Représentation : le mot, l’idée, la chose
Carlo Ginzburg
Carlo Ginzburg, "Représentation : le mot, l’idée, la chose", dans Annales, année 1991, volume 46, numéro 6, p. 1219 - 1234.
Extrait de l’article
Depuis le début des années quatre-vingt, « représentation » est devenu,
dans le domaine des sciences humaines, un véritable mot clé — on dirait
presque un mot à la mode. On pense à Représentations, la revue lancée en 1983
par un groupe d’historien, de philosophes et de littéraires de l’université de
Berkeley ; ou, dans un contexte européen, à l’article de Roger Chartier paru
dans les Annales l’année dernière, sous le titre allusif « Le monde comme
représentation ». On pourrait aisément multiplier les exemples.
Cette fascination est quelque peu surprenante, « représentation » étant un mot vénérable,
qui fait partie de notre outillage intellectuel depuis des siècles. Mais tout récemment il a acquis, paraît-il, des résonances nouvelles. Je voudrais les analyser
d’une façon indirecte. La stratégie que j’ai adoptée a un but précis : détruire la
trompeuse familiarité que nous avons avec des mots, tel que « représentation »,
qui font partie de notre langage quotidien. L’ampleur et la complexité du sujet
excuseront, j’espère, le caractère un peu schématique de mon propos. Il se rattache à un projet de recherche auquel je travaille depuis quelque temps. Je vais
en donner quelques jalons.
La stratégie de dépaysement que je viens d’évoquer commence par les vocabulaires. Dans l’article que j’ai déjà mentionné, R. Chartier a utilisé le Dictionnaire de Furetière pour montrer l’importance tout à fait centrale de la notion de
représentation dans les sociétés d’Ancien Régime. Le but de l’auteur — proposer une nouvelle définition d’histoire culturelle, ou d’une histoire des pratiques culturelles — était différent du mien. Il lui est arrivé toutefois de formuler
dans son texte, d’une façon très nette, quelques-uns des problèmes que je veux aborder aujourd’hui.