Le tribunal de la nation : les mémoires judiciaires et l’opinion publique à la fin de l’Ancien Régime
Sarah Maza
Sarah Maza, Le tribunal de la nation : les mémoires judiciaires et l’opinion publique à la fin de l’Ancien Régime, dans Annales, 1987, n° 1, p. 73-90.
Extrait de l’article
La notion d’« opinion publique » a fait couler beaucoup d’encre ces dernières années, aussi bien chez les historiens que chez les sociologues et politologues. Les historiens de l’Ancien Régime s’intéressent particulièrement à l’apparition de cette notion après 1750 : si l’une des conséquences majeures de la Révolution française, outre les bouleversements sociaux bien connus, a été une redéfinition radicale de la culture politique et des rapports de force au sein de l’ « espace public », on doit se demander comment s’est dessinée cette redéfinition, et cela bien avant la convocation des États Généraux. Comment, en particulier, au sein d’un système politique absolutiste qui n’accorde en théorie de statut « public » qu’à la personne royale, en est-on venu, au XVIIIe siècle à reconnaître la légitimité du jugement politique d’autres catégories de la population, par définition « privées » ?
L’apparition de cette notion est évidemment coextensive à certaines transformations sociologiques bien réelles dont témoignent, dans les décennies prérévolutionnaires, l’extension de l’alphabétisation, l’accroissement à un rythme sans précédent de la production d’imprimés de toute espèce, et la prolifération des corps savants, sociétés de pensée, et cabinets de lecture.