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Pathographie de Louis XVII au temple (août 1792-juin 1795)

Pierre Léon Thillaud

Comment citer cette publication :
Pierre Léon Thillaud, "Pathographie de Louis XVII au temple (août 1792-juin 1795)", dans Cahiers de la Rotonde 1986, n° 6, p. 71-80. Article réédité sur Cour de France.fr le 1er octobre 2015 (https://cour-de-france.fr/article3862.html) dans le cadre du projet "La médecine à la cour de France".

En septembre 1979, un sondage effectué dans l’enclos de l’église Sainte-Marguerite permit d’exhumer un certain nombre d’ossements. Une commission composée des professeurs Huard et Grmek et du Dr Pierre Léon Thillaud fut chargée de les examiner et d’en faire une expertise ostéo-archéologique, destinée à identifier peut-être le cadavre de l’enfant décédé au Temple en 1795.
En 1983, la revue Cahiers de la Rotonde publia trois articles du Dr Thillaud consacrés respectivement à la pathographie du prince au Temple, aux premières fouilles effectuées au cimetière Sainte-Marguerite (novembre 1856 et juin 1894) et reprenant enfin le protocole d’expertise ostéo-archéologique demandé par M. Michel Fleury, directeur des antiquités historiques de la région d’Ile de France.
Il nous autorise aujourd’hui à reproduire l’ensemble de ces articles :

« Pathographie de Louis XVII au temple (août 1792-juin 1795) », Cahiers de la Rotonde 1986, n° 6, p. 71-80.
« Le cimetière Sainte-Marguerite : analyse des premières fouilles (novembre 1856 et 4 juin 1894) », Cahiers de la Rotonde, 1986, n° 6, p. 81-90.
« Le cimetière Sainte-Marguerite : ostéo-archéologie des dernières fouilles (septembre 1979) », Cahiers de la Rotonde, 1986, n° 6, p. 91-97.

Jacqueline Vons, responsable du projet "La médecine à la cour de France"

Maladie, mort et autopsie du petit prince. Introduction

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L’examen de la pathographie du roi Louis XVII, durant les derniers mois de son existence, engage nécessairement l’historien de la médecine au sein d’un conflit qui oppose, depuis bientôt deux siècles, les historiens. Nous devons, dès lors, ne serait-ce que pour poursuivre ces lignes, formuler une opinion. Comme le titre de ce travail le laisse aisément supposer, nous croyons que l’enfant du Temple, décédé le 8 juin 1795, n’est autre que Louis-Charles, duc de Normandie, deuxième fils de Louis XVI, né à Versailles le 27 mars 1785. Ainsi nous rallions-nous aux conclusions énoncées par Maurice Garçon dans son ouvrage Louis XVII ou la fausse énigme [1]. Notablement dégagé de son halo de mystère, Louis XVII ne présente pas moins d’intérêt pour le médecin qu’est, avant tout, l’historien de la médecine. Déterminer les causes du décès, analyser les antécédents médicaux du sujet en vue de la formulation d’un diagnostic rétrospectif, tels sont les objectifs de cette étude médico-historique.
C’est donc le 8 juin 1795, entre 14 et 15 heures, que « Louis-Charles Capet » décède, à l’âge de 10 ans et 2 mois. Le lendemain, Pelletan, Dumangin, Lassus et Jeanroy procèdent à l’autopsie [2]. Pelletan, successeur de Desault au chevet du jeune prisonnier depuis le 5 juin 1795, avait fait demander, le 7 juin, Dumangin comme consultant. Requis pour déterminer les causes du décès, chacun fit appel à un confrère de son choix. Dumangin choisit Jeanroy et Pelletan, Lassus.
Ces quatre praticiens jouissent alors d’une réputation bien établie [3]. Philippe-Jean Pelletan vient de succéder également à Desault comme chirurgien-chef du Grand Hospice de l’Humanité (Hôtel-Dieu). Né à Paris en 1747, reçu maître-chirurgien en 1775, il avait été nommé professeur d’anatomie en

