Journal de voyage de l’abbé Cavalier de Fréjus à Paris et Versailles (février-juin 1748)
Frédéric d’ Agay (éd.)
Comment citer ce document :
Frédéric d’Agay (éd.), Journal de voyage de l’abbé Cavalier de Fréjus à Paris et Versailles (février-juin 1748). Paris, Cour de France.fr, 2008. Document inédit publié en ligne le 1er septembre 2008 (https://cour-de-france.fr/article497.html).
Présentation
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Le voyage que nous publions ici est un document inédit trouvé dans des archives familiales [1] qui nous a paru intéressant à plusieurs titres. Les relations de voyage du XVIIIe siècle sont nombreuses mais celle d’un ecclésiastique, nous voulons dire un prêtre et non un abbé ou un prélat, sont beaucoup plus rares. Issu d’une famille bourgeoise provençale qui a donné de nombreux prêtres et religieuses dans une ville épiscopale, Fréjus, petite bourgade ennuyeuse et triste où toute l’ambition était ecclésiastique, le Prévôt Cavalier a mené sa famille, dont il était l’aîné, sur le chemin de la fortune voire de l’anoblissement si la Révolution n’avait pas éclaté, par des voies cléricales contrairement à son compatriote l’abbé Sieyès, ambitieux politique et social, quelques années plus tard. Son voyage à Paris et à Versailles s’inscrit donc dans cet élan et ce contexte. C’est le voyage d’un dignitaire du chapitre de Fréjus et grand Vicaire de Mgr du Bellay, parti rejoindre à Paris son évêque député à l’assemblée du clergé de 1745 ce qui l’obligeait à résidence dans la capitale [2].
L’abbé Jean-Toussaint Cavalier est né à Fréjus le 31 octobre 1700, d’une vieille famille bourgeoise originaire de Bagnols-en-Forêt (Var) [3]. Quoique le fils aîné de la famille, il entre dans les ordres et est tonsuré par Mgr de Fleury, évêque de Fréjus, le 28 avril 1715. Reçu docteur en théologie le 20 avril 1724, il est ordonné prêtre par Mgr de Castellane le 31 mars 1725,
et nommé curé de Saint-Raphaël le 15 octobre 1725, Chanoine théologal de Fréjus le 20 avril 1733, Official du diocèse en 1738, Archidiacre du chapitre de Fréjus le 24 juin 1744. Lors de l’invasion de l’armée austro sarde à la fin de l’année 1746 et en l’absence de Mgr du Bellay, il dut affronter l’armée d’occupation avec les grands vicaires et le chapitre. L’abbé Cavalier refusa de payer la moindre somme en contribution de guerre pour la ville de Fréjus et fut emprisonné comme otage au
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fort de Sainte Marguerite des îles de Lérins d’où il ne fut libéré qu’en février 1747 [4]. Il fut récompensé de son attitude par le Roi qui lui octroya une pension sur l’abbaye de Rhedon le 27 mais 1747.
En février 1748 il se mit en route pour Paris, pour rejoindre Mgr du Bellay et assister à l’assemblée générale du Clergé. Ce voyage dura cinq mois. Parti de Fréjus, il traverse Le Luc [5], Aix-en-Provence, Avignon, Orange, Valence, Vienne, Lyon sans qu’on sache s’il voyage en chaise de poste ou en diligence. On ne sait pas non plus s’il voyage seul, ou accompagné d’autres abbés. Il emmène probablement avec lui un domestique [6]. Une petite note en fin du document nous donne les étapes,
les lieues parcourues et les rivières franchies ; nous savons ainsi qu’il n’a pas emprunté le bateau pour remonter le Rhône. Après un séjour de cinq jours à Lyon, où il a le temps d’aller à la grande messe de la cathédrale et de nous donner une description de la cérémonie et des usages de Lyon, il reprend la route via Mâcon, Tournus, Saulieu, Auxerre, Sens, Fontainebleau et arrive à Paris le 28 février. A partir du 4 mars, il commence à tenir son journal et à décrire Paris, un Paris un peu spécial qui comprendrait essentiellement les églises, les couvents, les cérémonies, les processions avec les palais, les monuments, les promenades. Le monde en dehors de quelques prélats, de la famille royale ou de rares personnalités en toile de fonds n’existe pas. Il ne rend pas compte de ses visites, des dîners, soupers, déjeuners ou conversations.
Ce sont donc d’abord les églises, les couvents, les cérémonies et les prêches qui l’attirent. C’est un prêtre qui doit dire sa messe tous les jours, lire son bréviaire, faire ses prières, accomplir ses dévotions. C’est un provincial qui n’a jamais vu de grande ville à part Marseille et aussi un Provençal toujours un peu étonné lorsqu’il sort de son pays et qu’il est confronté aux réalités du nord du royaume. Le froid et la neige continus tout le mois de mars le perturbent beaucoup, il parle de temps de neige affreux, prend froid aux Grands Augustins, et attrape une fluxion de poitrine pendant les saints de glace début mai.
En se rendant dans les églises et les couvents pour ses dévotions ou sa curiosité il en note l’architecture, les tableaux, les statues et les monuments funéraires qui l’intéressent semble-t-il beaucoup : ce Paris là a été balayé par la Révolution et son témoignage est précieux. Il visite Notre Dame, La Charité, Saint Sulpice et le séminaire, St Germain l’Auxerrois, St Roch, la Sorbonne et sa chapelle, St Thomas du Louvre, le séminaire des Missions étrangères, la Sainte Chapelle, le collège des Quatre Nations, les couvents et abbayes de Saint Germain des Prés, de Saint Denis, de Ste Geneviève, du Val de Grâce, des Grands Augustins, des Carmes, des Carmélites, des Célestins, des Prêcheurs, des Feuillants, des Jacobins, des Capucins de Meudon. Il va beaucoup à Notre Dame pour la grand’messe dominicale qu’il décrit longuement avec tout ce qui le surprenait dans le « rit » de Paris, et les offices de la Passion, Ascension et Pentecôte : ce sont des descriptions de « professionnel » qu’il a du raconter et commenter aux chanoines de la cathédrale de Fréjus au retour ! Il va à la fête du St Sacrement à la Charité, à la messe chantée pour la rédition de Paris sous Henri IV aux Grands Augustins. Dans cette église il assiste aussi à la messe du Saint Esprit de l’ouverture de l’assemblée du Clergé. Il écoute une soutenance de thèse à la Sorbonne, le sermon du Père Neuville sur les adversités à St Jean en Grève, dont il nous livre les thèmes et son enthousiasme, et celui de l’abbé Adoin à St Barthélémy. Il nous livre à la fin du document la liste des prédicateurs les plus en vue de Paris, malheureusement c’est la partie la plus abîmée du document ! Pendant la Fête
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Dieu, il ne manque aucun des offices entre St Sulpice, la Ste Chapelle, Notre Dame et St Paul et nous décrit la procession de St Sulpice avec soin. Il nous donne là une vision de Paris inconnue, celle des rites religieux imprégnant la cité aux cents clochers, des immenses couvents, des processions et fêtes populaires. On a souvent tendance à l’oublier au profit du Siècle des lumières, mais à tort sans doute.
Dans ces abbayes et couvents il a une prédilection pour les reliques et les tombeaux et ne manque pas de visiter les cabinets, trésors et bibliothèques. Il nous révèle ses goûts lors de la visite du « cabinet des raretés » de l’abbaye de Ste Geneviève : « Je n’ai jamais vu tant de médailles et de curiosités mais comme je n’ai aucun goût pour ces antiquailles, j’avoue que je ne m’y plus pas, j’aimai mieux revenir encore dans cette fameuse bibliothèque que je ne pouvais me lasser d’admirer ». Il est grand amateur de livres et nous a laissé plusieurs listes de sa bibliothèque personnelle et de son augmentation. A la fin de sa vie elle se composait d’environ 500 volumes - 50 in Folio, 66 in quarto, 300 in 12 et beaucoup de brochures- et estimée à 2.000 livres. Pendant son séjour à Paris il acheta l’Histoire ecclésiastique de Fleury, [7] Les Entretiens agréables, en 13 tomes, les Pensées de Pascal, les Lettres de Gui Patin, l’Instruction pour les curés, les Semaines saintes, le Traité des cathédrales de Bordenave, le Poème de la grâce, l’Histoire de Louis XIV, les Oeuvres du P. Norbert, capucin, et un bréviaire, soit en tout une dépense de 198 livres. Il nous décrit enfin la bibliothèque du roi avec enthousiasme, note les horaires et annonce fièrement qu’elle est embellie « depuis Charlemagne » !
La vision touristique de Paris est plus classique et commence par le palais de justice, les trois places (Royale, des Victoires et Vendôme), les Invalides, le palais du Luxembourg, le Palais Royal, l’Hôtel de Toulouse, leurs collections et jardins, le vieux Louvre et les Tuileries, les Champs Elysées, le Cours la Reine et le bois de Boulogne, les Gobelins, l’Observatoire, le jardin du Roi, l’Arsenal, le faubourg St Antoine, une excursion à Meudon, Marly et St Cloud. Là aussi il nous livre son enthousiasme, ses préférences architecturales, décrit les collections, les jardins, donne des avis. Mais ce sont des palais et lieux inhabités. On ne rencontre des Parisiens que lorsqu’il évoque les guinguettes de l’Observatoire, va à la revue de la maison du Roi à la plaine des Sablons, à celle des gens d’armes du prince de à St Denis, ou lorsqu’il assiste au convoi funéraire d’une fille du dauphin traversant Paris pour être inhumée à St Denis. Mais la famille royale seule est décrite. Les réflexions personnelles sont rares ; il note une fois qu’il est en compagnie de Mgr du Bellay, l’adresse de son hôtel rue de Grenelle, qu’il va généralement à pied, sauf à St Denis où il se rend en carrosse, ce qui lui coûte horriblement cher. Et dans son excursion à Meudon il offre à dîner à ses deux compagnons [8] et déguste des pigeons gras comme il n’en a jamais mangé…
Il est beaucoup plus prolixe dans la relation de son séjour à Versailles où il arrive le mercredi saint 10 avril pour assister à l’office des ténèbres de la chapelle royale, chanté par un « eunuque » ! Il aime beaucoup la musique et donne souvent le nom des compositeurs, des chanteurs, et son avis sur l’exécution. Le jeudi saint, il assiste aux cérémonies de lavement des pieds du Roi et de la Reine. La famille royale est très présente sur un fonds de cour très remuant, il est aux premières loges et n’en perd pas une goutte. Il rapporte de nombreux de détail du prêche du vendredi saint dans la chapelle royale et un passage du sermon, se rend à l’adoration de la Croix. Le jour de Pâques, le matin à 9h il dit la messe au maître autel de la chapelle royale, où on lui remet un Office de la semaine sainte aux armes royales, toujours conservé dans sa famille, puis assiste à la grande messe de Pâques dont il décrit le cérémonial – vu du côté ecclésiastique - et le sermon. Ensuite ce sont les grandes eaux et le
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grand Couvert. Le lundi de Pâques, autres cérémonies à la chapelle. Le reste de son séjour consiste à visiter le parc, les bosquets, où il décrit minutieusement les statues et les bassins, les eaux, l’Orangerie, la Ménagerie, le Potager et les serres, ébahi par la foule et tout ce qu’il voit…. Avant de rentrer à Paris coup d’œil aux deux paroisses de Versailles. Pendant son séjour à Versailles, il se fit faire « par l’orfèvre de la cour » un très beau calice avec ses burettes et bassin d’argent le tout dans une caisse de maroquin noir « très propre et bien conditionnée » qui coûta 1.250 livres. [9] Il resta encore à Paris tout le mois de mai, retenu par une maladie. Il n’y a aucun détail sur son retour ni sa date de départ.
Arrivé à Fréjus, il reprit ses fonctions et l’administration du diocèse en l’absence de Mgr du Bellay qui le désigna comme vicaire général et vice gérant du diocèse le 20 février 1749. L’évêque revint à Fréjus en septembre 1749. L’abbé Cavalier fut élu député à l’assemblée provinciale du clergé le 20 janvier 1750, puis désigné Grand Vicaire de la prévôté de Pignans par l’évêque de Toulon le 28 avril 1750, Procureur-vicaire des moines de l’abbaye de Lérins le 25 août 1750. Député de Fréjus à l’assemblée des communautés des Etats de Provence de Lambesc, Président de la chambre ecclésiastique en 1755 et 1758, il fut revêtu de la dignité de Prévôt du chapitre de Fréjus, la première du chapitre de la cathédrale, le 1er avril 1766 [10] et Grand Vicaire de Mgr de Bausset, nouvel évêque de Fréjus, le 28 janvier 1767 [11]. Il retourna deux fois à Paris sans laisser d’autre relation de voyage. Il mourut à Fréjus après avoir résigné sa prévôté en faveur de son frère Jules-Léonce Cavalier en 1775.
On peut deviner son caractère dans la relation du voyage que nous publions mais aussi grâce aux papiers qu’il a laissé : un saint homme et pieux mais aussi un homme d’ordre et d’autorité, un ecclésiastique responsable dans la lignée des évêques administrateurs et politiques de son siècle : « Dans tous ces évènements, j’adore les ordres du Seigneur et le remercie tous les jours parce qu’il m’a voulu où je suis malgré les blessures des hommes [12] ». Il tenait à son rang, au respect de sa dignité d’homme d’église et aux biens de ce monde. Mais il est aussi très charitable. Il nous a laissé une liste de ses bonnes œuvres : une messe anniversaire dans la cathédrale en 1751 (250 livres), la grille de fer du chœur de la cathédrale de Fréjus vers la sacristie en 1754 (640 livres), un fonds placé pour faire chanter à perpétuité les litanies de la Ste Vierge tous les jours aux enfants de chœur en 1758 (1.250 livres), la construction de la chapelle de Saint Jean-Baptiste dans sa bastide de Montourey [13] en 1760 (1.800 livres), son calice, burette et bassin d’argent donné à la sacristie de la cathédrale en 1764 (1.250 livres), don au chapitre pour refaire le clocher en 1766 (600 livres), des ornements pour les messes solennelles au chapitre en 1769 ( 175 livres), à l’œuvre de la Charité en 1772 pour les pauvres honteux de Fréjus un capital de 1.000 livres, un ostensoir de procession pour le St Sacrement du chapitre de Fréjus en 1773 (1.100 livres), un dais de velours cramoisi à galons d’or à la confrérie du St Sacrement pour les processions générales en 1773 (630 livres), aux bénéficiers de
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Fréjus pour des messes en 1774 (600 livres), un ostensoir à l’église de Claviers comme Prévôt et seigneur du lieu en 1774 (400 livres), au séminaire Saint Léonce de Fréjus un capital pour un pauvre séminariste présenté par les prévôts ou sa famille en 1775 ( 3.000 livres), soit un total de prés de 15.000 livres. A sa mort il légua 3.000 livres aux pauvres et le reste de sa fortune (20.000 livres en capitaux) et un important mobilier dans la prévôté de Fréjus, devenu la maison de famille, à son neveu et héritier, Honoré Cavalier (1757-1806), Procureur du Roi en l’amirauté de Fréjus et maire de Fréjus. La prévôté passa à son frère Jules-Léonce, puis à son neveu Jean-Martin Cavalier (1751-1823), aumônier de la duchesse de Bourbon, qui vécut à Paris et à la cour, émigré à Rome pendant la Révolution, archiprêtre de Draguignan et grand vicaire de l’archevêque d’Aix sous l’Empire, chevalier de la Légion d’honneur et du Lys [14]. Le prévôt Cavalier avait mis sa famille sur la voie des honneurs et de la réussite. La relation de son voyage à Paris doit être replacée dans son contexte : elle est à la fois du siècle des lumières et écrite par un prêtre qui place l’église catholique et romaine au centre des préoccupations humaines.
