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Bernard Hours : La Vertu et le secret. Le dauphin, fils de Louis XV

Stanis Perez

Comment citer cette publication :
Stanis Perez, "Bernard Hours, La Vertu et le secret. Le dauphin, fils de Louis XV", Paris, Cour de France.fr, 2013 (https://cour-de-france.fr/article2842.html). Compte rendu publié le 1er juillet 2012.

Bernard Hours, La Vertu et le secret. Le dauphin, fils de Louis XV, Paris, Honoré Champion, 2006, 408 pages, 44 €.

Parlant du fils de Louis XV, Michelet écrivait : « [il était] mal né physiquement, mal conformé, comme sont les enfants conçus en dépit de l’amour, produits hétéroclites d’unions répulsives. Il grandit, il grossit, lourd, bizarre, discordant, entrevoyant parfois sa fatalité très mauvaise (…). Là parut un esprit très faux, un sot subtil qui, dans la main des fourbes, eût pu aller très loin et faire regretter son père même [1]. »
C’est à ce personnage mal jugé car mal connu que s’est intéressé Bernard Hours dans une publication où l’érudition n’a d’égale que l’originalité. De prime abord, le lecteur s’attend à une biographie classique, établie sur un plan chronologique et destinée à mettre en lumière les principaux épisodes d’une vie pas comme les autres. Or, il n’en est rien. L’exercice auquel s’est livré l’auteur est plus complexe, plus séduisant aussi. À partir de l’image léguée par les principales biographies consacrées au fils du « Bien aimé » - l’abbé Proyart en 1777 [2] et le père Griffet [3] la même année – l’historien s’est attelé à une tâche bien utile en histoire : la déconstruction des idées reçues et la restauration des portraits empâtés et noircis par l’accumulation de vernis successifs. L’image du Dauphin aurait donc subi les ravages du temps et une trop grande bienveillance historiographique à l’égard de visions tout simplement partisanes. Il était temps de revisiter cette vie dont tout ou presque restait à découvrir loin des accusations de bigoterie curiale et d’obscurantisme bourbonien qui ont été portées par les épigones du grand Michelet.
En fait, comme le montre très bien l’auteur, l’image du Dauphin s’est bâtie à partir d’une hagiographie minée par les affrontements idéologiques du 19e siècle. Le prétendu « chef » des dévots a fait les frais d’une critique lui imputant, entre autres choses, la responsabilité de la mauvaise éducation politique de Louis XVI. C’est pour sortir de cette logique du procès historique douteux que Hours a réuni une documentation très riche et très utile pour faire la part entre le vrai et le faux ou, pour dire mieux, entre le probable et l’improbable. Dès lors, il a fait le pari d’une approche thématique en insistant sur la religion du prince, sur son action politique, son entourage, son rôle dans l’expulsion des Jésuites ou encore ses lectures et son positionnement par rapport aux grands débats intellectuels de son temps.
Il apparaît que le Dauphin n’appartenait à aucune « faction » clairement établie et qu’il ne dirigeait aucun véritable « parti ». Son goût pour la liturgie, l’inspiration salésienne de sa dévotion et son intérêt pour le culte du Sacré-Cœur ne suffisent pas à le classer parmi les grands « fanatiques » de son temps, même si sa position à l’égard des jansénistes et des protestants manque de clarté. Quand il entre au conseil des dépêches, en octobre 1750, il accomplit son éducation politique, une expérience qui lui sera très profitable au moment de l’attentat de Damiens, véritable épiphanie de son rôle politique dans la gestion des affaires du royaume. Si son entrée au Conseil d’État en 1757 lui attire les sarcasmes du marquis d’Argenson, ce dernier se ravise dès le lendemain de l’événement en soulignant, dans ses mémoires, une intelligence, une éloquence et une dignité qu’on ne lui connaissait pas. Lors de la suppression de la Compagnie de Jésus, le Dauphin semble plus inquiet de l’empire croissant des parlements que de l’expulsion des Jésuites parce qu’il en allait de l’intérêt de la monarchie elle-même. À sa mort, Voltaire et Diderot se sont montrés plutôt bienveillants à son endroit en refusant de voir en lui un intolérant notoire. Quant à sa bibliothèque, elle correspond aux goûts de son époque, ni plus, ni moins, alors qu’il est difficile de connaître le détail de ses conceptions en matière d’exercice du pouvoir (en toute prudence, les deux biographes du 18e siècle s’en sont tenus aux poncifs de l’absolutisme). Son rôle dans l’interdiction de l’Esprit d’Helvétius reste également à déterminer.
