Les sources de l’historien à l’heure d’Internet
Philippe Rygiel
Philippe Rygiel, "Les sources de l’historien à l’heure d’Internet", dans Hypothèses, année 2003, numéro 1, p. 341-354.
Extrait de l’article
Les historiens utilisent peu Internet, du moins leurs notes mentionnent-elles rarement des publications électroniques ou des ressources documentaires fournies par le réseau. Plus rares encore sont ceux qui construisent leur appareil de sources en utilisant les possibilités du réseau. Une étude américaine, examinant les références et renvois mobilisés par les articles parus dans quelques grandes revues américaines établit qu’en 2000 moins de 3 % des articles parus renvoyaient à des documents numérisés présents sur le réseau.
Il y a donc quelque provocation à affirmer que cet outil nouveau peut contribuer à transformer les conditions de travail des historiens et partant leur outillage intellectuel et leurs productions. Il nous faut pour le comprendre examiner les ressources auxquelles le réseau permet d’accéder, ceux aussi qui seront distribués par ce biais dans un futur proche, et examiner les conditions de leur appropriation par l’historien, soit les modes de recherche d’information adaptés à cet univers de ressources, et tant les difficultés posées par le document numérique que les possibilités qu’ouvre son utilisation.
Les ressources du réseau. Il nous faut, au préalable, préciser deux points de vocabulaire, qui ne sont pas sans conséquences sur le contenu de notre exposé. Internet est un ensemble de réseaux informatiques interconnectés par le biais d’un protocole TCP/IP qui permet que transitent entre des machines très hétérogènes des données numériques, soit de l’information au sens que les physiciens donnent à ce terme. Traiter des sources et d’Internet c’est donc d’abord évoquer, du point de vue de l’historien, les caractéristiques des données numériques. D’autre part, du sens que nous donnons au mot source découle qu’aucun historien n’a jamais trouvé de sources sur le réseau, ni n’en trouvera. Cette attente, fréquemment exprimée par des étudiants, et forcément déçue, repose sur l’oubli d’une dimension fondamentale du travail de l’historien. La collection de sources mobilisée par une étude historique est le produit d’un travail – nécessitant de solides compétences et une bonne connaissance de son matériau – de sélection, de validation et de classement de documents, et nous prenons ce dernier terme dans un sens très large qui englobe toute trace matérielle d’une activité humaine dont l’historien entreprend l’étude. La source donc doit être construite et non trouvée, et ce travail exige un temps et une culture professionnelle que jamais un réseau ne saurait abolir, même s’il transforme certaines des propriétés de cette durée et exige certaines compétences spécifiques. Notons de plus qu’une telle définition exclut de fait les bases de données documentaires complexes dont les notices incorporent des informations puisées à plusieurs sources primaires, tels les répertoires prosopographiques qui fleurissent aujourd’hui sur Internet, que nous assimilons, par convention, à des éléments de bibliographie et non aux matériaux bruts du travail de l’historien, même s’ils peuvent évidemment être utilisés afin de constituer une source.