Familiarité française et politesse italienne au XVIe siècle. Les diplomates italiens juges des manières de la cour des Valois
Marc H. Smith
Comment citer cette publication :
Marc H. Smith, "Familiarité française et politesse italienne au XVIe siècle. Les diplomates italiens juges des manières de la cour des Valois", dans Revue d’Histoire diplomatique, n° 3-4, 1988, p. 193-232. Article édité en ligne sur Cour de France.fr le 1er mars 2011 (https://cour-de-france.fr/article1833.html).
Le présent article, publié en 1988 dans la Revue d’histoire diplomatique, est tiré d’une thèse pour le diplôme d’archiviste paléographe intitulée "La France et sa civilisation vues par les Italiens au XVIe siècle" (résumée dans : École nationale des chartes, Positions des thèses…, 1988, p. 185-198). Cette publication en ligne corrige quelques points de détail et développe autant que nécessaire les références données sous forme abrégée dans la version initiale (celle-ci ayant été imprimée telle que dans la thèse, sans délai de révision). En outre les citations en italien, données à l’origine dans le texte et traduites en annexe, sont ici reportées en note et traduites en français dans le corps de l’article pour la commodité du lecteur, à l’exception de quelques brefs extraits sans difficulté.
Qui ne se souvient des vers de Du Bellay (Regrets, LXXXVI) :
« Marcher d’un grave pas et d’un grave sourci,
et d’un grave soubriz à chascun faire feste… »
et du dégoût avec lequel il voyait les courtisans romains « d’un son servitor contrefaire l’honneste », ou « seigneuriser chascun d’un baisement de main » ? Célèbre satire, caractéristique du don d’observation du poète autant que d’un courant anti-courtisan qui traverse toute la littérature du XVIe siècle. Mais aussi l’expression de la nostalgie de l’Angevin exilé, péniblement dépaysé dans la société italienne. Rien de plus différent, en effet, comme nous le verrons, que la cour pontificale, renommée en
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Italie même pour l’ordre cérémonieux qui y règne, et la cour bruyante et animée, la foule bigarrée et incontrôlable qui entoure les Valois-Angoulême. Avec la question des manières de cour, où l’on peut voir comme la cristallisation des idéaux d’une société, on touche au cœur de ce qui distingue à la Renaissance les civilisations, les mentalités de part et d’autre des Alpes.
La politesse tient une place centrale dans la civilisation du XVIe siècle italien. Elle est la concrétisation d’une nouvelle conception des rapports entre les hommes, et d’une nouvelle conception de l’homme lui-même. Celle-ci est fille de l’humanisme, du sens nouveau de la dignité humaine, du respect, de la distance. C’est toujours plus le sens de la grandeur, de la distance, qui domine dans les formes de la politesse italienne à partir du début du XVIe siècle, une politesse aristocratique, celle de l’absolutisme, s’opposant aux attitudes plus simples de la civilisation « bourgeoise » de l’époque précédente. Et l’apport des manières espagnoles, qui contribua à raidir encore ces conventions, n’en fut pas l’origine comme on l’a longtemps cru, mais vint renforcer une tendance déjà existante [1].
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A l’opposé, la conception française est moins distante. La clef en est ce que les Italiens nomment « domestichezza », la familiarité. Certes, la « domestichezza » n’est pas absente de la politesse italienne elle-même, mais elle y est tempérée par plus de grâce, plus calculée. Elle est une marque d’honneur quand elle s’adresse d’un supérieur à un inférieur. Même dans la familiarité, la politesse reste inséparable du sens de la hiérarchie, une hiérarchie qui met hors de pair le prince.
En France, les Italiens découvrent une familiarité qui constitue la politesse la plus habituelle, parfois même la seule à leurs yeux, et qui envahit jusqu’aux rapports entre le roi et les courtisans. Cette familiarité agit comme un dissolvant de la hiérarchie naturelle, quand elle va trop loin. Dans le vocabulaire des termes récurrents pour caractériser les manières françaises, on peut voir un corollaire de la « domestichezza » dans l’expression « senza rispetto », qu’on pourrait traduire : sans avoir égard au rang, à l’importance de chacun, indistinctement.
L’ambiguïté de la position des Italiens à l’égard des manières françaises est tout entière résumée dans un paragraphe du Courtisan de Baldassar Castiglione :
« Et si vous considérez la cour de France, laquelle est aujourd’hui une des plus nobles de la chrétienté, vous trouverez que tous ceux qui y ont la faveur de chacun sentent le présomptueux ; et non seulement entre eux, mais à l’égard du roi lui-même ». « Ne dites pas cela, répondit messire Frédéric, il y a au contraire en France des gentilshommes tout à fait modestes et courtois ; il est vrai qu’ils usent d’une certaine liberté, d’une familiarité sans cérémonie qui leur est propre et naturelle ; il ne faut pas pour autant l’appeler présomption, parce que, selon leur manière ainsi faite, bien qu’ils rient et s’amusent des présomptueux, ils apprécient toutefois beaucoup ceux qui leur paraissent faire preuve de modestie et de valeur » [2].
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Un autre interlocuteur ajoute que les Espagnols, sous les dehors de la modestie, sont souvent plus « prosuntuosi » que les Français.
La comparaison de la France et de l’Espagne est un souci constant du XVIe siècle italien, à tout sujet, et c’est généralement pour conclure que l’Italie tient entre les deux le juste milieu. Pour la politesse aussi, c’est encore la conclusion de Stefano Guazzo, près d’un demi-siècle après Castiglione ; critiquant les ambitieux qui montrent une soif excessive d’honneurs, de prééminences, il écrit :
« O ! que ces glorieux-là sont haïs des François ! Qui est d’avanture la cause pourquoy ils n’ayment pas les Hespagnols, qui sont estimez superbes et fiers… Peut-estre que les Hespagnols auront pareillement en haine les François pour leur grande facilité et privauté, et me semble qu’entre ces deux extrémités nostre nation tient le milieu, voyant en icelle communément exprimée et conjointe une grave humanité et une humaine gravité » [3].
I. « Domestico et amorevole »
Pour garantir la permanence de la hiérarchie, la première condition est que le maître, le prince, se fasse lui-même respecter, par deux moyens inséparables : sa propre grandeur et dignité d’apparence et de manières, et la codification de ses rapports avec son entourage, autrement dit une étiquette. L’étiquette est la concrétisation du respect porté à la personne du souverain, donc un élément de l’autorité monarchique. En Italie, cela avait d’autant plus d’importance que les familles princières étaient
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plus récentes, et devaient leur stabilité à un pouvoir fort, comme les Médicis : cette exaltation consciente, organisée, de la personne du prince pouvait compenser dans une certaine mesure l’absence du charisme qu’aurait une dynastie dont la légitimité plongerait ses racines dans une tradition pluriséculaire.
D’autre part, une excessive hauteur affectée par le prince pouvait lui aliéner l’affection de ses sujets. Déjà au début du siècle, certains relevaient des excès dans ce sens en Italie, comme Castiglione, qui critique ceux qui « deviennent orgueilleux, et par leur air impérieux et leurs manières sévères, par des vêtements fastueux, l’or et les pierres précieuses, croient acquérir de l’autorité parmi les hommes et être presque considérés comme des dieux » [4] : ce ne sont que des colosses rembourrés d’étoupe. A l’inverse, il prône un juste équilibre de la grandeur et de l’affabilité. Employée à bon escient, la « domestichezza » nourrit l’affection de celui qui a l’honneur d’en être l’objet. Mais la familiarité pure est aussi nocive à l’autorité : le prince devrait savoir traiter chacun selon son importance (ses « meriti »), mais, et surtout, « en conservant cependant toujours la majesté qui convient à son rang, afin de ne diminuer en rien son autorité par trop d’humilité » [5]. Il reste que le geste familier d’un grand est une marque d’honneur [6].