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1789. En 1794, il occupe la chaire de clinique chirurgicale, à partir de 1815, celle de médecine opératoire et, en 1818, celle des accouchements. Membre de l’Institut de France, professeur honoraire en 1823, il meurt six ans plus tard, à Bourg-la-Reine, à l’âge de 83 ans.
Jean-Baptiste-Eugénie Dumangin est médecin-chef de l’hôpital de l’Unité (La Charité). Né à Château-Thierry en 1744, reçu docteur régent en 1768, rédacteur du Journal de médecine, de chirurgie et de pharmacie depuis 1776, il avait été nommé, en 1780, professeur de pharmacie à la faculté de Médecine. Il meurt en 1829, à Saint-Prix près de Montmorency, à l’âge de 82 ans.
Nicolas Jeanroy, né à Tulle en 1732, fut reçu docteur régent en 1758. Nous le savons professeur de chirurgie à Paris dix ans plus tard et bibliothécaire de la faculté en 1777. Professeur honoraire au moment de l’autopsie, nous perdons ensuite sa trace.
Fils de chirurgien, Pierre Lassus, né à Paris en 1741, reçoit sa maîtrise en 1765. Chirurgien des filles de Louis XV à partir de 1770, il devient neuf ans plus tard lieutenant du premier chirurgien du roi, puis, en 1791, professeur de pratique chirurgicale. En 1794, il enseigne la médecine légale et l’histoire de la médecine à l’Ecole de santé de Paris. Membre de l’Institut de France, il termine sa carrière comme chirurgien consultant de Napoléon Ier et meurt en 1807.

Rapport de nécropsie

Le procès-verbal de la nécropsie de Louis XVII, que nous reproduisons ci-dessous, paraît dans le Moniteur universel du 14 juin 1795 [4] :

Procès-verbal de l’ouverture du corps du fils de défunt Louis Capet, dressé à la tour du Temple, à onze heures du matin, ce 21 prairial (9 juin).

Nous, soussignés, Jean-Baptiste-Eugénie Dumangin, médecin en chef de l’hospice de l’Unité, et Philippe-Jean Pelletan, chirurgien en chef du grand hospice de l’Humanité, accompagnés des citoyens Nicolas Jeanroy, ancien professeur aux écoles de médecine de Paris, et Pierre Lassus, professeur de médecine légale à l’École de santé de Paris, que nous nous sommes adjoints en vertu d’un arrêté du Comité de Sûreté générale de la Convention nationale daté d’hier, et signé Bergoing, président : Courtois, Gauthier, Pierre Guyomard, à l’effet de procéder ensemble à l’ouverture du corps du fils de défunt Louis Capet, en constater l’état, avons agi ainsi qu’il suit :
Arrivés tous les quatre à onze heures du matin, à la porte extérieure du Temple, nous y avons été reçus par les commissaires, qui nous ont introduits dans la tour. Parvenus au deuxième étage, nous sommes entrés dans un appartement, dans la seconde pièce duquel nous avons trouvé dans un lit le corps mort d’un enfant, qui nous a paru âgé d’environ dix ans, que les commissaires nous ont dit être celui du fils de défunt Louis Capet, et que deux d’entre nous ont reconnu pour être l’enfant auquel ils donnaient des soins depuis quelques jours. Les susdits commissaires nous ont déclaré que cet enfant était décédé la veille, vers trois heures de ·relevée ; sur quoi nous avons cherché à