Frédéric d’Agay
Journal de mon voyage à Paris
De Fréjus à Aix, il n’y a point de ville qui mérite l’attention du voyageur. Ceux qui aiment pourtant la campagne trouvent le terroir de la Provence, ses vignes, ses olivettes et ses prairies, charmantes. Le jardin du château du Luc est très agréable. On y voit des allées d’arbres de haute futaie, plusieurs jets d’eau et un bosquet au bout des allées très agréable. Dans le château il y a de fort beaux appartements, comme de belles peintures. L’entrée du comte du Luc à Vienne lors de son ambassade fait un tableau digne de l’admiration des curieux.
On voit à Saint-Maximin une église très propre mais peu proportionnée. Son étendue ne répond pas à l’élévation de sa nef. Le chœur en est très propre et le maître-autel très beau et fort éclairé. Elle est sans portail.
Aix est une des villes du royaume des mieux bâties. L’arrangement de ses rues, leur étendue et leur propreté, ses places, ses cours, ses murailles, ses dehors, ses eaux, la beauté de ses maisons en font une belle ville. Elle est honorée d’un siège archiépiscopal, d’un parlement, d’une cour des comptes et des trésoriers de France, d’une université, et d’un hôtel de monnaie. La métropole est une vaste église mais obscure ; le portail en est fort beau.
Avignon est une grande et vaste ville peu peuplée et communément mal bâtie, quoiqu’on y voie des palais fort beaux. Celui du vice-légat est très informe et n’offre aux curieux qu’une affreuse masse de pierres. Les remparts d’Avignon sont très beaux et son terroir magnifique. La métropole est du commun, la sacristie, belle.
Orange est une ville assez mal bâtie. Elle paraît fort négociante. Le cirque est encore beau, on y voit encore le fameux arc de triomphe fait au prince d’Orange. La cathédrale en est très laide, l’évêché fort agréable. J’y ai vu une orangerie superbe.
Valence est une assez grande ville. Il y a plusieurs maisons avec des portails. Le palais du présidial est beau, la cathédrale est belle et fort vaste mais peu ornée. A côté, il y a une belle place. La ville a des murs et contre-murs, et des fauxbourgs.
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Vienne est une ancienne ville très mal bâtie. Il y a au-dehors des casernes pour les troupes très belles. L’église métropolitaine de cette ville est de toute beauté. On y monte par 28 degrés au bout desquels on trouve une vaste plateforme, d’où l’on peut examiner un portail couvert de figures représentant les mystères de Jésus-Christ, travaillés d’une délicatesse et d’un goût admirable. Ce superbe portail est terminé par une tour de chaque côté de la plateforme. Vous montez encore quatre degrés pour entrer dans l’église dont la beauté, l’étendue, la proportion, la clarté et la majesté vous frappent d’abord ; l’élévation de ses nefs, la galerie qui règne dans celle du milieu, la beauté de ses piliers qui sont au nombre de 16, ceux du chœur compris, en font une église parfaite de l’aveu d’un [chrétien].
Cérémonies de l’église de Lyon durant la grand’ messe
Les petites heures qui se psalmodient, comme en Provence durant les ténèbres, finies par le De profundis, on chante l’Introït. Ce sont des servants qui chantent très posément. Deux enfants de chœur chantent l’octave au Kyrie Eleison. Trois comtes de Lyon sortent de la sacristie, précédés d’un bedeau en robe d’avocat avec un grand rabat et la perruque à longue suite, le sous diacre et diacre en aubes, leur rabat par dessus, et le prêtre en chasuble très simple avec des galons de soie ; tous les trois, en mitres de la couleur de foi, convient à l’office et vont à l’autel. Le célébrant commence la messe, le sous diacre en mitre fait une profonde révérence vers le chœur, le salue, et se retire derrière l’autel jusqu’au temps de l’épître qu’il va chanter au milieu du chœur, et après il vient baiser le bout de la chasuble du célébrant du côté droit et remet le livre au diacre avec une révérence. Le diacre met la mitre et reçoit ainsi la bénédiction du célébrant, assis sur un petit banc nullement orné, et va chanter l’évangile au même côté qu’on le chante selon le rite romain, sans acolyte ni thuriféraire. Après, un thuriféraire en aube seulement apporte le calice sans voile au sous diacre, qui le présente avec l’hostie sur la patène au célébrant, qui l’offre ainsi et prend après du vin et de l’eau. Après, le célébrant bénit l’encens et encense par trois coups seulement oblato (?) à la croix et encense le côté gauche et est encensé lui-même par le diacre qui après encense tout le rond du sanctuaire, donnant à l’encensoir la longueur des chaînes en encensant. Cela fait, le thuriféraire va encenser la croix qui est à l’entrée du chœur, et le chœur. On ne dit point d’Orate frates. Le prêtre chante la préface et fait la consécration comme dans le rit romain ; quand il dit l’oraison Dominum panem nostris, il élève l’hostie sur le calice d’une main et chante le Libera nos comme nous faisons le vendredi saint. Après il dit l’Agnus dei et baise une relique, il communie et prend les ablutions après le sous diacre. Rapporté le calice couvert de la patène et renversé d’une main à l’autre, le prêtre dit la post communion, laquelle finie le diacre chante l’Ite missa est. Le chœur répond Deo gratias et de suite les ministres de l’autel et le chœur se retirent.
Le calice n’est jamais couvert que d’un voile de lin ; sur la table où on le repose à l’autel il n’y a qu’une croix petite et deux chandeliers de laiton avec des cierges de cire jaune. A l’élévation, un enfant de chœur quitte la chape et son dominau (sic) avec un cierge allumé dans la main ; il chante O salutaris Hostia . Mrs les comtes de Lyon ont un surplis à manches ouvertes avec une aumusse de petit gris qui leur couvre les épaules et pend jusqu’au bout du surplis ; elle est attachée par le devant, elle a un petit capuchon. Les servants ont la chape et dominau comme dans la France.
Dans les grandes solennités, tous les chapitres et paroisses de Lyon envoient un prêtre servant assister et servir à la messe capitulaire. Il y a 32 ministres servant les comtes qui officient et qui ne
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sont que trois à l’autel. Il y a dans cette métropole 32 comtes chanoines, huit dignitaires et 24 chanoines.
La première ville que l’on trouve après Lyon par la route de la diligence est Mâcon, où l’on va par eau. Nous y arrivâmes tard et je n’eus pas le temps d’aller à la cathédrale. La ville me parut mal bâtie et pauvre. On nous donna à l’auberge beaucoup de cotignac (c’est de la confiture de coings faite comme en tranche de pain) et plusieurs carpes car on nous en servit neuf plats, trois à chaque service. La journée de Lyon à Macon est très longue.
Le lendemain nous fûmes dîner à Tournus, d’où Mgr le Cardinal de Fleury est mort abbé. L’endroit est petit et plein de pauvres. Mgr le Cardinal y a fait bâtir une charité. L’église de l’abbaye n’a rien de beau et celle de la paroisse est très laide.
La ville de Chalons où nous fûmes coucher me paraît très peuplée et très riante. J’y vis même dans les rues beaucoup de beau monde, et bien mis. La cathédrale est belle, le Saint Sacrement repose dans deux chapelles qui sont à l’entrée du chœur. Il y a dans cette église une grande quantité d’autels. J’y en vis un beau de la Samaritaine dans une chapelle fermée par un gril de fer avec cette inscription : Sitientes venite ad aquas. On voit encore dans cette église un mausolée de Marguerite d’Ecosse, dauphine de France.
La ville d’Auxerre est grande mais très mal bâtie. Les habitants y paraissent pauvres et vous harcèlent à demander l’aumône. Les maisons y sont la plupart bâties de terre mêlée avec des planches. La cathédrale est très belle, il y a un portail magnifique. En dedans il y a trois nefs avec des colonnes magnifiques. A la première en entrant est la statue de Saint Christophe qui est énorme. Il y a dans ce pilier un autel où l’on dit la messe, ce que l’on appelle dire la messe dans Saint Christophe parce que la statue couvre tout le pilier. Le chœur en est très beau, la sacristie très riante. Il y a un ornement de Mr de Colbert, riche et magnifique. On voit dans le trésor deux croix processionnelles en or de toute beauté.
Sens est une grande ville bâtie aussi mal qu’Auxerre mais avec de beaux dehors, et dans une position beaucoup plus avantageuse. La métropole est fort belle, le portail magnifique. Je n’y ai rien vu de plus, quoique je m’informa (sic) s’il y avait du curieux.
De Sens à Paris on ne trouve que des villages dont les maisons n’ont pour toits que de la paille ou des planches, et dont les habitants n’ont que des sabots et des haillons et paraissent bien misérables. On traverse tout le bois de Fontainebleau à deux grosses lieues de Villeneuve la Guierre (sic), et avant d’entrer dans la forêt on voit une grande colonne de marbre avec une couronne dorée en bas, et une écriture au bas de la colonne ; c’est l’endroit où Louis Quinze vint recevoir la reine de France. En traversant la forêt de Fontainebleau on voit dans les allées souvent des cerfs, des lièvres, des perdrix. La neige nous en fit voir une si grande quantité que je n’en ai jamais tant vu. Les bois de Fontainebleau sont très beaux ; on voit du chemin le château qui n’est pas fort éloigné, mais le cocher ne voulut pas s’arrêter pour nous le laisser voir. De Fontainebleau à Paris on voit de superbes maisons de campagne, deux fontaines que le roi a fait faire dans le chemin que l’on a fort aplani, et plusieurs autres curiosités. J’arrivai à Paris le 28 Février, très fatigué du voyage et du mauvais temps.
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Journal de ce que j’ai vu à Paris
Le 4 mars je crus devoir commencer en visitant les beautés de cette capitale, à voir la métropole où je fus entendre la sainte messe et remercier le Seigneur de toutes ses grâces.
Notre Dame de Paris ou l’église métropolitaine est une des plus belles églises du royaume. Elle est à 3 nefs avec des piliers d’une hauteur et d’un travail immenses ; les nefs sont ornées d’autels très propres et bien tenus. Le chœur des chanoines relève beaucoup ce superbe et vaste édifice. Le boisage en est de toute beauté, la chaire de Mgr l’archevêque magnifique, le pavé du chœur en marbre. Il y a dans le sanctuaire deux autels. Le premier où il n’y a que la croix d’argent et six chandeliers, et celui du fond où est la Sainte Vierge tenant J.C. mort dans ses bras, et à chaque côté il y a une statue en marbre de nos rois. Derrière le maître autel est la chape de Saint Marcel, très belle. On voit dans la grande nef une quantité prodigieuse de tableaux, de bannières et de drapeaux. Il y a au premier pilier un Saint Christophe d’une taille gigantesque, moins haut pourtant que celui d’Auxerre. Le portail de Notre Dame est très beau, on y voit plusieurs mystères de J.C représentés, les figures de nos rois sont sculptées et d’un travail très ancien. Il n’y a point de place devant cette métropole et on descend pour y entrer. Elle est placée comme le palais de l’archevêque dans un des moins beaux quartiers de Paris.
Cérémonies de Paris durant la grand’ messe
Les heures se chantent comme dans nos provinces mais avec plus de pause et de gravité. Après, l’introït commence. Ce sont les servants qui commencent en faux bourdon car tout s’y chante en faux bourdon. Un côté répond à l’autre ; il y a deux maîtres de musique qui battent la mesure chacun de leur côté, et un serpent de messe.Tous les servants sont aux hautes formes et chantent sans venir au lutrin. Les enfants de chœur qui sont aux basses stalles chantent chacun de leur côté. L’introït commence, on voit sortir de la sacristie un servant en chape sans bâton qui fait une révérence au chœur et va se placer au devant du lutrin.
Un enfant de chœur en dominau avec un chandelier et un cierge prodigieusement long allumé précède les ministres et marche vers l’autel. Le sous diacre, devant le prêtre les suivent. Les deux ministres ont une chasuble qui les couvre à droite et à gauche de façon que l’estomac et le dos sont découverts. Ils tirent cette chasuble quand ils vont chanter l’épître et l’évangile dans le chœur, et les reprennent après. Le thuriféraire est en aube et en encensant il donne toute l’étendue aux chaînes et retient au dernier coup l’encensoir sous le bras. On ne voit jamais que des révérences devant l’autel. On y suit le rit parisien, mais durant la messe il n’y a pas de différence du rit romain. J’ai seulement remarqué qu’on ne dit pas tant d’oraisons. Chacun est en chape et dominau, autant les enfants de chœur que les dignités. Mais dans les grandes fêtes les dignités sont en habit rouge et les chanoines en violet. Il y a dans cette église 52 chanoines, les dignitaires compris. Le chapitre jouit de 180 000 livres de rente et l’archevêque de 160 000. La lampe d’argent qui est dans le chœur est très grosse. Elle a été donnée par Anne d’Autriche, femme de Louis XIII, à la naissance de Louis XIV. Il y a dans l’église 120 colonnes. L’orgue est très beau. Sous Mr de Noailles on l’a augmenté de 1400 tuyaux.
Le 6 mars je fus voir l’abbaye de Saint Germain des Près. L’emplacement, le quartier, la cour, le palais de l’abbé, tout le bâtiment est beau.
L’église est des plus belles de Paris. Son portail est commun. Il y a sur la grande porte quatre statues de saints de l’ordre de chaque côté. L’église a trois nefs, les deux à côté font le tour du chœur qui est
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à la romaine et fort beau. Le maître autel est relevé par quatre colonnes de marbre de plusieurs couleurs qui soutiennent un dais doré et d’une grosseur considérable, dans le goût de celui de la chartreuse de Lyon, mais le cordon et le travail n’en approchent pas. Au-dessus du tabernacle qui est un coffre doré, il y a une couronne dorée très propre. La croix et les six chandeliers de l’autel principal sont superbes. Le sanctuaire est très grand et tout grillé d’un fer très propre. L’aigle du chœur qui sort du lutrin est très curieuse. Il y a dans le chœur un de nos rois enterrés. Son mausolée n’a rien de rare. Au-dessus des stalles du chœur on voit de gros tableaux représentant les mystères de J.C, et de la vie de Saint Germain. Au fond du chœur est le trône abbatial, magnifique. Je n’ai jamais entendu chanter une messe avec plus de pause dans le chant et de modestie. Ce que je remarquai c’est que le célébrant et ses ministres, les deux acolytes et deux thuriféraires vinrent commencer les heures tous en aubes, lesquelles finies ils furent prendre les habits sacerdotaux et on chanta la messe. Il y avait dans le chœur au moins 50 religieux.
A(u) côté gauche en allant au maître autel est une chapelle fermée où l’on voit le mausolée du roi Casimir de Pologne. Ce roi est en marbre, à genoux sur un grand carreau, tenant à la main droite une couronne en or et à la gauche le sceptre qu’il quitte pour le ciel. Au bas sont deux figures en marbre, une qui regarde le roi avec admiration et l’autre qui pleure la mort, accablée de douleur. Tout autour du chœur sont des chapelles où l’on ne voit que mausolées et armes des cardinaux et abbés de cette église. La maison en est superbe comme la bibliothèque.
Le 8 je fus à l’église de la Charité. En étant ce jour-là fête, le Saint Sacrement y est exposé tout le jour. Le soir après le sermon il y a la procession du Saint Sacrement dans tous les dortoirs de cette maison. Tous les malades ont un cierge allumé dans leur main lorsque la procession passe. L’église de la Charité est très jolie, il y a à toute heure du matin des messes. Tout prêtre qui y va retire s’il veut la rétribution de 12 sols par messe. On voit dans cette église la statue de Mr Bernard le pauvre, mort en odeur de sainteté. Ce sont des religieux de Saint Jean de Dieu qui ont soin de sa charité. On ne peut rien ajouter au soin, au zèle et à l’attention qu’ont ces religieux pour les malades. La propreté qui y règne, la charité avec laquelle ces religieux servent les malades ravit les étrangers. Dans chaque dortoir il y a un autel pour y dire la messe.
