Rituel politique et imaginaire politique au haut Moyen Âge
Philippe Buc
Buc, Philippe, "Rituel politique et imaginaire politique au haut Moyen Âge", dans Revue historique 2001/4, N° 620, p. 843-883.
Extrait de l’article
De ce côté de l’Atlantique comme de l’autre, les historiens, pendant
le siècle qui vient de s’achever, ont consacré de nombreux travaux
aux soi-disant « rituels politiques » médiévaux. Si le rythme
des publications s’est accéléré durant les trente dernières années,
l’intérêt remonte cependant à l’entre-deux-guerres – on pensera
notamment à Percy Ernst Schramm et à Marc Bloch.
Pourtant, malgré ce prestigieux pedigree, et en partie à cause de lui, le sujet
est problématique. D’une part, la notion du Politique est fondamentalement
une invention de la Modernité ; d’autre part, le concept de rituel, tel que nous le comprenons, est tout aussi récent, étant lui
aussi un enfant de l’Époque moderne, et, de plus, comme l’a souligné
Jack Goody sans jamais être écouté, extrêmement vague.
Toute analyse de rituels dans leur dimension temporelle est, de
plus, sujette à un risque que l’on qualifiera de « génétique ». Les
modèles issus des sciences sociales auxquels le médiéviste a souvent
recours, ou dans lesquels il ou elle s’inscrit sans le savoir, véhiculent
des présupposés fonctionnalistes. Plus ou moins prégnants mais toujours
présents, plus ou moins larvés, ils poussent l’analyse à postuler
des corrélations rigides entre changement dans la pratique rituelle et
changements de structure sociale ou politique. On retrouve le même
plan-type dans bien des ouvrages : une crise du rituel, ou la transmutation
d’un système de rituels en un autre, ou encore l’institutionnalisation
des pratiques rituelles, explique, ou est expliquée, par
une métamorphose sociopolitique...