Or en France, la familiarité des grands avec les moins grands est l’usage courant. Ainsi, Antoine de Navarre est « Prince très humain avec tous indifféremment, sans ombre de fumée, avec des manières libres et ouvertes à la française » [7]. Et le cas le plus connu en est la facilité des rapports entre le roi et les courtisans, sinon même avec les sujets. Alors que dans d’autres domaines la cour put être plus ouverte à des influences exté-
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rieures, italiennes en particulier, sur le point de l’étiquette, les tentatives de réforme eurent peu de conséquences aux yeux des contemporains.
François Ier était avec tous d’une familiarité qui fut jugée de diverses façons, selon les personnes à qui elle s’adressait. Cette familiarité ne fut pourtant pas vue par Frédéric de Gonzague ni par ses serviteurs comme une simple preuve de grossièreté, ou du moins ce n’est pas ainsi qu’ils la présentent dans leurs lettres. Au contraire, Frédéric reçoit bien comme des marques d’honneur toutes les familiarités du roi, et les correspondances de ceux qui l’accompagnent y insistent constamment. Si les manières de cette cour ne sont pas celles de Mantoue, ils savent dans l’ensemble faire la part des habitudes de la nation, et ne se montrent jamais choqués [8].
Pourtant on décèle une certaine condescendance envers les manières de la cour, si simples mais si aimables… L’insistance parfois pesante de certaines lettres sur ce point permet de penser que, si les Mantouans y ont pris goût, ce n’était en tous cas pas pour eux un mode de vie habituel, ni idéal, et que, s’ils ont apprécié cette politesse, c’est qu’ils l’ont trouvée supérieure à ce qu’ils attendaient, et à ce que devait être en Italie sa réputation. Ce sont des protestations de satisfaction comme : « J’assure à Votre Seigneurie que les façons de ces demoiselles sont si honnêtes et familières que je suis tout à fait certain qu’elles lui plairaient » [9]. Isabelle d’Este semble s’être inquiétée malgré tout de l’influence que pouvait avoir sur son fils son séjour français, et plusieurs lettres la rassurent sur ce point, Frédéric n’est pas « presuntuoso né molto licencioso nel parlare » [10], ce sont des médisants qui ont dû dire cela [11].
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Cependant, une fois au moins, on voit percer superbement l’orgueil des Mantouans quand ils comparent les manières de leur jeune prince à celles du roi. L’attitude qui lui est prêtée, une familiarité respectueuse, exprime parfaitement la différence entre ses manières et la simple familiarité française, qui, elle, n’est jamais appelée respectueuse :
« (Sa Majesté) a beaucoup plaisanté et badiné avec Monseigneur, et Sa Seigneurie se comporte en ces badinages avec une familiarité respectueuse qui est grandement louée, tempérant la licence française par la modestie italienne qui lui est naturelle, mais ce sont là des manières que l’on reconnaît mieux qu’on ne saurait les décrire » [12].
Les plaisanteries de François Ier (qui ne cessa pas de plaisanter avec Frédéric au cours du voyage) semblaient en effet parfois bien audacieuses, et choquèrent vivement plus d’un étranger, surtout quand il s’amusait des choses les plus graves. En cette même année 1516, il se plut par exemple à faire croire à l’ambassadeur vénitien Badoer qu’il voulait marier sa mère Louise de Savoie à l’Empereur, et ce, grâce aux bons offices du nonce Lodovico Canossa, qui était présent à la conversation. Tous deux passèrent un moment très embarrassant, dont Badoer rendit compte dans une dépêche chiffrée : le nonce promettait au roi que si sa mère venait en Italie, il lui ferait visiter Rome…
« Sadite Majesté répondit : “Oui, si vous lui faites donner l’Empereur pour mari comme vous me l’avez promis.” Le nonce devint rouge et blême tout à la fois, en disant : “Majesté sacrée ! Ceci est grave, et l’ambassadeur vénitien qui est ici le prendra mal !” Sa Majesté répliqua : “Eh quoi ! Voulez-vous faire mentir le roi ?” Sa Seigneurie dit : “Je vous supplie de dire les mots mêmes que j’ai dits”. Alors, riant plus que je ne l’ai jamais vu rire, Sa Majesté me dit : “Ambassadeur, prenez mes paroles en bonne part : le nonce m’a dit que l’Empereur avait coutume de laisser sa femme en
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gage dans les auberges quand il n’avait pas d’argent, et que maintenant, comme il n’a plus de femme, il serait bon de lui donner Madame, pour qu’il pût l’engager.” Aussi répondis-je que je prenais le tout en très bonne part et, le nonce étant apaisé, nous passâmes à des sujets plus agréables » [13].
C’est en de telles occasions que l’on peut juger qu’il ne garde pas le décorum qu’on est en droit d’attendre de la part du plus grand roi de la chrétienté. Dans les circonstances qui sont normalement celles où il devrait faire preuve de la plus grande majesté, les manquements sont d’autant plus sévèrement relevés. C’est le cas de la cérémonie de la première audience, de la réception d’un ambassadeur. L’habitude du roi était de recevoir les ambassadeurs avec tant de familiarité qu’ils en étaient embarrassés, bien que ce fût aussi de sa part le signe de son attachement à la puissance que ceux-ci représentaient. Le cérémonial est composé d’un certain nombre de gestes pourvus d’une signification comprise dans tous les pays d’Europe, mais avec quoi chaque souverain joue à sa guise. Ainsi le roi serait normalement couvert et assis, l’ambassadeur, tête nue et debout, lui baiserait la main (plus tard dans le siècle, le genou) avant de remettre ses lettres de créance. L’honneur que le roi lui fait se mesure au temps qui s’écoule avant qu’il puisse s’asseoir et se couvrir, si ce droit lui est donné.
En 1531, les ambassadeurs vénitiens furent déçus de ce qui devait être une cérémonie de quelque solennité, et où ils s’estimèrent au contraire accablés d’amabilités :
« Parvenus en présence du Roi Très Chrétien, le jour d’hier, nous fûmes accueillis par Sa Majesté avec une rare bienveillance, tant par la jovialité de son visage que par ses très libérales courtoisies du chapeau et par sa manière de répéter sans cesse : “Soyez les bienvenus !” en nous embrassant de manière que nous ne pussions lui baiser la main. Elle se tenait dans sa chambre privée, debout, bien qu’il y eût là un grand nombre de seigneurs cardinaux et grands de la
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cour. Mais Sa Majesté manquait absolument de toute solennité et cérémonie ; et c’est ainsi, debout, que nous lui présentâmes les lettres de créance de Votre Sérénité. Quand elles furent ouvertes, Sa Majesté, les ayant prises en main, dit dès qu’elle les vit : “Elles sont en latin”, et continua à les lire en silence jusqu’au bout » [14].
L’année suivante, François Ier refusa même sèchement que le nouvel ambassadeur fît le discours qui suivait habituellement la remise des lettres de créance : « Je ne veux point que le nouvel ambassadeur me fasse de harangue, point, point. » Or ce discours était pour tout diplomate un moment essentiel de sa mission, l’effet alors produit était une des meilleures garanties de succès [15]. Le dépit de Marino Giustiniano est vif, le ton de sa dépêche proche du persiflage : il changea tout ce qu’il avait prévu : « Et je me conformai à la brièveté qu’il semble que Sa Majesté désire pour ses affaires, ou plutôt pour ses plaisirs » [16].