Le 9 je fus au séminaire de Saint Sulpice. Le bâtiment est beau, la cour fort vaste mais par dessus tout la chapelle en est très propre. Les peintures en sont fort charmantes. On y voit à la voûte un tableau de la Sainte Vierge élevée dans le ciel, les pères du Concile d’Ephèse y sont représentés en chape autour du tableau, qui la contemplent. Il y a tout autour de cette église des tableaux de prix et d’un goût admirable.
L’église paroissiale de Saint Sulpice est un vaste et grand édifice à 3 nefs. Les autels et les chapelles sont très décorés mais les piliers me paraissent très matériels. Le chœur en est beau et très éclairé. Le portail ne répond pas à la beauté de l’édifice et n’est pas du goût des connaisseurs. On y travaille encore. J’ai vu derrière la grande porte sur une belle pierre de marbre le nom de tous les archevêques et évêques qui assistèrent à la consécration 1743. Le nom de Mgr l’évêque de Fréjus s’y trouve. J’ai souvent entendu le sermon des offices dans cette paroisse.
Le 12 je fus voir la Sorbonne. La maison n’a rien d’extraordinaire, comme aussi les appartements de ceux qui l’habitent. La cour en est très belle, et l’église parfaite. Les autels y sont tous en marbre comme aussi le pavé, les peintures d’un goût exquis, le dogme très beau et très délié. Les tableaux
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au-dessus du cordon du dogme sont sans prix. Au-dessous il y a en gros les 4 docteurs de l’église. Sur le maître autel il y a un crucifix de marbre blanc qui a coûté trente mille livres. A ses côtés il y a la Sainte Vierge et Saint Jean en marbre de toute beauté. Il y a encore dans une des chapelles une statue de la Vierge tenant l’enfant Jésus dans ses mains, qui est un chef d’œuvre. Le chœur n’est pas vaste mais très propre. Entre le sanctuaire et l’aigle qui sert de lutrin est le mausolée du cardinal de Richelieu. Il est sur un lit de parade de marbre, expirant entre les bras de la religion en figure de femme ; elle soutient de la main droite la tête de ce cardinal mourant et la présente au Ciel de la gauche. Au pied du cardinal est la science en figure de femme, qui baisse sa tête et la soutenant avec la main droite verse un torrent de larmes et abandonne la main gauche vers les passants pour leur indiquer que le père de la science et des lettres était mort. Aux côtés des deux figures sont des anges qui portent les armes et marques de dignités du mort. Ce mausolée est regardé dans Paris pour chef d’œuvre.
Le 13 je fus à Saint Thomas, à présent Saint Louis du Louvre. L’église est jolie et très riante mais petite. Le chœur est à la romaine. J’y demandai à voir la sépulture de Mgr le Cardinal de Fleury, on m’y mena. Il est au milieu de la nef sans autre marque de distinction qu’une pierre commune sans épitaphe ni mausolée. Le prêtre me fit voir à côté une chapelle sans autel où l’on devait placer le mausolée qu’on lui destinait mais qui n’a pas été fait. De là je fus voir le vieux et nouveau Louvre. Ce sont des palais immenses mais d’un goût antique. Ce qui me surprit sont les écuries du roi, la quantité de chevaux que j’y vis et la propreté avec laquelle on tient ces chevaux. Je revins ce soir chez moi par la foire de Saint Germain. Tous ces jeux et amusements, la variété de ses boutiques et marchandises, les illuminations qui y régnaient faisaient le spectacle le plus charmant du monde. Il y avait un concours de peuple prodigieux.
L’église du Séminaire des missions étrangères est très belle. Le tableau du maître autel qui représente l’adoration des mages est aussi beau que l’étoile, qui est au-dessus dans une nuée, est brillante. Le chœur est fort propre, l’église souterraine est moins belle. On y voit une superbe pierre de marbre avec l’épitaphe de Mr de Lionne, évêque de Rosalie, vicaire apostolique des Indes. Au-dessus de ce séminaire sont deux jardins, un au duc de Valentinois et l’autre à des Anglais, où la nature et l’art n’ont rien oublié de ce qui peut rendre des jardins charmants.
Le 15 je fus au palais de la justice. C’est un bâtiment immense, on y monte par plusieurs degrés. Tous les côtés, avant de parvenir aux chambres où s’exerce la justice, sont garnis des marchands et marchandes. On y vend tout ce que l’on peut désirer, et chacun de ces marchands s’empresse d’attirer l’étranger. La salle de l’audience est extrêmement grande. On y plaide avec beaucoup d’éloquence et de dignité, les magistrats et les avocats y sont revêtus d’une robe noire comme dans nos provinces.
Le 17 je fus voir l’église dite la Sainte Chapelle, dont l’architecture est gothique. Ce que j’y remarqua de très beau est la statue de Notre Dame de Pitié. J’y ai vu dans la Sacristie le chef de Saint Louis avec la couronne en or. Le bâton du chantre est une des curiosités. Le même jour je vis les 3 ponts les plus ornés de Paris ; le pont neuf l’emporte sur tous. On y voit la statue équestre d’Henri IV. Sur le milieu au bout, du côté du couchant, est l’horloge de la Samaritaine. On voit au milieu de la tour Jésus Christ qui parle à cette femme. Les deux statues sont fort belles, il y a un carillon de cloches quand l’horloge sonne les heures. Les quais de Paris sont très beaux ; vous voyez dans la rivière les moulins et bien des petits bâtiments.
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Le 18 je fus voir les trois fameuses places de Paris. Quoique celle de la Victoire soit très ornée par la statue de Louis XIV toute dorée comme encore l’ange qui lui met la couronne sur la tête, par la perspective des quatre figures enchaînées au piédestal sur lequel est placé le roi : pour la régularité et l’arrangement des maisons, la place Vendôme me paraît l’emporter sur les autres.
Le 19, ma première sortie de la ville fut à l’hôtel des invalides, qui sûrement est digne de la magnificence du roi qui l’a fait bâtir. Cet édifice ravit par sa beauté les étrangers. La forme extérieure est en carré, il y a cinq cours qui sont environnées de logements. Celle du milieu est aussi grande que les quatre autres. Elle est enfermée par des arcades qui règnent tour à tour. Il y a quatre réfectoires d’une étendue prodigieuse. On y voit de très beaux tableaux. Au-dessus vous trouvez les dortoirs soutenus par des arcades ; pour parvenir à l’hôtel vous entrez par une grande porte de fer à côté de laquelle sont des piliers avec les armes de France. De cette porte à l’hôtel, vous trouvez à droite et à gauche de vastes prairies dans lesquelles sont ménagés trois chemins pavés à dos d’âne qui mènent à l’hôtel. Celui du milieu tend à la grande porte d’entrée, qui est relevée par la beauté de plusieurs piliers superbes. Au-dessus on voit la statue équestre de Louis XIV avec un écrit au-dessus que je n’ai pas pu lire à cause de son élévation. A cette fameuse porte, après avoir traversé la cour, répond la grande porte de l’église, qui est d’un goût charmant. Le chœur est fort propre, il n’y a que douze stalles de chaque côté, le lutrin est aux armes de France. Après avoir monté six degrés vous trouvez le maître autel au milieu de trois colonnes dorées. De chaque côté au haut des colonnes est un baldaquin doré soutenu par quatre anges dorés et deux autres qui tiennent des encensoirs à la main. Au derrière de l’autel est ce fameux dôme où l’on a travaillé trente ans. Tout y est admirable et au-dessus de ce que j’en pourrais dire.
La grandeur, la clarté, la délicatesse des six piliers qui le soutiennent, la hauteur de l’édifice, la finesse des tableaux qui l’ornent, les quatre petites tours qui l’environnent et qui forment comme quatre petits dômes soutenus de six piliers de marbre chacune, avec des statues de même de plusieurs saints et saintes, tant des fines peintures qui s’y trouvent, la variété du marbre des degrés et du pavé de ce dôme et des tours qui l’environnent et que l’on contourne sans perdre de vue celui du milieu, et mille autres objets frappants en font un chef d’œuvre de l’art. La principale entrée est du côté de la campagne, mais il n’y a que le roi qui puisse y entrer par ce côté. On entre ordinairement par l’hôtel. Du côté de la campagne, il y a deux très longues allées d’arbres autour desquels règnent de belles prairies qui font une des plus belles promenades de Paris, qui se terminent à la porte par où entre le roi. C’est de là où l’on voit toute la beauté extérieure du dogme. Je vous avoue que je n’ai rien vu dans Paris qui m’ait plus frappé que l’aspect de ce dôme. Il a 50 toises de hauteur, il est couvert de plomb orné de dorures et de sculptures.
Il faut voir dans l’hôtel l’apothicairerie. Le boisage, la propreté des vases et de cet appartement est très beau, il y a une grande table de marbre avec des trophées au bas que Louis XV a donné, de toute beauté. L’infirmerie, tant pour les officiers que pour les soldats, est tenue au mieux. La cuisine est encore une des curiosités. On y trouve les marmites dont l’une contient seize quintaux de viande et l’autre huit. Les grills, les broches, tourne broches effraient, mais que ne faut-il pas pour fournir à sept à huit mille personnes qui sont dans l’hôtel.
Le 20, Mgr l’évêque me mena à une thèse de Sorbonne que soutenait Mr l’abbé d’Ormesson. L’assemblée y était très auguste. Tous les archevêques et évêques qui étaient à Paris, le nonce y
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furent, plusieurs secrétaires et conseillers d’état, maîtres des requêtes, présidents et conseillers des cours souveraines. Mgr l’évêque de Chartres en était le président.
Le 22 je fus assister à la grande messe que la métropole va chanter aux Grands Augustins pour la (réddition) de Paris sous Henri IV. Le prieur du couvent présente en chape l’eau bénite aux 3 cours souveraines qui y assistent, et un autre religieux en chape leur donne un coup d’encensoir à chacun, comme aussi aux échevins de la ville. Le grand maître de cérémonie de la cour fait arranger ces différents corps dans le chœur, qui ne cède pas en beauté à celui de Notre Dame. Après, arrivent les quatre corps religieux et les Mrs de la métropole. Une bannière de Notre Dame précède trois petites croix que portent des enfants de chœur. Ensuite vient la croix processionnelle de vermeil, la statue en or de la vierge et un grand reliquaire tout doré en forme d’écran. Deux écclésiastiques en chape les portent, et après Mrs du chapitre. On chante la messe de la vierge. La musique chanta un imprimé ( ?). Pour aller à cette cérémonie je souffris un froid horrible car je resta au jubé depuis 9 jusqu’à 1 heure. Toutes les cours sont en robe rouge et y vinrent par un temps de neige affreux.
On voit dans l’église des Augustins cinq grands tableaux des créations des chevaliers du Saint Esprit, la première d’Henri III, la seconde d’Henri IV, la troisième de Louis XIII, la quatrième de Louis XIV et la dernière de Louis XV. A côté de l’église il y a deux salles où sont les portraits de tous les chevaliers. On chante tous les jours une messe pour l’ordre. Au bout du cloître des Augustins on y voit les salles où s’assemble le clergé du royaume. Le couvent n’est pas beau, mais le réfectoire l’est beaucoup.
Le 22 j’étais invité d’assister à la harangue du P. rhétoricien du collège de Louis Le Grand sur les conquêtes de notre monarque. La neige m’en a empêché.
Le 23 je visitai l’église de Saint Roch, des Feuillants, Prêcheurs et Jacobins. Elles sont très propres. On y voit de belles peintures, des chœurs fort travaillés, presque dans toutes des statues de marbre de la Sainte Vierge et plusieurs mausolées.
Le 24 je voulus aller voir l’église du Val de Grâce. C’est une abbaye royale habitée par des religieuses de l’ordre de Saint Benoît. Cette église est sans contredit une des plus belles de l’Europe. Anne d’Autriche fit bâtir ce superbe bâtiment après la naissance de Louis XIV. Après vingt ans d’attente, la première pierre en fut jetée par le roi en 1645, âgé alors seulement de sept ans.
Le portail est élevé sur seize degrés ornés d’un péristyle ou portique soutenu par huit colonnes. Il y a les statues de Saint Benoît et de Saint Scholastique en marbre de toute beauté, avec deux ordres d’architecture. On y a placé les armes de France et d’Espagne sur un cœur qui est soutenu par deux anges au milieu de la façade.
Le pavé de l’église est divisé en compartiments de marbre de diverses couleurs et fait symétrie avec la sculpture de la voûte.
Le dôme est soutenu par quatre grands arcs. On a placé dans les pendentifs les quatre évangélistes. Le grand autel est orné de six colonnes d’un marbre noir avec des veines de blanc. Elles sont les seules que j’ai vu à Paris de cette couleur et on m’a dit qu’elles coûtent 60 000 livres la pièce. Les colonnes sont chargées de palmes et soutiennent un baldaquin. Deux anges soutiennent des encensoirs et plusieurs autres tiennent des cartes avec des versets du Gloria in excelsis. On y voit l’enfant Jésus, la Sainte Vierge et Saint Joseph. Sûrement c’est un chef d’œuvre. Dans la peinture du dôme on y voit représentée la gloire du ciel qui enlève. Il y a deux grandes grilles de fer qui séparent le sanctuaire du chœur des religieuses. Il y a une chapelle où est le cœur d’Anne d’Autriche, mais elle est toujours fermée. Les chapelles ne sont pas encore toutes achevées.
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Je visitai le même jour le collège des Quatre Nations. Le collège a été bâti par le cardinal Mazarin, comme la Sorbonne l’avait été par le cardinal Richelieu, afin d’y faire élever trente gentilshommes des quatre nations, c’est-à-dire italiens, allemands, flamands et catalans. Les docteurs de Sorbonne sont les directeurs de ce collège et y tiennent les maîtres et les officiers.
La façade du collège est bâtie en cercle et composée du portail de l’église et de deux ailes du bâtiment qui sont terminées par un pavillon carré.
Le portail de l’église est formé par quatre colonnes et deux pilastres qui soutiennent un fronton. Au-dessus il y a des figures qui représentent les pères de l’église, tant grecque que latine, avec cette inscription : Iulus Mazarin S.R.E.C basilicam & gymnasium fieri curavit. Le dôme est couvert d’ardoise et de plomb doré. Au-dessus il y a une balustrade de fer. L’église est pavée de marbre. Le tableau du maître-autel est très beau, c’est une circoncision de Jesus Christ.
Le tombeau du Cardinal Mazarin doit être remarqué. Ce prélat y est représenté en marbre blanc, à genoux sur un lit de marbre noir. Il y a autour du cardinal quatre statues de bronze qui représentent les quatre vertus cardinales.
Le 28 mars je fus voir officier Mgr l’archevêque à la métropole. La dignité avec laquelle on officie dans cette église, la modestie avec laquelle on y fait les cérémonies, la gravité avec laquelle on y chante, le grand nombre des prêtres, la majesté de ce chœur, la beauté des ornements furent pour moi un véritable sujet d’admiration. De tant de sujets qu’il y a dans cette église, quoique la cérémonie dura trois heures je n’aperçus aucun d’eux parler à son voisin.
