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L’historien et la compilation au XIIIe siècle

Bernard Guenée

Guenée, Bernard, "L’historien et la compilation au XIIIe siècle", dans Journal des savants, 1985, n°1-3, p. 119-135.

Extrait de l’article

« Aliqua gestorum praeteriti temporis et futuri compilare potius quam scribere cupio... », « Je désire compiler plutôt qu’écrire quelques événements du temps passé et futur » déclare en son prologue, en 1188, Gervais de Canterbury. Quelques années plus tard, en 1214, l’anonyme auteur de l’Historia Regum Francorum précise en son prologue : le lecteur ne lira pas nos récits, mais ceux des anciens ; quand je dis quelque chose, ce sont eux qui parlent, et le son de ma voix est produit par leur langue. Et il termine en disant qu’il prendra bien soin d’indiquer en marge ses sources, « pour qu’apparaisse la preuve formelle que je ne suis pas l’auteur de ce livre, mais son compilateur » (ut certiori appareat argumento me hujus libri non esse auctorem sed compilatorem). Quelque cent ans plus tard, au début du XIVe siècle, Jean de Saint-Victor semble lui faire écho dans le prologue de son Memoriale Historiarum, où il précise d’entrée de jeu qu’il est « hujus libri compilator, non inventor ». Ainsi, parfois, dans les prologues des œuvres historiques de la fin du XIIe, du XIIIe et du début du XIVe siècle, l’historien prend soin de dire qu’il n’est pas un auteur, qu’il est un compilateur. Or, avant la fin du XIIe siècle, le souci d’une telle distinction n’était jamais apparu dans un prologue historique. Et comme le mot compilare revient constamment dans les prologues des œuvres historiques du XIIIe siècle, comme le constant souci des historiens, dans ces mêmes prologues, est de décrire la technique de la compilation et d’en marquer l’intérêt, la conscience exprimée ou sous-jacente de l’historien qu’il n’est pas un auteur, qu’il est un compilateur, imprime à toute l’historiographie du XIIIe siècle une marque nouvelle.

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