Cette simplicité était suffisamment connue pour que, quand le roi daignait y déroger, cela causât même quelque surprise : le nonce Acciaiuoli, quand on fit venir à sa rencontre une importante compagnie à son arrivée à la cour en 1526 [17], pensa, avec ceux qui étaient quelque peu informés des habitudes du pays, que c’était une marque d’honneur « excessiva et nuova » [18].
Les audiences des ambassadeurs, quand ils réussissaient à en obtenir, se passaient également en toute simplicité. En 1541, voyant que l’ambassadeur impérial voulait passer devant le Vénitien Dandolo, le roi régla la question, non seulement en faisant au second un signe de la main, selon son habitude, mais en allongeant quodammodo cette main pour le saisir par sa robe. Une fois l’audience terminée, le roi le renvoya, puis humilia publi-
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quement l’autre en lui claquant la porte au nez. Celui-ci « demeura là, tout rouge, fort remarqué de toutes les personnes présentes », si bouleversé qu’il ne reconnut même pas son collègue qui prenait congé de lui [19]. Si c’est le signe non équivoque de la préférence du roi pour l’ambassadeur de Venise, l’attitude est au moins cavalière. Là aussi, l’avènement de Henri II semble avoir apporté un certain changement, et peu de temps après, le même Dandolo, qui se trouvait pour la seconde fois en France, fut accompagné jusqu’au roi par des archers de la garde. Il fut surpris de cette nouveauté, « Le propre de cette cour étant de demeurer dépourvue de toute cérémonie » [20]. Toutefois, le roi l’obligea à se couvrir.
Le langage du chapeau est en effet très significatif, il est constamment mentionné, en particulier dans les correspondances. Déjà en 1461, Louis XI avait voulu obliger l’ambassadeur florentin à se couvrir. Celui-ci refusant obstinément, le roi avait gardé son chapeau à la main [21]. Louis de Gonzague, en 1549, fit exactement les mêmes résistances quand Catherine de Médicis l’invita à se couvrir et à s’asseoir. Il accepta enfin pour lui obéir. Le lendemain, la même scène se répéta chez le roi [22]. En 1572, un clerc romain est choqué — entre autres raisons — de voir que l’échanson du roi le sert en faisant une simple révérence, et en gardant son chapeau sur la tête [23]. En 1600, un autre observe non seulement que Henri IV traite le légat « avec une familiarité et affabilité française, et non pas royale mais privée » [24], mais aussi que « les princes… ne se couvrent jamais en présence de Sa Majesté, qu’ils soient du sang ou d’autre sorte » [25] — innovation de la fin du siècle.
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Ceux qui ne sont pas habitués à ces manières familières, en effet, doivent s’y accoutumer, les apprendre, fût-ce avec quelque difficulté : ce n’est pas une absence de code, mais bien un code nouveau, qu’il faut assimiler en déposant quelques préjugés. Marie de Médicis elle-même doit dépouiller ses habitudes italiennes : devenue reine de France, elle traite différemment le légat — et ce n’est pas avec moins de considération : « Elle le traita avec plus de familiarité et de respect qu’elle ne l’avait fait à Florence, pour se conformer à l’usage de ce pays » [26].
II. « Senza rispetto al re »
Ce qui étonne peut-être le plus les Italiens, ce ne sont pas tant les familiarités dont eux-mêmes sont l’objet de la part du roi, que la facilité avec laquelle il est abordé par tous les courtisans. Personnage public de sa nature, il l’est aussi par son mode de vie. Celui-ci, aux yeux d’un observateur extérieur, tend parfois à faire de lui comme un primus inter pares alors qu’un roi devrait justement être hors pair.
Certains usages, que les Italiens notent comme un signe d’incroyable laisser-aller, font en fait déjà partie d’une véritable étiquette royale dont ils ne saisissent pas la portée. Ainsi la présence de courtisans lorsque le roi s’habille ou se déshabille [27], qui restera une partie essentielle du spectacle royal même dans la rigide étiquette du siècle de Louis XIV. Cet usage est déjà attesté comme un honneur fait par Louis XII à Alphonse d’Este [28], et par François Ier à Frédéric Gonzague [29]. Il fait aussi partie du cérémonial du règne de Henri III, qui reçoit
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à son lever sa chemise du plus éminent en dignité de tous les personnages présents, lesquels assistent aussi le soir à son coucher [30] : c’est un usage réglé, réservé aux gentilshommes habilités, et non une liberté que prennent les courtisans.
Mais souvent aussi en dehors des occasions réglées par l’usage, le roi, sous les yeux de tous, s’adonne aux activités les moins royales. Il participe même sans hésiter à celles des courtisans en se plaçant au même niveau qu’eux. Par exemple dans certains divertissements qui manquent particulièrement de dignité et de raffinement, et où il s’amuse pourtant aussi fort que les autres participants. François Ier, en 1516, organisa plusieurs fois des combats entre les courtisans à coups d’oranges, « et on n’avait aucun égard pour le roi », note un Mantouan [31] : on le visait autant, sinon plus, que les autres. Ce n’étaient pas que les derniers sursauts d’une brutale simplicité médiévale, puisqu’une scène semblable est encore rapportée en 1571 : Charles IX se battant avec ses courtisans à coups de fruits et de sachets remplis de cendre, et recevant un coup sur le nez, où « il garda une marque » [32]. Mais même lorsque François Ier combat à l’épée, plus noblement, on remarque à nouveau : « Né se li havea niente di rispetto » [33].
D’autre part — et là, nous sommes tout à fait hors du domaine de l’usage — certaines manifestations embarrassantes en elles-mêmes deviennent d’autant plus scandaleuses qu’elles ont lieu en public. La cour telle que la conçoit la Renaissance italienne, et telle que la présente Castiglione, le fait est bien connu, est avant tout le lieu de la dissimulation.
Une simple liberté de ton de la part du roi est relevée quand elle choque. Ainsi, dans son langage aussi, quand affleure quel-
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que parole disgracieuse, elle ne passe pas inaperçue : en 1541, le nonce Dandino écrit que Sa Majesté refuse, dans ses négociations avec l’Empereur, de « se laisser traiter comme un balourd, pour ne pas employer le mot même de Sa Majesté, qui fut ”un couillon” (je le dis toute révérence gardée) » [34].
Cela n’est cependant pas extrêmement grave, et le nonce semble en sourire. Beaucoup plus contraire à la dignité royale, le moment où le souverain perd la maîtrise de ses sentiments, si c’est en public. François Ier fut parfois sujet à des accès de colère très remarqués dans les dernières années du règne [35]. L’expression qu’emploie le même nonce à l’égard de ses éclats exprime parfaitement l’indignité de leur caractère public : en 1541, il est « si terrible, exacerbé et colérique » que quand « Sa Majesté parle et s’échauffe, elle le fait pour ainsi dire sur la place publique, étant dans sa salle, pleine de personnes de toutes les nations » [36]. Ces excès ne sont pas uniques : on sait comment Henri II lança une assiette à la tête de Dandelot, puis voulut mettre la main à l’épée [37]. Les plus disgracieuses furent sans doute les violences de Henri III, par exemple quand il chassa en 1582 Henri de Mesmes à coups de pied, en lui criant qu’il était l’homme le plus scélérat du monde, et qu’il le ferait pendre s’il le revoyait jamais, « con grandissimo disonore » [38]. Le déshonneur était-il entièrement du côté de M. de Mesmes ? De même, deux ans plus tard, ayant renoncé à tuer d’un coup d’épée le commandeur de Champagne (qui commentait imprudemment la situation des finances), il le frappa du pied et du poing [39].