L’heure de sexte finie, Monseigneur l’archevêque arriva avec les habits pontificaux, précédé de la croix processionnelle du chapitre, deux enfants de chœur acolytes, ensuite deux diacre et sous diacre d’honneur chanoines de Saint Gervais, et après le sous diacre et diacre ex officio chanoines de Notre Dame, après six chapiers qui portaient les ornements, la crosse et la croix archiépiscopale mais qui ne sont pas des chanoines. La messe commença et, l’introït fini, Monseigneur l’archevêque bénit l’encens et descendit au plus bas degré de l’autel d’où il encensa à genoux une croix qu’un de ses servants avait apportée de la sacristie, et que l’on m’assura contenir du bois de la véritable croix de J.C. Après l’encensement, l’archevêque s’assoit sur un fauteuil doré et les deux chanoines de la métropole sur deux tabourets. Tous les autres, qui sont près de seize, étant assis derrière le fauteuil, l’épître se chante au jubé et l’évangile de même. Un des servants en dalmatique porte la croix processionnellement, deux thuriféraires marchent après. Ensuite, les deux maîtres de cérémonie, les ministres d’honneur et ceux d’office tous étant au jubé, le diacre chante l’évangile. Le deuxième encensement se fait comme le premier mais le diacre encense ; après, l’archevêque étant avec le sous diacre à genoux il reçoit la bénédiction pour l’évangile à genoux. Au Sanctus il vient de la sacristie quatre enfants de chœur thuriféraires avec un autre en chape et un grand bassin vermeil dans lequel le sous diacre repose la patène, et ce même enfant de chœur la lui rapporte a Panem nostrum quotidianum. Le Libera du Pater fini, le diacre se tourne vers le peuple et chante l’Umiliate vos ad benedictionem ; après, l’évêque se tourne vers le peuple et chante quatre oraisons différentes, après lesquelles sans tenir la crosse il fait trois signes de croix sur le peuple en chantant Benedictio dei omnipotentem patris & filii & spiritus sancti descendat super vos & maneat semper, et se tournant à l’autel il chante Pax domini sit semper vobiscum. Après l’Agnus dei, deux enfants de chœur avec deux reliquaires et les deux thuriféraires viennent devant le diacre, qui en présente un à Mgr l’archevêque et le fait baiser après à tous ceux de l’autel, ce que fini les deux enfants avec les
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thuriféraires descendent au chœur et ceux qui ont les reliquaires les font baiser à messieurs les chanoines en commençant toujours par les dignités et en faisant la révérence à chaque chanoine. Dans ce temps-là, les deux thuriféraires encensent le chœur, mais avec une si grande observation qu’ils ne l’anticipent jamais d’un pas, donnant à l’encensoir toute l’étendue des chaînes, ce qui est très majestueux. Après on chante la post communion et trois fois tout de suite Domine salvum fac regem nostrum Ludovicum. Mgr l’archevêque chante la post communion et une oraison pour le roi différente de celle que nous disons. Ensuite il dit Dominus vobiscum et le diacre, lui prenant la crosse et la tenant dans la main, chante d’un ton particulier Ite missa est, on répond Deo gratias, et de suite sans bénédiction ni (?) évangile, Mgr l’archevêque se retire avec les officiers.
Je vis ensuite dans la chapelle de Notre Dame le tombeau de Mr le cardinal de Noailles. Ce prélat a donné à la métropole de son vivant cinq cent mille livres.
Le 29 mars, après un mois de séjour durant lequel il n’a pas désisté un jour de neiger, le temps s’étant un peu adouci et le froid modéré, je fus pour la première fois voir le palais et le jardin des Tuileries, dans lequel je passai plus de deux heures jusqu’à ce que le froid m’en chassât.
Le palais des Tuileries, que l’on nomme ainsi parce qu’il est bâti dans un lieu où l’on faisait autrefois des tuiles, est composé de cinq pavillons et quatre corps de logis où l’on a beaucoup à admirer, soit en architecture soit en sculpture. Le tout est bâti sur une ligne droite qui a 170 toises de long. Le grand pavillon du milieu est orné de colonnes de marbre, quoique celles du côté du jardin ne soient que des pierres. Ce que j’y ai vu dans l’intérieur du palais de plus beau est le plafond de la salle des gardes, où l’on a représenté la marche d’une armée rangée en bataille. Il y a encore un très beau plafond dans la galerie des ambassadeurs ; on y voit l’appartement pour le roi, le reine et Mgr. Il y a aussi une salle très vaste où l’on donnait autrefois le bal et les spectacles devant la cour. Cet appartement peut contenir neuf milles personnes commodément placées. Au devant de ce superbe palais du côté du midi, on voit le beau jardin des tuileries qui est la promenade la plus fréquentée et sans contredit la plus belle de Paris.
Les parterres, les allées, les bassins d’eau, les belles statues de marbre blanc sont dignes d’admiration. Ce grand jardin a 360 toises de longueur sur 70 de large. Il est bordé aux extrémités des allées en forme de paliers d’arbres ou arbrisseaux verts comme nos bois mais plus élevés, qui font des cabanes charmantes. Il y a de tout côté de superbes terrasses pour promener ; celle qui est sur la rivière me paraît la plus agréable. Il y a dans tout le jardin quatre jets d’eau dont deux sont très considérables.
Du côté du palais il y a six statues et deux vases. J’ai reconnu la déesse Flore et une Junon, j’ignore quelles sont les autres. Autant que j’en ai pu juger il y a la déesse Cérès enlevée par Saturne dans le bassin du milieu. Outre les grandes statues il y a bien des figures de marbre que l’on m’a dit avoir été placées depuis peu là. J’y ai remarqué la Lucrèce qui se poignarde, et Enée chargé de son père et de son fils qui fuit de Troie. Cette représentation est des plus belles.
Au bout du jardin on y voit deux figures à cheval d’une grandeur prodigieuse. Elles sont Mercure et La Renommée. Le jardin est terminé par un grand fer de cheval à côté duquel sont deux petits pavillons pour les gardes. En dehors du fer de cheval est un grand grillage, et après un fossé qui sépare ce lieu de délices du grand chemin de Versailles.
Les arbres qui composent les promenades du jardin sont très bien alignés et de haute futaie. Cela doit faire un séjour enchanté pendant l’été. On y a ménagé au bord des allées des sièges pour s’y
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asseoir. Les chemins sont sablés, et rien n’y manque pour rendre la promenade agréable. C’est sûrement une des beautés de Paris et un asile contre le chaos des rues.
Le 30 mars je fus voir la revue de la maison du roi à la plaine des Sablons. Le roi s’y rendit avec toute la famille royale. Sa majesté était sur un cheval blanc, elle entra dans tous les rangs. Mr le Prince de Dombes était à la tête des gardes suisses et Mr le Maréchal de Biron à celle des gardes françaises. Après que le roi avait passé dans les lignes, Monseigneur le Dauphin, Mesdames de France, les princes et princesses de la cour dans des carrosses parcoururent les lignes. Toutes les troupes firent l’exercice devant le roi. Tout ce qu’il y a de plus distingué dans Paris était à ce spectacle. Toute la plaine était bordée de carrosses et de cavaliers, on n’y voyait qu’or et azur et chacun y était d’une parure superbe. Il y avait une affluence de monde innombrable de tout sexe et de tout état, et chacun s’y empressait pour voir le roi. Cela dura jusque sur les six heures. Le roi retourna par le bois de Boulogne. J’eus l’honneur de le voir entrer dans son carrosse. Mgr le Dauphin entra après, et sa majesté fit demander les dames de France qui entrèrent toutes dans le même carrosse. Elles étaient d’une très grande propreté. Mr le Duc de Chartres précédait à cheval les gardes du roi, et après le carrosse de sa majesté les princes et princesses, les ambassadeurs et autres grands de la cour marchaient. Quand le carrosse du roi passa, chacun criait « vive notre bon roi », c’était une joie générale dans cette nombreuse assemblée. On y voyait des chevaux, des harnais, des habits, des équipages, et des livrées somptueuses ; je doute que l’on puisse voir un coup d’œil plus beau. Sa majesté parlait souvent devant la revue aux principaux officiers.
La plaine des Sablons est à une petite lieue de Paris. Elle est d’une grande étendue et elle contenait ce jour-là bien du monde. Quoique cette relève se fasse une fois chaque année, les parisiens n’y courent pas avec moins d’empressement tous les ans et sûrement c’est une chose à voir quand on le peut.
En delà du jardin des Tuileries, on entre pour aller à cette vaste plaine au cours la Reine et l’on traverse les Champs Elysées, qui sont des prairies charmantes couvertes d’arbres et entourées d’allées qui font dans l’été les délices des gens de Paris. Ces allées vous mènent plus d’un quart de lieue et jusqu’à une petite montagne d’où vous découvrez d’un côté la ville de Paris et de l’autre cette vaste plaine des Sablons, qui a plus de deux lieues de circonférence. Je m’arrêtai longtemps sur cette hauteur pour contempler la multitude qui y était, l’effet que produisait cette variété d’habits et de décoration et l’ordre des troupes ; réellement je fus frappé de cette vue. Toute la maison du roi était habillée de neuf, ceux qui les entouraient brillaient par leur propreté et il y avait de quoi satisfaire la concupiscence des yeux. Je revins à Paris par le bois de Boulogne. La nature et l’art n’ont rien oublié pour le rendre charmant. Les arbres y sont peignés et entretenus avec beaucoup de soin.
Le 1er avril je visitai le palais du Luxembourg. On l’appelle ainsi parce que Catherine de Médicis, femme d’Henri II, avait acheté le terrain où il est bâti d’Henri de Luxembourg, duc de Piney. On assure que Marie de Médicis, femme d’Henri IV, le donna par son testament à Jean Gaston, duc d’Orléans, c’est ce qui fait que l’on voit au frontispice « palais d’Orléans ». C’est à présent une maison royale. Marie de Médicis y avait employé tout ce qu’elle avait pu trouver de plus habile en architecture et sculpture, aussi ce palais passe pour le plus régulier et le bâtiment le plus parfait que l’on voit en France. Cependant la façade de ce palais me paraît beaucoup plus belle du côté du jardin que de la vue du côté de la rue – c’est une galerie découverte avec un pavillon au milieu couronné
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d’un dôme de figure ronde. Au-dessous est l’entrée principale, ornée de quatre colonnes avec des grandes arcades. La cour est magnifique et très vaste. Autour règnent deux galeries soutenues par des arcades qui forment des allées couvertes où l’on promène avec la pluie. Au fond de la cour est le principal corps de logis, qui a quatre pavillons. Il y a dans ce palais vingt grands tableaux de Rubens que l’on voit dans la galerie et qui sont de toute beauté.
Le jardin du Luxembourg n’est plus si orné qu’il l’a été. Cependant les allées, les jets d’eau, la beauté des arbres en font encore la plus belle promenade de Paris après les Tuileries. Ce qui est admirable c’est que dans le temps que l’on croit voir tout le beau monde de Paris dans les allées du Luxembourg, si l’on passe à celles des Tuileries on y trouve un monde infini et tout d’une propreté enchantée.
Je fus en sortant du jardin voir l’église des Carmes déchaussés . Elle est une des plus propres et des plus enjolivées de Paris. Toutes les chapelles et autels sont en marbre de différentes couleurs, il y a une statue de la vierge en marbre magnifique, une galerie dans l’église, une tribune, et un tambour d’un travail et d’une propreté admirables. Les coquilles qui servent de bénitier de chaque côté sont d’une sculpture parfaite.
Le 2 je fus à Saint Jean en Grèves pour entendre le sermon du P. La Neufville qui fut sur les adversités. Son plan fut que la religion justifie la conduite de Dieu dans nos adversités, et que la même religion contrôle l’homme dans ses souffrances. Je n’ai rien entendu de plus prôné et avec plus d’éloquence, mais ce prédicateur récite avec tant de rapidité qu’il faut être tout près de la chaire pour l’entendre. La paroisse de Saint Jean n’est pas bien vaste mais extrêmement propre. Les piliers qui soutiennent la voûte sont très déliés. Le chœur en est fort propre et entouré d’un grill doré. Le maître autel est superbe, il est en marbre. Au-dessus sont représentés J.C qui reçoit le baptême de Saint Jean, et des anges qui contemplent cette cérémonie. Toutes les figures sont en marbre blanc. Sur les statues est un baldaquin doré soutenu par quatre colonnes de marbre couleur de chair d’une beauté enchantée. Un ange qui le termine et qui soutient une couronne sous laquelle est le Saint Sacrement produit un effet admirable. Je n’ai pas vu dans les églises de Paris un dais plus délié et plus décent que celui-là. La place de Grèves n’a rien de bien beau. On y voit l’hôtel de ville de Paris qui n’est pas des édifices le plus brillant de cette [capitale].
Le 3 du mois d’avril
Comme j’entendais tous les jours parler du palais royal qui appartient à Mr le duc d’Orléans, premier prince du rang, je me destinai le trois d’avril à passer le jour à en voir tous les appartements et le jardin. Sûrement j’eus une grande satisfaction d’en voir toutes les beautés. On voit dans ce palais au moins 300 tableaux d’une beauté qui vous enchante ; j’y remarquai un St Jean dans le désert par Raphaël qui est un chef d’œuvre. Il y a sept tableaux qui représentent le Saint Sacrement de l’église, une résurrection du Lazare que l’on a tiré de la métropole de Narbonne, et plusieurs qui représentent les héros de la fable, ou certaines familles des princes de l’Europe, qui sont tous d’une rare beauté. Il me semble que le palais royal, pour les appartements comme pour l’édifice, n’a rien de très remarquable. On me dit qu’il avait été bâti par le cardinal de Richelieu qui le donna à Louis XIII.
Le jardin me paraît du même dessin que celui des Tuileries. Je le crois pourtant plus agréable pour la promenade et plus fréquenté, mais moins beau et moins vaste que celui des Tuileries. J’avoue en vérité que ces jardins m’ont plu davantage que les beaux édifices de Paris et que j’en étais enchanté.
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Le 4 j’allai voir l’hôtel de Toulouse qui est au prince de ce nom, grand amiral de France. On voit sur la grande porte deux belles statues de Mars et de Pallas sculptées très finement. Je priai le portier de me conduire aux appartements, ce qu’il fit avec bonté. J’entrai d’abord dans celui qui est au rez-de-chaussée ; je trouvai une vaste salle où sont en grands tableaux les portraits de tous les amiraux de France, au nombre de six. Dans la salle qui vient après il y a les portraits de tous les rois de France depuis Pharamond jusqu’à Louis XV. Je fus ensuite à la galerie, qui est une des plus belles de Paris et où l’on voit des tableaux magnifiques et en quantité.
Le 5 je fus à l’abbaye de Ste Geneviève pour en voir la chasse, mais je ne pus pas l’obtenir. Je fis ma prière dans l’église, dont l’édifice est gothique et grossier. On me dit que la chasse de Ste Geneviève était toute de vermeil, qu’on y avait employé huit marcs d’or et 193 d’argent mais qu’on ne l’ouvrait que par arrêt du parlement. La chasse est ornée tant aux colonnes qu’au dais d’une infinité de bijoux et pierres précieuses. Il y a dans le chœur de cette église une aigle de bronze aux trois génies fort belle. Il y a aussi trois beaux tombeaux : celui de Clovis, celui du cardinal de la Rochefoucauld, par la magnificence, et celui du philosophe Descartes. Les chanoines me firent voir leur bibliothèque qui est sûrement nombreuse et belle. Il y a d’une part 30 000 volumes et de l’autre 17 000 que Mr Letellier, archevêque de Reims, leur a laissé. Il y a dans la bibliothèque une horloge à onze cadrans, à savoir celui des heures, les sept planètes, l’astrolabe, le dragon, et celui de la Lune. De là on me fit voir le cabinet des raretés. Je n’ai jamais vu tant de médailles et de curiosités mais comme je n’ai aucun goût pour ces antiquailles, j’avoue que je ne m’y plus pas, j’aimai mieux revenir encore dans cette fameuse bibliothèque que je ne pouvais me lasser d’admirer. A côté de Sainte Geneviève est la paroisse de Saint Etienne du Mont. Sa chaire à prêcher est un chef d’œuvre. Il y a une statue sur un lion qui la soutient. L’[…] et la visitation sont au portail.
