Boire le chocolat
Alice Peeters
Alice Peeters, "Boire le chocolat", dans Terrain, année 1989, numéro 13, p. 98-104, , mis en ligne le 17 juillet 2007.
Extrait de l’article
Pour tout un chacun, le mot chocolat évoque, à l’heure actuelle, une friandise qui casse sous la dent avant de fondre dans la bouche et se présente le plus souvent sous forme de plaquettes ou de tablettes. En réalité cet usage est relativement récent et, jusqu’à la fin du XIXe siècle, le chocolat est avant tout une boisson.
Originaire du haut bassin amazonien, le cacaoyer (Theobroma cacao L.) fut domestiqué en Mésoamérique, à la période précolombienne. Très valorisées chez les Aztèques, les fèves de cacao étaient utilisées dans la préparation d’une boisson réservée aux élites : le chocolatl. Elles servaient aussi de monnaie et d’offrandes dans plusieurs cérémonies religieuses. Avec la conquête du Mexique (1519-1521) par Hernando Cortés, les Espagnols, et à leur suite, les autres Européens, firent connaissance avec le cacao. Au début, le chocolatl tel que le préparaient les peuples de Mésoamérique ne suscita pas l’enthousiasme des conquérants : il s’agissait d’une boisson amère, additionnée de piment et d’achiote comme colorant. Ils marquèrent surtout leur dégoût pour l’écume noirâtre qui surmontait cette boisson. Le naturaliste Carolus Clusius écrivit même qu’il s’agissait d’une boisson qui convenait plus aux porcs qu’aux humains (1605 : II, chap. XXVIII).
Le chocolat resta longtemps un produit de luxe en Europe, mais devint rapidement une boisson populaire dans les colonies de l’Amérique tropicale. Il fut le premier du célèbre trio thé-café-chocolat, ces boissons stimulantes non alcoolisées, à pénétrer en Europe. Au cours des siècles, le sens des mots cacao et chocolat a quelque peu varié. Cacao désigne d’abord la fève ou graine du cacaoyer ; ce terme s’applique également à la pâte obtenue par la malaxation de ces fèves préalablement torréfiées et décortiquées. C’est le sens le plus fréquent de ce mot dans les textes des xviie et xviiie siècles. Un « pain de cacao » est formé par la masse compacte de la pâte de cacao desséchée. L’idée de poudre qui vient le plus souvent à l’esprit actuellement correspond à un produit plus récent, obtenu après extraction des oléagineux, c’est-à-dire du « beurre de cacao », contenus dans la pâte.