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vérifier les signes de la mort, que nous avons trouvés caractérisés par la paleur universelle, le froid de toute l’habitude du corps, la roideur des membres, les yeux ternes, les taches violettes ordinaires à la peau du cadavre, et surtout par une putréfaction commencée au ventre, au scrotum et au-dedans des cuisses. Nous avons remarqué, avant de procéder à l’ouverture du corps, une maigreur générale qui est celle du marasme. Le ventre était extrêmement tendu et météorisé. Au côté interne du genou droit, nous avons remarqué une tumeur, sans changement de couleur à la peau, et une autre tumeur moins volumineuse sur l’os radius près le poignet, du côté gauche : la tumeur du genou contenait environ deux onces d’une matière grisâtre, puriforme et lymphatique, située entre le périoste et les muscles ; celle du poignet renfermait une matière de même nature, mais plus épaisse.
A l’ouverture du ventre, il s’est écoulé plus d’une pinte de sérosité purulente, jaunâtre et très fétide ; les intestins étaient météorisés, pâles, adhérents les uns aux autres, ainsi qu’aux parois de cette cavité ; ils étaient parsemés d’une grande quantité de tubercules de diverses grosseurs, et qui ont présenté à leur ouverture la même matière que celle contenue dans les dépôts extérieurs du genou et du poignet.
Les intestins, ouverts dans toute leur longueur, étaient très sains intérieurement et ne contenaient qu’une petite quantité de matière bilieuse. L’estomac nous a présenté le même état ; il était adhérent à toutes les parties environnantes, pâle au-dehors, parsemé de petits tubercules lymphatiques semblables à ceux de la surface des intestins ; la membrane interne était saine, ainsi que le pylore et l’œsophage ; le foie était adhérent par sa convexité au ·diaphragme, et par sa concavité aux viscères qu’il recouvre ; sa substance était saine, son volume ordinaire, la vésicule du fiel médiocrement remplie d’une bile de couleur vert foncé. La rate, le pancréas, les reins et la vessie étaient sains, l’épiploon et le mésentère, dépourvus de graisse, étaient remplis de tubercules lymphatiques, semblables à ceux dont il a été parlé. De pareilles tumeurs étaient disséminées dans l’épaisseur du péritoine, recouvrant la face inférieure du diaphragme. Ce muscle était sain. ·
Les poumons adhéraient, par toute la surface, à la plèvre, au diaphragme et au péricarde ; leur substance était saine et sans tubercule, il y en avait seulement quelques-uns aux environs de la trachée artère et de l’œsophage. Le péricarde contenait la quantité ordinaire de sérosité, le cœur était pâle, mais dans l’état naturel.
Le cerveau et ses dépendances étaient dans la plus parfaite intégrité.
Tous les désordres dont nous venons de donner le détail sont évidemment l’effet d’un vice scrophuleux, existant depuis longtemps, et auquel on doit attribuer la mort de l’enfant.
Le présent procès-verbal a été fait et clos à Paris, au lieu susdit, par les soussignés, à quatre heures et demie de relevée, les jour et an que dessus.
Signé : J.-B.-E. DUMANGIN, PH.-J. PELLETAN,
P. LASSUS, N. JEANROY.

Analyse du rapport

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Dès à présent, il convient de noter que ce rapport ne diffère pas dans sa forme des autres comptes rendus autoptiques contemporains que l’on peut consulter dans les archives médico-historiques. L’absence de données chiffrées, en particulier de type anthropologique (mensurations et caractères morphologiques), y est habituelle. Il faut également souligner que ce type d’autopsie, pratiquée par des pathologistes, n’a pas pour mission d’établir l’identité du sujet mais les causes du décès. Ceci explique l’absence de toute recherche et de toute énumération des signes particuliers éventuels d’identification. Ainsi, seuls les signes objectifs de la mort figurent dans le détail. L’abaissement de la température de la surface corporelle ; l’assèchement de la muqueuse oculaire ; la pâleur tégumentaire associée aux ecchymoses et lividités cadavériques ; la rigidité articulaire ; la putréfaction enfin, attestent ici une mort réelle.
Les modifications pathologiques observées sont consignées, dans ce rapport, avec une remarquable précision. La description des tumeurs du genou droit et de l’extrémité inférieure du radius gauche permet d’identifier des tumeurs blanches. Ces tumeurs blanches, ainsi nommées à cause du gonflement des tissus qu’elles provoquent en l’absence de réaction inflammatoire (d’où la coloration blanche de la peau), apparaissent au cours d’arthrite tuberculeuse chronique. Les caractères de la substance contenue dans ces deux tumeurs correspondent à ceux du caseum gris-jaunâtre d’origine tuberculeuse. L’examen de la cavité abdominale confirme l’étiologie avancée précédemment et précise les circonstances du décès. Déjà, l’aspect tendu et météorisé de la paroi évoquait une affection abdominale aiguë. Après ouverture, la présence d’une abondante quantité de pus, ainsi que la constatation d’adhérences et de météorisation intestinales permettent d’affirmer la survenue du décès dans un tableau de péritonite. L’étiologie de cette péritonite peut être précisée de façon spécifique grâce à l’observation des nombreux tubercules péritonéaux, siégeant sur les parois externes de l’estomac et des intestins, sur l’épiploon et le mésentère, dont la dissection révèle l’existence de caseum. La lumière interne du tube digestif, par contre, est saine. Quelques tubercules identiques sont retrouvés dans le médiastin.
Les adhérences pariétales des poumons témoignent de la présence de séquelles d’une affection pleurale ancienne dont on ne peut, à la seule lecture de ce rapport, préciser l’origine. Nous verrons, plus avant dans cette étude, comment il est possible d’en interpréter l’existence.
Aucun autre processus pathologique ne figure dans ce procès-verbal élaboré sans hâte ; arrivés à 11 heures, les quatre médecins ne le signent qu’à 16 h 30 soit cinq heures trente plus tard.
Le « vice scrophuleux » est responsable de la mort de Louis XVII. À n’en pas douter, Pelletan et ses confrères affirment le diagnostic de « vice scrophuleux » à la seule observation du tubercule caractéristique. Ce tubercule, dont le chirurgien bordelais Pierre Desault (1675-1737) écrivait, le premier : « qu’il caractérise la maladie dans toutes ses formes » [5], ce tubercule, ils

