Quatre lettres inédites de Pierre de Dampmartin (1580)
François Berriot
François Berriot, "Quatre lettres inédites de Pierre de Dampmartin (1580)", dans Bulletin de l’Association d’études sur l’humanisme, la réforme et la renaissance, année 1988, volume 27, numéro 27, p. 41-49.
Extrait de l’article
On a récemment attiré l’attention des spécialistes du XVIe siècle sur la Connoissance et merveilles du monde et de l’homme de Pierre de Dampmartin, humaniste dont les biographes semblent avoir surtout retenu le rôle d’actif conseiller de François d’Alençon dans les Pays-Bas, puis de gouverneur sénéchal de Montpellier entre 1585 et 1600. L’œuvre littéraire de Dampmartin - outre le très beau traité de la Connoissance, effectivement marqué par la lecture de Plutarque et Montaigne - ne manque cependant pas d’intérêt. Ainsi l’Amiable accusation, inspirée par la théorie du "mutuel devoir du Prince et des sujets", constitue un plaidoyer passionné en faveur de la réconciliation des citoyens et des classes sociales : elle exalte la tolérance religieuse, affirmant qu’il n’appartient pas aux hommes de séparer l’ivraie du froment ; elle opte pour la monarchie héréditaire et rend hommage à l’action de Catherine qui a prouvé, par sa régence, que les femmes ne doivent pas être exclues des "affaires". A l’occasion, l’auteur ne craint pas d’affirmer ses préoccupations d’intellectuel : il avoue être de ceux qui, par "leur étude", ont "entreveu l’image de la raison" et s’il rédige son livre, c’est bien entendu pour obéir aux vœux de Pibrac, son dédicataire, mais aussi parce que l’écriture lui permet d’approfondir ses propres analyses, "non seulement en discourant à part soy, ains en escrivant, qui est une manière de sonder et toucher le mal jusques au vif". De même, le Bonheur de la cour et vraye félicité du monde mérite une réédition, élaborée sur le texte de 1592 que Charles Sorel, au XVIIe siècle, transcrivit malencontreusement en "meilleur langage" ; ce livre original, en effet, prend prétexte d’une discussion entre gentilshommes proches du Duc d’Alençon pour évoquer les querelles religieuses et politiques du XVIe siècle, la nature du pouvoir monarchique, les luttes internes à l’aristocratie et l’ascension de la bourgeoisie ; la définition des "vertus", de la "félicité" et surtout du "courtisan parfaict, lequel on peut aussi appeler l’Honneste homme de la cour", est formulée à l’aide d’exemples contemporains et aussi de personnages phares, puisés, le plus souvent, dans les Vies de Plutarque : ainsi Alexandre, Caton, Brutus, Auguste, Perseus, Paul-Emile, César, Léonidas se dressent, au hasard des pages, face à Henri III, Coligny, Condé, Strozzi, Thomas More. Enfin les Vies de cinquante personnes illustres ont été négligées à tort par l’histoire littéraire : composées par un homme avancé en âge, elles témoignent d’une grande science et d’une vaste réflexion, nourries par l’expérience de toute une vie et la fréquentation de Plutarque, lu dans la traduction de Jacques Amyot dont Dampmartin semble souvent pasticher la prose ample et nombreuse si finement étudiée par Robert Aulotte. Les Vies de Dampmartin choisissent donc d’éviter "l’artifice fascheux" des modernes, ces "clauses coupées" ou ces "oppositions" qui heurtent la nature : "pour le style et le langage", indique lui-même l’auteur, "j’ay suivi mon naturel qui n’aime rien de contraint et fuit l’apparence (mais) ne rejette pas l’ornement des figures et mots choisis ou signifians". A "Messieurs des Estats generaus du Pays de Languedoc", et surtout au Roi, elles proposent le tableau moral et politique de l’histoire universelle - les monarchies "depuis Octavien le Juste à Henry Quatriesme" et "la condition de l’Eglise entre tant de mutations" - ainsi qu’une méditation sur "les préceptes des philosophes et hommes expérimentez en affaires", et se concluent, tout naturellement, par une "louange de la Providence divine".