J’ai été encore voir la bibliothèque du roi. Elle est des plus riches et des plus nombreuses de l’Europe. Tous les rois depuis Charlemagne ont contribué à l’embellir et à l’augmenter, et Louis XIV plus que tous les autres. Elle contient 100 000 volumes imprimés et 50 000 manuscrits. Outre ce grand nombre de livres qu’il y a déjà, il y a encore un fonds pour en acheter tous les ans et on doit fournir deux exemplaires de tous les livres qui s’impriment avec privilège du roi. Il y a dans cette bibliothèque une bible latine in folio manuscrite sur du parchemin en lettres d’or ; on croit qu’elle a plus de 900 ans. Outre les livres, il y a d’autres curiosités comme le buste de la déesse Isis, divinité des Parisiens, deux grands globes dans un cabinet qui sont très beaux, que l’on assure avoir été donnés par le cardinal d’Estrées à Louis XIV. On peut voir la bibliothèque du roi le mardi et vendredi matin seulement. Vous y trouvez toujours bien des Mrs qui y vont lire ces jours-là. Au retour on me mena à l’église collégiale de St Honoré pour y voir le mausolée du cardinal Dubois. Il est en entrant à droite dans une chapelle. Vous voyez un grand piédestal de bronze sur lequel est placé le cardinal Dubois à genoux, tenant les mains jointes et regardant vers la porte. Les supports du piédestal sont de bronze également. On voit une grande épitaphe dans laquelle on avertit les voyageurs de ce bas monde de ne pas s’attacher aux dignités de la terre.
Je fus de là à la paroisse de Saint Germain dont le chapitre a été uni à Notre Dame. L’église n’a rien d’extraordinaire, la nappe en bois qui est en perspective de la chaire est un ouvrage parfait. Nous fûmes ensuite visiter le vieux Louvre. La rangée de colonnes qui en ornent la façade du côté de la cour est superbe et beaucoup plus belle que la façade sur le quai. Le vieux Louvre a trois étages. Les fenêtres du deuxième sont très estimées des curieux. Les dedans du Louvre répondent parfaitement
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au dehors, il a bien des appartements et des curiosités que l’on ne fait pas voir aux étrangers. Toutes les académies de science, de belles lettres, d’architecture, de peinture se tiennent au Louvre. Il y a une galerie qui est très longue, qui joint le Louvre au palais des Tuileries.
Le septième jour des Rameaux, je fus au concert spirituel au palais des Tuileries. Pour mes trois livres on y chanta le psaume Magnus dominus et après le Miserere de Lalande. La musique était fort belle et bien exécutée, l’assemblée nombreuse et brillante, et j’y eus beaucoup de satisfaction. Le lundi saint, je fus visiter l’abbaye de Saint Germain où l’on me fit voir le trésor et la bibliothèque, que l’on regarde avec raison comme une des plus belles de l’Europe. J’y vis encore bien des curiosités très rares et très remarquables.
Le mardi saint, je fus entendre chanter la passion à Notre Dame. Le chant est tout à fait différent du nôtre. Le célébrant ne chante pas, ce sont les ministres ou servants à l’autel qui chantent tout. Il y en a un qui chante la partie du célébrant qui a la chasuble avec une croix rouge. Je n’y remarquai pas d’autres différences du rit romain durant le reste de la messe. L’après dîner je fus voir la manufacture des Gobelins. Cette manufacture porte le nom de l’ouvrier qui vient se tabler dans cet endroit. On y travaille à la tapisserie de haute et basse lisses. On y voit une infinité d’ouvriers employés pour cela. On fait dans cette même manufacture la couleur d’écarlate, qui est très renommée. On l’attribue à la qualité de l’eau de la Bièvre, petite rivière près de la manufacture.
Le 10 avril je suis parti pour Versailles où je serais jusqu’au lendemain des fêtes pour voir les cérémonies des cendres et des fêtes de (Pâques).
Etat de ce que j’ai vu à Versailles
Le 10 avril, jour du mercredi saint, je fus à Versailles pour assister aux offices et cérémonie de la semaine Sainte et voir la cour. Durant ce saint temps, le roi assista le soir à l’office des ténèbres, accompagné de Monseigneur le Dauphin, de la reine, des dames de France, et de tous les princes du sang et grands de la cour. Un eunuque chanta la première, Jérémie Poirier et Benoît les deux autres.
Le jeudi saint à dix heures du matin, le roi fit la cérémonie de la cène. Un père observantin prêcha, l’évêque de Saint Brieuc fit l’absoute après que la musique du roi eut chanté le miserere, et ensuite le roi lava les pieds à treize pauvres. Cette cérémonie se fit dans la salle des gardes du corps. A la salle d’après était une table où étaient 169 plats de poisson tous ornés de fleur. Cette table était une beauté à voir. Mgr le Dauphin et ensuite les princes du sang selon leur rang portent les plats au roi qui suit ces pauvres. Sa majesté donne à chacun treize plats de poisson et autant d’écus. Tous les écuyers et maîtres de cérémonies avec leurs bâtons marchent durant tous les services au devant des princes, et Mr de Charolais comme grand Maître de la maison du roi précédait avec son bâton de cérémonie Mgr le Dauphin. Ce service est très curieux à voir. Après cette cérémonie, le roi et toute la cour descendit dans la chapelle, où la musique chanta la grande messe. Le roi et la cour fut en procession accompagner le Saint Sacrement dans la chapelle préparée à cet effet.
A trois heures, la reine fit la cérémonie de la cène dans la même salle. Un chanoine de Rouen y prêcha. Mme la Dauphine et les princesses de sang, toutes dans la parure la plus splendide, firent le service pour les treize pauvres après que la reine leur eut lavé les pieds. La table de la reine me parut plus galante et plus exquise, et pour la qualité des poissons et pour l’ornement des fleurs, que celle du roi. Les dames de France et Mme de Chartres avaient des habits tout en or avec des queues extraordinaires. Les mêmes maîtres de cérémonie qui avaient précédé les princes marchaient
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également devant les princesses. A cinq heures la cour descendit à la chapelle et assista encore aux ténèbres.
Le vendredi saint, le P. Teinturier prêcha sur les neuf heures, le roi, la reine et toute la cour étant dans la chapelle. Il établit la divinité de J.C par la mort, par le genre de la mort, et par la gloire ou effets de la mort. Le sermon dura une heure et demie en trois points. Je n’ai jamais entendu rien de si beau et de plus prouvé par l’autorité des écritures et des pères. Après, le service commença. Le roi fût à l’adoration de la croix, et après la famille royale et les princes. La modestie du roi et la dignité avec laquelle on fit cette cérémonie m’édifia. J’étais placé après les aumôniers du roi au banc des chapelains. On m’y donna une semaine sainte et un cierge avec un tour de velours bleu pour le tenir et accompagner le Saint Sacrement à la porte de la maison du roi. Le soir au [x] ténèbres les jérémies [furent] chantées par les mêmes.
Le samedi saint après complies où le roi et la cour assistèrent, la musique chanta le Regina coeli et après la Filii & filia de Mr Madin en symphonie et à grand choeur. C’est une des plus belles pièces que l’on ait exécutée devant le roi. Il y a des récits et des chœurs à enchanter, et j’étais extasié de l’harmonie de cette musique.
Le jour de Pâques c’est un évêque qui officie devant le roi, suivi par les chapelains. La cour était des plus brillantes, les officiers étaient en habit de cérémonie. Ce qui me surprit c’est que durant la grande messe et vêpres, les aumôniers du roi et de la reine sont toujours debout, en rochets et manteau long par dessus, comme le confesseur du roi. Mgr le cardinal de Soubise était en habit rouge et manteau long. Aux offices il prenait le chapeau du roi et le remettait au prince Constantin qui a aujourd’hui la charge de premier aumônier. Le cardinal durant les ténèbres et autres cérémonies présentait toujours et recevait les heures du roi.
Le sermon de Pâques fut très beau. Le P. Teinturier y fit voir par les marques et les effets de la résurrection de J.C, celles du pêcheur pour être véritablement ressuscité à la grâce. Son compliment au roi fut magnifique. Voici son début : « Sire c’est l’usage à la fin du carême de rendre à votre Majesté ce tribut de louange qu’elle mérite avec tant de justice et que toute l’Europe lui rend. Tant de victoires et si rapides durant le cours de l’année passée, la Flandres presque entière sous vos lois, le Germain abattu, le Hollandais consterné, l’Anglais effrayé sont forcés à publier que vous êtes le plus grand roi de l’Europe et le monde entier est d’accord là-dessus. Mais c’est du très haut que vous vient cette autorité et la force de votre bras. C’est aussi ce qui doit vous faire rapporter tous vos avantages à ce Dieu des armées. Dites-lui de tout votre cœur Exaltare domine in virtute tua cantabimus & psallemus virtutes tuas. Vous êtes, Sire, un grand roi, mais soyez le encore davantage par votre pitié, par votre fidélité aux grâces du Seigneur, par votre amour pour vos peuples, que vous ne l’êtes par la force de vos armes. Jetez, Sire, des regards paternels sur vos fidèles sujets, vous êtes leur roi bien-aimé, aimez-les comme vos tendres enfants, donnez-leur cette paix après laquelle ils soupirent depuis une guerre qui les épuise par la durée autant que par la rigueur. Portez-les à servir le Seigneur et à le louer ». Il y avait dans ce compliment encore bien des belles choses que je ne pus retenir.
Ce jour de Pâques, j’eus l’honneur de dire la sainte messe à neuf heures au maître autel de la chapelle du roi. L’après dînée je fus voir jouer toutes les eaux du parc que l’on donne à cause de la solennité de voir les cent suisses avec leur habits de parade et leur grande fraise ; toutes les princesses et dames de la cour avaient aussi leur habit de parade, qui sont des manteaux avec des
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queues très longues que les écuyers relèvent. Les corps sont couverts de bandes qui tiennent les bras appuyés sur le corps sans pouvoir les élever que jusqu’au visage. Ces bandes sont couvertes de nœuds de ruban des plus beaux. Le soir le roi soupa au grand couvert, c’est-à-dire avec toute sa famille ; tous les grands maîtres et écuyers y étaient en cérémonie. Le roi mangea beaucoup. Ceux qui servent à boire au roi et à la reine ont une tasse d’or et boivent eux-mêmes avant d’en verser au roi et à la reine. Le fruit est très beau, la vaisselle est en or. On servit sept services à cinq plats par service ; presque tous les plats [...] couverts. Mme la Dauphine mangea assez mais les enfants (de France) mangèrent fort peu. On s’y étouffait à cause du monde.
La 2ème fête, j’assista(i) à la messe du roi. La musique chanta le motet Deus in adjutorium meum intende et à la fin Domine salvum fac regem en grand chœur. L’après dîner ,je fus au château pour y voir manger Mgr le Dauphin au petit couvert. Le repas commença à 2 heures. Le dîner était superbe, toute la vaisselle était en or. Mme la Dauphine était servie par Mme la Duchesse de Brancas Villars qui lui présentait les plats, et d’autres dames les portaient à cette duchesse. De là je fus au dîner des dames de France qui étaient aussi servies par des dames de la cour parées au mieux si elles avaient eu moins de rouge. Mme la Dauphine, ni la reine n’en mettent pas. A trois heures je fus à Trianon. Je visita(i) ce château. Les jardins qui sont au devant de cet édifice sont charmants. Le concierge me conduisit ensuite à celui du roi, qui était rempli de mille fleurs curieuses que je n’ai pas vues dans nos provinces. De là on me mena à la salle des empereurs romains au milieu du bois et à un jet d’eau où il y a des figures de toute beauté. A cent pas de cette cascade on voit sur une colonne de marbre la statue d’Alexandre le Grand.
Après les vêpres je fus au château d’eau. C’est un édifice d’une hauteur prodigieuse dans lequel sont renfermées comme dans une cuve les eaux qui fournissent aux jets du parc. Il a à tous les côtés de grands tuyaux avec des robinets que l’on ouvre quand on veut donner les eaux. Tous ces tuyaux sont marqués par de grandes lettres afin de savoir à quels jets ils doivent fournir. J’allai ensuite voir les grandes écuries. La salle de l’opéra se trouve à côté. Cet appartement est tout doré ; les loges du roi, de la reine et des enfants de France sont d’une beauté qui ravit, toutes les autres sont aussi bien ornées mais avec moins de distinction. Le théâtre est très vaste et fort décoré. Les lustres y sont en grande quantité. De là je passai dans les grandes et petites écuries. Les chevaux du roi y sont et plus proprement et mieux logés que bien des seigneurs de nos quartiers. Vous y voyez des chevaux de toute espèce et de tout pays et il n’y a qu’un roi en état de faire la dépense qu’ils occasionnent.
Le soir, je fus à l’Orangerie. Tous ces arbres sont dans un plain pied dont la voûte est un des chefs d’œuvres de Versailles. Il y a 1 500 arbres dans des caisses avec des rigoles pour les sortir en été. Sûrement qu’il y en a beaucoup de plus hauts et plus fournis qu’en Provence. On m’en fit voir un qui avait été donné à François Premier. On fait du feu tous les jours dans cet appartement. Je vis deux oliviers dans des caisses, des palmiers, et beaucoup de lauriers roses. Il y a tout le long de cet édifice de grandes fenêtres vitrées à grands carreaux afin que le soleil puisse échauffer les arbres, qui sont d’un vert admirable. On (les sort) avec des tonneaux élevés sur des (consoles) et que (l’on fait rouler)
La troisième fête, après avoir dit la messe à Mgr l’archevêque d’Albi, je mis tout le jour à voir la ménagerie et tous les bosquets qui sont dans le parc. Je ne puis pas en faire un détail bien spécifié tant j’y ai vu de curiosités et de raretés. Dans la ménagerie j’y vis d’abord deux chambres où sont des oiseaux de toute espèce et surtout plusieurs oiseaux d’eau que je n’ai pas vus en Provence, comme
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des demoiselles des canards avec des pendants sous le bec, des autruches, des bécasses avec des plumes d’une couleur différente des nôtres. J’y vis un dromadaire, c’est une bête plus grosse qu’un cheval, on lui passe une corde par les narines et on l’attache par là. Elle a deux bosses sur le dos qui forment une élévation laissant une espèce de siège pour s’asseoir sur son dos. En tirant l’attache il se couche et on y monte dessus, et on le promène. J’y vis des loups cerviers, des lions, des ours, des tigres, des renards tout noirs, des bœufs sauvages, des moutons de Turquie, des cerfs et des biches, des aigles, et autres bêtes. En revenant de la ménagerie on donna des eaux sur les dix heures, et commençant par la terrasse je vins contempler ce curieux spectacle. A côté de la terrasse à droite et à gauche vous y avez des figures superbes en bronze avec des dragons ou des lions de même qui jettent les eaux sur ces figures. Au milieu, deux réservoirs avec des jets d’une hauteur superbe. De cette vaste terrasse qui est sur une éminence, vous voyez vers le midi une vaste allée d’arbres de haute futaie, qui aboutissent au canal qui reçoit les eaux et qui, de la terrasse, vous paraît une mer parce que la vue est bornée par les arbres. En descendant par un escalier de marbre à fer de cheval de la terrasse, vous apercevez deux bassins d’eau de la dernière beauté avec un tapis vert de gazon d’une étendue très considérable d’un bassin à l’autre. Dans le premier il y a sur un piédestal Diane, et au-dessus du bassin, comme dans le bassin, une quantité prodigieuse de dauphins, de tortues et de grenouilles d’airain doré qui tous jettent sur Diane une pluie d’eau. Quand le soleil donne sur ces figures, avec l’écume que fait l’eau vous diriez que ces bêtes dorées ont un mouvement. De ce bassin au deuxième il y a un trajet considérable, et le long de l’allée est orné de statues et de vases en marbre des plus curieux. Vous y voyez Vénus, Castor et Pollux, Didon, Enée, Mercure, Milon de Crotone à qui un lion emporte les fesses et que vous diriez mourant par son attitude, et plusieurs autres que je n’ai pas connus. Au bout de cette grande allée est un bassin d’eau dans lequel on voit Apollon sur son char, traîné par quatre chevaux dont il tient les rênes. Ces chevaux jettent de leurs narines une eau prodigieuse et font un coup d’œil admirable. Avant que d’aborder au bassin, il y a une demi lune entourée de termes ou de statues de marbre. En delà du bassin est le canal où l’on voit beaucoup de poissons et des cygnes. Il a plusieurs bateaux ; le commandant était avec des voiles déployées, le pavillon (…) belles banderoles le jour de Pâques et les fêtes.
