Les représentations françaises de Marie Stuart : une idéalisation efficace au service du pouvoir royal
Charlotte Rousset
Comment citer cette publication :
Charlotte Rousset, Les représentations françaises de Marie Stuart : une idéalisation efficace au service du pouvoir royal, Paris, Cour de France.fr, 2015 (https://cour-de-france.fr/article3890.html). Article inédit mis en ligne le 1er novembre 2015.
Introduction
La France et l’Écosse sont alliées depuis le règne de Charlemagne [1], mais c’est en 1538 que cette alliance se concrétise avec le mariage de Marie de Guise, fille de Claude de Lorraine et d’Antoinette de Bourbon, et de Jacques V d’Écosse, membre de la dynastie des Stuart. De cette union naît Marie Stuart, le 8 décembre 1542 à Stirling. Orpheline de père à une semaine, elle est sacrée reine d’Écosse à un an. En 1547, elle est promise au dauphin de France, François, fils de Catherine de Médicis et d’Henri II, âgé de deux ans de moins qu’elle. Elle arrive en France à six ans, en 1548. À la cour des Valois, Henri II ordonne qu’elle soit élevée avec ses propres enfants. Ainsi, elle reçoit une véritable éducation à la française (danse, théâtre, lecture, poésie, mode vestimentaire et enseignement de la philosophie). Son mariage avec François de France a lieu le 24 avril 1558 et Henri II obtient de Marie la transmission de tous ses droits sur l’Écosse à la maison royale de France, dans le cas où elle mourrait sans héritiers. Mortellement blessé le 10 juillet 1559 par Gabriel de Montgomery lors d’un tournoi, Henri II laisse le trône à son fils François et la cérémonie du sacre a lieu à Reims, le 18 octobre 1559. De santé fragile, le jeune François II meurt le 5 décembre 1560 après seulement dix-sept mois de règne. Devenue veuve, Marie est contrainte de retourner en Écosse où elle se remarie en 1565 avec Henri Stuart Lord Darnley, dont elle aura le futur Jacques Ier d’Angleterre. Darnley meurt assassiné en 1567 et Marie est accusée du meurtre avec pour complice James Hepburn Lord Bothwell qu’elle épouse quelques mois après le décès de son mari. Forcée d’abdiquer, elle fuit en Angleterre où, à partir de 1568, Elisabeth Ière la fait emprisonner, l’empêchant ainsi d’accéder au trône qu’elle revendique. Après dix-neuf ans d’emprisonnement, Marie est décapitée à Fotheringay, le 8 février 1587. Enterrée d’abord à Peterborough, son fils Jacques Ier fera mettre sa dépouille dans un tombeau érigé pour elle à Westminster Abbey en 1606.
La présente étude se limite aux représentations françaises de Marie Stuart réalisées lors de son vivant, avant qu’elle ne devienne un personnage légendaire de reine martyre au destin tragique, symbole de l’héroïsme féminin, que ce soit en peinture, en poésie, ou même dans plusieurs pièces de théâtre, de la tragédie d’Antoine de Montchrestien, à Friedrich Schiller, Walter Scott et Dumas au XIXe siècle. On ne compte pas non plus le nombre de biographies sur elle, transformant sa vie en une dramatique épopée dont elle serait l’héroïne [2]. Or nous souhaitons étudier son personnage et la manière de le représenter en rapport avec son contexte temporel, géographique et politique. Les seules représentations de Marie Stuart réalisées avant son arrivée en France sont des pièces de monnaie très mal conservées qui présentent en elles-mêmes peu d’intérêt (fig. 1 a). Lionel Cust [3] confirme en effet qu’il n’existe aucun portrait connu de Marie Stuart exécuté en Écosse et que ces monnaies, très abimées par le temps, présentent « un visage de bébé rond » [4] ne montrant aucune ressemblance particulière avec Marie. Il existe par contre en Écosse quelques monnaies de Marie, mais elles ont été frappées en France par John Acheson, « tailleur de la monnaie d’Escosse » [5], pour être envoyées et diffusées dans le pays natal de la petite fille. Elles n’offrent guère plus de ressemblance avec Marie (fig. 1 b et fig. 1 c).
Arrivée dans une cour où l’art du portrait est fortement développé contrairement à son pays natal, Marie s’adapte très bien à la société française, et les portraits de François Clouet et de Germain Le Mannier lui confèrent le statut de princesse de France ainsi que de mère potentielle d’un héritier pour la couronne. Ces dessins sont la preuve visuelle de son intégration à la cour des Valois. Clouet et Le Mannier ont été les seuls à représenter la reine de son vivant en France ; Pierre Oudry, brodeur de la reine, et Nicholas Hilliard, orfèvre et miniaturiste anglais, les seuls à l’avoir portraiturée en Angleterre.
Mais, si comme les autres princesses de France, Marie Stuart est régulièrement portraiturée, il convient de se demander si les artistes prennent en considération ses origines écossaises. Ces portraits contiennent-ils des allusions à son Écosse natale ou bien omettent-ils totalement ce qui pourrait rappeler ce pays ? Comment les portraits de Clouet et de Le Mannier illustrent-ils le devoir qu’elle doit assumer, celui de reine de France ? Travailler sur les portraits de Clouet, œuvres qui caractérisent pour ainsi dire le genre du portrait en France au XVIe siècle, c’est s’intéresser à l’importance accordée à la fonction de reconnaissance ; reconnaissance au sens d’identification et reconnaissance au sens d’acceptation du statut social, fonction essentielle de ces portraits. Il convient alors de réfléchir à ce terme de « reconnaissance » quand il s’agit d’une future reine de France dont le statut semble être à l’évidence « reconnu ». Ainsi, il faut prendre en compte l’enjeu fondamental des apparences à la cour de France au XVIe siècle.
Époque « pleine de visages » [6], où l’on s’intéresse à l’aspect individuel des êtres, le XVIe siècle est aussi la période d’un changement de mentalité sur l’enfant qui commence, comme l’adulte, à être pris pleinement en considération pour ce qu’il est. Comment peut-on alors expliquer dans ce contexte l’ambivalence du statut de l’enfant qu’est Marie, future adulte certes, mais surtout, future reine de France ? Étudier les représentations de Marie Stuart exécutées en France de son vivant permet de voir le positionnement de son entourage par rapport à ses origines étrangères. Le contexte du XVIe siècle permet de comprendre comment et pourquoi sa famille à la cour de France s’approprie véritablement son identité. L’art de la représentation montre-t-il son intégration à la cour des Valois ? Comment expliquer le paradoxe du portrait qui se doit d’être reconnaissable et qui fait parfois preuve pourtant d’une idéalisation de Marie Stuart ?
À l’étude des portraits, s’ajoute celle de poèmes qui, eux aussi, sont de véritables miroirs de la personne pour laquelle ils sont composés. Sous l’influence du pétrarquisme et d’écrits poétiques sur le portrait qui se développent dans l’Italie du Quattrocento, les poètes français du XVIe siècle apportent une « nouvelle floraison poétique qui concourt à faire du portrait une œuvre d’art à part entière » [7]. Au XVIe siècle, les différentes formes d’art sont donc particulièrement liées (pensons par exemple au poète Jodelle qui établit aussi des décors éphémères, à Ronsard qui célèbre le peintre François Clouet et va jusqu’à lui demander des portraits de Cassandre [8], ou encore à Baïf qui compose un poème sur un portrait réalisé par le peintre Nicolas Denisot [9]). Etienne Jollet écrit d’ailleurs que les poètes sont « fasciné[s] par la capacité de l’artiste à susciter la vie à l’aide de ses pinceaux » [10]. Notons d’ailleurs que les poètes de la Pléiade ont tous suivi un enseignement riche dans le domaine des arts (peinture, sculpture, architecture) au collège du Coqueret sous la direction de Jean Dorat.
Le XVIe siècle est aussi l’époque des préoccupations intellectuelles portées sur le paraître, d’où l’importance donnée au costume. En effet, le vêtement occupe « un rôle important dans la critique du courtisan, mais aussi dans la définition du bon prince qui doit se montrer simple dans son comportement et sa vêture. » [11]. Il est donc intéressant d’analyser la manière de représenter le corps humain selon les nouveaux courants de pensée humaniste du XVIe siècle français et la manière de le mettre en scène avec la pose et les costumes qu’il revêt [12]. Comment ces nouvelles préoccupations sur l’apparence et le paraître peuvent-elles être mises en relation avec les représentations de Marie Stuart ? Comment une situation personnelle, un sentiment intérieur, peuvent-ils exprimer et renvoyer à ce qu’Etienne Jollet propose d’appeler « l’extériorisation de soi » [13] ? Nous verrons que cette « intériorité » est chantée par un poème de Jean-Antoine de Baïf ce qui peut évoquer une habile mise en scène de la tristesse, tristesse mise également en scène dans les portraits qui représentent Marie Stuart en deuil à la mort de François II en 1560, voire exploitée à des fins politiques.
Portraits mimétiques et portraits littéraires se répondent et se combinent pour fabriquer une vraie mise en scène de Marie Stuart. Grâce à une véritable rhétorique silencieuse convaincante et efficace, ils dressent le portrait d’un personnage dont le corps appartient à la couronne. Il s’agira de repenser ce corps selon la vision que son époque a sur lui et de voir par quels procédés les artistes font des représentations de Marie Stuart, un outil au service de la propagande monarchique, répondant aux volontés politiques du royaume.
De la petite fille écossaise « la plus jolie et meilleure de son âge » à la « reine de beauté » française
Qu’elle soit du domaine plastique ou poétique, la culture artistique française participe à l’éducation de la jeune dauphine qu’est Marie, mais, surtout, à la construction de son identité à mesure que les années avancent et que son devoir de reine et de mère potentielle du prochain héritier de la couronne se précise. Ces portraits illustrent l’ambivalence et le paradoxe de la définition même du portrait, dont la fonction première est d’être un « pour trait » du modèle, soit une représentation de ses traits physiques la plus fidèle possible, mais qui peut être aussi une image idéalisée. Son statut à la cour explique cette dualité entre fidélité et idéalisation, et nous allons voir comment l’art du portrait met en scène Marie dans le but de la « façonner » véritablement à la française, mais également de glorifier le royaume de France.
La construction d’une identité dans les portraits d’enfance
Comme l’écrivent Andrew Lang [14] et Alexandra Zvereva [15], c’est à la demande de Catherine de Médicis que François Clouet a dessiné Marie Stuart, entre 1549-1550 (fig. 2). Les portraits de Jean Clouet puis ceux de son fils François, sont caractérisés par une figure cadrée à mi-buste sur un fond presque toujours uni et par une attention portée sur le visage du sujet dont le regard fixe le spectateur (fig. 3 a) ou le lointain (fig. 3 b). Le costume du modèle n’est qu’esquissé et ses mains ne sont pas systématiquement représentées. Ces caractéristiques, qui appartiennent à tous les portraits de Clouet, sont regroupées par les historiens de l’art sous le terme de « formule Clouet » [16] ; formule qui, pour ainsi dire, définit explicitement le portrait français du XVIe siècle et qui reste stable pendant des décennies. Servant souvent d’esquisses pour des portraits peints [17], ces dessins présentent la même typologie, mais sont tous différents et individualisés puisque l’artiste donne une expression de visage personnelle à chacun de ses modèles, ce sont de véritables « portraits au singulier » [18]. On connait peu de choses sur la vie de François Clouet, mais on sait qu’à l’époque de ce portrait de Marie, il est au sommet de la hiérarchie des artistes pensionnés à la cour de France [19].
Ce dessin de 1549-50 est le premier portrait français connu de la reine d’Écosse. Cette commande faite au peintre officiel de la cour confirme donc bien le rôle de « bulletin de santé » [20] qu’ont ces crayons. En effet, ces derniers participent à un vaste échange d’information par leur rapidité d’exécution, leur technique peu coûteuse et leur envoi facile. Ils saisissent les traits du portraituré sur le vif et rendent compte de son état physique à un moment précis, c’est bien un « portrait au présent » selon l’expression d’Etienne Jollet [21]. Ainsi, le spectateur devine dans quel état de santé se trouve le portraituré. Santé dont l’enjeu est d’ailleurs primordial comme en témoignent les lettres échangées entre le Cardinal de Lorraine et Anne de Guise [22]. Les correspondances des proches de Marie Stuart rendent compte de l’attention portée au moindre de ses maux, à ce qu’elle mange, à ses attitudes et à son développement physique. Catherine de Médicis se renseigne précisément sur sa santé, comme elle s’était préoccupée de celle de sa fille aînée Élisabeth de Valois, mariée à Philippe II d’Espagne. Comme l’explique Sylvène Edouard [23], le corps d’une reine doit refléter sa capacité à gouverner, mais aussi à enfanter ; cela passe donc par un corps sain. C’est en étant en bonne santé que la future souveraine qu’est Marie pourra assurer ses responsabilités politiques. Ses qualités physiques sont essentielles et contribuent à affirmer la supériorité et l’exception de son corps politique bientôt royal [24].
Coiffée d’un simple bonnet-chaperon, la petite fille a dans ce portrait une pose naturelle. Peut-être s’agit-il d’une touche de timidité, celle qui « colore agréablement le visage » [25] ? Érasme prône d’ailleurs la modestie de la part des enfants nobles et le « bon naturel » [26] d’un enfant se trahit principalement sur le visage, d’où la focalisation opérée sur celui-ci dans ce dessin.