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Autant que l’image que le roi offre de lui-même, la manière familière dont il est abordé par tous nuit à sa grandeur. Plus que toute autre habitude, celle qui exaspère les Italiens, et les diplomates au premier chef, est la foule qui entoure sans cesse le roi, de courtisans qui vont et viennent autour de lui comme s’ils étaient partout chez eux. Mais en même temps, c’est une conséquence de la nature du pouvoir royal français, fondé sur l’amour plus que sur la crainte : le roi est partout au milieu des siens. En 1562, Michele Soriano explique que c’est parce que les Français servent volontiers leur roi, qu’il n’a pas besoin de les indisposer par des attitudes de tyran :
« De là vient que le roi de France est si familier avec ses sujets qu’il les traite tous comme ses compagnons, et que personne n’est jamais exclu de sa présence, si bien que même les laquais, de l’espèce la plus basse, ont l’audace de vouloir pénétrer dans la chambre privée du roi pour y voir tout ce qui s’y fait et entendre tout ce qui s’y dit. Et quiconque a besoin de traiter une affaire d’importance doit avoir la patience de la traiter en un lieu aussi plein de monde, et de parler le plus bas possible pour ne pas être entendu. Et cette familiarité, si elle rend la nation insolente et arrogante, lui inspire toutefois amour, dévouement et fidélité à l’égard de son prince » [40].
Près de dix ans plus tard, l’analyse de cette même réalité par le secrétaire du cardinal Alexandrin permet de mesurer combien l’interprétation dépend des circonstances. Il s’accorde du moins avec Soriano sur l’insolence qu’encouragent ces manières. On notera l’accumulation surprenante des termes qui décrivent la familiarité illimitée des souverains :
« (La reine mère, la reine régnante) et le roi donnaient de même continûment audience en mangeant, admettant chacun indifféremment avec grande familiarité, tout un chacun entrant à son gré sans autre difficulté ; et l’amabilité du roi à l’égard de ses sujets est telle qu’ils entrent
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dans sa chambre jusque même quand il met sa chemise, et les reines sont en cela tout aussi libérales : c’est un usage ancien des rois et reines de France. C’est cette liberté peut-être qui, laissant connaître tous leurs secrets, observer leurs actions, pénétrer leurs humeurs, et inspirant comme du mépris et de l’audace, est cause de faciliter les révolutions et l’introduction de la nouvelle religion, accompagnées d’une orgueilleuse et vaine légèreté de ce peuple » [41].
Mais cette attitude très critique doit autant à la sensibilité propre de l’auteur qu’aux circonstances politiques qui ont révélé les limites de l’attachement des sujets. Guazzo, toujours francophile, célèbre la facilité avec laquelle on approche le roi de France comme un admirable moyen de gagner les cœurs :
« Regardez pour exemple la grave et venerable majesté du roi d’Espagne, par laquelle remplissant les cœurs de révérence, il est quasi comme idole adoré des princes et seigneurs, et vous confesserez qu’avec raison il se fait congnoistre roy, et conserve avec dignité la roialle grandeur. Représentez-vous le gracieux et plaisant aspect du tres chrestien roi de France, la facilité incredible d’iceluy, par laquelle, comme j’entens…, il se fait aymer et obéir par ses familiers plustost que serviteurs et subjects, et vous direz que par cete humilité il exalte sa roialle couronne, si elle peut estre davantage exaltee » [42].
Cette familiarité est pourtant critiquée, pour diverses raisons. On voit que ce qui dérange surtout Soriano et Venturino, c’est l’embarras que ces manières apportent aux négociations politiques, les audiences étant difficilement secrètes, et bénéficiant rarement de quelque tranquillité, que ce soit avec le roi ou avec un autre. Autant que l’irrespect à l’égard du roi, ce sont les difficiles conditions du travail diplomatique qui sont en cause.
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C’est parce que les audiences étaient publiques que le roi se tenait alors dans un coin ou dans l’embrasure d’une fenêtre avec celui qu’il recevait : c’était la seule manière de s’isoler quelque peu [43].
Le problème n’était pas nouveau. En 1461, les ambassadeurs florentins avaient déjà fait la pénible expérience de la foule française [44]. Le Mantouan Gambara, en 1539, parle aussi au connétable « à grand-peine, à cause de la très grande affluence qu’il y avait là » [45]. Le Florentin Ricasoli écrit en 1547 que lors d’une audience, « la chambre était très pleine de gentilshommes… » [46]. Cette caractéristique, qui est bien vue comme typiquement française, devient presque proverbiale quand le nonce rapporte en 1576 qu’il a été reçu par le duc d’Alençon dans une chambre « pleine, à la française, de gentilshommes… » [47]. En effet, l’aversion que peuvent éprouver les Italiens pour cette foule omniprésente ne leur est sans doute pas propre, et les Français eux-mêmes s’étonnent de voir à l’étranger une discipline contraire au désordre qu’ils connaissent. En 1578, Bellièvre, revenant des Pays-Bas, où il avait rencontré Don Juan d’Autriche, raconta sa propre arrivée comme une des choses qui l’avaient le plus étonné : sur l’ordre d’un simple huissier, tous les Espagnols qui se trouvaient dans l’antichambre en sortirent pour lui laisser la place, ce qui lui sembla « gran meraviglia ». Il y admira un signe de « somma reverenza » [48]. Ces habitudes ne disparurent pas plus à l’avènement de Henri IV, on s’en doute : quand il reçut à Saint-Maur le légat en 1596, « entra qui vou-
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lut » [49]. Cette foule permanente est la négation d’une politesse de la distance et de la hiérarchie : « Vivre entassé, c’est exister comme être indifférencié » [50].
Au vu de toutes ces habitudes, on peut comprendre pourquoi les essais qui furent faits dans la seconde moitié du siècle pour instaurer une étiquette plus stricte, comme pour élever le roi au-dessus de la libre fréquentation de tous ses courtisans, se heurtèrent à de vives résistances. Les Italiens, quand ils s’expriment à ce sujet, pensent que ces efforts sont vains : la nature des Français n’est pas compatible avec une étiquette sévère. Lorsque les Guises, au mois de juillet 1560, dotèrent François II d’une garde de deux cents arquebusiers à cheval, on murmura que c’était une grande honte de voir un roi de France, accoutumé à se déplacer avec deux laquais, en être réduit à traîner derrière lui (« strascinarsi… dietro ») une pareille troupe, « senza un proposito al mondo», pour l’amour des Guises [51].
Même Henri III, qui fit les plus importantes tentatives pour accroître les distances entre lui-même et sa cour, faisait sourire les Italiens. Pourtant, ce qu’il voulait instaurer, c’était essentiellement ce qui se faisait couramment dans les autres cours d’Europe. Il voulut ainsi au début de son règne faire assister à son repas tous les courtisans, la tête découverte. Ce qui, pour tout autre roi, était simplement « conforme alla buona creanza ». En outre, tous se tiendraient derrière une barrière qui empêcherait de l’approcher ou même de lui parler. C’étaient là des souhaits « vraiment inhabituels pour cette nation, spécialement pour la noblesse (très familière, comme chacun sait, avec son roi) ». Aussi, Henri III dut y renoncer, devant le mécontentement qu’il souleva [52]. En 1585 il fit distribuer aux courtisans un livret qui fixait une nouvelle étiquette. Il fut obligé de le retirer, « y ayant là en effet beaucoup de choses impossibles à faire
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observer à cette nation » [53].
La tendance croissante de Henri III à se retirer de la vie de la cour pour s’adonner à ses dévotions mécontentait aussi : il était contraire aux habitudes de ne pas se montrer [54].
Eût-il réussi, il ne serait pas resté grand-chose de son œuvre sous Henri IV, point n’est besoin d’insister, ni sur la personnalité du roi, ni sur les manières de sa cour [55]. Mais pour les Italiens qui les découvraient, elles n’étaient qu’à moitié surprenantes, correspondant finalement à peu près à l’image qu’on en avait. Si un chapelain tape sur l’épaule du roi qui s’endort pendant un sermon, ce n’est que la « solita loro libertà » [56]. Liberté à la fois surprenante, exaspérante et admirable [57].