Le premier bosquet que l’on me fit voir est celui de la gloire. On y voit une figure de femme sur un piédestal au bas duquel sont des hommes enchaînés. La gloire est couronnée de laurier et à ses pieds sont des trophées, des armes, des casques. Tout autour sont des jets d’eau et des bancs de gazon ménagés au pied des arbres qui font un aspect charmant. On ne peut entrer dans tous les bosquets que par des portes grillées que l’on ouvre aujourd’hui difficilement parce qu’on gâtait les figures.
Le deuxième bosquet est une nappe d’eau qui tombe sur des coquillages de toute façon et qui fait un aspect très agréable. On y a ménagé à côté de la nappe à droite et à gauche deux ruisseaux sur des pierres de marbre blanc, qui jettent une eau qui serpente et qui se perd dans le bosquet. Il y a en perspective de la nappe d’eau une espèce de théâtre où l’on est assis comme sur des gradins afin de voir jouer les eaux. Quand le soleil donne sur tous ces coquillages, il n’y a rien de plus charmant à voir.
Le troisième bosquet renferme les bains d’Apollon. On y voit sur une espèce de théâtre ce dieu qui se lave ; plusieurs nymphes lui jettent de l’eau avec des aiguières. Les autres ont dans les mains des linges pour l’essuyer et toutes s’empressent de le servir. Les figures sont toutes en marbre blanc et d’une attitude très naturelle. A côté du bain à droite sont deux chevaux de marbre qui jouent et le
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mordent, mais si bien représentés qu’ils semblent vivants. A gauche sont deux nymphes qui font boire deux autres chevaux, le tout si bien représenté que je ne pouvais assez voir ces curiosités.
Après ces trois bosquets qui sont du côté du nord, on traverse le parc pour aller aux arbres qui sont plus exposés au soleil quoique du côté du levant. Les allées qui y conduisent sont magnifiques par les arbres de haute futaie. On y voit beaucoup de pigeons qui nichent sur ces arbres. Tout le long des allées il y a des termes ou figures en marbre qui représentent des divinités, ou des héros de l’Antiquité.
Le quatrième bosquet que l’on me fit voir est la colonnade. On le nomme ainsi parce que dans ce bosquet il y a tout autour des arbres des grandes colonnes de marbre, des cordons en sus et des petites figures en architecture que les curieux regardent avec raison comme une des beautés du parc. Ces colonnes sont deux à deux et font tout l’ornement de ce bosquet. Les jets d’eau sortent d’un bassin, au milieu on trouve dans tous les bosquets des bancs de marbre ou des naturels couverts de gazon afin de s’y reposer quand on en a besoin. Il y a dans ce bosquet deux belles statues de marbre sur des piédestaux. Je remarquai dans les petites figures au-dessous du cordon deux visages qui se baisaient et dont la sculpture paraît, mais en les regardant de près on y aperçoit une troisième tête et un beau visage, sans que l’on puisse voir sur le marbre aucune marque de cette tête. Les uns attribuent ce chef d’œuvre à Mr Puget, comme le Milon de Crotone qui est à la grande allée, et les autres à un Vénitien. Cela est regardé comme une rare curiosité.
Le cinquième est la salle du bal. Il y a dans ce bosquet à une extrémité une chute d’eau sur des coquillages. Dans le bassin on y voit des poissons et des oiseaux de mer qui reçoivent un mouvement par les eaux. Tout le milieu du bosquet est sablé et forme une grande salle capable de contenir bien du monde. Cette salle est entourée de tout côté d’un amphithéâtre de gazon à six marches. La sixième qui est la plus élevée forme une galerie très commode et où l’on pourrait placer commodément des sièges.
Le sixième, nommé le labyrinthe, est le plus vaste, le plus curieux, et bien caractérisé car il y a tant de tours, de détours, de différents jeux qui vous amusent et qui vous dépaysent dès l’entrée qu’à moins d’être habitué au bosquet on s’y perdrait. Il me serait impossible d’avoir retenu toutes les différentes curiosités que j’y ai vues mais je détaillerai ici les principales.
On y voit plusieurs jets d’eau entourés de grilles de fer, tous remplis de différents oiseaux qui jettent tous de l’eau, tantôt sur une chauve-souris, tantôt sur une chouette ou sur un geai ou parfois sur des paons qui, élargissant leurs plumes peintes au naturel, quand il fait beau font un aspect agréable par les rayons du soleil. Ici l’on voit un bassin rempli de toutes sortes d’animaux comme lion, loup, renards, lièvres, lapins, chiens représentant toujours quelque fable. Là c’est un singe qui juge les animaux et qui tous l’arrosent, ici et dans un autre bassin c’est un autre singe qui se fait roi, et se met la couronne sur la tête, tandis que les autres animaux en l’insultant de son peu de sens l’inondent par la quantité d’eau qu’ils lui jettent dessus. A cinquante pas de là et toujours par détour, vous voyez un bassin couvert de vignes et de raisins, et des renards qui n’y pouvant y atteindre les trouvent trop verts plus loin, un chat au milieu d’un bassin et plusieurs rats de toute qualité qui l’arrosent pour le garantir de ses poursuites. On voit deux bassins remplis de serpents à plusieurs queues et à plusieurs têtes, un bassin tout rempli de rossignols qui en jetant l’eau sifflent et font un petit concert. Il y en a un où vous trouvez un Esope dont la figure est tout à fait charmante et deux autres figures autour qui le lavent au mieux. Un autre tout rempli de canards avec un chien qui court après. Ce que j’ai trouvé
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de plus joli dans ce bassin, c’est que lorsque les eaux jouent elles donnent un mouvement à ces canards et au chien et vous voyez ce dernier courir après ces oiseaux et pousser continuellement des cris vers eux sans pouvoir y atteindre. Je vis aussi dans un bassin deux coqs très beaux et fort hérissés l’un contre l’autre pour se battre ; le mouvement des eaux agite tellement ces coqs qu’on s’y tromperait si on n’était prévenu tellement cela paraît au naturel. Enfin il y a tant de différents bassins et jets d’eau, tant de différents animaux et oiseaux que je n’ai pas pu tout retenir. J’avoue qu’il n’y a rien de si amusant que de voir jouer toutes ces eaux. Ce qui est encore très badin, c’est qu’il sort de la terre des jets d’eau qui vous trempent tous et à mesure que l’on fuit d’un (…) se croit à l’abri des eaux, il en sort d’autres qui vous accablent, de telle sorte qu’il est impossible de sortir de ce labyrinthe sans être mouillé, quand les fontainiers veulent.
Enfin je vis sur le soir le jardin potager du roi, qui se trouve séparé du parc, et à une des extrémités de la ville sur le derrière de la rue de l’Orangerie. Ce jardin est très vaste. Il est divisé en compartiments séparés par des murailles ornées de pieds de souches en treilles d’une étendue surprenante. On m’assura que les raisins y mûrissaient parfaitement. Il y a aussi beaucoup d’arbres fruitiers le long des murailles, comme poiriers, pommiers, abricotiers et pêchers tous découronnés et rangés en espalier. On y trouve beaucoup de planches de salade de toute espèce. J’y vis des laitues romaines, des pômées ( ?) d’asperges, du cerfeuil, des salades menues et toutes d’une beauté au-dessus de celles de Provence. Il y avait encore plusieurs planches de raves blancs, rouges et autres. Dans le terrain de ces différents compartiments on ne voit qu’arbres fruitiers tous coupés car on ne laisse pousser aucun arbre. En haut il y a des pommiers plus étendus que ceux de nos pays et tenus au mieux.
Il y a dans ce jardin trois serres où sont enfermés les arbres qui craignent le froid. Je vis dans le premier 400 figuiers dans des caisses élevées sur des roulis. Ces figuiers ne sont pas hauts mais d’une élévation médiocre. Ils étaient chargés de figues prêtes à mûrir. Il y a dans la serre plusieurs fourneaux qui donnent dans cette serre une chaleur considérable, attendu qu’il y a toujours dans les souterrains un feu entretenu pour continuer cette chaleur. Les dessus des serres sont des grands carreaux de vitre qui réchauffent la serre. Quand le soleil paraît, on trouve dans cette serre plusieurs abricotiers dans des caisses, chargés de fruits comme des noix quoique nous ne fussions qu’en avril. J’y remarquai encore deux caféiers avec leurs fruits. Ce sont des arbres comme des pêchers à cette seule différence que les feuilles sont entièrement jaunes. Le fruit était rouge et presque comme une jujube. On dit qu’il [de]vient noir quand il est mûr. On m’y fit voir encore deux autres arbres curieux qui font des fruits comme des coings mais d’un goût exquis, dont je n’ai pas retenu le nom.
Dans la deuxième serre il y avait beaucoup de vases remplis de fraises, couverts d’une cloche de verre. Il y avait beaucoup de fruits et bien mûrs. On me fit goûter une de ces fraises rouges comme les nôtres mais je n’y trouvai pas la même suavité ni la même odeur. La terre dont on se sert pour les vases est toute passée dans des tamis très fins et vous diriez qu’elle n’est que de poussière.
La troisième serre est une orangerie où il y a beaucoup de chinois et autres petits orangers de toute espèce, plusieurs romarins, thym et autres petits arbres tous coupés, et arrondis de façon qu’ils semblent de bois vert. Il y a aussi plusieurs vases de fleurs comme violiers, renoncules, anémones et autres. Toutes ces fleurs sont d’une rare beauté mais elles n’ont aucune odeur. Mme la Dauphine et les dames de France en avaient de très beaux bouquets le jour de Pâques. Vous trouvez encore dans ces jardins une infinité d’herbes et (légumes) que nous ne connaissons pas en Provence.
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Avant que de sortir de ce grand jardin, le directeur me fit voir une porte de fer qui tourne sur le chemin vis-à-vis la nappe d’eau qu’on appelle nappe des suisses. Elle est d’une beauté si achevée que tous les curieux vont l’examiner. On ne l’ouvre que lorsque le roi va dans le jardin, ce qui n’arrive que quand il y a des figues car sa majesté les aime extrêmement. Si bien que le directeur m’assure qu’on lui en envoie tous les jours par un courrier quand il est en Flandres. Le roi donne au directeur pour l’entretien du jardin, sans être obligé ni aux réparations ni aux embellissements, dix huit mille livres par an ; et quand il a fourni la table du roi et de sa famille, tous les fruits et herbes potagères sont à lui, ce qui doit lui rendre au moins autant. Sa Majesté donne encore pour le seul entretien des arbres, bosquets, eaux et parc de Versailles trois cent mille livres par an. Cependant il y a bien des jeux de ce parc dérangés. Il n’est pas croyable le nombre d’étrangers de l’un et l’autre sexe qui arrivent tous les jours à Versailles pour y voir toutes les curiosités.
Il y a dans Versailles deux paroisses, une dédiée à la Sainte Vierge et l’autre à Saint Louis, mais elles sont si petites et mal bâties que je n’en dis rien, comme encore de l’église des Récollets qui n’est pas plus belle, quoique les pères qui sont les seuls dans cette ville soient très riches puisque le roi leur donne tous les ans 10 000 livres sans leur casuel, leurs messes et les autres aumônes. La ville est fort jolie, elle est divisée en la ville vieille et la nouvelle. Le chemin qui vient de Paris au château les sépare. La terrasse qui est devant le château en venant de Paris est d’une étendue prodigieuse. Elle est pavée de pierres fort propres et fort larges. C’est dans cette terrasse et sur les extrémités que sont les appartements et les bureaux des quatre ministres de France. Un grand grill de fer gardé par les gardes françaises et les gardes suisses en défendent l’entrée à ceux qui ne sont pas ornés et habillés décemment. On compte dans Versailles 50 000 hommes, à savoir 15 000 au château, 10 000 au grand commun où sont tous les officiers de la maison du roi et 25 000 dans la ville. La rue de l’Orangerie est la plus belle et la plus large.
Depuis mon retour de Versailles j’ai vu l’observatoire de Paris, d’où l’on découvre toute la ville. La vue se perd sur cette vaste étendue de maisons. On donne à cette ville sept lieues d’enceinte ; ce que je sais de bien sûr c’est que je m’y suis trouvé quelquefois si lassé de marcher que je n’en pouvais plus. J’ai encore vu le jardin du roi où l’on fait deux fois la semaine des démonstrations de botanique. On y voit bien de simples curieuses, des allées de buis, et d’autres arbrisseaux fort riants. Il y a un bosquet sur un coteau qui est extrêmement champêtre et joli. Le terrain n’en est ni uni ni cultivé mais on s’y assoit sur un tapis vert à l’ombre des arbres et on y est d’une grande tranquillité, à portée même de s’y rafraîchir car il y a dans le jardin même des guinguettes où l’on vend de la bière, du vin, des liqueurs et autres rafraîchissements. Ce jardin est dans le faubourg Saint Marcel et à deux heures de chemin de la rue de Grenel (sic) où je logeais. Son éloignement m’a empêché de le fréquenter comme j’aurais voulu car je l’aurais préféré aux Tuileries à cause de la tranquillité.
Le 28 avril, jour du saint dimanche, je fus à l’abbaye de Saint Denis à deux lieues de Paris. Je donnai pour aller et venir six livres à un fiacre. J’y arrivai sur les dix heures. Je fus d’abord à la sacristie où je demandai l’agrément de dire la messe, ce que l’on me permit avec plaisir, et je dis la messe à l’autel de St Denis, où se trouve le corps de ce saint martyr. Après j’entendis la grande messe des moines. Le chœur qui est très vaste en était rempli parce que c’était le jour de leur diète ou assemblée capitulaire. Le Saint Sacrement était exposé. Le soleil est d’une si grande hauteur qu’un homme ne pourrait pas le soutenir. Il est sur un piédestal d’argent avec deux anges prosternés qui adorent le Saint Sacrement. A côté sont six reliquaires des saints martyrs de cette église. L’autel et
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devant d’autel sont en or massif et on ne peut rien voir de plus beau. Le devant d’autel représente la naissance de J.C. Il n’y a qu’une croix et six chandeliers d’argent d’une grosseur admirable. Au-dessus de l’autel est suspendu le Saint Ciboire d’or avec une couronne de même par dessus. Je n’ai pas vu officier avec plus de majesté que dans cette église. Il est vrai qu’il y avait plus de cent religieux. Leur chant est aussi dévot que grave. L’orgue est très belle et l’organiste en touche dans la perfection ; l’air qu’il donna durant l’élévation de la messe était divin. Je lui donnerais la pomme sur celui de Versailles, et de Notre Dame de Paris.