Daté de 1552, le premier portrait où figure le nom de Marie Stuart est celui de Germain Le Mannier, peintre de cour depuis 1537 [27] (fig. 4). L’inscription « Marie royne descosse en leage de neuf ans et six mois lan 1552 au mois de juillet » précise l’âge de la dauphine, vêtue d’un corps piqué couvert d’une basquine et d’un corsage décoré. Sa coiffure est plus luxueuse que celle du premier portrait : Marie porte un tambourin orné de perles bleues et rouges ainsi que des perles de même couleur à ses oreilles et à son cou. Toutefois, bien que plus récent, ce n’est pas ce portrait qui fut retenu pour établir l’image officielle de la reine. Clouet a repris son crayon de 1549-1550 pour réaliser le dernier portrait véritablement enfantin de Marie vers 1554-1555 (fig. 5). Un portrait d’enfant était considéré comme périmé au bout d’un an ou deux [28], ce qui explique ces représentations à quelques années d’intervalles. Si ces portraits sont un moyen d’apporter des renseignements sur l’état de santé du portraituré [29], ils ont aussi une valeur affective. Ces crayons sont en effet un moyen de se souvenir de la personne représentée, d’avoir sur soi une image de l’être aimé absent et ainsi de le rendre présent [30]. Catherine de Médicis demande d’ailleurs souvent des portraits de ses enfants [31] tout comme la mère de Marie, Anne de Guise Régente d’Écosse, à qui on envoie régulièrement des portraits de sa fille [32]. Mais le point sur lequel nous voulons nous attarder est ce qu’ils apportent sur la reconnaissance du statut de Marie Stuart.
Simples ébauches ou images officielles, ces portraits permettent de montrer la personnalité de Marie par le costume qu’elle revêt et par l’expression de son visage. On voit ainsi comment elle est représentée, au fur et à mesure que les années passent et qu’elle avance en âge. En effet, ces portraits enfantins présentent un double enjeu pour l’artiste : celui, d’une part, de savoir représenter l’enfant en tant qu’enfant, avec la légèreté et la rondeur des traits propres à son âge, mais aussi, d’autre part, de savoir représenter l’enfant comme futur adulte royal, avec la dignité et la majesté qu’impose son rang [33]. Malgré l’émergence à la Renaissance de ce que Philippe Ariès nomme le « sentiment de l’enfance » [34], de la reconnaissance progressive de « l’individualisation » de l’enfant, Marie a un statut à part : la future reine n’est pas une jeune fille ordinaire et son corps l’est encore moins. Même si le XVIe siècle est l’époque où l’enfant commence à être individualisé, pris en considération en tant qu’être, représenté suivant le caractère propre à l’enfance et ses traits enfantins, l’artiste semble, ou peut-être même doit, faire abstraction de ce changement de mentalité sur l’enfant puisqu’en tant qu’enfant royal, Marie doit être représentée grave et solennelle. Son corps est déjà et avant tout, un corps politique.
Bien que réalisés à quelques années de distance, ces dessins à l’apparente simplicité montrent que les costumes et l’attitude générale de la jeune dauphine changent et se transforment. Ils permettent de suivre l’évolution physique de Marie tout au long de sa croissance et ces portraits ont l’avantage d’établir une sorte de « biographie imagée » du modèle [35]. Ces changements extérieurs témoignent d’un changement psychologique de la petite fille, mais, surtout, d’un changement politique par ce qu’on attend d’elle. Avec ces portraits, son statut social est affirmé et sa place politique est officiellement reconnue [36]. Etienne Jollet explique d’ailleurs que le portrait permet au portraituré de se faire reconnaître socialement par tous [37]. Ainsi, le fait même que Marie se fasse représenter montre son appartenance à la famille royale.
Si nous avons souligné la pose naturelle dans la représentation où Marie est la plus jeune, on remarque dans le portrait de Le Mannier réalisé environ trois ans après, que la jeune dauphine se tient plus droite, avec un regard grave. De ce portrait émane une certaine solennité ; mais dans quel but ? Premièrement, la jeune fille doit montrer la bonne éducation dont l’apprentissage lui a pris plusieurs mois. Comme le raconte Brantôme, la jeune princesse connait le latin, étudie plusieurs heures par jour et apprend les sciences [38]. Son oncle, le Cardinal de Lorraine, confirme son érudition [39]. Le spectateur doit pouvoir deviner en regardant sa façon de se tenir qu’elle sait pratiquer les activités liées à son rang comme la danse [40], domaine dans lequel elle est experte [41]. Elle doit prouver sa capacité à remplir le rôle qui l’attend : celui de future reine de France. Elle se doit de représenter la culture de son pays. De plus, ses origines sont étrangères, la crédibilité qu’elle doit obtenir est donc double : c’est la fonction de reine qu’elle doit prendre au sérieux, mais la fonction de reine française. À ce propos, soulignons d’ailleurs le fait que la jeune Marie est représentée exactement de la même façon qu’une princesse française de naissance (Élisabeth de Valois (fig. 6 a) ou Marguerite de France (fig. 6 b) par exemple). Il est donc possible d’en déduire une certaine appropriation identitaire de la part des artistes et de sa famille à la cour. Bien que d’origine écossaise, ce pays à la langue « fort rurale, barbare, mal sonnante » et où les Écossais sont habillés « à la sauvage » comme l’affirme Brantôme [42], Marie a su acquérir les grâces et les valeurs de la cour française, la langue y compris [43]. Dans ces portraits en effet, rien ne fait allusion à son pays natal, et Brantôme souligne le fait qu’elle parle le français « mieux que si dans la France mesme [elle] eust pris sa naissance. » [44]. Grâce à l’utilisation de la « formule Clouet » qui est la typologie française par excellence du portrait au XVIe siècle, des costumes typiquement français comme le bonnet-chaperon que revêt Marie, de sa pose identique à celle de toutes les princesses françaises de naissance et l’apprentissage de la culture française qu’elle suit, l’entourage de la petite fille lui fabrique une identité nationale. Arrivée d’Écosse à l’âge de six ans, Marie est véritablement construite et façonnée dans le but de devenir une reine française et la volonté de supprimer tout rappel à son pays natal apparaît clairement.
Ces représentations illustrent l’ambivalence du statut de Marie : c’est une enfant dans les traits, mais non dans les attitudes. En elle, tout est déjà royal, tout laisse annoncer son rôle et son statut de reine de France. De petite fille « la plus jolye et meilleure […] de son age » [45], c’est déjà en « reine de beauté » qu’Etienne Jodelle la célèbre en 1558 [46]. C’est le changement politique de son statut qui est mis en évidence dans ces portraits français, le passage de la représentation d’une enfant royale à celui d’une adolescente presque reine.
Les portraits d’adolescence qui annoncent visiblement le mariage de Marie Stuart
Marie Stuart quitte définitivement l’âge de l’enfance dans le nouveau portrait officiel fait quelques mois avant ses noces par Clouet en 1558. L’original est perdu, mais il reste une copie, réalisée la même année par Clouet lui-même [47] (fig. 7). Ce dessin a servi de modèle à deux miniatures, l’une réalisée par François Clouet en 1558 [48] (fig. 8) et l’autre, celle du livre d’Heures de Catherine de Médicis (fig. 13). Nous allons voir comment la première s’inscrit dans une véritable propagande politique qui vise à mettre en place le mariage de Marie avec le dauphin François.
Scellé depuis le 19 avril 1558 par la signature du contrat au Louvre, le mariage entre Marie Stuart et François de France a lieu le 24 avril 1558. Le portrait en miniature date de cette même année, mais, par rapport au dessin, on y voit les mains de Marie paraissant « jouer avec une bague » [49]. Comme on le sait, les attributs concrets renvoient aux qualités du portraituré et à ce que la société attend de lui. Dans le cas des portraits féminins, ils définissent socialement et culturellement le rôle dynastique et procréateur de la femme : la bague que Marie passe à son annulaire droit montre qu’elle va devenir l’épouse légitime du futur roi de France et ainsi, pouvoir donner un héritier au royaume. C’est par Marie que la dynastie des Valois doit perdurer. Tout en faisant le portrait de la dauphine, Clouet insiste sur la bague, clairement mise en évidence. Plusieurs éléments peuvent appuyer l’hypothèse qu’il s’agit d’une alliance : d’une part, l’année d’exécution de ce portrait en miniature coïncide avec celle du mariage, d’autre part, la jeune princesse est en train de la passer à son doigt ce qui nous mène bien à penser que le mariage est proche. Nous pouvons donc émettre l’hypothèse qu’il s’agit d’une bague mani in fede ou bague de foi [50]. Bijou au symbolisme fort, il officialise et signifie l’engagement du couple. Une comparaison avec la bague de foi gravée par Pierre Woeiriot en 1561 [51] (fig. 9), presque à la même époque que ce portrait, montre en effet une certaine ressemblance avec la bague de Marie. Enfin, au XVIe siècle, l’alliance se met à la main droite tout comme la jeune dauphine le fait dans ce portrait ; nous pouvons ainsi en déduire que les noces n’ont pas encore été célébrées : cette miniature annonce donc bien le futur mariage.
La proximité de la figure obtenue par un cadrage serré, le choix d’un costume contemporain, une expression trahissant un état psychologique déterminé, une technique extrêmement minutieuse, tendent à inscrire la figure dans un repérage spatio-temporel identique à celui du spectateur. Cette temporalité de la représentation, cet ancrage dans l’espace et le temps du moment, est caractéristique de la « formule Clouet ». Réduit à un fond uni et rapproché, l’espace de représentation est peu perceptible ; la figure est d’autant mieux intégrée dans celui du spectateur. Le mouvement donne l’impression que le tableau a été peint sur le vif et l’image semble ainsi s’animer, permettant une plus importante intersession avec le spectateur [52]. De plus, la présence des mains au premier plan introduit une dimension intermédiaire dans le rapport au vivant. Cette miniature revêt ainsi des valeurs qu’Etienne Jollet propose d’appeler « quasi-iconiques » [53], l’icône étant le signe de la présence réelle de l’être qu’il représente. Avec un portrait, la personne représentée se manifeste et la puissance qui émane d’elle fascine le spectateur et lui impose un sentiment révérencieux. Comme l’ont en effet démontré David Freedberg et Hans Belting, l’être humain est stimulé par les peintures et les images. Il régit devant elles et elles provoquent chez lui une émotion. L’image est donc efficace, elle fait réagir, et se remettre dans le contexte de l’époque permet de comprendre comment le spectateur a réagi face à cette représentation de Marie [54].
Le rapport étroit de ce portrait de Marie avec le spectateur amène à s’interroger sur l’identité inconnue du propriétaire de cette miniature, « petit portrait ardemment aimé » [55]. À qui était destinée cette représentation de la princesse ? Contrairement au grand portrait exposé et admiré, la miniature relève de la sphère privée, elle est réservée aux intimes, c’est le portrait « que l’on garde près de soi » [56]. Un véritable « dialogue » s’instaure entre le portraituré et celui qui le contemple, un « lien » unit le regardeur au modèle ; la miniature est « messagère de sentiments » [57] . Très en vogue au seizième siècle dans les cours européennes [58], elle ne peut être regardée que par un cercle très proche du propriétaire qui la porte sur lui (sur un chapeau, une ceinture, un bijou par exemple fig. 10 a), ou l’insère dans un livre (le plus souvent un livre d’Heures fig. 10 b). Peut-être était-ce le cas pour la miniature représentant Marie ? Nous connaissons également d’autres portraits de ce même type offerts en cadeau à des familiers du modèle (fig. 10 c). En effet, la miniature est exécutée ponctuellement et de manière officielle. Au moment des fiançailles, « ce sont deux portraits qui sont commandés pour être ensuite échangés, ou au contraire réunis et présentés dans des cadres identiques » [59]. Elle fait donc « partie intégrante du discours amoureux » [60]. Ainsi, il est aussi possible de se demander si, réalisé à l’approche de son mariage, ce portrait de Marie a été offert à son fiancé, le dauphin François. Peut-être a-t-elle été échangée avec une miniature de celui-ci (fig. 11) ? Il est en tout cas certain que le possesseur de cette œuvre de petite taille était proche de la jeune princesse.
Nous remarquons sur le portrait une lumière intense. Trouvant sa source dans la figure elle-même, cette clarté prend une intensité qui isole Marie et met en valeur sa jeunesse et les couleurs éclatantes de cette miniature contribuent au rayonnement de la portraiturée. On remarque une grande délicatesse dans la pose de ses mains. Une attention extrême est aussi portée sur le costume qui devient une véritable « offrande au regard » selon l’expression de Claude-Gilbert Dubois qui démontre comment, « par l’artifice de son habillement » (bustier rigide, corset baleiné, ceinture serrée, bijoux pesants…), la femme n’a plus « un corps de chair », [61] mais un corps de parade, sublimé et magnifié par les éléments d’ornementation qui le couvre. Clouet a soigneusement restitué la soie rose de la robe, la finesse des broderies dorées et l’éclat des perles, que ce soient celles de la coiffure, des bijoux ou du costume. Il a minutieusement représenté la robe soutenue par une vertugade qui marque la taille et élargit les hanches, traitant ainsi le corps de la jeune fille comme celui d’une femme adulte. La texture du col doublé de fourrure est également rendue par l’artiste. Quant à la coiffe intégrant un filet, il s’agit d’un crespino, ou « coquille » en français.
Cette minutie dans les détails et ce modelé utilisé par le peintre accentuent l’aspect de vraisemblance. Commune à de nombreux artistes du XVIe siècle, cette manière de peindre « plus vraie que nature » [62] concorde avec plusieurs écrits de l’époque qui expliquent que seul l’art de la peinture peut traduire la préciosité de chaque tissu et de chaque bijou. Déjà en 1435, Alberti écrivait que « l’ivoire, les joyaux et tous les objets coûteux de ce genre deviennent plus précieux grâce à la main du peintre » [63]. Louis Dimier [64] et Édouard Pommier [65] expliquent aussi la volonté des peintres de se rapprocher au plus près de la réalité. Ce goût pour les détails et l’attention portée aux effets subtils donnent de la vraisemblance et de la sensibilité à l’œuvre [66]. Tous ces éléments d’ornementation sont habilement mis en scène et intentionnellement combinés par l’artiste dans le but de sublimer Marie. De plus, on retrouve certains éléments d’ornementation identiques dans d’autres portraits de princesses françaises (comme en témoigne le portrait d’Élisabeth de Valois de 1559 par exemple fig. 12), ce qui montre que ce portrait de Marie l’inscrit dans la continuité des portraits féminins de la cour d’Henri II.
