Le prince et les savants : la civilité scientifique au XVIIe siècle
Mario Biagioli
Mario Biagioli, "Le prince et les savants : la civilité scientifique au XVIIe siècle ", dans Annales, année 1995, volume 50, numéro 6, p. 1417-1453.
Extrait de l’article
Les académies scientifiques et te procès de civilisation
La création d’académies scientifiques en Italie, en Angleterre et en France au 17e siècle s’accompagne d’un débat sur les protocoles de bonne conduite auxquels les académiciens devaient se soumettre lors de la présentation, de l’approbation ou de la publication des propositions des savants concernant la connaissance des choses de la nature. Ces institutions produisaient leurs résultats en s’obligeant à une mise en commun des preuves, ainsi qu’à une collégialité du témoignage et des évaluations touchant les expérimentations scientifiques et leurs comptes rendus : aussi toute forme d’incivilité menaçait-elle la possibilité même de ce type de connaissance. Les bonnes mœurs philosophiques étaient également essentielles pour ce qui concernait les relations des académies avec leurs mécènes princiers — des relations qui, par exemple, auraient pu être dégradées par la publication de thèses litigieuses et par les controverses qui s’ensuivraient. Autant d’affaires sérieuses puisque les princes n’assuraient pas seulement les académies d’un soutien financier, mais les couvraient de leur autorité.
Dans les premières sociétés modernes, la crédibilité d’un individu était à la mesure de son statut social et nombre de praticiens des sciences, que la naissance n’avait pas placés dans une position sociale privilégiée, rehaussaient leur statut en se plaçant sous la protection d’un patronage princier ou aristocratique. Ce phénomène revêt une importance particulière chez les nouveaux philosophes de la nature (au sens de « philosophie naturelle ») et chez les physiciens les plus audacieux, dont les méthodes mathématiques ou expérimentales s’opposaient souvent à la philosophie aristotélicienne et à la médecine héritée de Galien, dont l’influence dominait la vie de l’université. Le patronage des cours princières, et l’espace de circulation sociale fluide que celles-ci leur offraient, apportèrent à certains de ces nouveaux philosophes un soutien décisif pour la légitimation de leurs propositions et pour l’affirmation de la nouvelle identité socio-professionnelle qu’ils cherchaient à forger.