A deux heures je fus voir le trésor de l’abbaye. Je n’en fais pas le détail parce que j’en achetai une relation par écrit, comme des beaux mausolées que l’on voit dans cette église. Ce qu’il y a de sûr c’est que le mausolée de Mr de Turenne l’emporte sur tous ceux de nos rois et reines qui y sont inhumés. A côté du maître autel on y voit un petit autel tendu en noir avec un crucifix et deux chandeliers où l’on dit tous les jours la messe pour Louis XIV. A côté de cet autel est une représentation ou un chevalet couvert de noir d’un beau velours avec les armes de France aux quatre côtés. Sur le tombeau où est enterré Louis XIV, il y a quatre flambeaux qui brûlent nuit et jour. Il y a des suisses à la livrée du roi qui gardent le chœur de cette église, fermé par un très beau grill de fer qui en fait tout le tour, de sorte qu’on ne peut y entrer sans permission.
L’église est à trois nefs, celle du milieu est de toute beauté. Les piliers qui la soutiennent sont très beaux et très déliés. Le vitrage qui règne tout le long des trois nefs est au-dessus de ce que l’on en peut dire. Il y a vers le milieu de l’église deux vases en vitrage qui sont des chefs d’œuvre.
Nous vîmes à Saint Denis la revue des gens d’armes par Monsieur le prince de Soubise. Leur habillement galonné en or sur toutes les tailles est très beau et il n’y a rien au-dessus de ces troupes. Elles partirent le lendemain pour l’armée de Flandres. Dans le temps que nous étions à Saint Denis, un page du roi vint annoncer au prieur de l’abbaye la mort de Madame. Je demandai à ce monsieur-là si l’enterrement se ferait avec cérémonie, pour m’y arrêter. Il me répondit que non attendu que c’était encore un enfant de deux ans, on l’enterrerait sans aucune cérémonie.
La plaine de Saint Denis est très belle. On y voit des fermes considérables et une quantité de pigeons prodigieuse.
Le 1er mai je fus voir à l’église des Carmélites les tableaux dont elle est ornée, que l’on regarde comme les plus beaux de Paris. En effet il y en a cinq de chaque côté représentant les mystères de J.C ou de la Sainte Vierge, mais avec des attitudes si parfaites que je ne pouvais me lasser de les assez contempler. Il y en a un représentant Saint Joseph qui pense dans le sommeil de renvoyer son épouse, et l’ange du seigneur qui lui apparaît pour l’en détourner. Je ne crois pas que l’on puisse représenter rien de plus naturel. Tous les connaisseurs l’avouent. Parmi une infinité de tableaux que j’ai vus dans les églises et les hôtels de paris, je n’ai rien vu d’égal. Le tableau de l’annonciation et de l’assomption de la Vierge y sont au parfait. Celui de la présentation de J.C dans le temple, le miracle de la multiplication des pains, la tentation du Diable durant son jeûne, la résurrection de Lazare, toutes ces merveilles y sont représentées dans le dernier goût. Mais par dessus on y voit dans une chapelle un tableau de la Madeleine touchée du regret de ses fautes, le visage vers le ciel, les yeux fondants en larmes, les bras élevés vers l’objet de son amour. Jamais visage n’a été mieux représenté dans un excès de douleur. Tous les curieux en peinture avouent qu’il n’y a plus de tableaux à voir dans Paris quand on a vu celui-là. Il est toujours couvert et on le voit avec peine. Il y a dans cette chapelle une statue en marbre du Cardinal de Bérulle sur un piédestal, parce que son cœur y repose.
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Cette chapelle est toujours fermée par une grille de fer. Toute cette église est d’une très grande propreté, le maître autel y est magnifique, elle est tout pavée en marbre. Sur la tribune du fond il y a l’ange Michel qui tient le démon sous ses pieds enchaîné, en marbre blanc travaillé avec bien de propreté.
Le soir sur les sept heures je vis passer le convoi qui accompagnait le cadavre de Madame, fille de Monseigneur le Dauphin, à Saint Denis. Il y avait les gardes du corps du roi, les gens d’armes et chevaux légers, plusieurs pages et autres officiers de la maison du roi, tous à cheval avec un flambeau allumé. Ensuite marchaient plusieurs carrosses. Dans le premier était le corps de Madame dans une caisse de plomb. Dans le même carrosse étaient Mme la duchesse de Chartres et Mme de Tallard avec deux aumôniers dont l’un tenait une boîte d’or à la main dans laquelle était le cœur de Madame, que l’on porta au val de Grâce. Ce convoi était fort beau. Il y avait bien environ 600 personnes à cheval sans les carrosses. Tout Paris était au palais ou dans les jardins des Tuileries parce que l’on y avait exposé le corps de cette princesse durant tout le jour. Monseigneur le Dauphin a été extrêmement touché de cette mort et le roi et la reine ont eu bien de la peine pour le consoler.
Le 3 mai, jour de (l’adoration) de la Sainte Croix par le seul (…) que j’aie vu dans Paris depuis que j’y suis, je fus l’après dîner voir l’arsenal. Ayant vu celui de Toulon et la salle d’armes de Marseille, je n’y trouvai rien de fort curieux. Je fus voir ensuite le faubourg Saint Antoine, et fus après promener dans le jardin des Célestins, qui après celui des Tuileries peut être regardé comme un des plus beaux de ce pays et des mieux tenus.
Le 5 mai, premier dimanche du mois, je fus à Meudon par la galiote. Nous allâmes jusqu’à Sèvres et de Sèvres nous montâmes au couvent des capucins de Meudon où nous entendîmes la messe. L’église de ses pères n’a rien de curieux, leur jardin est fort beau. De là nous montâmes par la terrasse de Meudon au château, qui est situé sur une montagne d’où l’on découvre tout Paris et les bourgs des environs. Tous les coteaux des environs de Meudon sont plantés en vignes et tenus au mieux. Le château est superbe. J’y remarquai sur la grande porte les armes de Louvois et en dessous l’image de Louis XIV en métal. Il y a une galerie qui règne en dehors des fenêtres de ce château de toute beauté, comme aussi une façade du côté du jardin, charmante. Le suisse me mena ensuite aux appartements, qui sont très beaux quoique moins vastes que ceux de Versailles. J’y vis deux chambres tapissées de tapisserie en gobelin d’une beauté admirable. La plupart des chambres sont couvertes de glaces. La galerie qui conduit à la chapelle est superbe. J’y vis un fort beau tableau du siège de Manheim sous Louis XIV, une tête d’Alexandre de porphyre qui est inestimable. Il y en a aussi une d’Aristote de marbre d’Egypte que les curieux regardent comme un chef d’œuvre. La chapelle du château est très riante, à une seule nef. Il n’y a qu’un autel dont le tableau représente la résurrection de notre seigneur J.C mais c’est un des plus beaux tableaux que l’on puisse voir, et que l’on dit de Raphaël. Je vis dans un appartement du château la tête de ce peintre faite par lui-même, et celle de Michel Ange. Du château on nous mena voir le nouvel appartement où a été élevé Mgr le Dauphin, qui est le parc du château de deux cents pas. Il est fort joli et très riant mais moins beau que le premier. Depuis les châteaux jusqu’au village qui est au pied de la montagne, on ne voit que parterres et jardins d’une propreté et d’un arrangement charmant. Nous vîmes les orangeries, les serres. Il s’en faut de beaucoup qu’elles soient aussi belles que celles de Versailles. De là nous montâmes par un superbe escalier au haut de la montagne, où vous trouvez les plus belles allées d’arbres que l’on puisse voir, avec des bassins d’eau de toute beauté. En avançant dans le bois du
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côté de Sèvres, vous trouvez un bassin d’eau d’une étendue prodigieuse, et au haut de la montagne et à côté une [prairie] au tapis vert qui fait un coup de vue très gracieux. Il n’y a pas dans les allées de Meudon ni dans les jardins de belles statues comme dans le parc de Versailles. Les châteaux mêmes n’approchent pas pour les richesses de celui de Versailles mais la position [de] Meudon (…) coup d’œil. L’étendue de la terrasse en font une très belle (…) Les écuries n’y sont pas belles. Après avoir vu tout ce qu’il [y a] à voir, nous fûmes dîner à Meudon dans le village à [l’enseigne] (…) [Je donnai] à dîner à trois, moi compris, pour trois livres et nous eûmes (…) [je] n’ai pas mangé ailleurs de pigeons si gras (…) [Sur] les deux heures nous fûmes à Saint Cloud par le parc pour voir jouer les eaux, qui commencent à jouer le premier dimanche de mai et continuent jusqu’au premier dimanche d’octobre pour chaque premier dimanche du mois. Tant seulement de la grande porte du parc jusqu’à la cascade on fait bien un quart de lieue dans des allées magnifiques. Les entre deux d’une allée à l’autre sont des gazons ou des prairies charmantes. Ce beau parc est dominé par une montagne couverte de bois de haute futaie d’un côté, et de l’autre par la Seine qui borde le tout de ce charmant séjour. Au-dessus de la fameuse cascade règnent des degrés superbes par où l’on monte au château. On nous le fit voir. Ce que je trouvai de plus beau fut l’escalier et les tableaux. Il y en a beaucoup d’un grand prix. Je vis le lit de Mr le duc de Chartres de couleur blanc, avec des broderies en or de toute beauté. Le tableau de Mr le régent duc d’Orléans est un chef d’œuvre. La galerie de ce château est encore très belle et très estimée. Après avoir vu tout le château on nous fit voir l’appartement du prince de Montpensier, et nous fûmes voir cet aimable enfant qui est très beau de visage et qui fait la consolation de cette illustre maison. De là nous entrâmes dans la ville qui est peu de chose. L’église en est très ancienne mais gothique. Il y a un chapitre assez considérable.
Sur les cinq heures du soir on fit jouer les eaux. Il y avait un monde infini. La grande cascade donne une eau prodigieuse. Au sommet on y voit Neptune avec son trident et beaucoup des dieux marins qui sont à ses pieds et qui jettent tous de leur bouche beaucoup d’eau. Du haut de la cascade au bassin il y a une très grande distance et l’eau se précipite avec un bruit charmant ; à côté de cette chute d’eau on voit un bassin au milieu d’un bosquet qui jette l’eau plus de cent pieds de hauteur. On assure que chaque jet porte un muid d’eau. Au bas de la cascade règnent des prairies, desquelles sortent du gazon même douze à quinze petits jets d’eaux charmants. Si on n’est prévenu là-dessus on s’y laisse souvent surprendre. Au plaisir que j’eus de voir jouer les eaux et d’y voir tant de beau monde, j’en reçus un bien grand de la nouvelle de la paix. Car à mesure que ces eaux jouaient et que le petit prince y était dans son carrosse entre les mains de Madame de Rochembourg à qui le soin en est confié, elle reçut un page du roi qui vint en poste de Choisy pour lui annoncer de l’ordre de Mr le duc de Chartres la nouvelle de la paix. Elle la donna sur-le-champ à des dames qui étaient auprès du carrosse et de l’un à l’autre la nouvelle courut dans tout le parc. Jamais joie n’a été plus grande. C’était partout des cris d’allégresse et des sauts. Je m’embarquai sur la galiote de Saint Cloud pour retourner. Nous arrivâmes sur les neuf heures à Paris. Je courus sur-le-champ chez Mr notre évêque qui me confirma la nouvelle de la paix et me dit que les ministres l’avaient écrit de Versailles. Et en effet, en revenant au logis pour me coucher je trouvai les rues pleines de monde, parlant et se réjouissant sur cette heureuse nouvelle. J’appris le même soir la mort de Monsieur le Marquis de Bissy, fils unique et [héritier] de cette maison, lieutenant général des armées du roi, tué par (…) de
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bombe. Il passait pour un des plus valeureux officier (…) pour un des plus beaux et des plus généreux seigneur (…) [neuf cent] mille livres de dettes, et est très regretté.
Du 6 mai jusqu’au 15 je me trouvai attaqué d’une fluxion de poitrine qui me causa de la fièvre et me tint dans l’impuissance de quitter ma chambre durant une semaine. Je fus saigné plusieurs fois et ne fus délivré de ma fluxion que par le secours des adoucissants.
Le 20 mai je fus à Marly pour en voir le château et le jardin. Le château est situé entre deux coteaux, comme dans une vallée. Ces coteaux sont recouverts d’arbres et forment en été un coup d’œil ravissant. Entre ces deux coteaux on voit un jardin superbe, des jets d’eau admirables, des prairies et des gazons d’un vert charmant. Le long des prairies règnent les salles vertes, c’est ainsi qu’on les nomme. Ce sont des galeries d’arbres coupés de façon qu’une feuille n’en passe pas l’autre, quoique ces arbres forment des tunnels qui vous garantissent du soleil et qui communiquent de l’une à l’autre et font tout le tour du jardin. Vous trouvez dans les salles vertes des cabinets de verdure qui sont au-dessus de ce que l’on en peut dire. Les arbres des salles vertes forment des portiques superbes ; pour y entrer, le long de ces salles vertes sont dix pavillons, cinq de chaque côté, pour les princes et ministres. On va d’un pavillon à l’autre par les galeries de verdure. Le pavillon destiné pour sa majesté se trouve au milieu du jardin. J’y vis les appartements du roi, de la reine, de Monseigneur le Dauphin et de toute la famille royale. Ils sont tous au rez-de-chaussée et font le tour d’un appartement en rond qui informe le vestibule. Le château est très riant, très éclairé, mais il n’a rien de curieux ni en peintures ni en meubles. L’art n’a aucune part aux beautés de Marly. La seule nature semble s’être épuisée pour en faire la plus belle et la plus agréable ginguette de l’Europe. Au-dessus du château est une montagne d’où coulent des eaux plus claires que le cristal, [et] un parterre où se trouvent toutes sortes de fleurs. A cinquante pas en montant on voit la chapelle du roi. Elle n’a rien de particulier. Il y a encore un bâtiment en perspective de la chapelle. Au bout du jardin du côté de la rivière, on voit un réservoir très considérable qu’on appelle l’abreuvoir parce qu’il est sur la route qui mène de Marly à (…) et qu’on y abreuve les chevaux. Sur la muraille qui [sépare] le jardin de l’abreuvoir [on] voit deux chevaux de marbre, leur cavalier au-dessus. Les chevaux sont [cabrés] et les cavaliers tirent les rennes des brides avec tant de (…) [qu’ils] paraissent vivants. Les uns et les autres (…) le naturel qu’on loue généralement (…) dans Marly que ces deux figures (…)
Après avoir parcouru les allées de verdure et le jardin de Marly, je vins voir cette fameuse machine de Marly si renommée dans le monde, et en effet c’est une vaste maison de bois à plusieurs étages au milieu de la Seine. Vous y voyez quatorze prodigieuses roues les unes sur les autres, qui élèvent des pompes par le moyen de manivelles qui donnent les mouvements à ces roues, par le moyen desquelles l’eau monte dans des canaux qui portent au pied de la montagne, d’où par le secours des autres pompes qui sont dans ce bâtiment l’on fait monter l’eau jusqu’à un superbe aqueduc qui fournit au jardin de Marly et de Trianon. De la rivière à l’aqueduc il y a 150 pieds de hauteur. Le terrain bien nivelé, les pompes de la machine puisent avec tant de rapidité qu’elles montent mille muids d’eau chaque heure. On ne peut se lasser d’admirer cet ouvrage et tout ce que l’on en dit est très au-dessous de ce qu’il en est. L’effet des eaux par le mouvement des roues a quelque chose de si curieux qu’il frappe d’étonnement le spectateur. Dans les jours sereins et avec le soleil, l’eau qui tombe des plus hautes roues sur les inférieures semble du cristal et forme un aspect admirable. On voit plus de cent personnes qui travaillent continuellement à cette machine, sans compter les
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étrangers que la curiosité attire de tous pays, et sûrement cette machine mérite les attentions des curieux. On assure que nous en devons l’invention à un Liégeois qui mérite à jamais l’éloge de notre nation.