Si la façon de représenter le costume embellit la portraiturée, elle a aussi une portée politique et culturelle : la délicate posture de ses mains insiste sur la grâce courtoise dont une souveraine doit faire preuve. Son teint pâle, quasi statuaire, la divinise presque et la lumière met en valeur sa jeunesse. Sa pose figée et l’absence d’un seul défaut sur son visage la magnifie et l’idéalise. Cette image officielle de la jeune dauphine devient donc un véritable outil politique. En effet, représentant un personnage à la vocation exceptionnelle, ce portrait de la future reine reflète les vertus idéales que cette dernière doit incarner, mais exprime aussi sa dignité, sa majesté et participe ainsi « à la représentation du pouvoir au sens large, en contribuant à déterminer l’exercice de l’autorité en acte » [67]. Dans ce portrait officiel, il n’est donc pas étonnant que Clouet idéalise la jeune dauphine puisque sa justification à régner doit être reconnue et démontrée aux yeux de tous. L’artiste construit une image efficace, une image prouvant aux spectateurs les qualités physiques et morales idéales de la future reine de France. Les procédés mis en place par le peintre (cadrage serré, costume luxueux, clarté de la carnation) sont employés pour renforcer l’efficacité de cette miniature : manifester, aux yeux de tous, l’importance politique de la future reine de France.
L’utilisation de la « formule Clouet » sert à montrer que Marie est capable d’honorer et de glorifier la couronne de France. Tout en étant relativement proche du spectateur, elle ne le regarde pas, reste digne et impose le respect. On sait d’ailleurs que « dans la représentation du corps, le portrait force le spectateur à un acte d’intercession avec la personne représentée (admiration, respect…) » [68]. Cette miniature fonctionne donc comme un système de célébration de sa personne. Le fait d’être représentée montre son appartenance à la cour royale, affirme son autorité et son pouvoir de future reine puisque le pouvoir du roi passe aussi par la représentation de son image [69]. Son portrait est en effet la manifestation de son pouvoir, sa proclamation : sa représentation est l’accomplissement de sa puissance, elle est son reflet. Excellent média et outil politique, c’est donc, dans ce portrait, le corps physique de Marie Stuart qui est représenté, mais aussi son corps politique de future reine de France.
Portrait de sacre à la gloire du Royaume et beauté philosophique symbole de l’esprit humaniste
Selon Alexandra Zvereva, le dessin de Clouet de 1558 a aussi servi de modèle à la miniature du livre d’Heures de Catherine de Médicis [70] (fig. 13). L’historienne de l’art pense que l’année d’exécution de cette miniature pourrait dater de 1559 et Thierry Crépin-Leblond attribue lui aussi cette date à la miniature [71]. Toutefois, il est difficile de donner l’année exacte de son exécution, car elle fait partie de toute une série de portraits réalisés entre 1559 et 1589, par un artiste inconnu (un peintre français de cour probablement, mais aucune identification n’est avancée avec certitude). Ce livre d’Heures témoigne de la volonté de Catherine de Médicis de créer une sorte d’ « album de famille ». En effet, la reine mère demande des portraits en miniature de ses enfants (même ceux qui n’ont pas vécu [72] fig. 14 a et parfois ceux de ses petits-enfants fig. 14 b et fig. 14 c) qu’elle fait ensuite regrouper dans le livre d’Heures qu’elle porte sur elle, accroché à la ceinture (fig. 14 d). La miniature portée à la ceinture permet ainsi « une proximité physique avec l’image de prédilection. » [73]. Le fait que tous ces portraits de famille soient insérés dans son livre d’Heures personnel illustre leur dimension intime et affective. Catherine peut en effet regarder le visage de ses enfants à chaque fois qu’elle le désire.
Le cadrage de ce double portrait du couple royal est tronqué au niveau du buste des deux souverains. François II est représenté couronné en costume de sacre (manteau bleu fleurdelisé doublé d’hermine), contrairement à Marie qui porte la même robe que celle qu’elle revêt dans la miniature de 1558, réalisée par François Clouet. Ce n’est pas la tenue qu’elle revêtait le jour de son sacre le 18 octobre 1559 puisqu’elle portait le deuil de son beau-père Henri II, mort le 10 juillet de la même année [74]. Néanmoins, elle est aussi parée de la couronne de France. Ce portrait participe à la gloire du Royaume : la jeune reine est représentée avec la couronne qu’elle vient de recevoir des mains de Catherine de Médicis [75]. Ces bijoux sont aussi un symbole ; celui même de la France, « de la continuité de l’État » [76]. Ils représentent le pouvoir et la majesté des deux nouveaux rois. Ici, Marie n’est pas couverte de perles dans un souci excessif d’ostentation, mais revêt des bijoux à la fois pièces d’orfèvrerie remarquables et symbole politique. La position des deux modèles en mains jointes montre clairement l’esprit de cette représentation : il s’agit d’une miniature dans un livre d’Heures et les deux souverains doivent être représentés en bons chrétiens. Rappelons aussi que le mariage chrétien revêt une « dimension spirituelle » qui « assure la pérennité du lien. » [77]. Tout comme dans la miniature, Marie est ici idéalisée par le peintre, les deux monarques ont une attitude plus que solennelle et cela participe véritablement à la « politique royale de l’apparence » [78].
Portrait de sacre à la gloire du royaume, ce portrait est ici doublement efficace : d’une part, comme tout portrait, il rend présente la jeune souveraine ; d’autre part, il renforce son pouvoir qui est exhibé et manifesté. Clouet fixe ici l’image officielle de la jeune souveraine qui pose au côté de son époux, chef religieux et politique de tous ses sujets. Le nouveau monarque est « l’inaugurandus » [79] : la cérémonie de couronnement le sacralise et cette miniature affirme désormais les pleins pouvoirs administratifs dont il dispose. Rappelons que le roi est détenteur de la justice éternelle : « Que Justice jamais ne bouge » [80] . Dans le cadre d’une monarchie chrétienne et fonction royale par excellence, la justice est placée sous le contrôle de Dieu et fait du roi son lieutenant sur terre, « cette protection divine [garantissant] l’infaillibilité du prince » [81]. François revêt le manteau fleurdelisé et les deux nouveaux souverains portent la couronne de France, attribut régalien par excellence. Ici, une focalisation s’opère sur les deux nouveaux rois et constitue une véritable proclamation et affirmation de leur pouvoir absolu. Désormais sacrés, les deux monarques sont révélés dans l’éclat de leur souveraineté et leur sacre les distingue des autres individus du royaume. Marie, au même titre que François, apparaît dans toute sa gloire : en tant que personne royale, « elle participe à la sacralité de la monarchie » [82] à laquelle aucune autre femme du royaume de France ne peut participer. Ce double portrait fait ainsi reconnaitre en public le statut et l’autorité des deux nouveaux rois. Désormais couronnés, cette miniature illustre bien la maxime latine Vivat Rex in aeternum, « Vive le Roi pour l’éternité », établie en 1405 par le théologien Jean Gerson. Elle rappelle que le monarque est l’incarnation de Dieu sur terre et que son pouvoir lui vient du ciel. « Garantie morale et politique » [83] pour le monarque et pour ses sujets, la cérémonie de couronnement est l’avènement d’un règne nouveau. N’oublions pas qu’ici, ce portrait de François et Marie est la représentation visuelle d’une succession légitime où les portraiturés prennent leur place dans une lignée héréditaire [84] : comme Henri II avant lui, François hérite de la couronne, il est le nouveau monarque dont le portrait officiel authentifie « un ‘‘moi’’ dynastique » [85].
Rien n’a changé dans la pose de Marie par rapport à la miniature de 1558. Néanmoins, son menton et ses joues paraissent légèrement plus ronds, ce que nous pouvons peut-être expliquer par la lettre du Cardinal de Lorraine de 1554 qui écrit à Anne de Guise que la jeune fille est gourmande et a tendance à manger avec un peu d’excès [86].
Si la beauté de Marie est un atout, elle est aussi un devoir puisque la beauté corporelle de la reine est un enjeu politique [87]. La reine doit en effet susciter le désir du roi, imposer la dignité due à son rang et rester en bonne santé. La beauté physique de Marie montre donc sa capacité à remplir ses devoirs de souveraine. À cette beauté s’ajoutent les signes d’intelligence avec sa coiffure élaborée et tirée vers le haut laissant ainsi son front clair et dégagé. Un front lisse et haut est le reflet d’un bel esprit à la Renaissance, et les femmes l’exhibent [88]. On peut même penser à Joachim Du Bellay qui évoque dans un sonnet « la majesté [du] front » de Henri II [89]. C’est justement ce même poète qui célèbre Marie dans deux poèmes que nous allons analyser ; représentations littéraires de la jeune reine qui font écho aux portraits picturaux étudiés précédemment.
Deux poèmes de Joachim Du Bellay, ou l’efficacité des figures mythologiques qui portraiturent Marie
Nous venons de le voir, les portraits de Marie Stuart tendent à l’inscrire dans la continuité des portraits français du XVIe siècle et la transforment intégralement en reine de France par les costumes qui l’habillent, les bijoux qui la parent, la pose de son corps et l’expression de son visage. Ce sont aussi les élégies composées pour elle qui illustrent son appartenance au pays qui la couronne. Célébrant sa personne ainsi que le royaume de France, ces poèmes montrent aussi que Marie est représentée selon une tradition poétique typiquement française. Joaquim Du Bellay se transforme en véritable orateur convaincant lorsqu’il portraiture Marie dans deux sonnets de 1558 et 1559.
Si Hercule avait sa langue, Marie a son regard
En 1559, année du sacre, Joachim Du Bellay dédie à Marie Stuart un poème [90] (annexe 1). Le poète commence par célébrer « l’excellence » (v. 1) de Marie, « Princesse » de son Écosse natale que le poète évoque au vers 6 :
Celle, qui est de ceste Isle Princesse,
Qu’au temps passé l’on nommoit Caledon [91].
Il fait ensuite référence au « brandon » de Vénus (v. 7-8), soit la flamme protectrice de l’amour attribuée à la déesse. En effet, les Anciens lui attribuent déjà cette « torche » [92] et Du Bellay s’en inspire. Plus tard, les mythographes Natale Conti et Vincenzo Cartari lui attribuent aussi ce flambeau, car c’est la flamme qui donne la lumière aux nouveaux nés et Vénus, « ayant un flambeau ardant entre les deux mamelles » [93], est « la messagere et porteuse de la lumière aux enfans naissans » [94] (fig. 15). Les poètes de la Renaissance connaissent très bien ces manuels italiens consacrés aux emblèmes et à la mythologie, et ce « brandon » de la déesse fait partie d’une imagerie devenue courante durant le XVIe siècle [95].
À partir du neuvième vers, nous lisons : « Par une chaisne à sa langue attachée / Hercule à soy les peuples attiroit ». Ce vers renvoie à la légende de l’Hercule gaulois racontée par Lucien de Samosate [96] qu’Érasme traduit en latin en 1506 et dont Geoffroy Tory fait la traduction française en 1529. André Alciat reprend le mythe de l’Hercule gaulois dont l’inscription Eloquentia fortudine praestantinor est traduite en français en 1536 par Jean Le Fèvre sous la forme « Éloquence vault mieulx que force » [97]. La gravure de cet ouvrage représente Hercule, armé de sa massue. Une chaine part de sa bouche et le relie à ses auditeurs (fig. 16). L’Hercule gaulois devient le symbole de l’éloquence qui permet de convaincre sans vaincre, du savoir changé en efficacité [98]. Le mythe passionne les humanistes et, érigé en modèle pour les souverains, nombreux sont ceux qui se comparent à ce héros [99]. Du Bellay évoque d’ailleurs ce mythe à la fin de la Deffence et illustration de la langue françoyse (1549) comme symbole de l’éloquence française royale par excellence [100], l’ « exemple de l’ancienneté du beau parler français » [101]. Bien qu’originaire d’un pays à la langue étrangère, il est donc intéressant de voir que dans ce sonnet, Marie est comparée au symbole même de l’éloquence française. En effet, le poète compare Hercule et sa prodigieuse éloquence, à Marie et ses yeux attirants : « Mais ceste-cy tire ceux qu’elle voit / Par une chaisne en ses beaux yeux cachée. » Ils nous attirent comme des chaines. Elle fascine par ses yeux, comme Hercule par sa langue. Séduisante, elle est aussi expressive par ses yeux qui semblent être dotés de la parole et, comme Hercule séduit ses auditeurs, Marie subjugue ceux qui la regardent. Le terme d’ « éloquence » ne signifie pas seulement le beau et le bon français, c’est aussi l’une des aspirations majeures des humanistes puisqu’un homme n’est éloquent que s’il est bon [102]. En effet, au XVIe siècle, l’Hercule qui a triomphé par l’éloquence, le savoir et la justice, est devenu une force morale, force qui, donc, sert pour l’État. Hercule a utilisé, non pas sa force physique, mais la puissance de sa parole afin de substituer la concorde à la discorde et de restaurer l’unité sur terre. Tout comme lui, le roi doit, par sa force de persuasion, mener son peuple à l’entente et à la paix. Hercule est donc érigé en modèle pour le souverain [103]. Comme dans les portraits que nous avons étudiés, on constate ici que Marie est « construite » à la française, jusqu’à être totalement adoptée par la culture de ce pays.
Ce sonnet loue la beauté physique de Marie, mais fait aussi l’analogie entre l’éloquence de l’Hercule gaulois et les yeux de la jeune reine. Les yeux sont d’ailleurs une partie du visage très importante dans la poésie du XVIe siècle. En effet, depuis Pétrarque au XIVe siècle qui admirait « les beaux yeux » de sa bien-aimée et ne pouvait vivre sans eux [104], ils revêtent toujours un fort pouvoir de séduction dans la poésie amoureuse de la Renaissance [105]. On retrouve ce motif récurrent dans les sonnets de Ronsard par exemple, qui aime « baiser les beaux yeux de sa maitresse » [106].
Afin de rendre sa célébration efficace, Joaquim Du Bellay utilise un mythe connu de tous les lecteurs de l’époque. Ainsi, cette allusion à l’Hercule gaulois parle immédiatement à l’esprit du contemporain. Un autre lieu commun de la Renaissance va permettre au poète de célébrer Marie une nouvelle fois : ce n’est pas seulement son regard qui est loué, mais sa personne tout entière, promise à être la nouvelle Astrée du royaume, celle qui fera renaitre l’Âge d’or.