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le connaissent si bien qu’après l’avoir disséqué, l’autopsie ne tend plus qu’à préciser sa localisation topographique, tant il est vrai qu’après cette découverte, le diagnostic leur paraît évident. Il est fort probable en effet, que Louis XVII soit décédé d’une péritonite ulcéro-caséeuse d’origine hématogène au cours d’une tuberculose disséminée chronique. Mais le nom de tuberculose ne date que de 1834 et c’est le médecin allemand J.-L. Schönlein (1793-1863) qui, le premier, l’utilisera [6]. Il sera donné à Laennec de proclamer et de démontrer l’unité anatomo-pathologique de la maladie au travers de ses diverses formes cliniques : cutanées, muqueuses, osseuses et viscérales.

Diagnostic médical commenté

L’analyse des antécédents médicaux du jeune prince nous semble confirmer ce diagnostic et permettre d’en préciser l’évolution. Pour cette étude nous n’utiliserons que les seuls documents à caractère médical antérieurs ou contemporains de la détention de l’enfant du Temple jusqu’à sa mort. De l’ensemble des témoignages recueillis, surtout au moment de la Restauration, nous ne retiendrons que ceux concernant la période précédant le 3 juillet 1793, publiés en 1892 dans le Mémoire écrit par Marie-Thérèse-Charlotte de France [7] dont tous les historiens s’accordent à reconnaître l’exactitude. Les autres témoignages, de Barras et de Harmand en particulier, sont contestables et ne modifient pas les conclusions de notre démonstration.

Louis-Charles, duc de Normandie, arrive au Temple avec toute sa famille le 13 août 1792, il est alors âgé de 7 ans. Depuis le 4 juin 1789, date à laquelle meurt son frère aîné Louis-Joseph-Xavier-François- dont l’autopsie permet de constater de manière rétrospective l’existence d’une spondylite tuberculeuse (mal de Pott)-, le deuxième fils de Louis XVI est devenu le Dauphin de France.

Par une description que Marie-Antoinette fit de lui, à l’intention de Mme de Tourzel qui succéda, le 24 juillet 1789, à la duchesse de Polignac dans la charge de gouvernante des enfants de France, nous savons que :
Sa santé a toujours été bonne, mais, même au berceau, on s’est aperçu que ses nerfs étaient très délicats et que le moindre bruit extraordinaire faisait effet sur lui.
Il a été tardif pour ses premières dents, mais elles sont venues sans maladies ni accidents ; ce n’est qu’aux dernières, et je crois que c’était la sixième, qu’à Fontainebleau il a eu une convulsion. Depuis, il en a eu deux : une dans l’hiver 1787-1788, et l’autre à son inoculation, mais cette dernière à été très petite [8].