III. « Senza rispetto a persona »
La politesse, le respect, ne sont pas qu’une question d’autorité royale : si la personne du prince est la première qui devrait être honorée de tous, les rapports de toutes les autres personnes entre elles font également l’objet de règles qui varient selon l’importance de chacun, reflétant dans la politesse le sentiment de la hiérarchie. Les Italiens présents à la cour et dont nous
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possédons les correspondances sont donc d’autant plus sensibles aux manières employées à leur égard qu’ils sont souvent eux-mêmes des personnages importants, princes, serviteurs de princes (toute injure faite à ceux-ci est faite à leur maître), ambassadeurs et serviteurs d’ambassadeurs, en la personne de qui on honore donc aussi le gouvernant, l’État qui les envoie. Ce qui ne les empêche pas non plus, loin de là, d’observer également les manières des Français entre eux.
La politesse est une mesure du degré de civilisation, un critère qui peut servir à classer immédiatement un peuple par rapport à un autre. Sous ce rapport, la France n’est sans doute pas la plus défavorisée : comme dans plusieurs autres domaines, elle surclasse en particulier l’Allemagne, dont les habitants sont d’une grossièreté proverbiale. C’est déjà l’opinion du Milanais Prospero de Camulis, qui en 1461 se rendit en Flandre à travers l’Allemagne. S’il avait su ce qui l’attendait, il serait passé par la France, dit-il, « à cause de cette inhumanité des Allemands, dont la barbarie est si grande qu’ils ne connaissent ni le nom des princes ni l’humanité » [58].
Parfois, pourtant, on trouve les échos d’une intolérable grossièreté — évoquée d’une manière d’autant moins précise qu’elle est plus violente —, qui contredisent fortement l’idée d’une courtoise douceur de vivre française. Un agent des Gonzague écrit en 1518 à Frédéric, de Lyon — on sait pourtant que c’est une ville où l’influence italienne est loin d’être négligeable —, en suppliant qu’on lui permette de rentrer en Italie,
« Parce que je suis plus malheureux ici qu’on ne le saurait dire. La cause en est la barbare engeance qui s’y trouve : par ma foi, jamais je n’ai été en lieu plus rustique et sauvage que celui-ci, tant par ses femmes que par ses hommes. En sorte que,
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si Votre Seigneurie ne me permet pas de rentrer bientôt chez moi, je crains que ma misère quotidienne ne m’y fasse laisser mes os » [59].
Annibal Caro se trouvait à Pont-à-Mousson en 1544 (hors des limites politiques, il est vrai, de la France), et n’y était guère plus heureux. Précisons qu’il accompagnait les lansquenets impériaux, mais il ne semble pas que ce soit seulement à eux que s’adressent ses sarcasmes : « J’ai été en pays barbare, parmi les ours et les guenons. C’est ainsi qu’on peut appeler ces hommes et ces femmes… Ici, les hommes et toute chose représentent saleté et sauvagerie… » [60]. Mais même à Paris, les étudiants ont beau être savants, « on ne saurait les comparer en politesse et en bonnes mœurs à nos Italiens » [61].
A la cour, on ne trouve aucun jugement global aussi sévère — alors que la cour impériale, par exemple, est en 1558 pleine de « Tedeschi incivili » [62]. Pourtant les ambassadeurs se plaignent des traitements qu’ils doivent subir. Le moins grave, c’est encore qu’on les fasse attendre devant une porte fermée [63]. François Gonzague lui-
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même, séjournant à la cour, subit l’humiliation de devoir attendre le roi, debout, durant neuf heures de suite [64].
Dans les dernières années du règne de François Ier, comme il était parfois excessivement difficile d’obtenir une audience, les ambassadeurs, excédés, faisaient tous les efforts possibles pour accéder au connétable, indispensable intermédiaire avec le roi. Pour repousser les importuns, on employa jusqu’à la force physique. Giovan Battista da Gambara, arrivé de Mantoue, attendit plus de trois mois avant de voir le roi, et dut entrer de force, « con gran fatica », dans la salle où mangeait le connétable, pour s’en plaindre [65]. Quant à la description que donnait l’année précédente Fabrizio Bobba de ses propres efforts pour voir Montmorency, sa lettre est pathétique :
« Chaque jour, la chose va de mal en pis, je veux dire à un point intolérable… Devant sa chambre, il y a à peine assez d’espace pour contenir deux personnes, l’entrée étant au sommet d’un escalier étroit en forme de colimaçon ; lequel escalier se trouve toujours si plein de monde que celui qui ne se trouve pas parmi les premiers ne peut plus monter. On ne se tient pourtant même pas sur cet escalier dans l’espoir d’être admis dans la chambre, mais pour attendre le cas où Son Excellence sortirait par là, ce qui arrive rarement, parce qu’elle s’en va à la chambre du roi par un passage secret. Et ce qui désespère les gens, c’est qu’ils ne veulent pas répondre ne serait-ce que : “Allez vous-en, adieu” ce qui serait tout de même moins mal que de traiter le monde comme des bêtes ! Avant-hier, il se trouva que nous étions à cet endroit, l’ambassadeur du Portugal, celui de Hongrie, celui de Ferrare et moi, et, alors que nous attendions depuis plus d’une heure, quelqu’un eut à sortir de la chambre de Son Excellence ; et, comme le Portugais se trouvait le plus près, il déboula à l’intérieur et parla à Son Excellence, plutôt mécontente. Le Hongrois, qui dès la veille au soir
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avait fait demander une audience, quand le Portugais sortit, voulut faire comme lui, et entra entre deux portes. Le portier le rejeta dehors, avec une telle violence qu’il lui prit une jambe entre la porte et le mur, à la grande douleur non seulement de son âme mais encore de sa jambe, de sorte qu’il s’en partit au comble de l’indignation » [66].
Sans doute, c’est sur ordre du connétable que sa porte est interdite, mais Bobba ne peut croire que ces ordres ne soient interprétés par ses serviteurs dans un sens aussi violent. En tout cas, « tuti se ne disperano ».
Il semble bien que ces années aient été les plus pénibles pour tous les ambassadeurs. Le nonce Ferrerio, qui vient d’être expulsé de son logement, s’écrie aussi : « Pour vous dire la vérité, on témoigne si peu de respect aux ambassadeurs que c’en est une honte ! » [67]. C’est aussi en cherchant à obtenir une audience que le secrétaire du nonce Dandino fut chassé à coups de hallebarde en 1547 [68].
Les courtisans eux-mêmes faisaient les frais de certains ordres extravagants du roi, qui n’épargnaient pas toujours les ambassadeurs. En 1521, François Ier, dans un nouveau combat d’œufs et d’oranges, avait été blessé à la tête par un tison qu’on lui avait jeté d’une fenêtre. Aussi, il fallut raser le crâne autour de la blessure. Aussitôt, il ordonna de faire tondre toute la cour. Les archers prenaient les récalcitrants pour les tondre de force. Au moment où Giacomo Suardino écrit, on dit que les ambassadeurs vont aussi y être soumis, « En sorte que je voudrais bien mettre fin à mon ambassade » [69].