Un decorum efficace : le mythe de l’Âge d’or transposé au règne de François II et Marie Stuart
Ce sonnet (annexe 2) montre comment Du Bellay voit en Marie Stuart celle qui peut restaurer la paix entre trois royaumes : la France, l’Angleterre et l’Écosse (v. 1- 5) [107] Joachim Du Bellay dédie à Marie Stuart le sonnet 170 des Regrets, de 1558 qui se retrouve à la fin de la plaquette débutant par L’Hymne au Roy sur la prinse de Calais [108] :
Ce n’est pas sans propoz qu’en vous le Ciel a mis
Ce n’est pas sans propoz que les Destins amis […]
Vous ont par leurs arrets trois grands peuples soumis.
Le poète écrit que la jeune dauphine a une mission que « le Ciel » et « les Destins » lui ont allouée. Du Bellay montre que ce n’est pas un hasard si elle monte sur le trône : née par la volonté de la Providence divine, elle a été désignée par les dieux qui ont choisi avec soin les vertus qu’ils ont mises en elle. On remarque d’ailleurs que les termes « Ciel » et « Destins » mêlent tradition chrétienne et tradition païenne, association fréquente dans les poèmes des auteurs de la Pléiade [109]. Dès le vers 2, Du Bellay fait allusion à la beauté physique de Marie (« beauté de face »), mais aussi à sa beauté intellectuelle et morale (« beauté d’esprit », « royal honneur » et « royale grace ») au vers 3. Au vers 4, il ajoute que la dauphine n’est qu’au début de sa vie et que cette fameuse beauté ne peut que s’accroître (« Et que plus que cela vous est encor promis »). Le poète fait aussi allusion, des vers 9 à 11, aux nombreuses guerres entre la France et l’Angleterre qui ont eu lieu dans les siècles passés (surtout la guerre de Cent Ans qui a opposé la dynastie des Plantagenêt et celle des Valois, de 1337 à 1453). Grâce au mariage entre François et Marie, on espère la paix et une alliance durable entre les deux pays que sont la France et l’Écosse.
Dans ce sonnet, Du Bellay loue donc les qualités physiques et morales de la jeune dauphine en la montrant d’une essence quasi divine. C’est aussi la promesse d’un nouvel Âge d’or qui est annoncée dans cet épithalame (v. 12 à 14) :
Ils veulent que par vous la belle vierge Astrée
En ce siècle de fer reface encor’ entrée
Et qu’on revoye encor’ le beau Siècle doré.
Du Bellay fait allusion à « la belle vierge Astrée » qui va renaître ou, plus exactement, réapparaître grâce à Marie Stuart. Astrée, la « fille-étoile » de Zeus et Thémis et personnification de la Justice, est la dernière des immortels à vivre avec les humains durant l’Âge d’or. Mythe extrêmement connu et répandu à l’époque, l’Âge d’or désigne l’époque où les hommes, les animaux, les plantes et le ciel vivaient en harmonie grâce à un éternel printemps et à une terre qui produisait en abondance toutes les ressources nécessaires à la vie. Comme l’écrit Ovide, « on ignorait les châtiments et la crainte […] ; point de casques, point d’épées » [110]. Placé sous l’autorité de Saturne, cet âge disparaît lorsque Jupiter, fils de Saturne, prend le pouvoir et détrône son père. C’est la naissance de l’Âge d’argent où les hommes commencent à connaître le froid et les intempéries puis suivront les Âges de bronze avec l’introduction des armes ; et de fer, le temps des vices.
Comparer le règne d’un monarque ou d’un Grand du royaume à celui de Saturne est courant depuis le règne de François Ier [111]. Très souvent présent dans les Joyeuses Entrées où il devient l’allégorie d’un bon gouvernement, il dépasse les frontières de la France et chaque monarque espère restaurer cet âge doré pendant son règne [112]. Cet âge est en effet considéré comme un modèle valable pour l’humanité et, comme l’écrivait Hésiode, les hommes peuvent améliorer leur condition en prenant exemple sur l’Âge doré et en apprenant à tirer parti de l’Âge de fer dans lequel ils vivent désormais, plongés dans la violence et la guerre [113].
Du Bellay utilise donc ce topo de l’Âge d’or et montre que, par l’union entre Marie et François, l’Âge d’or et le Printemps éternel reviendront dans le monde des humains, ce « siècle de fer » (v. 13). L’harmonie universelle perdue jadis renaîtra grâce à Marie. Par cet épithalame, Du Bellay établit une allégorie politique du mariage entre Marie et François en comparant la jeune reine à celle qui fera renaître le Printemps éternel par un bon et juste gouvernement. L’engagement du poète dans la représentation de la reine en fait une figure salvatrice et bénéfique pour le Royaume : c’est par un règne basé sur l’équité que Marie fera réapparaître l’Âge d’or. Comme il l’avait fait en comparant l’éloquence des yeux de Marie à l’éloquence d’Hercule, Du Bellay adapte le mythe antique au contexte et à la personne célébrée. Particulièrement connu et diffusé à l’époque, ce mythe, comme celui de l’Hercule gaulois parle donc immédiatement au lecteur, agit sur son esprit et le poème de Du Bellay devient ainsi particulièrement efficace.
La célébration d’un bel esprit et d’une force morale, nécessaires à un bon gouvernement
L’étude de deux autres poèmes permet de voir comment Marie est représentée sans être, cette fois, comparée à une figure mythologique. C’est elle-même qui est célébrée pour sa beauté et son intelligence et, si le sonnet de Joachim Du Bellay pouvait être mis en relation avec la miniature du livre d’Heures de Catherine de Médicis, le sonnet de Ronsard va jusqu’à rendre vivant un portrait de Clouet. L’élégie de Pierre de Ronsard et celle de Jean-Antoine de Baïf se complètent pour donner naissance à une nouvelle représentation de Marie, une fois de plus mise en scène au service du royaume de France. Ces deux poèmes montrent que, composés à de nombreuses années de distance, près des poètes ou éloignée d’eux, Marie reste une source d’inspiration pour les artistes. Si Du Bellay et Baïf la décrivent salvatrice pour le royaume, Ronsard ajoute qu’elle est regrettée après son départ de France en 1560, après la mort de François II.
Marie Stuart, célébrée par Jean-Antoine de Baïf
En 1558, Jean-Antoine de Baïf célèbre le mariage de Marie Stuart et François de France dans un Chant de joye du jour des epousailles de François Roidaufin et de Marie Roine d’Écosse [114] (annexe 3). Ce poème montre que, par son mariage, la jeune Marie entre dans la famille des puissants Valois et Guise dont Baïf recherche la faveur. Il apporte une représentation supplémentaire de la reine, âgée de 17 ans au moment de ses noces, le 24 avril 1558.
Dès les premiers vers du poème, Baïf glorifie et célèbre le mariage : le peuple doit être heureux de cette nouvelle alliance (v. 1) qui doit mettre fin aux guerres (v. 2-4) et à « tout soucy » (v. 4) et on remarque le champ lexical du bonheur : « réjoui » (v. 1 et 5), « bien-heureuse feste » (v. 6), « paix », « peuple aimee » (v. 7), « bon », « doux » (v. 8) et « bonne Paix » (v. 9). Vient l’heure de la paix et de la joie, la tristesse s’en est allée (v. 29). Fanny Cosandey explique à ce propos qu’au XVIe siècle, les noces royales permettent de « consacrer la fin d’un conflit » [115] et d’affermir le gouvernement. Ainsi, c’est à chaque fois sous le signe de la paix que les noces sont célébrées par les commentateurs. Baïf adresse un message de paix grâce à l’alliance de ces trois royaumes que sont la France, l’Écosse et l’Angleterre. Si la France et l’Écosse sont alliées depuis le Moyen-âge, c’est grâce à Marie Stuart que la France et l’Angleterre, pays ennemis depuis la guerre de Cent Ans, peuvent convenir d’une alliance, puisqu’Henri II reconnaît comme souveraine d’Angleterre Marie Stuart.
Au vers 11, le poète fait une analogie entre le couple Vénus-Mars et celui de Marie-François. Vénus, déesse de la paix, de la beauté et de l’amour, et Mars, dieu de la force et du courage guerrier, forment, réunis, un amour idéal et un couple complémentaire. L’évocation des amants divins dans ce poème rappelle le rôle pacificateur qu’avait Vénus dans l’hymne que lui adressait Lucrèce au Ier siècle avant Jésus-Christ. C’était en effet à sa ceinture que s’enchaînait Mars « d’un éternel amour » et qu’ainsi, le peuple obtenait « la fin des luttes meurtrières » [116]. Bien évidemment, le mariage des futurs rois est placé sous la protection de Dieu, que Baïf sollicite deux fois aux vers 19 (« O mariage heureux, que Dieu veule lier ») et 28 (« Prions Dieu de benir ce divin sacrement ») [117]. Baïf mentionne encore le « grand Dieu qui done aux nosses le bonheur » (v. 136), soit le Dieu des chrétiens qui bénit l’évènement. Ainsi, il n’omet pas de faire allusion à la descendance future et la dimension chrétienne de ce poème constitue donc une sorte de prière.
Marie est « la plus belles des Roines de tout tems » (v. 33-34) et Baïf vante sa majesté : « D’estre femme d’un Roy : telle est sa magesté » (v. 36). Notons d’ailleurs comment il fait intervenir la nature à partir du vers 38 jusqu’au vers 56. En effet, tout comme elle participe à la douleur et à la tristesse de Marie dans le poème de Ronsard, la nature accompagne ici la magnificence de l’évènement. Si fruits et fleurs se répandent sur le royaume (v. 10), l’automne est terminé, la bise se tait, le vent paraît retenir son souffle et l’océan s’apaise. Le mariage de François et Marie semble donc dompter les éléments naturels (v. 45-47). C’est ensuite le poète lui-même qui ordonne à la nature de s’accorder à la fête, par exemple (v. 51-54) :
Que les Tritons joieux dans leurs creux limassons
En l’honeur de leurs Roys entonnent des chansons
Les Nereides seurs par les marines plaines,
Facent leurs jeux, nageans sur les dos des balaines.
Ces vers font écho aux airs de « Trompettes, Clairons, Haulxbois, Flageolz, Violes, Violons » [118] joués lors des noces du dauphin et de la dauphine. Ce mélange entre la musique jouée pendant le défilé de ces décors à l’antique illustre ce que démontre Roy Strong. Il explique en effet que « les fêtes de cour des Valois […] furent animées par une politique artistique empreinte de l’idée de renouveau et d’union de la poésie et de la musique “ à l’antique ”» [119]. Cette volonté d’unir les deux arts donnera naissance à l’Académie de Poésie et de Musique en 1570, dont Baïf sera justement le créateur et qui aura pour but de « marier la musique et la poésie telles qu’on les pratiquait dans l’Antiquité. » [120]. Cette union de vers et de musiques mesurés désirait produire des effets de calme et tranquillité [121]. Poète proche du milieu musical, Baïf est soucieux d’unir plus étroitement poésie et musique. Déjà vers 1560, il souhaite « fondre en un les deux arts que sont poésie et musique, au nom […] d’un idéal politique d’harmonie et de concorde » [122] et il est conscient du pouvoir d’apaisement que possède la parole mise en chanson.
Baïf annonce ensuite la création de deux nouvelles étoiles grâce aux deux souverains [123] (v. 57-58). Après avoir rapproché la clarté du soleil de Henri II (v. 65-66) et celle de la lune de Catherine de Médicis (v. 67-68), Baïf célèbre Marguerite de Navarre (v. 81) et les oncles de Marie Stuart (v. 109 et v. 113). Arrêtons-nous sur la représentation que le poète fait de la jeune dauphine : « […] ma vue troublee / S’éblouit de la voir, come si j’avoy l’œil / Fiché pour contempler les rayons d’un Soleil ? […] » (v. 122 à 124). Baïf écrit qu’il est difficile d’apercevoir le cortège nuptial, tant la beauté de Marie est éblouissante et on sait que « le peuple estoit [en] grand nombre parmy les rues » [124] lors du mariage. Le poète évoque ensuite le banquet et les festivités de la noce (142-147), et espère que ce mariage durera aussi longtemps que vivront les futurs souverains (v. 134). Le peuple aime d’ailleurs déjà la jeune dauphine et ne se lasse pas de la contempler (v. 149-150). Baïf ne doute pas sur le fait que, placée sous la divine protection, Marie donnera des enfants à la France assurant ainsi la continuité de la lignée.
Au travers de ce Chant, Baïf illustre la beauté et la majesté déjà royale de Marie qui la rend digne de régner bien qu’elle ne soit pas encore souveraine. La nature s’accorde aussi avec les noces, promesse de paix : c’est le printemps puisque le mariage a lieu en avril. Dans cette représentation-miroir de la jeune dauphine, le poète utilise habilement sa plume pour donner lieu à un portrait politique de Marie Stuart : il l’idéalise et l’héroïse dans le but de glorifier le mariage des deux futurs souverains et, au même titre que les portraits, ce poème devient un véritable outil politique. En effet, il tend à rendre l’image d’une reine qui sera idéale : apaisant tout conflit, aimée de son peuple et de grande beauté, elle accomplira également son devoir essentiel, celui de donner un héritier à la France. Parallèlement à la représentation qu’il donne de la dauphine, ce poème témoigne donc aussi de la vision qu’à la société sur elle. On attend de Marie qu’elle soit une souveraine « féconde ».
Un portrait de Marie qui s’anime sous la plume de Ronsard
Dans une élégie composée peu après 1565 à partir d’une copie du portrait de Marie Stuart en deuil blanc [125], Pierre de Ronsard réalise un poème qui loue la beauté physique de Marie, mais aussi sa beauté intellectuelle (annexe 4). On sait que Ronsard fait souvent le « portrait » d’une personne qu’il veut célébrer [126] et Edouard Pommier explique que le poète « inaugure, au plus haut niveau de l’expression littéraire, le cycle du discours sur le portrait » [127]. Ici, Ronsard réalise véritablement le portrait d’un portrait de Marie (v. 4 à 8) :
J’ay toutesfois pour la chose plus rare
(Dont mon estude & mes livres je pare)
Vostre portrait qui fait honneur au lieu,
Comme une image au temple d’un grand Dieu.