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À cette description, ·pourtant, il convient d’opposer un commentaire de Brillat-Savarin indiquant, en avril 1789 : « Le duc de Normandie est également en très mauvaise santé » [9].
Quoi qu’il en soit, le Dauphin jouit, durant sa cohabitation avec Louis XVI, d’une santé satisfaisante. Le 11 décembre 1792, la Convention ayant résolu de faire le procès du roi, l’enfant remonte vivre auprès de sa mère, de sa tante et de sa sœur. Le 3 juillet 1793, il est définitivement séparé de sa famille qu’il ne reverra plus, excepté sa sœur à laquelle il sera confronté le 7 octobre de la même année.
Durant la deuxième période de sa détention, du 11 décembre 1792 au 7 octobre 1793, le Dauphin devenu Louis XVII, roi de France, le 21 janvier 1793, fut malade à plusieurs reprises.
Début mai 1793, le Mémoire de la duchesse d’Angoulême nous apprend que :
Depuis quelques temps, mon frère se plaignait d’un point de côté qui l’empêchait de rire. Enfin, le 9 mai, à 7 heures, la fièvre le prit, assez forte, avec mal à la tête et toujours un point de côté. Dans les premiers instants, il ne put pas rester couché, parce qu’il étouffait ... la fièvre continua la nuit ainsi que le lendemain et le surlendemain ; les accès revenaient plus fort le soir, mon frère cependant prenait l’air tous les jours... tombé malade un jeudi... le dimanche arriva le docteur Thierry, nommé le 10 mai pour soigner mon frère ... Thierry eut l’honnêteté d’aller consulter Brunyer sur la maladie de mon frère et sur les remèdes qu’il fallait lui donner ; Brunyer connaissait le tempérament de l’enfant dont il avait eu soin depuis sa naissance. Il donna quelques drogues à mon frère qui lui firent du bien... Il n’eut plus la fièvre que des accès de temps en temps, et souvent son point de côté. Sa santé commença alors à s’altérer, et elle ne s’est jamais remise depuis, le changement de vie lui ayant fait beaucoup de mal [10] .
Dans un relevé d’honoraires, le docteur Thierry de Bussy précise : qu’à commencer du 11 mai 1793, [il] a fait deux visites par jour, au fils du ci-devant Roi qui a une fièvre continue avec un redoublement tous les soirs, fièvre qui a duré vingt et un jours ; [soit] quarante-deux visites et douze visites pendant la convalescence [11].

Les symptômes de cette maladie : le point de côté exacerbé par le rire, la dyspnée accentuée par la douleur, la fièvre vespérale, associés à une altération ·de l’état général, évoquent une affection de l’appareil respiratoire et, plus précisément, une pleurésie. La persistance d’un point de côté après la phase aiguë témoigne en faveur de la constitution de séquelles pariétales. La persis-

