La duchesse de Longueville et ses frères pendant la Fronde : de la solidarité fraternelle à l’émancipation féminine
Sophie Vergnes
Vergnes, Sophie. « La duchesse de Longueville et ses frères pendant la Fronde : de la solidarité fraternelle à l’émancipation féminine », Dix-septième siècle, vol. 251, no. 2, 2011, p. 309-332
Extrait de l’article
Les rapports hommes-femmes sont sous l’Ancien Régime profondément inégalitaires puisque les secondes, en passant directement de la tutelle de leur père à celle de leur mari, demeurent leur vie durant sous la domination masculine ; à moins qu’un éventuel veuvage ne les en libère. Le rapport des filles à leurs frères, en revanche, n’est pas aussi clairement défini par la coutume. C’est pourquoi la nature des relations qui s’instaurent entre eux dépend davantage du bon vouloir de chacun et des événements extérieurs susceptibles d’influer sur ces liens. Les femmes peuvent-elles tirer partie de cet espace de liberté relative que constitue la relation frère-sœur pour conquérir des parcelles d’indépendance ? La question revêt une particulière importance dans le cas de l’aristocratie, où la loi salique et les principes qui en sont issus empêchent seuls les femmes d’hériter, de gouverner et plus généralement d’accéder au même degré d’autonomie et de responsabilité que les hommes. L’opportunité d’émancipation semble d’autant plus grande pendant les périodes de régence, puisque le fait que le pouvoir soit alors incarné par une femme contribue à la fois à légitimer cette autonomisation du féminin et à affaiblir l’autorité politique qui garantit le fonctionnement normal et inégalitaire de la société. Il est donc intéressant de conjuguer la problématique du lien fraternel et celle du genre dans le contexte de la Fronde. Parmi les personnalités féminines qui y ont participé, une grande partie y est parvenue en s’inscrivant, notamment ou exclusivement, dans le cadre de la relation fraternelle. Mlle de Bouillon devient ainsi le truchement du duc du même nom et de leur frère le maréchal de Turenne vis-à-vis du cardinal Mazarin, la duchesse d’Orléans négocie à plusieurs reprises pour son frère le duc Charles IV de Lorraine, Mme de Longueville, surtout, semble choisir et légitimer ses positions frondeuses successives en fonction de celles de ses frères, les princes de Condé et de Conti. Il s’agira donc d’évaluer les enjeux politiques de cette relation telle qu’elle évolue depuis son entrée dans la Fronde en 1648 jusqu’à son ralliement final à l’autorité royale en 1653.