Dès le premier vers, le poète célèbre la « belle face » de Marie et décrit au présent la jeune femme, jadis reine de France (v. 1 à 24). Parée de somptueux bijoux au début du poème, elle en est après dépouillée (v. 9 à 18) : « Vous n’êtes pas en drap d’or habillée / N’y les joyaux de l’Inde despouillée. » et ses larmes de cristal (v. 29) sont désormais les seuls bijoux qui la parent. La blancheur du deuil, couleur omniprésente dans le poème, déteint sur la nature : les jardins blanchissent ainsi que les voiles du bateau (v. 33), le cygne est blanc (v. 44) et même la cire du tableau pâlit. Le deuil déteint sur le paysage, comme si la nature accompagnait Marie dans sa « douleur » (v. 101), pâle elle aussi. Blancheur contagieuse, elle est porteuse de tristesse et d’amour.
Les temps qu’utilise Ronsard accompagnent le récit lui-même : quand le poète évoque au vers 25 le deuil que prend Marie, il n’écrit plus au présent, mais au passé pour évoquer le moment redoutable et tragique de la mort de François II : « De tel habit vous estiez acoustrée, / Partant helas ! de la belle contrée ». On note d’ailleurs l’alternance tout au long du poème entre le présent pour parler du portrait (la joie), l’imparfait pour parler du deuil (la tristesse) et le conditionnel pour parler du portrait de Charles IX (l’imaginaire) [128].
Ronsard passe ensuite à l’imparfait et à partir des vers 53-54, c’est à nouveau le passé composé qu’emploie le poète : « Tout vis à vis de vostre portraiture / J’ay mis d’un Roy l’excellente peinture ». Il revient sur la description du portrait et va presque le faire « vivre ». La beauté de Marie sur son portrait aurait le pouvoir de rendre amoureux tous ceux qui la regardent : « chacun dirait qu’il aime votre Image » (v. 58). La cire fondrait alors à la chaleur de l’amour et en deviendrait pâle. Ronsard émet ainsi l’hypothèse que Charles IX pourrait épouser Marie puisque, selon certains contemporains, il aurait été amoureux d’elle [129]. Comme Du Bellay dans le sonnet précédent, Ronsard fait ensuite l’éloge de ses yeux (v. 64-66) : « On jugeroit qu’il contemple voz yeux, Doux, beaux, courtois, plaisans, délicieux … ». Même triste et endeuillée, Marie a toujours d’aussi beaux yeux et le veuvage n’altère en rien sa beauté. Ronsard compare d’ailleurs la couleur des yeux de Marie à celle de ceux de Vénus qui les avaient de la même couleur (v. 67-70).
Après avoir parlé à son frère défunt (v. 82-83), Charles s’adresse à Marie par l’intermédiaire du poète. Des vers 141 à 144, l’allongement des vers exprime la tristesse et la souffrance : « Et toutefois » (v. 141), « pâle couleur » (v. 142), « l’amoureux », « pâle », « douleur » (v. 144) et « tourmente » (v. 145). Ronsard fait ensuite allusion à la cruauté de la mer qui a emporté la reine loin de la France (v. 154-155) en mettant en parallèle la légende d’Héro et Léandre [130] (v. 158) avant de mentionner le mythe d’Europe et Jupiter (v. 159-161). Enfin, il termine son élégie à Marie en faisant allusion à la naissance de Vénus (v. 162-163) et conclut son poème sur le chardon, symbole des Stuart, et le lys, celui de la France.
Ronsard applique parfaitement l’une des fonctions du portrait qui est de rendre présente une personne absente : dans son traité De Pictura, Alberti insiste sur la valeur mémorielle du portrait et, comme nous l’avons vu précédemment, la fonction du portrait est de rendre physiquement présente une personne absente. Ronsard anime et donne ainsi véritablement vie à son portrait.
Ce poème montre à quel point Marie reste présente dans le pays qu’elle a quitté. Représentée selon la tradition des portraits français du XVIe siècle avec la « formule Clouet » et espérée salvatrice pour le royaume de France dans le poème de Joaquim Du Bellay, cette élégie semble confirmer que Marie est véritablement devenue une reine française. Même partie loin de France, elle reste symboliquement suffisamment importante pour qu’un poète français compose un portrait poétique qui pleure son départ et regrette presque que le roi suivant ne l’ait pas épousée.
Les représentations de Marie Stuart en veuve : une tristesse exaltée… et exploitée ?
Si Marie est portraiturée par Clouet en tenue de deuil, sa tristesse est également chantée dans un poème de Baïf et cette mise en scène montre l’évolution sociale et politique de Marie Stuart par le biais de ses représentations. Cette élaboration montre comment, que ce soit en peinture ou en poésie, l’artiste devient un véritable courtisan usant d’une habile rhétorique pour servir la politique du royaume de France à laquelle il est au service.
Marie Stuart en deuil blanc : un costume comme reflet de l’âme
En dix-huit mois, Marie perd trois proches : le 10 juillet 1559, son beau-père Henri II, le 10 juin 1560 sa mère Anne de Guise et le 5 décembre 1560, François II son époux qui, de santé fragile, s’éteint à l’âge de 16 ans. C’est cette même année qu’elle est représentée par Clouet en tenue de deuil blanc (fig. 17 a et fig. 17 b). Si le costume de deuil de ce portrait contribue à donner de Marie l’image d’une reine « superbe, gracieuse, olympienne » [131] comme l’écrit Alexandra Zvereva, il ne peut être réduit à cela. Il soulève en effet des questions complexes, tant au niveau des lois vestimentaires de l’époque qu’au niveau de leur portée politique. En effet, le blanc correspond à la couleur du deuil en France au XVIe siècle et présente donc le récent veuvage de la reine, mais il délivre aussi un message politique.
Les voiles blancs qui recouvrent la tête et le buste de la jeune veuve contrastent avec le fond noir ce qui intensifie l’expression de son visage au teint pâle. Elle porte un chaperon sur une coiffure en raquette, recouvert par un long voile tombant dans le dos. Un voile fermé sous le menton s’évase en dissimulant les formes de son corps. Seul le buste est souligné par les plis serrés du voile qui part du menton. La transparence du costume qui renvoie à la finesse du tissu et le travail subtil du plissé prouve la qualité du travail de confection, mis en scène par le portrait. Il est parfois dit un peu rapidement que Marie Stuart a « délibérément » choisi de porter le deuil blanc, [132] mais il semble logique que son arrivée précoce auprès des Valois la porte spontanément à se conformer aux usages alors en vigueur à la cour de France : depuis le Moyen âge, la couleur du deuil y est le blanc pour les reines [133], ce que Montaigne confirme : « Les dames argiennes et romaines partoient le deuil blanc, comme les nostres avoient accoustumé, et debvroient continuer de faire … » [134]. Marie n’est d’ailleurs pas la seule à le porter, comme en témoigne le portrait de Marguerite de Valois, duchesse de Savoie (fig. 18). Acquise aux coutumes de la cour française et à ses modes vestimentaires, Marie porte le deuil blanc que portent les veuves royales du XVIe siècle en France. Dans son Manuel de Civilité, Érasme souligne d’ailleurs la nécessité d’accorder sa tenue vestimentaire à la mode du pays et à l’époque : « il nous faut bien […] nous accommoder aux mœurs de chaque pays » [135] et qu’en beaucoup de choses, il faut se conformer « à la coutume du pays » [136]. Comme l’explique Marie F. Viallon, se costumer, c’est avant tout mettre son corps, ses attitudes et ses gestes aux normes d’une époque [137]. C’est, selon l’expression de l’auteure, « entrer dans la coutume du temps choisi » [138].
Si le fait que Marie prenne le deuil blanc va de soi, il faut analyser ce qui est visé au travers de ce costume. Tenue de veuvage avant tout, c’est aussi une parure portée en signe d’humilité correspondant aux lois somptuaires de l’époque et à la mentalité humaniste du XVIe siècle. En effet, le chrétien doit délaisser toute pompe vestimentaire par devoir d’humilité et l’humaniste prône la sobriété dans la tenue. Dans ses Dames Illustres, Brantôme se moque des parures trop luxueuses des femmes de son temps et particulièrement celles des veuves : « elles n’osent porter de pierreries sinon aux doigts et à quelques miroirs et à quelques heures et à de belles ceintures, mais non sur la teste ny le corps : ou bien force perles au col et au bras » [139]. Érasme prêche également la simplicité et fustige les tenues prétentieuses : « Plus grande est la fortune, plus aimable est la modestie » [140]. Il explique que « les riches qui étalent le faste de leurs vêtements semblent reprocher aux autres leur indigence et éveillent l’envie » [141]. Agrippa d’Aubigné quant à lui accuse les fastueuses parures de détourner le noble de ses valeurs morales [142] et Montaigne dénonce l’excès et l’outrance de certaines tenues [143]. Les troubles religieux et économiques du XVIe siècle conduisent aussi à des changements dans les tenues royales ; on pense désormais aux questions de pudeur et à la crainte de contrefaire le corps naturel avec des parures qui donneraient une fausse image du corps comme en témoigne Henri Estienne par exemple, qui accuse le vertugadin à bourrelets de faire paraître la personne qui le porte plus grosse qu’elle ne l’est [144].
Selon Érasme, « Le vêtement donne une idée des dispositions de l’esprit » [145]. Il correspond à celui qui le porte et à son âme, et montre extérieurement ce que ressent la personne intérieurement. Olivier de La Marche écrit par exemple que chaque pièce de vêtement d’une dame exprime les vertus de celle-ci [146]. Ainsi, ce dépouillement tant physique que psychologique expose la tristesse de Marie, car le joyau est l’image de la gaité et de la fête [147] : dépouillée de ses bijoux, elle est symboliquement dépouillée de sa joie. Par l’intermédiaire de cette tenue, Marie se montre donc vertueuse, abîmée dans son chagrin, elle est le contraire des femmes coquettes dont parle Brantôme. Nous pouvons peut-être en déduire qu’elle souhaite se différencier de ces femmes moquées par Brantôme, indiquant ainsi que son deuil est épuré de toute pompe superficielle et que sa tristesse est sincère ? La perte de ses parures royales a dû être pour Marie une épreuve difficile : elles représentaient un investissement économique (d’après les lettres de Catherine de Médicis, cette dernière avait dépensé de très fortes sommes pour offrir des bijoux à Marie lors de ses noces [148]) et un investissement sentimental (elles marquaient une étape dans sa vie de femme mariée). Le don de ces bijoux marquait sa montée sur le trône puisque quand elle devient reine, la princesse reçoit de la part du roi, de ses parents et des courtisans, des bijoux qui atteignent des sommes considérables [149].
Mais c’est aussi un dépouillement politique. Les joyaux de la Couronne sont les symboles du pouvoir et de la majesté, le signe de la grandeur monarchique par excellence. Marie vient de perdre son époux et, dépossédée des bijoux de la Couronne, elle est montrée ostensiblement comme n’étant plus la souveraine de France, bien qu’elle en porte toujours le titre puisqu’ « à son veuvage, la reine perd sa souveraineté […], descend du trône en perdant son mari, mais ne dépose pas la couronne » [150] et reste reine jusqu’à sa mort. Didier Course remarque d’ailleurs qu’au portrait de Marie Stuart, jadis reine de France, répond celui d’Élisabeth d’Autriche, mariée à Charles IX le nouveau roi, peint par Clouet couverte de bijoux, des perles de sa coiffure à ses doigts ornées de bagues [151] (fig. 19). Quant à Ronsard, il écrit dans son élégie à Marie Stuart commentée précédemment qu’elle n’a plus qu’un « crespe long, subtil et délié, ply contre ply, retors & replié ». Il est même possible que cette tristesse exaltée puisse être exploitée à des fins politiques. On sait en effet que Marie a envoyé une copie de ce portrait à Elisabeth Ière sa rivale [152]. Avec ce portrait de Clouet, ne met-elle pas sa tristesse en scène ? À la veille de son départ pour l’Écosse, elle souhaite se faire représenter en tenue de deuil français. Même dépouillée de sa souveraineté, elle désire sans doute montrer qu’elle conserve le titre de reine de France et reste française de cœur. Selon Brantôme, témoin de la scène puisqu’il accompagne la jeune veuve lors de son retour en Écosse, elle aurait d’ailleurs prononcé au moment de son départ qu’elle ne reverrait jamais sa « chère France » [153].
Copié de nombreuses fois (fig. 20 a, fig. 20 b et fig. 20 c), ce portrait fait dire à Brantôme : « avec lequel il la faisoit très beau veoir […] et la neige de son blanc visage effacoit l’autre [154] ». Tant était grande la tristesse de Marie, que la pâleur de son visage était comparable à la neige qui devait tomber en décembre, mois de la mort de François II.
La Complainte de la Royne Marie par Jean-Antoine de Baïf
Jean-Antoine de Baïf dédie sa Complainte de la Royne Marie à Simon Nicolas, seigneur de Ruffey, conseiller du roi et ami du poète. Selon Jean Vignes [155], cette élégie fut composée au lendemain de la mort de François II, le 5 décembre 1560 (annexe 5). Baïf fit partie des poètes qui, comme au moment des noces, ont chanté l’évènement du deuil royal. Ici, il est intéressant d’observer les paroles que l’auteur prête à la reine. Le poète fait dire à Marie que sa beauté se dégrade à cause de son chagrin ou, plus exactement, qu’elle ne se soucie plus d’être belle puisque son aimé est mort (v. 73-75) :
Dieu m’avoit fait quelque don de beauté,
Mais aujourdhuy le soin m’en est osté,
Ayant perdu mon seigneur et mon Roy.