Il faut ici dire un mot d’un usage qui ne paraît pas avoir été mentionné jusqu’ici par les historiens du XVIe siècle. C’est comme
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une conséquence de l’omniprésence de la foule, dans laquelle il était sans doute souvent difficile de se mouvoir. Les rois faisaient écarter cette foule de courtisans à coups de bâton. Si cela est trop rarement mentionné pour qu’on puisse dire si c’était une habitude courante, on en trouve suffisamment de traces tout au long du siècle pour affirmer que ce fut du moins une pratique durable. La première fois qu’un tel fait semble être mentionné, est-ce un hasard ? c’est justement en Italie. En 1515, Giovan Francesco Grossi se félicite d’être sorti les côtes intactes de San Petronio de Bologne : en quittant l’église, les serviteurs du roi lui ont frayé un chemin dans la foule à grandes volées de bâton. « Il Grossino » se dit horrifié par :
« cette absence de respect et les graves coups et bastonnades que les Français ont donnés à bon nombre de nobles Italiens, à tel point qu’ils n’ont respecté ni les serviteurs du pape ni personne : les gentilshommes vénitiens en ont eu leur part » [70].
En 1539, déjeunant avec les dames pendant un déplacement, près de la route, incommodé par le passage des chevaux et des litières, François Ier ordonne aussi à ses Gascons de ne laisser passer personne, en sorte que « fu dato de gran bastonate », même à un serviteur de l’ambassadeur de Mantoue [71]. En 1559, lors du mariage du duc de Savoie, l’une des plus somptueuses fêtes du siècle, la confusion fut à son comble : les gens jetés à terre, étouffés… Et au milieu de ce désordre indescriptible… « Le connétable de tomber sur les gens avec des bastonnades d’enfer ! » [72].
La même scène se répète encore à l’aube du XVIIe siècle, lors des fêtes du mariage de Henri IV avec Marie de Médicis (le 17 décembre 1600). Le roi traverse la foule grâce à ses serviteurs
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qui frappent à gauche et à droite, « senza discrettione » [73] — indistinctement, comme en 1515. Cette violence aussi est la négation même de la politesse, l’abolition de la distance.
C’est la même méconnaissance de la hiérarchie qui se manifeste dans le jeu des préséances et des titres et formules de politesse. Les préséances sont l’objet de l’attention constante des diplomates, comme révélatrices du degré de faveur où se trouve chacun. Dans toutes les descriptions de cérémonies, et elles abondent dans les correspondances, plus que le décor de la fête, les ambassadeurs décrivent l’ordre dans lequel les personnages apparaissent. En 1540, Gambara veut envoyer son secrétaire assister aux cérémonies faites en l’honneur de Charles Quint uniquement pour qu’il puisse lui rapporter l’ordre des préséances [74]. Les préséances font aussi l’objet d’âpres et durables rivalités entre les ambassadeurs eux-mêmes, comme entre l’Angleterre et le Portugal, ou entre Florence et Ferrare [75]. A la cour de France, on avait parfois l’occasion d’y échapper en précisant que, pour une fête particulière, les ambassadeurs seraient invités sans tenir compte des préséances. En outre, les usages n’étant pas les mêmes d’une cour à l’autre, on pouvait combiner divers systèmes, parfois d’une manière très subtile.
Ainsi, à l’occasion du mariage d’Horace Farnèse en 1553, le cardinal du Bellay invita à un banquet l’ambassadeur du Portugal, malgré la présence de son rival anglais, parce que le lieu du repas n’était pas public, mais « domestico et familiare ». Pourtant, le Ferrarais Alvarotto s’empresse de rapporter les places occupées par tous les convives. Il en analyse finement la disposition : le nonce est au bout de la table, ayant à sa gauche : l’Anglais, Du Bellay et le Mantouan ; à sa droite : le Portugais,
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le Vénitien, le Ferrarais. Donc, selon l’usage français, on considère que l’Anglais est à la droite de Du Bellay, qui occupe le centre de la table. Mais par rapport au nonce, qui est le plus important des invités, il est à gauche et le Portugais à droite [76] : la « domestichezza », on le voit dans cet exemple, est plus calculée qu’on ne pourrait le croire. Pourtant, l’habitude de suspendre ainsi provisoirement les questions de préséances semble aussi être vue comme une marque de l’insouciance typiquement française face à ces problèmes. C’est encore à cause de la même rivalité anglo-portugaise que Catherine de Médicis invite les ambassadeurs aux fêtes du carnaval de 1567 « alla domestica, senza cerimonie, secondo il costume francese… » [77]. Les solutions à l’amiable de cette sorte simplifiaient apparemment bien des questions qui auraient pu devenir plus épineuses dans d’autres cours. Guazzo loue la sagesse de Henri II, qui invitait tantôt un ambassadeur, tantôt un autre, quand ils étaient impossibles à réunir en ménageant les susceptibilités, « décision très prudente, digne d’un aussi grand roi » [78].
Pourtant, ce qui caractérise toujours plus les préséances à la cour de France, ce n’est pas tant la pure insouciance qu’une grande confusion. Le manque de rigueur, s’il peut résoudre certaines questions à court terme, peut aussi les envenimer à la longue. Cette confusion est sans doute entretenue dans la seconde moitié du siècle par les luttes d’influence des grands et leurs fortunes variables. Même lors d’une cérémonie qui se veut un symbole d’humilité chrétienne, comme dans le lavement des pieds et le repas servi à douze pauvres le jour du Jeudi saint, une querelle éclate en 1570 entre Montmorency et Mayenne, qui
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se disputent le second plat [79]. Dès le début des années 1580, la situation paraît inextricable [80]: « Depuis dix ans, ces préséances ont subi tant d’altérations qu’on n’y comprend plus rien » [81].
Tout au début du XVIIe siècle fut rédigé un Discorso degl’ordini et precedenze, qui énumérait toutes les querelles de préséances connues dans l’histoire de la cour de France. Il commençait ainsi :
« Il n’existe aucun royaume, État ou principauté dans toute la chrétienté où les ordres et les règles fixant qui doit marcher devant ou derrière soient plus mal réglés, ordonnés et établis qu’en France » [82].
Toutefois, si les préséances sont devenues plus confuses, c’est bien à cause d’un moindre sentiment de leur nécessité, ou du moins d’une moindre rigueur dans leur application. Il suffit d’évoquer, pour marquer cette continuité de la négligence au sujet de ces honneurs qui sont si importants pour les Italiens, quelques réactions concernant la manière dont sont traités à la cour les cardinaux. Sans préjuger des sentiments religieux français, on s’est étonné, plaint et scandalisé tout au long du siècle de l’irrespect qu’ils témoignent aux prélats, qui en Italie sont
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parmi les personnages les plus hautement honorés. L’irrespect témoigné aux princes de l’Église est la marque la plus claire de la nature irrévérencieuse des Français.
Marin Sanudo remarquait déjà en 1495 : « Les Français font peu de cas des cardinaux, et moins encore des autres personnes, et, à cause de leur orgueil, ignorent toutes les marques d’honneur et d’estime habituelles en Italie » [83]. Pour Isabelle d’Este, en 1517, la cour de France est justement l’opposé de celle de Rome ; par-dessus toutes les libertés françaises, celle qu’elle évoque d’abord est le peu d’estime où on y tient les prélats ; et elle s’en amuse beaucoup plus qu’elle ne s’en formalise :
« Si la cour de Rome est étonnante par ses cérémonies et son sens de la hiérarchie, cette cour française, par son désordre, sa confusion, par l’absence de distinctions entre les personnes et par un certain genre de vie libre et sans contrainte, est stupéfiante et extraordinaire. Quant aux cardinaux, on en fait moins de cas à cette cour que des chapelains à Rome. On ne voit personne leur céder le pas ni leur témoigner de respect hormis le roi, qui est plein d’aménité et d’égards à l’endroit de quiconque peut avoir l’audace de l’approcher ; c’est surtout aux dames, en se levant de son siège et en se découvrant, qu’il témoigne beaucoup d’honneur » [84].