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tance d’accès de fièvre intermittents signale un passage à la chronicité de l’affection. On peut, dans ces conditions, évoquer le diagnostic de pleurésie séro­fibrineuse se produisant au décours, ou à distance, d’une primo-infection tuberculeuse.
Nous nous souvenons que dans le procès-verbal de la nécropsie de Louis XVII, il est rapporté que « Les poumons adhèrent par toute leur surface à la plèvre, au diaphragme et au péricarde ; leur substance est saine et sans tubercule ». Nous pensons que ces « adhérences » peuvent parfaitement être le résultat de l’épisode morbide survenu en mai 1793.
Le mémoire de l’apothicaire Robert, indiquant les médicaments fournis pour le malade, a fait, de la part de Hastier, l’objet d’une étude détaillée. Nous partageons totalement son opinion lorsqu’il conclut que les drogues prescrites sont reconnues, dans la plupart des pharmacopées de l’époque, comme ayant une action anti-scrofuleuse [12]. Enfin, les antécédents familiaux du Dauphin- de son frère en particulier- et les conditions sanitaires de sa détention ne peuvent que renforcer l’étiologie tuberculeuse.
Le plus souvent non compliquée, la primo-infection tuberculeuse reste asymptomatique. Cependant, il arrive que l’infection progresse, soit dans le poumon, soit par généralisation hématogène. C’est alors la constitution d’une maladie grave : la tuberculose disséminée. Cette dissémination hématogène est surtout commune chez l’enfant. Cette tuberculose disséminée peut évoluer de manière subaiguë ou chronique. Il arrive alors qu’un petit nombre de bacilles seulement soit déchargé dans la circulation par intermittence et donne une variété de manifestations cliniques qui inclut, en particulier, des pleurésies, des orchi-épididymites, des arthrites et des péritonites. Les pleurésies séro-fibrineuses tuberculeuses sont dites a frigore lorsqu’elles surviennent de trois à douze mois après la primo-infection. Ce sont les pleurésies du sujet jeune. Ce sont les plus fréquentes. Les pleurésies contemporaines de la primo-infection sont plus rares. Les orchi-épididymites tuberculeuses débutent insidieusement, le plus souvent par une douleur du scrotum. L’épididyme et le testicule touchés sont généralement douloureux et gonflés. Quand la primo­infection survient pendant l’enfance, au moment de l’activité métabolique élevée des épiphyses, les risques de voir se développer des lésions osseuses par voie hématogène sont maximaux. Cette morbidité est la plus élevée pendant les trois années qui suivent la primo-infection de l’enfance. Les arthrites siègent avec prédilection aux hanches, aux genoux, aux coudes et aux poignets. La péritonite ulcéro-caséeuse est, par contre, rarement observée chez l’enfant et reste, actuellement, l’apanage des alcooliques ... Enfin, pour conclure ce bref aperçu médical, il nous faut rappeler l’existence du syndrome péritonéo-pleural de Fervet-Boullard, caractérisé par l’association d’une péritonite tuberculeuse à forme ascitique et d’une pleurésie de même nature uni- ou bilatérale.
Chantelauze, citant le rapport Decazes, écrit que le 11 juin 1793, on s’aperçut que le jeune prince s’était blessé en jouant sur un bâton et qu’il en résulta,

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d’après Thierry, « un relâchement au témoin gauche accompagné de mauvaises digestions » qui nécessitèrent huit visites de la part du médecin des prisons. À cette occasion, il est fait appel à Pipelet, bandagiste-herniaire. Enfin, Soupé, chirurgien, fut adjoint à cette équipe. Si l’on ne peut douter de « l’engorgement du testicule gauche  » diagnostiqué par Soupé comme une « maladie du cordon », nous sommes en droit de suspecter la réalité de l’origine mécanique ou traumatique de cette affection, pour laquelle nous n’avons comme seul témoignage que la déclaration de Pipelet adressée au comte Anglès, préfet de police, le 10 mai 1817 [13].
En ce qui concerne la hernie que l’on a cru pouvoir diagnostiquer et qui est signalée dans un arrêt de la Commission des secours publics daté du 11 juin, nous pensons qu’il s’agit d’une méprise : « De ce que l’enfant avait été soigné par un bandagiste-herniaire, on en a inféré qu’il avait une hernie » (ibid.). La présentation d’une note ne recensant que les six visites effectuées par le bandagiste et les douze suspensoirs fournis suffit à dissiper le malentendu. Enfin, lors de l’autopsie du 9 juin 1795, on ne saurait admettre que, remarquant l’abdomen tendu et météorisé, caractères de palpation par excellence, les quatre médecins ou chirurgiens ne signalent pas l’existence d’une hernie. Hormis les suspensoirs, aucun traitement spécifique ne fut prescrit. Le traitement anti-scrofuleux, par contre, fut poursuivi jusqu’au 2 5 juillet (cf. notes 12 et 13).