Il insiste encore sur son apparence physique au vers 71 « Les yeux battus, cette palle couleur » ; « pâle » faisant allusion à son aspect extérieur, mais reflétant aussi ce qu’elle ressent intérieurement. Baïf fait ainsi parler modestement Marie de sa beauté passée. Nous observons aussi les nombreuses métaphores sur la douleur, notamment celle qui est faite entre les yeux en pleurs donnant naissance à deux fleuves, si gros que même une digue ne suffirait pas à arrêter. Marie ne peut plus cacher ses larmes : « Le feu bruslant ne peut estre couvert / En lieu si clos, qu’il ne soit découvert » (v. 29-30). La longueur des syllabes finales à partir du vers 75 et jusqu’au vers 94 ainsi que le poids des vers, insistent sur l’aspect pathétique et douloureux (« Las », « veuve », « vous », « tant », « leurs », « époux », « lors »...). En revanche, les vers sont légers quand il est question du plaisir d’antan aux vers 83-84 (« Ainsi que moy, au beau de leur Printems / Lors qu’ils avoyent leurs desirs plus contens »). Les mots « chauds », « fleuves », « pleurs », « douleur » sont lents et montrent la tristesse de la jeune reine. Jean Vignes [156] indique qu’il est néanmoins possible de remettre la sincérité des larmes de Marie en question puisqu’en janvier 1561, la jeune veuve qui se disait inconsolable et chantait sa tristesse dans un poème [157], négociait un remariage avec Don Carlos, fils du roi d’Espagne. Mais, appréciant sans doute sincèrement la jeune femme et touchée par son drame personnel, Baïf explique que le temps efface la douleur et affirme en cela la sincérité de la jeune veuve. On remarque aux vers 47-48 « Ouvre aux soupirs la porte de mon cœur / Ouvre ma bouche à pleindre ma langueur », les assonances en [u] soit le « ou » plaintif du malheur, et au vers 63 « En ma dolente et sanglotante voix », les assonances en [ɑ̃] qui permettent d’accentuer l’aspect plaintif. Il est conforté par l’allitération des vélaires aux vers 69-70 « Venez, voyez, oyer, mes pleurs et pleins, / Et les voyans, croyez qu’ils ne sont feins » qui marquent le souffle et le soupir.
Enfin, il est nécessaire de souligner l’allusion faite au Temps Linéaire et non cyclique, temps qui commence par la vie et s’arrête par la mort. L’Âge d’or espéré dans le poème de Joachim Du Bellay serait-il terminé maintenant qu’ « Astrée » a quitté la France ? Le « faucheur » (v. 107) fait référence à Saturne ou Chronos, le dieu du Temps [158]. C’est le « médecin » (v. 117) qui guérit en faisant mourir. La Complainte se termine sur la promesse que Marie fait au défunt François en lui disant qu’elle va l’aimer toujours et le retrouver : « L’espoir certain de bien-tost te revoir » (v. 120). Seule la mort, et non le temps, pourra apaiser sa douleur et Marie console son défunt époux en lui promettant un amour éternel. Baïf donne de Marie Stuart, l’image de la veuve triste et fidèle par excellence. Ainsi, cette Complainte élabore une véritable mise en scène du chagrin de Marie et fait de cette dernière l’image de la veuve, image renforcée par le portrait de Clouet en deuil blanc analysé précédemment.
En 1560, Marie Stuart quitte le pays dans lequel elle est arrivée à six ans pour rejoindre son Écosse natale en mai 1561, avant de fuir en Angleterre en 1568 et d’y être emprisonnée en octobre de la même année.
Conclusion
Dans cette étude, il s’est agi d’étudier comment et pourquoi, au cours de la vie de Marie Stuart et en suivant des étapes bien délimitées (son statut de princesse puis de reine de France lorsqu’elle épouse François II et enfin son veuvage), se construisait la mise en scène d’un personnage politique. Ce personnage est mis en scène en fonction des évènements historiques, politiques et sociaux qu’il traverse, et est façonné par le biais de différentes représentations artistiques.
Les portraits de Clouet, définissant, pour ainsi dire, le portrait français du XVIe siècle, contribuent à construire la petite fille écossaise qu’est Marie en reine française, gracieuse, intelligente et bien portante. Ces portraits, qui la représentent avec des costumes, des poses, des expressions et un maintien reflétant les codes sociaux et les pratiques formalisées en vigueur à la cour, tendent à l’inscrire dans la continuité des portraits français d’une part, et à l’idéaliser d’autre part. Ainsi, se construit autour de Marie, le miroir de l’effigie royale et s’élabore un véritable exemplum de représentation.
Les poèmes de Joachim Du Bellay et Jean-Antoine de Baïf construisent aussi son image de jeune femme au bel esprit, au règne promis à être celui de la fertilité et de la paix. En véritables miroirs de Marie, ils sont aussi le reflet d’une cour et d’une mentalité qui imposent à Marie le paraître politique dû à son rang et à sa place. Comme pour les portraits picturaux typiquement français, c’est par une tradition littéraire toute française qu’on la célèbre dans les portraits poétiques. Ainsi, nous constatons que les représentations de Marie Stuart sont régies par des codes picturaux (celle de la « formule Clouet » principalement), mais aussi par des codes comportementaux et intellectuels issus de la culture humaniste. La mise en scène de sa tristesse montre l’évolution sociale et politique de Marie. Elle illustre la place nouvelle qu’elle occupe : celle d’une reine de France qui en a perdu la souveraineté.
Enfin, toutes ces représentations répondent au contexte artistique et politique de l’époque : la « Formule Clouet » pour les portraits picturaux ; les portraits littéraires composés par Du Bellay, « le défenseur » de la langue française ; par Baïf, poète proche du milieu musical ; et par Ronsard, poète particulièrement proche de l’art du portrait dessiné ou peint. Dessinés, peints ou écrits, ces portraits illustrent l’ambivalence et le paradoxe de la définition même du portrait, dont la fonction première est d’être un « pour trait » du modèle, soit une représentation de ses traits physiques la plus fidèle possible, mais qui peut être aussi une image idéalisée. Son statut à la cour explique cette dualité entre fidélité et idéalisation et, mis en synergie, les deux arts mettent en scène Marie dans le but de la « façonner » véritablement à la française, mais également de glorifier le royaume de France.
Les procédés picturaux (éclat des couleurs, cadrage serré, minutie d’exécution) et les procédés littéraires (utilisation de mythes connus) sont avant tout utilisés à des fins politiques. Pour cela, les artistes créent une véritable rhétorique silencieuse : ils rendent la représentation efficace, agissant et parlant immédiatement aux récepteurs de l’époque, et permettent de convaincre que Marie assure ses devoirs de souveraine [159]. Ces « images » doivent être pensées selon le regard que l’on a porté sur elles à l’époque. Se reporter aux textes contemporains (ceux de témoins oculaires et objectifs comme Brantôme, ou de philosophes comme Érasme et Montaigne) permet de comprendre le sens et le but de la mise en scène de ces représentations. En effet, si portraits et poèmes paraissent aujourd’hui d’une beauté évidente, ils ont surtout eu le pouvoir de parler aux esprits du public de l’époque et d’afficher clairement la position politique que tint Marie en France, de son vivant.
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ZVEREVA Alexandra, Les Clouet de Catherine de Médicis : chefs d’œuvre graphiques du Musée Condé, Paris : Somogy, 2002
ZVEREVA Alexandra, Portraits dessinés de la cour des Valois. Les Clouet de Catherine de Médicis, Paris : Athéna, 2011
Notes
[1] Sur les relations politiques franco-écossaises, voir M.-N. Baudoin-Matuszek, « France-Ecosse : des relations privilégiées », dans T. Crépin-Leblond (dir.), Marie Stuart, le destin français d’une reine d’Écosse, Paris : Réunion des musées nationaux, 2008, p. 21-31.
[2] Plus de 500 livres sont consacrés à Marie Stuart comme par exemple la Vraie histoire de l’incomparable Marie Stuart de Nicolas Caussin parue à Paris en 1624, ou encore la biographie de Danny Saunders, Les reines tragiques. Marie Stuart, la reine captive, parue en 2010.
[3] L. Cust, Notes on the authentic portraits of Mary, Queen of Scots, based on the researches of the late Sir George Scharf, Londres : J. Murray, 1903, p. 21.
[4] Ibidem, p. 22.
[5] L’écossais John Acheson, ou Achesoun, fut dépêché en France pour réaliser des monnaies à l’image de Marie Stuart, afin que ces dernières soient diffusées en Écosse. Lionel Cust cite un extrait des registres des archives françaises « Ce aujourdhuy, XXI jour d’Octobre mil VeLIII, a este permis a Jehan Acheson, tailleur de la monnaie d’Escosse, de graver pilles et trousseaulx aux portaictes de la royne d’Escosse […] pour icelles faicts estre apportées en la dite Court [l’Écosse]. », dans L. Cust, op. cit., p. 29.
[6] A. Chastel, L’âge de l’humanisme, Paris : Éditions des Deux-Mondes, 1963, p. 203.
[7] E. Pommier, Théories du portrait. De la Renaissance aux Lumières, Paris : Gallimard, 1998, p. 95.
[8] P. de Ronsard, « Élégie à Janet peintre du roi », dans Les Meslanges, Paris : G. Corrozet, 1555 : « Pein moi Janet, pein moi je te supplie / Dans ce tableau les beautés de m’amie / De la façon que je les dirai. »
[9] J.-A. de Baïf, Les Amours, Paris : M. de La Porte, 1552 : « O douce peinture aimable […] / Rien n’est en toy, benin tableau, / Qui ne me soit plaisant et beau […] / La docte main industrieuse / Qui te peignit de ces couleurs, / Futur essuyoir de mes pleurs. ».
[10] E. Jollet, Jean et François Clouet, Paris : Lagune, 1997, p. 37.
[11] Ibidem, p. 121.
[12] Sur la réflexion de la conception du corps, voir H. Belting, Pour une Anthropologie des images, Paris : Gallimard, 2004, p. 168-169 et p. 173. L’auteur précise que « l’humanisme utilisait la description du corps pour faire accepter sa vision de l’homme comme antithèse aux conceptions qui avaient prévalu jusqu’alors. »
[13] Ibidem, p. 118.
[14] A. Lang, Portraits and jewels of Mary Stuart, Glasgow : MacLehose and sons, 1906, p. 137. L’auteur évoque une lettre de Catherine de Médicis du 1er juin 1552 où celle-ci demande des portraits de ses enfants et de Marie (« a letter of Catherine de Medicis of June I, 1552, asking for portraits of her children, and of Mary. »).
[15] A. Zvereva, « La beauté triomphante de la reine endeuillée : les portraits de Marie Stuart », dans T. Crépin-Leblond (dir.), Marie Stuart, op. cit., 2008, p. 74-75. L’auteure explique que, bien que ce portrait ne soit pas daté, il a certainement été le pendant du portrait de François dauphin et que les costumes permettent de dater approximativement ces dessins, annotés à la demande de la reine Catherine de Médicis : « La reine d’escosse marie estamt petite » et « le feu roi françois 2e estoim dauphim ».
[16] Voir l’analyse qu’en fait E. Jollet dans Jean et François Clouet, op. cit., p. 13.
[17] A. Zvereva, « Les techniques et les procédés des portraitistes français », dans Katheleen Wilson-Chevalier (dir.), Patronnes et mécènes en France à la Renaissance, Saint-Étienne : Presses universitaires de Saint-Étienne, 2007, p. 527-543. L’auteure explique que la technique du portrait dessiné évite au modèle de poser pendant de longues heures puisque l’artiste saisit les traits du portraituré au crayon puis travaille seul dans son atelier.
Sur l’émergence du « portrait individuel » et autonome, voir D. Olariu (dir.), Le portrait individuel. Réflexions autour d’une forme de représentation, XIII-XVe siècles, Berne : Éditions scientifiques internationales, 2009.
[18] E. Jollet, op. cit., p. 142.
[19] Ibidem, p. 25. Né vers 1510-1515, François Clouet meurt le 22 septembre 1572. Son nom apparait pour la première dans les comptes royaux en 1540. Comme son père Jean avant lui, il touche 240 livres par mois et porte le titre de « valet de chambre ».
Voir également l’ouvrage de J. Pope-Hennessy, The portrait in the Renaissance, Princeton : Princeton University Press, 198, p. 201. L’auteur, qui analyse l’art du portrait dans les cours européennes à la Renaissance (principalement allemande, anglaise et italienne), qualifie les portraits de François Clouet comme étant expressifs, raffinés et réalisés avec une grande délicatesse.
[20] A. Zvereva, « Il n’y a rien qui touche guère le cœur des simples personnes que les effigies de leurs princes et seigneurs : la genèse du portrait de Henri III », dans I. de Conihout, Jean-François Maillard et Guy Poirier (dir.), Henri III mécène des arts, des sciences et des lettres, Paris : PUPS, 2006, p. 56-65. Au même titre que la correspondance épistolaire, ces portraits tiennent lieu de « bulletin de santé » puisqu’ils rendent compte de l’état physique dans lequel se trouve le portraituré à un moment donné.
[21] E. Jollet, op. cit., p. 43.
[22] A. Labanoff, Recueil des lettres de Marie Stuart, reine d’Écosse, t. I, Londres : Charles Dolman, 1844, p. 11 : Lettre du Cardinal de Lorraine à la reine douairière d’Écosse, le 15 avril 1554 : « Et croyez, Madame, qu’il y faisoit bon veoir la Royne votre fille, laquelle se porte le mieuls et en aussi bonne santé qu’elle fut jamais. »
[23] S. Édouard, « Corps de Reine. Du corps sublime au corps souffrant d’Élisabeth de Valois (1546-1568) » dans Chrétiens et sociétés, vol. 12, 2005, p. 9-28.
[24] Voir N. Le Roux, « Le glaive et la chair. Le pouvoir et son incarnation au temps des derniers Valois », dans S. Édouard et N. Le Roux (dir.), La vocation du Prince. L’engagement entre devoir et vouloir (XVIe-XVIIe siècles), Chrétiens et Sociétés, n° 11, 2013, p. 61-83.
[25] Érasme, Savoir-vivre à l’usage des enfants, Paris : Arléa, 2004, p. 55.
[26] Ibidem, p. 15.
[27] D’après A. Zvereva, Germain Le Mannier a dessiné trois autres portraits de Marie Stuart à partir de 1548 mais aucun n’a survécu.