Si le ton de l’ouvrage est juste, si la richesse de la documentation force le respect, on regrettera que l’idée de départ de cet essai, à savoir la déconstruction historique et biographique des critiques adressées au Dauphin, n’ait pas occupé une place plus important. En effet, l’image en positif ou en négatif du fils de Louis XV a été dupliquée de génération en génération. Or, c’est peut-être ce processus qui aurait pu servir de fil directeur au travail. Reléguée dans l’introduction et surtout dans la conclusion, cette exploration historiographique donne un aperçu passionnant de la manière d’écrire l’histoire d’un personnage toujours difficile à cerner. Dès le départ, son portrait est faussé par le ton encomiastique de l’abbé Proyart qui signe une biographie glorieuse. Précisément, le point de départ du problème se situe du vivant du Dauphin, à partir du moment où la propagande officielle et ses divers relais ont débuté leur travail de fabrication d’une image officiellement vertueuse. La figure du Dauphin dans les représentations et les textes de circonstance aurait pu être étudiée de façon plus systématique puisque c’est à partir d’elle que tous les historiens ont conçu leur point de vue. En outre, le travail apologétique de Proyart pose une question de fond : la qualité de prince idéal qui est attribuée au Dauphin n’est-elle pas une critique en creux du roi lui-même ? L’abbé n’a pas manqué de dresser l’inventaire des vertus d’un homme bon, pieux et miséricordieux au sein d’un environnement moins brillant : « Une aimable retenue s’annonçait dans tout son extérieur, et l’on eût dit que la Pudeur le conduisoit elle-même comme par la main, à travers les écueils d’une Cour voluptueuse : rien ne fut capable d’entamer sa vertu [4]. » Ce passage important donne l’impression que derrière ce portrait flatteur se cache une critique de la Cour de Louis XV et des scandales qui l’ont entouré. En l’occurrence, les biographes « officiels » ont pu tenter de faire diversion face aux critiques s’accumulant sur le roi et son impiété. Quel meilleur instrument de réhabilitation de l’image de la monarchie que cette vie du dauphin, sans taches, ni aspérités ? En effet, c’est à partir de cette première instrumentalisation que tout s’est embrouillé, les contempteurs des membres de la famille royale et de la monarchie ayant pris pour argent comptant un panégyrique destiné à consolider un édifice quelque peu écorné. La plaidoirie des uns a donné la matière au réquisitoire des autres. Tout ce travail de fabrication, de falsification puis de détournement de l’image du Dauphin aurait pu faire l’objet d’un chapitre conforme à l’importance du thème.
Au final, l’ouvrage de Bernard Hours mérite une place de choix parmi les travaux consacrés aux souverains et à leurs proches dans la France moderne. Grâce à son souci constant de la nuance et à la précision de ses informations, l’auteur nous permet maintenant de mieux envisager un individu quelque peu secret dont la biographie critique pourrait servir de modèle à d’autres entreprises du même genre.

Notes

[1Cité par B. Hours dans « Entre tradition et Lumières, l’infortune historiographique d’un prince chrétien : le Dauphin, fils de Louis XV », dans Giuseppe Alberigo (dir.), Homo religiosus. Autour de Jean Delumeau, Paris, Fayard, 1997, p. 476.

[2Liévin-Bonaventure Proyart, Vie du Dauphin, père de Louis XVI, Paris, Berton et Merigot, 1777.

[3Henri Griffet, Mémoires pour servir à l’histoire de Louis, dauphin de France, Paris, Simon, 1777, 2 vol.

[4Abbé Proyart, op. cit., (édition de 1778), p. 279.