Le silence et la justification : pratiques de l’état (France, XVIIe siècle)
Christophe Blanquie
Christophe Blanquie, "Le silence et la justification : pratiques de l’état (France, XVIIe siècle)", Cahiers du Centre de Recherches Historiques, n° 20 (1998).
Extrait de l’article
L’État, constate Marcel Gauchet, "[…] naît de l’aboutissement et du dénouement dans l’ordre politique de la crise de la médiation ouverte par la Réforme dans l’ordre religieux". C’est en effet, pratiquement, "[…] au titre de la raison d’État que la notion même d’État s’installe au centre de la scène politique". Ce déplacement emporte des conséquences radicales : l’émergence de l’État se traduit par un changement global de la logique du politique. Nous voici dans une dynamique qui modifie le principe même de la légitimité d’un roi qui cesse de participer au divin pour mieux affirmer l’absolue supériorité de son pouvoir. Cependant, l’impersonnalité du principe du pouvoir exclut, à terme, toute personnification royale, tandis que les communautés, cessant de faire lien, s’effacent devant le corps politique dont l’État est l’organisateur et la ratio.
L’analyse de l’apparition de la raison d’État semble incontestable. Une telle conclusion pourrait pourtant surprendre, car elle laisse entendre que le discours sur la raison d’État a pu, à certains égards, précéder la réalité de l’État. Ses enjeux décisifs – l’auteur parle de révolution – méritent qu’on souligne ce paradoxe apparent en rappelant que ce que nous appelons État pour caractériser la France du XVIIe siècle ne répond que très imparfaitement à la définition que nous donnons aujourd’hui du mot. Avant d’être un État, la France forme une monarchie. On ne pensera pas Louis XIV comme un chef d’État mais plutôt comme un roi empereur en son royaume : c’est bien le monarque et non l’État qui est souverain.