[28] L. Campbell, Portraits de la Renaissance : la peinture des portraits en Europe aux XIVe, XVe et XVIe siècles, Paris : Hazan, 1991, p. 214.
[29] A. Zvereva explique qu’Henri II a par exemple écrit à M. d’Humyères qui lui a envoyé des portraits de ses enfants qu’ « ilz sont tous en tresbon estat Dieu mercy. »
[30] E. Jollet, op. cit., p. 96. Cette fonction mémorielle et affective du portrait est qualifiée par l’auteur de « vraisemblance intérieure » : on se souvient de l’être aimé grâce à son portrait.
Joanna Woodall développe également la fonction mémorielle du portrait dans J. Woodall, Portraiture : Facing the Subject, Manchester : University Press, 1997, p. 8-9.
Voir aussi D. Freedberg, Le pouvoir des images, Paris : G. Monfort, 1998. L’auteur démontre bien comment la personne représentée sur l’image est présente et se manifeste par son image, par sa représentation.
[31] A. Zvereva, « Catherine de Médicis et les portraitistes français », op. cit. L’auteure explique que Catherine de Médicis demande des portraits de ses enfants qui soient le plus reconnaissables que possible. Cette dernière n’hésite pas à exiger qu’un crayon soit repris s’il n’est pas assez ressemblant.
[32] A. Labanoff, Notice sur la collection des portraits de Marie Stuart appartenant au Prince Alexandre Labanoff, Oxford : Édouard Pratz, 1860, p. 151. Réalisé par Clouet, un portrait de Marie a été envoyé vers 1555 à sa mère Anne de Guise Régente d’Écosse résidant alors à Edimbourg.
[33] S. Édouard, op. cit.
[34] P. Ariès, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris : Seuil, 1973, p. 29. L’auteur démontre comment, au XVIe siècle, l’enfant commence à être représenté avec ses traits enfantins. Il a des sentiments que l’on commence à prendre en considération et l’âge devient « un objet d’attention particulière » à partir du règne de François Ier, ce que prouve d’ailleurs l’inscription de cet âge sur les portraits.
[35] Henri Zerner a développé cette notion au Colloque qui s’est tenu à l’Institut national d’Histoire de l’Art sur « Les miroirs de Charles IX. Images, imaginaires, symboliques », sous la direction de L. Capodieci, E. Leutrat et R. Zorach, le vendredi 25 novembre 2011.
[36] Sur la fonction politique du portrait au XVIe siècle, voir J. Woodall, op. cit., p. 1-4 et p. 8-18.
[37] E. Jollet, op. cit., p. 99-100.
[38] P. Brantôme, Vies des Dames illustres françoises et étrangères, Paris : Garnier Frères, 1868, p. 103 : « Estant en l’age de treize à quatorze ans, elle desclama devant le roy Henry, la reyne, et toute la cour […] une oraison en latin qu’elle avoit faicte, soubtenant et deffendant, contre l’opinion commune, qu’il estoit bien séant aux femmes de scavoir les lettres et arts liberaux. ». Il ajoute : « Tant qu’elle a esté en France, elle se réservoit tousjours deux heures du jour pour estudier et lire : aussi il n’y avoit guières de sciences humaines qu’elle n’en discourût bien. ».
[39] Le Cardinal de Loraine, source plus fiable que Brantôme, écrit dans une lettre envoyée à Anne de Guise, le 25 février 1552 : « le Roy […] passe bien son temps à deviser avec elle [Marie] l’espace d’une heure, et elle le scet aussy bien entretenir de bons et saiges propos comme feroit une femme de vingt cinq ans », dans A. Labanoff, Recueil des Lettres de Marie Stuart, op.cit., p. 9-10.
[40] N. Le Roux, « Codes sociaux et culture de cour à la Renaissance », dans Le Temps des savoirs. Revue interdisciplinaire de l’Institut universitaire de France, n° 4, 2002, p. 131-148.
[41] Voir le mémoire de Maitrise d’Anaïs Smart, sous la direction de Madame Georgie Durosoir, à l’Université Paris IV, 1997 : Une présence écossaise en France, aspects poétiques et musicaux du séjour de Marie Stuart (1548-1561).
[42] P. Brantôme, Vies des Dames illustres françoises et étrangères, op. cit., p. 105.
[43] Ibidem, p. 103. Ce sentiment d’ « identité nationale » est un sentiment que nous remarquons aussi avec Catherine de Médicis. Brantôme écrit dans son premier Discours des Vies des Dames illustres françoises et étrangères, qu’elle « se voulait française » et qu’elle « parlait fort bon français. »
[44] Ibidem, p. 103.
[45] L. Cust, op. cit., p. 20-21. L’auteur explique que la grand-mère de Marie, Antoinette de Bourbon, vint accueillir cette dernière le jour de son arrivée en France et écrivit à son fils aîné quelques jours plus tard : « Nostre petite reyne est la plus jolye et meilleure que ce que vous veistes oncques de son age, elle est clere, brune et pence qu’estant en eage d’en bonpoint qu’elle sera belle fille, car le taint est beau et cler ; et la chair blanche, le bas du vysage bien jolly, les yeux sont petis et ung petit enfoncé, le visage ung petit long, la grace et asurance fort bonne quent tout est dit elle est pour ce contenter. »
[46] A. Zvereva, « La beauté triomphante de la reine endeuillée : les portraits de Marie Stuart », op. cit., p. 78.
[47] Ibidem, p. 78.
[48] L’image officielle du portraituré était reprise, les traits vieillis et le costume remis à la mode du moment.
[49] L. Dimier, Histoire de la peinture de portrait en France au XVIe siècle, accompagnée d’un catalogue de tous les ouvrages subsistant en ce genre, de crayon, de peinture à l’huile, de miniature, d’émail, de tapisserie et de cire en médaillons, I, Paris : G. van Oest et Cie, 1924, p. 104.
[50] Il s’agit soit de deux anneaux distincts et séparables, qui s’emboîtent grâce à un mécanisme très précis. Chaque fiancé porte une moitié à l’annulaire : un anneau sur lequel figure une main. Lors du mariage, le marié offre sa moitié à la mariée : les deux anneaux réunis, les mains se croisent alors, symbolisant la foi, l’union et la loyauté ; soit les deux mains sont sur une seule et même bague remise à la future par son fiancé.
[51] P. Woeiriot, Livre d’anneaux d’orfèvrerie, 1561, Oxford : Ashmolean Museum, 1978, pl. 39. Peu d’œuvres réalisées nous sont parvenues ; on connait surtout des idées de bijoux grâce aux 40 planches qu’il a dessinées. Cet ouvrage montre combien la symbolique des bijoux était importante, même pour les plus petites pièces.
[52] D. Freedberg, op. cit., p. 62. L’auteur souligne bien la réaction des spectateurs face à des images qui semblent s’animer, où « les personnages muets leur apparaissent bien réels et vivants. ». Il rappelle d’ailleurs qu’Alberti, accordant déjà le pouvoir d’une image à émouvoir le regardeur, théorisait et rapportait les réactions d’un public confronté à des peintures.
[53] E. Jollet, op. cit., p. 47.
[54] Voir H. Bleting, op. cit., p. 7-16 et D. Freedberg, op. cit., « Le pouvoir des images : réaction et refoulement », p. 21-42. L’auteur analyse le comportement, l’état de celui qui reçoit l’image, l’émotion et la réaction qu’elle suscite chez lui. Provoquant stimulation et réaction chez le regardeur, l’image est donc efficace et agit sur lui.
[55] J. Du Pasquier, La miniature, portrait de l’intimité, Paris : Norma, 2010, p. 13. L’auteure définit la miniature de « petit portrait privé », caractérisé par « une charge sentimentale ».
[56] Ibidem, p. 30.
[57] Ibidem, p. 37.
[58] J. Pope-Hennessy, op. cit., p. 185.
[59] J. Du Pasquier (dir.), L’âge d’or du petit portrait, Paris : Réunion des musées nationaux, 1995, p. 9.
[60] Ibidem.
[61] C. G. Dubois, « Le vêtement féminin : une offrande aux regards, parure et parement, parade et paravent », dans M. F. Viallon (dir.), Paraitre et se vêtir au XVIe siècle, Saint-Etienne : Presses universitaires de Saint-Etienne, 2006, p. 53.
[62] G. Brouhot, Vraisemblance, authenticité et simulacre : prolégomènes à une étude du portrait du costume dans l’imagerie princière des Médicis au XVIe siècle, École doctorale 2009-2010, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, publié sur HiCSA (Histoire culturelle et sociale de l’art), en ligne [consulté le 21/02/2012].
[63] Leon-Batista Alberti, De la peinture, Paris : Macula, 1992, p. 131.
[64] L. Dimier, op. cit..
[65] E. Pommier, op. cit.. L’auteur montre que la réception du portrait est liée à la conception ancienne de la peinture comme imitation de la nature.
[66] Sur les questions de vraisemblance et de ressemblance, voir D. Freedberg, op. cit., p. 221-274.
Voir également l’introduction de D. Arasse, Le sujet dans le tableau. Essais d’iconographie analytique, Paris : Flammarion, 1997, p. 9-26.
[67] A. Pinelli, G. Sabatier, B. Stollberg-Rilinger (et al.), « Le portrait du roi : entre art, histoire, anthropologie et sémiologie » dans Perspective, vol.1, 2012, p. 11-28.
[68] H. Belting, op. cit., p. 155.
[69] L. Marin, Le portrait du roi, Paris : Éditions de minuit, 1981. Représenter signifie montrer, intensifier et redoubler une présence. D’une part, la représentation d’un individu a le pouvoir de rendre un effet de présence du portraituré ; d’autre part, la représentation légitime le pouvoir du portraituré. Représenter, c’est « redoubler le présent et intensifier la présence dans l’institution d’un sujet de représentation. ». Ainsi, par la représentation du prince, on montre sa gloire, son pouvoir, on le manifeste.
Voir aussi D. Freedberg, op. cit., p. 45. Comme le démontre l’auteur, l’un des pouvoirs de l’image est de manifester une présence, ce à quoi tentent de parvenir les artistes.
[70] A. Zvereva, « La beauté triomphante de la reine endeuillée : les portraits de Marie Stuart », op. cit.
[71] M. Bimbenet-Privat, « Costumes, bijoux et accessoires de Marie Stuart à la cour de France » dans T. Crépin-Leblond (dir.), op. cit., p. 60.
[72] A ce sujet, nous pouvons nous demander si cette façon de conserver le portrait de ses enfants morts n’était pour Catherine une façon de continuer à les faire vivre et à les maintenir parmi les vivants. Sur le pouvoir que peut exercer l’image d’un défunt, voir D. Freedberg, op. cit., p. 57, 59-61, 234. Il écrit d’ailleurs que la peinture « rend présent l’absent et vivant le défunt ; elle perpétue la mémoire et aide à l’identification », p. 60.
[73] J. Du Pasquier, La miniature, portrait de l’intimité, op. cit., p. 49.
[74] A. Zvereva, « La beauté triomphante de la reine endeuillée : les portraits de Marie Stuart », op. cit., p. 62 : cette tenue n’est pas celle que revêtait Marie le jour du sacre puisqu’elle portait le deuil de Henri II. Précisons aussi qu’à la mort du roi, la bienséance entraîne un changement dans les costumes qui deviennent des vêtements de deuil.
[75] Ibidem, p. 60.
[76] D. Course, D’or et de pierres précieuses, les paradis artificiels de la Contre-Réforme en France (1580-1685), Paris : Études et document littéraires, 2005, p. 37.
[77] F. Cosandey, La reine de France. Symbole et pouvoir, XVe et XVIIIe siècle, Paris : Gallimard, 2000, p. 66. L’auteure explique qu’une fois réunis, les époux ne forment plus qu’un seul corps.
[78] D. Course, D’or et de pierres précieuses, op. cit., p. 37.
[79] R. Giesey, Le Roi ne meurt jamais : les obsèques royales dans la France de la Renaissance, Paris : Flammarion, 1987, p. 282.
[80] Ibidem, p. 94.
[81] F. Cosandey, « Le sacre royal », dans La reine de France, op. cit., p. 145. L’auteure démontre que la cérémonie de sacre conduit à sceller l’union du roi et de l’Église.
[82] Ibidem, p. 138.
[83] A. Le Noble, Histoire du sacre et du couronnement, op. cit., p. 3.
[84] Voir H. Belting, op. cit., p.161.
[85] Ibidem, p. 163.
[86] A. Labanoff, Lettres, instructions et mémoires de Marie Stuart, Reine d’Écosse, Londres : Charles Dolman, 1844, p. 21 : Lettre du Cardinal de Lorraine à la Reine Douairière d’Écosse, le 15 avril 1554 : « Quelque fois elle s’oublie et mange ung peu trop par ce qu’elle a tousjours si bon appétit que [...] son estomach en auroit bien souvent à souffrir ».
[87] S. Édouard, op. cit.. L’auteure démontre d’ailleurs la grande inquiétude suscitée par les attaques de variole sur Élisabeth de Valois car les boutons risquaient de défigurer son visage.
[88] C. Noireau, L’esprit des cheveux. Chevelures, poils et barbes. Mythes et croyances, Paris : L’Apart de l’esprit, 2009, p. 26.
[89] J. Du Bellay, « Prosphonématique au Roi Très Chrétien Henri II », dans Recueil de poésies, Paris : G. Cauellat, 1553 : « la magesté de son front tant illustre / Entre les Roys apparoist tout ainsi […] ».
[90] J. Du Bellay, « A la Royne dauphine », dans J. Du Bellay, Epithalame sur le mariage de très illustre prince Philibert Emanuel, duc de Savoye, et très illustre princesse Marguerite de France, sœur unique du roy, et duchesse de Berry, Paris : F. Morel, 1559.
[91] « Caledon » fait référence à l’Écosse, appelée autrefois « Calédonie ».
[92] Ovide, Les Métamorphoses, Cher : Gallimard, 1992, p. 58, I, 438-463.
[93] N. Conti, Mythologie, Paris : P. Chevalier, 1627, p. 370.
