Le monde comme représentation
Roger Chartier
Roger Chartier, " Le monde comme représentation", dans Annales, année 1989, vol. 44, n° 6, p. 1505-1520.
Extrait de l’article
L’éditorial du printemps 1988 des Annales appelle les historiens à une
réflexion commune à partir d’un double constat. D’une part, il affirme l’existence d’une « crise générale des sciences sociales », repérable dans l’abandon
des systèmes globaux d’interprétation, de ces « paradigmes dominants »
qu’avaient été, un temps, le structuralisme ou le marxisme, comme dans le rejet
proclamé des idéologies qui avaient porté leur succès (entendons l’adhésion à
un modèle de transformation radicale, socialiste, des sociétés occidentales capitalistes et libérales).
D’autre part, le texte n’applique pas à l’histoire l’intégralité
d’un tel diagnostic puisqu’il conclut : « Le moment ne nous paraît pas venu
d’une crise de l’histoire dont certains acceptent, trop commodément,
l’hypothèse ». L’histoire est donc vue comme une discipline encore saine et
vigoureuse, et pourtant traversée d’incertitudes dues à l’épuisement de ses
alliances traditionnelles (avec la géographie, l’ethnologie, la sociologie) et à
l’effacement des techniques de traitement comme des modes d’intelligibilité qui
donnaient unité à ses objets et à ses démarches. L’état d’indécision qui la caractérise aujourd’hui serait donc comme le revers même d’une vitalité qui, de
manière libre et désordonnée, multiplie les chantiers, les expériences, les rencontres.