Si le diagnostic d’orchi-épididymite peut être raisonnablement formulé, rien ne permet d’en préciser l’étiologie. Trois remarques paraissent, néanmoins, nécessaires. Premièrement, la notion d’un traumatisme survenu au cours d’une séance de jeux ne nous semble pas indispensable à l’apparition de l’affection considérée. Étant suffisamment malade pour être traité, depuis le début du mois de mai sans discontinuité, nous imaginons mal le petit roi occupé à d’aussi turbulentes récréations. Deuxièmement, il faut indiquer que les seules habitudes d’onanisme, attestées par des documents contemporains, peuvent provoquer cette affection génitale. Troisièmement, considérée dans le cadre d’une tuberculose disséminée, cette affection peut être interprétée comme une localisation génitale qui, nous l’avons expliqué précédemment, demeure toujours possible. Il faut reconnaître toutefois qu’à la différence de la maladie pleurale du mois de mai précédent, nous ne disposons ici d’aucun élément nécroptique ; l’examen des organes génitaux n’ayant pas fait l’objet de remarque particulière de la part des quatre opérateurs.
À partir du 26 juillet, le docteur Thierry de Bussy traite son petit patient pour une « maladie vermineuse à la suite de laquelle il a rendu une prodigieuse quantité de vers  ». Quinze visites sont effectuées à cette occasion. Des « lavements vermifuges » sont prescrits jusqu’au 22 août, date à laquelle l’helminthiase semble vaincue [14].

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Cette infestation digestive, survenant chez un enfant, qui s’accompagne d’un désordre profond de la fonction digestive qualifié tour à tour de « mauvaise digestion » ou de « dévoiement » évoque une trichocéphalose ou une ascaridiose. Il est important de souligner que ce traitement remplace le précédent ; le mémoire de l’apothicaire Robert en témoigne (cf. notes 12 et 14). Il faut en conclure qu’à partir du 26 juillet 1793, l’affection pulmonaire apparue début mai ne se manifeste plus selon un mode aigu nécessitant un traitement spécifique. De la même manière, le nombre limité des suspensoirs (douze), indique que l’affection génitale survenue début juin évolua favorablement au moins sur le plan clinique. Enfin, pour ce qui concerne l’affection intestinale, il convient de remarquer qu’à l’autopsie aucune lésion de la surface interne du tube digestif n’est signalée de telle sorte qu’une guérison complète peut être envisagée.
Espaçant le rythme de ses visites, Thierry revoit seize fois Louis XVII : « Ses dernières visites datent des premiers jours de janvier 1794 ». Le 19 janvier, Legrand, Lasnier, Cochefert et Lorinet constatent que le petit prisonnier est « en bonne santé » [15] . Le 30 juillet suivant, Laurent note sur le bulletin de la tour du Temple que les prisonniers « se portent bien » [16]. Le 6 mai 1795 :
Le Comité de sûreté générale, instruit par le rapport des gardiens de l’enfant Capet, qu’il éprouve une indisposition et des infirmités qui paraissent prendre un caractère grave, arrête que le premier officier de santé de l’hospice de l’Humanité se transportera auprès du malade pour le visiter et lui administrer les remèdes nécessaires, il ne pourra faire ses visites qu’en présence de ses gardiens [17].
Le jour même, Pierre-Joseph Desault visite l’enfant malade et prescrit un traitement anti-scrofuleux conforme aux données thérapeutiques de son époque ; associant à une alimentation enrichie l’ensoleillement et l’aération de la chambre, mais également :
tous les matins ... trois tasses d’une décoction de sommités de houblon dans lesquelles on ajoutera une cuillerée de sirop antiscorbutique. Tous les jours, matin et soir, on lui frottera les genoux et le poignet avec quatre gouttes du liniment composé d’huile d’amandes douces et d’alkali volatil (ammoniaque) [18].
Desault meurt subitement le 1er juin 1795. Quatre jours plus tard, le Comité de sûreté générale désigne son remplaçant. Le 5, Pelletan se présente au Temple et décide la poursuite du traitement administré depuis un mois.
Le 7 juin, alors que Dumangin se voit également requis auprès du petit roi, Pelletan complète son ordonnance par de la rhubarbe en poudre, de l’extrait de quinquina et de la décoction blanche du Codex. Dans la soirée, les deux