[94] V. Cartari, Les Images des Dieux, Lyon : P. Frellon, 1610, p. 125.
[95] Du Bellay n’est pas le seul à y faire allusion. Maurice Scève écrit par exemple « Venus en eut pitié, & soupira, / Tant que par pleurs son brandon feit esteindre » dans Délie, object de ma plus haulte vertu, t. I, Gérard Defaux (éd.), Paris : Droz, 2004, sonnet 89, p. 44.
[96] Lors d’un voyage en Gaule, Lucien raconte avoir vu une peinture représentant un vieil homme vêtu d’une peau de lion, avec un arc, une massue et des chainettes d’or et d’ambre accrochées à sa langue reliées aux oreilles de plusieurs hommes qui le suivent dans la joie et l’allégresse. Un Celte lui expliqua qu’il s’agissait d’Ogmios, le dieu celte de l’éloquence. Lucien fit un rapprochement avec Héraclès et naquit la légende du pseudo-historique Hercule gaulois, qui faisait usage de son esprit et de sa force pour triompher. Sur ce personnage voir M.-R. Jung, Hercule dans la littérature, de l’Hercule courtois à l’Hercule baroque, Genève : Droz, 1966.
[97] Livret des emblemes de maistre André Alciat, mis en rime françoyse [par Jehan Lefevre] et presenté à monseigneur l’admiral de France, Paris : Chrestien Wechel, 1534.
[98] Sur ce mythe passionnant, je renvoie à l’ouvrage bien connu de M.-R. Jung, op. cit. (concernant la figure du héros à la Renaissance, voir p. 73-94).
[99] Tout comme Hercule, le roi doit, par son érudition et sa force de persuasion, mener son peuple à l’entente et à la paix. Voir J. Seznec, La survivance des Dieux antiques : essai sur le rôle de la tradition mythologique dans l’humanise et dans l’art de la Renaissance, Paris : Flammarion, 1993, p. 34-38.
[100] J. Du Bellay, Les Regrets, Les Antiquités de Rome, Défense et Illustration de la Langue française, Cher : Gallimard, 2002, p. 264 : « Vous souvienne de votre ancienne Marseille, seconde Athène, et de votre Hercule gallique, tirant les peuples après lui par leurs oreilles avec une chaîne attachée à sa langue. »
[101] M.-R. Jung, op. cit., p. 92.
[102] Ibidem, p. 92-93. Jung précise d’ailleurs que même les femmes peuvent être identifiées à l’Hercule gaulois.
[103] Cette comparaison du monarque au héros s’étendra à mesure que les troubles religieux augmenteront dans le royaume. Dans plusieurs entrées royales, Charles IX sera célébré en Hercule gaulois comme François Ier et Henri II avant lui, délivrant ainsi l’image du monarque parfait apaisant tout conflit.
[104] F. Pétrarque, Canzoniere, Cher : Gallimard, 2001, p. 28 : « […] je fus fait prisonnier et enchaîné, Dame, par vos beaux yeux. », p. 60 : […] Je vivrai quelque temps encore, tant un seul regard de vous a de puissance sur mon être (…( », p. 85 : « Les beaux yeux dont j’ai été frappé de telle façon que la blessure ne pourrait être guérie que par eux-mêmes […] ».
[105] J. Balsamo (dir.), Les poètes français de la Renaissance et Pétrarque, Genève : Droz, 2004, p. 298.
[106] Ronsard, Œuvres complètes, t. II, Paris : Gallimard, 1994, I, 137 : « Mon Dieu, que j’aime à baiser les beaux yeux / De ma maitresse, et à tordre en ma bouche / De ses cheveux l’or fin qui s’escarmouche / Si gaiement dessus deux petits cieux ! […] ».
[107] Sur la définition du decorum, voir A. Michel, Les rapports de la rhétorique et de la philosophie dans l’œuvre de Cicéron : recherches sur les fondements philosophiques de l’art de persuader, Paris : Éditions Peeters, 2003, p. 130-184 et p. 288-311. La convenance est une notion développée par Cicéron sous le terme de decus, que l’on traduit par « adaptation » ou « convenance » et qui correspond à l’art de bien accorder son propos au contexte. Les Grecs emploient le terme de decorum. Selon les deux termes employés, il s’agit de respecter un vocabulaire juste, qui convient, dans le but de produire un discours clair, cohérent et qui a un sens. Voir également M. Fumaroli, L’âge de l’éloquence. Rhétorique et ‘‘res literaria’’ de la Renaissance au seuil de l’époque classique, Genève : Droz, 2009, p. 54 : le decorum est « l’exacte proportion entre le style adopté et les circonstances, le sujet, le public, la personne de l’orateur. ».
[108] J. Du Bellay, Regrets, sonnet 170, Paris : F. Morel, 1558.
[109] J. Seznec, op. cit., p. 270-273.
[110] Ibidem, p. 45.
[111] F. Yates, Astrée : le symbolisme impérial au XVIe siècle, Paris : Belin, 1989, p. 209.
[112] Voir à ce sujet la thèse d’Elinor Myara Kélif : L’imaginaire de l’Âge d’Or à la Renaissance en Europe, sous la direction de P. Morel, Université Paris I-Panthéon Sorbonne, soutenue le 18 février 2012.
[113] Hésiode, Les Travaux et les Jours, Paris : Arléa, 2012.
[114] J.-A. de Baïf, « Chant de joye du jour des epousailles de François Roidaufin et de Marie Roine d’Écosse », Paris, Chez A. Wechel, 1558, dans J. Vignes (dir.), Œuvres complètes I, Euvres en rime, Paris : Honoré Champion, 2002.
[115] F. Cosandey, La Reine de France, op. cit., p. 73-75.
[116] Lucrèce, « L’Univers et les Systèmes », dans De la nature, I, Paris : Les Belles lettres, 1997, vers 36 et vers 44.
[117] On remarque d’ailleurs, des vers 50 à 56, les assonances en [i], « accomplisse », « prions », « bénir », « divin », « ici », « ennuy », « tristesse », « sinon », « liesse », « fils », « Henri », « mary » ; la sonorité du poème, avec ce « i » joyeux et gai, accompagne donc l’atmosphère heureuse du moment présent, la joie liée au mariage.
[118] Anonyme, Discours du grand et magnifique triomphe faict au mariage du tresnoble [et] magnifique prince François de Valois… [et] de treshaulte [et] vertueuse princesse Marie d’Estruart roine d’Escosse, Paris : éd. Annet Brière, 1558, p. 12.
[119] R. Strong, Les fêtes de la Renaissance (1450-1650), Art et pouvoir, Arles : Solin, 1991, p. 190.
[120] Ibidem, p. 191.
[121] F. Yates, op. cit., p. 227.
[122] J. Vignes, « Jean-Antoine de Baïf et Claude Le Jeune : Histoire et enjeux d’une collaboration », dans Revue de musicologie, t. 89, n° 2, 2003, p. 270. Baïf travaille à renouveler les vers mesurés à l’antique dans une direction proprement musicale. Le poète souhaite voir la parole mise en chanson et sait qu’on prêtait à la musique des Anciens des effets quasi magiques, effets ayant le pouvoir d’apaiser les conflits. C’est donc parallèlement aux troubles politiques et religieux que se créera l’Académie, à l’occasion du mariage entre Charles IX et Élisabeth d’Autriche.
Voir aussi F. Rouget, « Jean-Antoine de Baïf et l’Académie du Palais (1576) », dans Revue d’histoire littéraire de la France, 2009, vol. 109, p. 385-402.
[123] Plusieurs mythes racontent que des personnages exemplaires ont eu le destin de se transformer en astre : Callisto, Orion, ou encore Castor et Pollux.
[124] Anonyme, Discours du grand et magnifique triomphe faict au mariage du tresnoble [et] magnifique prince François de Valois, op. cit., p. 15.
[125] Jean Adhémar confirme que Ronsard possède un portrait de Marie dans J. Adhémar, « Ronsard et l’École de Fontainebleau », dans Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, t. 20, n° 2, 1958, p. 345.
[126] Ibidem, p. 344.
Ronsard n’est pas le seul poète à dresser le portrait d’une personne qu’il veut célébrer. Il s’agit d’un procédé courant chez les auteurs de la Pléiade. Voir à ce sujet F. Lecercle, La Chimère de Zeuxis. Portrait poétique et portrait peint en France et en Italie à la Renaissance, Tubingen : Gunter Narr Verlag, 1987.
[127] E. Pommier, op.cit., p. 181.
[128] La sonorité même du poème accompagne la tristesse de l’épisode des vers 33 aux vers 50. À partir de « tous les jardins » (v. 33), l’allongement du vers s’entend par les accumulations des diphtongues et des voyelles nasalisées. Les sons [u] » et [é] sont longs et reviennent plusieurs fois : « tous », « sous », « poussée », « pirouetter », « pourmener », « ainsi », « peinte », « sainte » ; les voyelles nasalisées de « blanchissent » et d’ « ainsi » ; la diphtongue en [oi] de « voiles » et « toiles » ; ainsi que les sons nasalisés à la rime suivit d’un « e » muet de « poussée », « élancée », « née », « matinée », insistent sur la tristesse et la majesté de la jeune reine.
[129] P. Brantôme, Vies des Dames illustres françoises et étrangères, op. cit., p. 111.
[130] Léandre guide Héro grâce à une lampe et Héro peut le rejoindre en nageant. Une nuit, la torche s’éteint à cause du vent et Héro se noie. Léandre se suicide. La discrétion de l’amour courtois est violée.
[131] A. Zvereva, « La beauté triomphante de la reine endeuillée : les portraits de Marie Stuart », op. cit., p. 80.
[132] T. Crépin-Leblond, « Marie Stuart à la cour de France » dans T. Crépin-Leblond (dir.), op. cit., p. 45 : « Elle [Marie Stuart] choisit de porter le deuil en blanc. »
[133] A. Challamel, Mémoires d’un peuple français depuis son origine jusqu’à nos jours, t. IV, Paris : Hachette, 1868, p. 380. Depuis le Moyen âge, les reines portent le deuil blanc et celui des rois est rouge ou violet.
[134] I. Konstantinovic, Montaigne et Plutarque, Genève : Droz, 1989, p. 238.
[135] Érasme, op. cit., p. 15.
[136] Ibidem, p. 29.
[137] M. F. Viallon, « Introduction », dans Paraître et se vêtir au XVIe siècle, op. cit., p. 7.
[138] Ibidem, p. 7.
[139] P. Brantôme, Œuvres complètes, vol. IX, Paris : Jules Renouard, 1876, p. 638.
[140] Érasme, op. cit., p. 29.
[141] Ibidem, p. 29.
[142] I. Paresys, « Paraître et se vêtir au XVIe siècle : morales vestimentaires », dans Paraître et se vêtir au XVIe siècle, op. cit., p. 35.
[143] Ibidem, p. 21.
[144] H. Estienne, Deux dialogues du nouveau langage françois, italianizé, et autrement desguizé, principalement entre les courtisans de ce temps, Anvers : Guillaume Niergue, 1579, p. 201. « elles (les femmes( usent d’embourremes sous leur robbe, lesquels font paroir leur personne, depuis la ceinture en bas, beaucoup plus grosse qu’elle n’est, & que la taille du corps ne monstre. Ce qui fait qu’il n’y a nulle proportion entre le bas du corps & le haut. ».
[145] Érasme, op. cit., p. 29.
[146] Olivier de La Marche Le Parement et triomphe des Dames, Paris : J. Petit et M. Le Noir, 1510.
[147] Didier Course, D’or et de pierres précieuses, op. cit., p. 42. L’étymologie latine du mot « joyau » qui vient du latin jocalem (plaisant) et de joi (joie).
[148] H. de La Ferriere-Percy, Lettres de Catherine de Médicis, Paris : Imprimerie nationale, 1880, p. 25.
[149] F. Cosandey, « La reine, la couronne et le domaine », dans La reine de France op. cit., p. 87.
[150] Ibidem, p. 113-114 : l’historienne explique que, si le royaume de France ne peut connaître deux rois simultanément, il peut abriter plusieurs reines de France : une seule régnante, les autres douairières.
[151] H. de La Ferriere-Percy, Lettres de Catherine de Médicis, op. cit., p. 124.
[152] T. Crépin-Leblond, op. cit., p. 83.
[153] Brantôme, Vies des Dames illustres françoises et étrangères, op. cit., p. 114-115 : « C’est bien à ceste heure, ma chere France, que je vous perds du tout de veüe […] Adieu donc, ma chere France, je ne vous verray jamais plus ! ». Même si Brantôme a tendance à enjoliver certains faits historiques, l’analyse complète de la correspondance de Marie Stuart confirme l’attachement que cette dernière avait pour la France et le chagrin qu’elle a eu quand elle a quitté ce pays.
[154] Ibidem, p. 85.
[155] J. Vignes (dir.), Jean-Antoine de Baïf, Œuvres complètes I, Euvres en rime, Première partie, Neuf Livres des Poemes, Paris, Honoré Champion, 2002, notes sur La Complainte de la Royne Marie [V, 5]. L’auteur explique que Baïf a composé l’élégie « “ à la chaude ”, sous le coup de l’émotion, au lendemain de la mort de François II, décédé le 5 décembre 1560, d’un abcès à l’oreille. »
[156] J. Vignes (dir.), Jean-Antoine de Baïf, Œuvres complètes, op. cit., notes 3-4 sur La Complainte de la Royne Marie [V, 5].
[157] Voir « Vers sur la mort de François II », dans D. Course, En ma fin est mon commencement, écrits religieux et moraux de Marie Stuart, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 30-32 : « En mon triste et doux chant/ D’un ton fort lamentable/ Je jette un œil tranchant/ De perte incomparable/ Et en soupirs cuisants/ Passent mes meilleurs ans […] »
[158] Concernant les utilisations de Saturne-Chronos à la Renaissance, voir l’ouvrage d’E. Panofsky, « Le Vieillard Temps », dans Essais d’iconologie, les thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance, Paris, Gallimard, 1967, p. 105-130.
[159] Sur les procédés et l’utilisation de la rhétorique, voir A. Michel, op. cit. Voir également M. Fumaroli, op. cit.