Elle remarque encore que les cardinaux ont été obligés par le roi de danser à un banquet, « et on prit grand plaisir et divertissement » [85]. Or ce n’est pas la dernière fois. En 1580, le nonce Dandino doit bien malgré lui participer aux fêtes du carnaval pour ne pas indisposer le roi et la cour, malgré toutes les craintes qu’il manifeste sur l’opinion qu’on pourrait en avoir à Rome [86]. Sur le respect qu’on lui porte en général, il affirme
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pudiquement que sa qualité de serviteur du pape le fait honorer et respecter de tous… « pour autant que le permette la qualité de ces régions » [87].
Tous ne sont pas aussi indulgents. Son successeur ne mâche pas ses mots pour se plaindre de la « salvatichezza » de la cour :
« Je persiste dans l’opinion que j’ai formée dès les premiers jours de ma venue à cette cour, à savoir que nulle part les nonces apostoliques, à ce que j’ai vu à la cour de l’Empereur et à celle d’Espagne, ne sont moins estimés qu’ils ne le sont en celle-ci » [88].
Et, pour terminer encore une fois aux noces de Henri IV : un Florentin y remarquait l’honneur qu’on avait fait aux cardinaux de les installer sur une riche banquette avec le légat. Il ajoute malicieusement qu’en l’absence de celui-ci, « Ces cardinaux auraient été autour de la personne du roi, entre le prince et les courtisans, comme ils s’y tiennent d’habitude, bien serrés et écrasés, comme les autres » [89].
Une autre question est celle des titres et formules de politesse, qui ont aussi dans la culture du XVIe siècle une importance particulière, font l’objet de discussions littéraires, de déplorations de moralistes, de parodies baroques… Dans l’attitude française face aux formules de politesse et aux titres, les contemporains ont parfois vu une louable simplicité, à opposer au goût qui se développait en Italie de ronflantes périphrases, où le modèle espagnol était particulièrement sensible. En effet, le système français semble ne pas varier subtilement les formules selon l’importance de celui à qui l’on s’adresse. Le français ne connaît comme formule de respect que le vouvoiement, et comme titre, « monsieur », éventuellement « monseigneur ».
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Aussi, un nonce qui ne sait comment il doit s’adresser à un ambassadeur espagnol, qui, lui, sera très chatouilleux sur ce point, ne peut même trouver à la cour personne pour l’aider, et doit écrire à Rome pour s’informer [90].
En 1572, l’ambassadeur de Mantoue s’inquiète de voir arriver des lettres qui appellent le comte de Retz « molto ill. » (« illustre ») alors que Lansac et Bellièvre y sont « ill.mi ». En effet ce système italien ne peut que compliquer la situation et provoquer les susceptibilités, alors que les Français se contenteraient de leur propre usage :
« Et puisque j’en suis à cette question des titres, qui est l’un des grands embarras des chancelleries, je ne veux pas manquer d’exprimer une idée que j’ai…, c’est-à-dire que, puisque l’abus et l’ambition sont arrivés à un tel point que c’en est une honte, et que si l’on ne s’égare pas dans l’adulation générale on perd celui à qui l’on écrit, et que si on lui donne le titre qu’il souhaite, c’est comme à ses propres dépens et contre la dignité de celui qui écrit, si cela dépendait de moi, j’emploierais avec ces Français le style à la française, commençant la lettre par un beau « Mons.r », et tout au long de la lettre je le traiterais de « vous », puis je ferais l’adresse de la lettre de cette manière : « A Mons.r de Bellièvre du Conseil privé de Sa Majesté Très Chrétienne » ou « du Roi Très Chrétien », etc. Et ainsi on éviterait de leur donner ce à quoi ils ne peuvent raisonnablement prétendre, et eux ne pourraient se plaindre ; et bien que ce style ne s’emploie qu’en français, quant à moi, en écrivant à des Français ou à ceux qui sont à cette cour comme des Français, je les ferais tous passer par cette presse. Je ne parle pas toutefois des ducs et des maréchaux,
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dont on sait le titre qui convient, mais de certains conseillers et de gens semblables, qu’il faut conserver parmi ses amis » [91].
Le système français n’apparaît pas ici seulement comme celui d’une cour qui ne se soucie pas d’honneurs, mais aussi comme un pis-aller, le seul moyen d’épargner de vives susceptibilités, et d’échapper à un labyrinthe aussi complexe que celui des préséances. Une apparente simplicité cache le désordre des ambitions et des orgueils, face à quoi une rigoureuse hiérarchie des formes ne tiendrait pas. Aussi, on note une certaine condescendance dans le ton de la lettre, pour cet usage français, cette moulinette ou « presse » (« stampa ») où passent petits et grands.
Les réactions aux erreurs des chancelleries justifient d’ailleurs les craintes de Salvato. En 1550, on juge scandaleuse une lettre de la duchesse de Mantoue qui appelait « ill. » la veuve d’un marchand florentin, madame de Péronne [92]. Et si les préséances sont parfois floues en France, on n’y confond pas un noble et un marchand.
Pourtant, vue de loin, la manière française pouvait paraître d’une belle simplicité. Le développement des formules cérémonieuses était souvent critiqué par les moralistes comme un signe de l’ambition et de la vanité qui dominaient leur malheureuse époque, dans un ton parfois proche de la lettre de Salvato qui vient d’être citée, ou d’une autre, de Jacopo Corbinelli, qui se plaint : « C’est d’être conduits à l’extrémité de toute adulation qui nous fait rechercher ces minuties » [93].
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Aussi, pour reprendre les princes qui énumèrent pompeusement leurs titres, en terminant même par « etc. » au cas où ils en auraient oublié un, on rappelle par exemple que les rois de France ne sont jamais tombés dans ce travers. François Ier, pour se moquer des titres de Charles Quint, lui aurait même fait remettre des lettres portant : « François, par la grâce de Dieu roi de France et seigneur de Gonesse » [94]. On racontait une plaisanterie semblable aux frais du doge de Venise. Celui-ci se disait dux Venetiarum, Dalmatiae et Croactiae, et dominus quartae partis dimidiae totius imperii Romaniae. François Ier lui aurait écrit : « A vos, dux de Veniesia, signor di tante chioses, il picciol roy di Francia vi saluta » [95]. On pense bien, cependant, que ce n’était pas par humilité. Si les titres du roi étaient brefs, ils étaient aussi bien fixés par la coutume, et il fallait en respecter la forme. Celui qui au lieu de « al Re Chr.mo » écrivait « al Chr.mo Re di Francia » commettait une bévue, et s’exposait à l’hilarité des Français, qui ne demandaient pas mieux que de rire des Italiens. Pis encore : « alla Ser.ma regina madre di Francia » (au lieu de « alla regina madre del Chr.mo Re »), « Sur quoi le moins qu’on puisse dire est qu’elle a un gros ventre, si elle y a porté neuf mois un royaume tel que celui-ci » [96].
Au terme de ces quelques pages, quel jugement peut-on porter sur les manières françaises, en se plaçant au point de vue des Italiens ?
Il convient d’abord de rappeler qu’une telle recherche, par sa nature, met nécessairement en relief plus de différences que de points communs. Pour quelques lettres scandalisées, il y en a sans doute bien plus qui décrivent les rapports de personnes en termes neutres, sinon flatteurs. On ne compte pas les récits
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stéréotypés d’arrivées et de départs d’ambassadeurs où le roi leur fait les démonstrations d’affection les plus courtoises que l’on puisse imaginer, ou les conversations où on le voit à la fois grave et aimable, « ridendo col più gentil modo del mondo » [97], tel un personnage du Cortegiano, pour ponctuer chacune de ses phrases empreintes de sagesse. C’est peut-être pour Henri II que cette image du « gentil et saputo principe » [98] est le plus proche de la vérité.
