Ier commence à faire vivre une cour nombreuse à ses côtés ; dès lors, comment ne pas songer ici à sa seconde épouse, dont le rôle a pu être significatif à cet égard ?
[114] Ces influences nous sont rapportées par Madeleine Lazard dans son article « Le Corps vêtu. Signification du costume à la Renaissance. », in Le Corps à la Renaissance, J. Céard, M.-M. Fontaine, J.-C. Margolin (dirs.), Paris, 1990.
[115] M. Anderson, op. cit., p. 217.
[116] Ces envois nous sont rapportés par K. Wilson-Chevalier, op. cit.
[117] Letters and Papers ….op. cit.
[118] Ch. Cazaux, op. cit., p. 223.
[119] K. Wilson-Chevalier, op. cit.
[120] M. Chatenet, op. cit., p. 106.