Le jour de l’ascension de notre seigneur J.C, je donnai tout le jour à voir les cérémonies de l’église métropolitaine. Je fus donc aux offices à Notre Dame. Mgr l’archevêque y officia. On fait abstinence des viandes dans Paris et son diocèse les trois jours des rogations. Durant la grande messe, les cérémonies furent les mêmes que j’avais vues le jour de l’annonciation à Vêpres. Mgr l’archevêque arriva dans le chœur habillé pontificalement avec ses ecclésiastiques ; tant seulement les chanoines étant dans le chœur, il monta dans son trône et commença vêpres. Les dignitaires sont les (…) des fêtes en soutane rouge et les chanoines en soutane violette. Le chantre, seul bâtonnier avec son bâton doré, porte (…) à genoux à Mgr l’archevêque, et retournant devant le lutrin il entonne le premier psaume. La musique en chante un hymne et le magnificat, le tout sans symphonie. [Durant] le
magnificat Mr l’archevêque ne quitte pas son (trône). Deux chanoines qui sont allés durant l’hymne prendre les chapes (…) deux enfants de chœur vont devant le maître autel et se [mettant à] genoux ils donnent chacun trois coups d’encensoirs à l’autel (…) et encensent debout. Monseigneur l’archevêque après le (…) le lutrin et se séparant ils encensent à [droite] (…) par trois coups d’encensoir et à gauche (…) remettent leurs encensoirs à un enfant [de chœur] (…) sans monter aux hautes formes.
Le magnificat fini, la musique chante l’antienne et un enfant de chœur vient présenter le missel au prélat qui dit l’Oremus. L’oraison finie, deux enfants de chœur chantent le Benedicamus sur le ton férial. On fait de suite la procession à l’autel de la Sainte Vierge où tout le chœur et Monseigneur l’archevêque assistent. On se range par colonnes en tirant vers la porte principale et on y chante longtemps à l’honneur de la Sainte Vierge. Je vis encore les mêmes cérémonies le jour de la pentecôte, de sorte que les vêpres ne sont finies dans les solennités qu’après cinq heures. Les samedis depuis Pâques jusqu’à la trinité, on chante après vêpres un motet à grand chœur devant l’autel de la Sainte Vierge. Il y a toujours un monde infini.
Le 29 mai, j’assistai dans l’église des R.P. Augustins à la messe du Saint Esprit pour l’ouverture de l’assemblée du clergé. Monseigneur l’archevêque de Tours qui devait présider y officia pontificalement. Tous les archevêques et évêques et députés du deuxième ordre y communièrent. Mgr l’évêque de Troyes fit le sermon, qui fut sur les avantages de la paix, et par rapport à la religion et par rapport à l’état. Outre les députés de l’assemblée il y avait huit prélats qui n’étaient point des députés. Ils étaient placés dans le sanctuaire avec des carreaux. Cette cérémonie fut très belle.
Pendant les trois fêtes de la pentecôte je fus aux offices de la métropole et des différentes paroisses. J’entendis le jour de la pentecôte un très beau sermon de l’abbé Adoin, curé de St Barthelémy. J’employai le reste de cette semaine à visiter les manufactures de Paris, comme celle des Gobelins où je vis travailler à cette belle tapisserie qui est au-dessus de toutes les autres et où les figures sont si bien représentées au naturel qu’on croirait qu’elles ont été attachées sur la tapisserie même. On m’y fit voir dans une maison attenante la manufacture du drap pour l’écarlate. La couleur est superbe. Comme j’examinais beaucoup ce dont on se sert pour donner cette couleur, l’ouvrier m’assura que c’était les eaux d’Argenteuil qui ont une proprieté unique pour cette couleur ; aussi n’a-t-on pas (…) quand on a voulu se servir de l’eau de la Seine pour (…) teinture. Le directeur de la manufacture (…) des plus beaux jardins de Paris.
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Je fus ensuite à la manufacture des glaces (…) et où les étrangers courent en foule (…) est la manufacture des tapis dans (…) ils y sont mieux travaillés et (…) plus belles. Toutes ces manufactures (…) que pour le roi ou pour autrui (…) les ouvriers très jeunes, et pour (…)
Du 10 juin jusqu’au 16, je passai cette semaine à visiter le Palais Royal, celui du Luxembourg et l’hôtel de Toulouse. J’avais déjà vu ces superbes maisons, mais on y trouve toujours du beau et du curieux. La galerie du palais royal, le dôme de l’appartement où mangeait Mr le Régent, la tribune destinée pour la musique, la rareté des peintures qui en ornent tous les appartements, les chefs d’œuvre qu’il y a en sculpture et en métal et mille autres curiosités y attirent à tout moment des étrangers en nombre. Les deux personnes établies pour vous montrer et expliquer ces curiosités m’avouèrent qu’il faudrait être de fer pour soutenir cette fatigue.
Le 12, veille de la Fête Dieu, je fus entendre les premières vêpres et matines à Saint Sulpice, qui était la paroisse où je me trouvais logé. L’office y fut chanté avec une gravité et une modestie (…) j’en fus et charmé et très édifié. Le lendemain, jour de la fête, j’employai tout le jour à voir les processions les plus suivies de la ville. Je fus d’abord voir celle de la Sainte Chapelle. Le trésorier portait le Saint Sacrement en habits pontificaux tout comme un évêque. Le chantre y ordonnait la marche, les chanoines étaient en chapes. Après le Saint Sacrement il y avait Mr le premier président du Parlement en robe rouge, précédé de plusieurs huissiers et des archers. Sous les armes tout après lui venaient les gens avec des flambeaux. La procession sort grand matin.
A sept heures je fus à Notre Dame. J’y célébrai la messe à l’autel de Saint Denis, patron de Paris. La messe est différente de celle du missel romain, la préface de ce jour-là est l’explication du traité de l’eucharistie. Il n’y a point de missel romain à la sacristie de Notre Dame. Ensuite je fus me placer dans le sanctuaire du maître autel. Mgr l’archevêque arriva à huit heures sonnantes en habits pontificaux et de suite on commença la procession. Le suisse de Notre Dame marcha le premier, après venaient vingt quatre enfants rouges deux à deux avec des flambeaux, après les domestiques de Mr l’archevêque, après les trois croix de Notre Dame avec leurs bannières et tout le clergé deux à deux en chapes, sans musique, chantant des hymnes et des repons avec une modestie et un silence profond à la fin. Mgr l’archevêque tenant ses mains sur le pied du soleil d’or où est le Saint Sacrement au-dessus duquel quatre lévites tiennent un dais superbe et très riche (…) n’est pas long. La procession finie, sans s’arrêter à (…) Mgr l’archevêque chanta la grande messe et officia (…) au sortir de Notre Dame, je fus voir la (…) la paroisse de Saint Severin. Le clergé y était nombreux (…) tête des couronnes de fleurs, mais celle de (…) portait le Saint Sacrement était de la paille (…) en robe noire, qui portaient le dais (…) et la procession était très modeste (…) du monde.
Sur les onze heures [je fus à l’église] des Saint Pères, où l’on m’avait loué une fenêtre pour voir [passer la] procession de Saint Sulpice, qui passe pour la plus curieuse de Paris. Sur les onze heures elle sort. Le suisse de cette église en commence la marche, après viennent les filles et veuves de cette paroisse avec un cierge allumé chacune. (On ajoute) de temps en temps parmi elles des anges, des bergers et une infinité d’enfants habillés magnifiquement. Les uns jettent des fleurs, les autres emportent des corbeilles et dissipent tellement ces filles qu’on n’entend presque pas le chœur de celles qui chantent. Après ces filles marchent les confréries de la paroisse ; chacune a des bannières superbes et à chaque confrérie il y a plus de deux cents confrères avec des cierges, et souvent des marguilliers en habit noir avec leurs mantelets. Après toutes ces confréries qui durent très longtemps
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vient un grand corps d’instruments de musique, de trompettes et hautbois, ensuite la grande croix de la paroisse qui est de toute beauté, après le clergé des deux séminaires de Saint Sulpice, après le clergé de la paroisse. Les enfants de chœur sont en aubes avec des rubans à frange d’or pour ceintures, tenant des bouquets dans les mains. Il y a au moins vingt sous diacres ou diacres et autant de prêtres avec les ornements et chasubles de chaque couleur, et à chaque changement de couleur il y a six ecclésiastiques en aubes avec des rubans en bandoulières, des gants blancs et des fleurs dans les mains ; la couleur rouge qui est celle du jour fournit au plus grand nombre des sujets. Après ce clergé qui est très considérable viennent Mrs les évêques et archevêques en rochet et camail violet, après vingt quatre thuriféraires avec leur encensoir d’argent précédé d’un maître de cérémonie, et à un coup que donne le maître de cérémonie ces vingt quatre ecclésiastiques en aubes et ceinture de rubans à frange d’or encensent tous à la fois le Saint Sacrement. Après marchent douze autres ecclésiastiques également en aubes et tous en gants blancs avec des corbeilles de fleurs, qui d’abord que l’encensement est fini jettent devant le dais leurs fleurs et de suite vient le curé de Saint Sulpice qui appuie les mains sur le pied du soleil que l’on porte sur un brancard très riche et très propre. Ce sont des ecclésiastiques en aubes qui le portent. Le dais qui est au-dessus du soleil est richissime. Le clergé de cette procession est très curieux à voir. Les ornements y sont d’un prix et d’une beauté ravissante mais on ne saurait disconvenir qu’elle [est très] longue et très dissipée.
A deux heures après midi je pris un fiacre pour aller à la [paroisse] de Saint Paul d’où j’étais très éloigné afin d’y voir (…) que l’on regarde comme une rareté des églises de Paris. Après avoir entendu un trés beau sermon dans cette église, je vis cette (…) célèbre. C’est une espèce de dais carré tout [couronné] (…) de tapisseries de toute espèce mais du temple, autrement (…) au dessus du ciel du dais paraît un rayon ou un (…)aussi délicatement qu’il n’y paraît pas, dans lequel (…) au bas du dais est un Saint Paul sur un (…) la sainte hostie avec les mains élevées (…)sont d’or massif à ce que l’on m’assure, il est (…)sont très petits.
De Fréjus (à Lyon)
Dînées | Couchées | Lieues |
---|---|---|
Vidauban | au Luc | 6 (Lieues) |
Brignoles | à St Maximin | 7 |
Meyreuil | à Aix | 6 |
Lambesc | à Orgon | 8 |
Avignon | à Orange | 8 |
Mondragon | à Pierrelatte | 6 |
Montélimar | à La Droume | 8 |
Valence | à Tain | 7 |
St Valiers | au péage | 7 |
Vienne | à St Symphorien | 8 |
74 lieues |
A Lyon à dîner 3 lieues. Séjour pendant 5 jours
Rivières jusqu’à Lyon, Argens sur un pont, la Durance sur des bateaux, Roubieu devant Montélimar sur un bateau, la Drome sur deux bateaux et l’Isère sur deux bateaux en delà Valence ; et le Rhône sur un pont à Lyon.
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De Lyon à Paris
Dînées | Couchées | Lieues |
---|---|---|
Montmerle | à Mâcon | 20 |
Tournus | à Châlons | 20 |
Arnay le Duc | à Saulieu | 19 |
Lucy le Bois | à Auxerre | 21 |
Villeneuve le Roi | à Villeneuve la Guierre | 20 |
Chailly | à Paris | 20 |
Total : 120 |
L’Yonne à Auxerre sur un pont, la même rivière à Sens, La Sone après la forêt de Fontainebleau (…) lieues de Paris (…) 1748.
(…) les prédicateurs les plus suivis à Paris (…) à la Conception, le P. Chopeau à (…) Segond (…) à Saint Louis (…), le P. de Laistre (…) recollets (…) à la Charité (…), le P. Fleury jésuite (…) aux Jacobins (…).
Illustration : Jean-Toussaint Cavalier, 18e siècle (privé).
Notes
[1] Les papiers de la famille Cavalier sont conservés dans les archives d’Agay (Var), sous la côte XVIII. L’inventaire et le microfilm du fonds est déposé aux archives départementales du Var à Draguignan. Le document porte la cote XVIII-D-7. Il a des manques par endroits et des lacunes qui sont signalées dans la transcription que nous en donnons et qui a été effectuée par Marie Sara Dumas qu’il faut remercier vivement ici..
[2] Abbé Espitalier, Les évêques de Fréjus du XIIIe siècle à la fin du XVIIIe siècle, Draguignan, Latil, 1898.
[3] Fils de Honoré Cavalier, bourgeois de Fréjus (1677-1723) et de Catherine Marenc (1677-1737). Il a un frère Pierre Cavalier (1721-1785), médecin, 1er consul de Fréjus en 1761, qui épouse en 1749 Catherine Emmanuelle Maurine, cousine de Mme Léonce Sieyès, femme d’un frère aîné de l’abbé Sieyès. Cf. Frédéric d’Agay, « La famille Sieyès », in Annales du sud-est varois, Tome XIV, 1989, p. 104-109 et « Les grands notables du Premier Empire –Var », (Notices Cavalier, Maurine, Sieyès), Paris, CNRS, 1988.
[4] Ce séjour est raconté dans une lettre à son frère très intéressante.
[5] Dont il nous donne la seule relation connue du château et du parc des Vintimille, marquis du Luc.
[6] Ses domestiques à la fin de sa vie sont un laquais, deux servantes, une gouvernante, Maria Gay avec sa fille.
[7] 22 volumes in 4e qui lui écoutèrent 100 livres avec le port.
[8] Nous ne savons pas qui ils sont.
[9] Il acheta également de l’argenterie à Versailles et Paris et une montre en or à 12 louis.
[10] Cf. Abbé H. Espitalier, « Les prévôts du chapitre de Fréjus », Draguignan, 1905.
[11] Archives d’Agay, Papiers Cavalier, XVIII-D-1, « Mémoire pour M. l’Archidiacre Cavalier »
[12] Archives d’Agay, Papiers Cavalier, XVIII-D-2, « Evènements sur mon état depuis 1714 » qui dit en préambule : « Mon père suppose que j’entrais dans l’état ecclésiastique par des motifs purement humains. Il me fit vivement solliciter par le P. Biclet, supérieur des Jésuites ; n’ayant rien avancé, j’entrai dans le petit séminaire en 1714 de l’agrément de mes parents et de Mgr de Fleury ». Dans une ville qui n’avait comme raison de vivre que l’évêché et la cathédrale l’ambition sociale passe nécessairement par une carrière ecclésiastique, cf. Frédéric d’Agay , " Fréjus, l’ambition ecclésiastique nécessaire" au colloque "Sieyès", Fréjus, 1989.
[13] Avec un tableau représentant Saint-Jean, un autre tableau à cadre doré de l’Immaculée conception de la Ste Vierge, un autel à tombeau, des gradins et tous les accessoires ( calices et chasubles).
[14] Il avait encore quatre neveux prêtres, Léonce Cavalier (1762-1835), archidiacre de la cathédrale et chanoine de Fréjus, Jean-Léonce-Denis Cavalier (1745-1830), Chanoine de Senlis, aumônier du prince de Condé, Directeur de l’institut royal de Leyde, auteur d’un « Plan d’éducation de première nécessité pour les enfants », Senlis, 1828, Antoine Cavalier, RP de la Doctrine chrétienne, et Joseph Coulomb (1743-1819), Chanoine théologal de Fréjus puis curé de Fréjus en 1804.