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geôliers, Lasne et Gomin, s’alarment et informent le chirurgien de l’aggravation de l’état du malade. Celui-ci néglige cet appel et se contente de prescrire « un demi-grain de diascordum » à délayer dans du vin [19]. Le 8 juin, à 11 heures, Dumangin et Pelletan arrivent au Temple. Décoction blanche et lavements constituent toujours l’essentiel de la thérapeutique. Le contenu du bulletin de santé adressé au Comité est pessimiste : Nous avons trouvé le fils Capet ayant le pouls déprimé, le ventre tendu, douloureux et mactorisé [sic]. Il y avait eu dans la nuit et encore le matin plusieurs évacuations vertes et bilieuses. Cet état nous ayant paru très grave, nous avons résolu de revoir l’enfant ce soir après avoir prescrit ce que nous avons jugé convenable (ibid).
Quelques heures après le départ des praticiens, les gardiens restent préoccupés : Une crise des plus violentes vient de prendre au malade (ibid).
Quelques instants plus tard, entre 14 et 15 heures, Louis XVII est mort. La mort du roi dans un tableau d’urgence abdominale ne paraît pas douteuse à la lecture des observations de Pelletan et Dumangin. L’étiologie scrofuleuse, sans être formellement exprimée dans les documents antérieurs à la mort de l’enfant, détermine l’orientation thérapeutique choisie à cette occasion. Le procès-verbal de l’autopsie, nous l’avons vu, confirme cette analyse.

Conclusion

Ainsi, le 8 juin 1795, Louis XVII meurt au Temple d’une péritonite ulcéro-caséeuse survenue au décours d’une tuberculose disséminée hématogène chronique dont on trouve les premières manifestations cliniques, pleurales en particulier, en mai 1793. Le Roi te touche, Dieu te guérisse  : victime de l’ultime pirouette macabre d’un sort qui s’est acharné sur sa tragique destinée, Louis XVII succombe à une forme de morbus Regio que lui seul était censé guérir.

Notes

[1Maurice Garçon, Louis XVII ou la fausse énigme, Paris, 1952, in-8°, 586 pages.

[2Pour la chronologie des événements survenus au Temple, nous avons utilisé, outre l’ouvrage de Maurice Garçon, déjà cité, celui de Lucien Lambeau, La Question Louis XVII, le cimetière de Sainte-Marguerite et la sépulture de Louis XVII, historique, disparition prochaine, 1624-1904, Paris, 1905, in-4°, 239 pages ; ceux de Louis Hastier, La Double Mort de Louis XVII, Paris, 1951, in-12, 299 pages, et Nouvelles révélations sur Louis XVII, Paris, 1954, in-12, 301 pages.

[3L’ensemble biographique que nous présentons ici est largement inspiré du travail d’André Corlieu, « La mort du dauphin Louis XVII », Gazette des hôpitaux , 1876, t. XLIX, p. 1077-1078.

[4Lucien Lambeau, op. cit., p. 80-81.

[5Pierre Desault, Dissertation sur les maladies vénériennes ... Appendice : dissertation sur la phtisie, Bordeaux, Calamy, 1733, in-8°, p. 346.

[6Charles Coury, Grandeur et déclin d’une maladie, la tuberculose au cours des âges, Suresnes, 1972, in-8°, p. 30.

[7Mémoire écrit par Marie-Thérèse-Charlotte de France ..., publié sur le manuscrit autographe appartenant à Madame le Duchesse de Madrid, Paris, 1892.

[8Maurice Garçon, op . cit., p. 442.

[9Ibid., p. 443.

[10Louis Hastier, Les Maladies de L ..., dans Histoire de la médecine, Paris, 1953, t. III (n°7), p. 49-50, et Mémoire écrit par Marie-Thérèse-Charlotte de France, p. 104-108.

[11Dr André Cabanès, « Un épisode du procès de Marie-Antoinette ; Marie­ Antoinette et le Dauphin », La Chronique médicale, 1898, t. V, p. 177, et Archives nationales, F7-4392.

[12Louis Hastier, op. cit., p 50-50, et AN F7-4392.

[13André Cabanès, op. cit., p. 177-180, et Archives nationales, F7-4392

[14Louis Hastier, op. cit., p. 51, et Archives nationales , F7-1319

[15Maurice Garçon, op. cit., p. 18-19.

[16Ibidem, p. 529, et Archives nationales, F7-4432.

[17Ibidem, p. 559, et Archives nationales, F7-4392.

[18Ibidem, p. 562-563, et Archives nationales, BB 30964.

[19Ibidem, p. 567-570.