Malgré ces correctifs, on hésite à admettre avec Ed. Bourciez [99] la réputation européenne de la cour de France comme modèle de la plus parfaite élégance. La citation de Brantôme [100] sur laquelle il s’appuie, si on l’éclaire avec ce que j’ai essayé de rassembler, a un sens moins universel mais sans doute plus profond. Il s’agit du passage où Brantôme décrit l’accueil fait à Naples en 1559 au Grand Prieur par la marquise du Guast : elle demande à ses filles de lui « tenir compagnie a la françoise, comme de rire, danser, jouer, causer librement, modestement et honnestement ». Brantôme ne parle pas ici d’élégance. Il parle de s’amuser, et librement, avec des demoiselles. La modestie et l’honnêteté de ces amusements, c’est plutôt un jugement qu’il porte lui-même sur cette façon d’agir. Enfin, si la marquise promet d’adopter ces façons, ce ne sont pas celles dont elle use ordinairement, ce n’est pas un modèle que l’on s’efforce couramment d’imiter en Italie.
Au contraire, ce que montre clairement ce texte, et ce que je voudrais l’avoir aidé à montrer, c’est que les manières italiennes et les manières françaises constituent deux langages distincts, dont le vocabulaire a bien des éléments communs, mais articulés dans un esprit différent. Ces langages se distinguent au premier regard : comme pour le vêtement, il y a pour la poli-
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tesse de chaque nation un modèle aux traits aisément reconnaissables par un étranger, bien que nous ayons aujourd’hui plus de mal à en fixer les contours. Ce n’est pas en termes de grossièreté et de raffinement qu’il faut les comparer, on ne peut distinguer ceux qui savent se comporter et ceux qui savent moins. Les termes qui désignent le mieux, de la manière la plus neutre, cette différence sont sans doute encore ceux du XVIe siècle, la liberté, la familiarité.
Mais il est difficile que chaque système ne contienne pas implicitement des critiques à l’égard de l’autre, et que de temps en temps, ils ne se scandalisent pas réciproquement. Et si les Français se moquent des façons italiennes qu’ils jugent excessivement sophistiquées, il semble qu’ils soient eux-mêmes l’objet d’un jugement plus sévère. Pourtant, on reconnaît aussi que la manière française, joyeuse et libre, quand elle n’est pas excessive, peut être d’une aimable affabilité. Mais de là à en faire un modèle, il y a loin. Que certains aient voulu l’imiter, c’est ce qu’atteste Castiglione, mais ces parodies sont disgracieuses. La vivacité française ne convient qu’aux Français, eux seuls savent lui donner de la grâce, parce qu’elle leur est « naturelle ». Les Italiens doivent être plus proches des Espagnols, et de leur gravité [101].
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C’est l’éducation française seule qui enseigne une gracieuse liberté. Elle a aussi un autre avantage, elle donne de l’assurance face aux grands personnages : les enfants les rencontrent très tôt. Tandis qu’en Italie, on voit des jeunes blêmes et tremblants quand ils doivent se présenter devant un prince [102]. Cette assurance est attestée dans certains cas précis : Frédéric Gonzague, au bout de quelques mois en France, « Il devient un homme de bonnes manières et sage, avec des façons de seigneur, et non plus un enfant comme à son départ de chez lui » [103]. Le jeune fils de Henri IV, le duc de Vendôme, surprend aussi par la manière dont il parie avec Marie de Médicis, avec familiarité, « Et avec assurance aussi, comme s’il l’avait fréquentée depuis longtemps déjà » [104].
L’idéal est réalisé par Louis de Gonzague, prince mantouan devenu duc de Nevers : il a « au front certains traits de gravité qui laissent voir qu’il n’est pas tout français », mais tempérée, grâce à son éducation à la cour de Henri II, par une « une humanité qui laisse voir qu’il n’est pas tout italien » [105].
Marc Smith.
Titres de courtoisie abrégés
Chr.mo : Christianissimo.
Ill.mo : Illustrissimo.
M.tà : Maestà.
S. E. : Sua Eccellenza.
S. M. (la M. S.) : Sua Maestà (la Maestà Sua).
S. S. (V. S.) : Sua Signoria (Vostra Signoria).
Ser.ma : Serenissima.
Notes
[1] Georg Weise, L’ideale eroico del Rinascimento e le sue premesse umanistiche, Naples, 1961, p. 172-175.
[2] Baldassar Castiglione, II libro del cortegiano, II, 21, éd. Amedeo Quondam, Milan, 1981, p. 150 [« “E se considerate la corte di Francia, la qual oggidì è una delle più nobili de cristianità, trovarete che tutti quelli che in essa hanno grazia universale tengon del presuntuoso ; e non solamente l’uno con l’altro, ma col re medesimo”. “Questo non dite già”, rispose messer Federico [Fregoso] ; “anzi in Francia sono modestissimi e cortesi gentilomini ; vero è che usano una certa libertà e domestichezza senza cerimonia, la qual è loro propria e naturale ; e però non si dee chiamar prosunzione, perché in quella sua così fatta maniera, benché ridano et piglino piacere dei prosuntuosi, pur apprezzano molto quelli che loro paiono aver in sé modestia e valore” »].
[3] Stefano Guazzo, La civile conversation, trad. Gabriel Chappuys, Lyon, 1579, p. 109.
[4] Il libro del cortegiano, IV, 7, p. 371 [« … divengon superbi, e col volto imperioso e costumi austeri, con veste pompose, oro e gemme, e col non lassarsi quasi mai vedere in publico, credono acquistar autorità tra gli omini ed esser quasi tenuti dei »].
[5] Ibid., IV, 36, p. 406 [« servando però sempre la maestà conveniente al grado suo, che non gli lassasse in parte alcuna diminuire l’autorità per troppa bassezza »].
[6] Cf. Pietro Aretino, Del [sic] primo libro delle lettere, Paris, 1609, fol. 17v : « Quant à moi, je m’en enorgueillis comme s’enorgueillissent certains petits courtisaniaux râpés quand leur maître leur pose la main sur l’épaule » [« Io per me ne sono insuperbito nella maniera che insuperbiscono alcuni cortigianetti spelatini, quando il signor loro gli pon la mano su la spalla »].
[7] Eugenio Albéri (éd.), Relazioni degli ambasciatori veneti al Senato durante il secolo decimosesto, Florence, 1839-1863, 15 vol., t. III, p. 436 (en 1561) [« umanissimo principe indifferentemente con ognuno, senza niente di fumo, con un procedere libero e aperto, alla francese »].
[8] D’autre part, c’est en qualité d’otage que Frédéric se trouve en France : sa situation politique n’est donc pas la plus favorable pour montrer un quelconque mépris à l’égard de cette cour, et en même temps, les lettres tendent peut-être à présenter la situation sous son jour le plus honorable au marquis de Mantoue et à son épouse.
[9] Mantoue, Arch. di Stato, Arch. Gonzaga 633 : Giovan Francesco Rozone à la marquise de Mantoue, Crémieu, 10 mai 1516 [« Dicho per certo a V. S. che li modi de queste damigelle sono tanti honesti e dimestici che mi rendo certisimo piacerieno a quella »].
[10] Ibid. : le même à la même, Valence, 14 févr. 1516.
[11] Ibid. : le même à la même, Tournon, 18 févr. 1516.
[12] Mantoue, Arch. di Stato, Arch. Gonzaga 633 : Stazio Gadio au marquis de Mantoue, Vienne, 25 févr. 1516 [« (S. M.) molto ha burlato et scherzato col signor mio, et S. S. si porta in questo scherzar con una domestichezza riverente che molto è laudata, temperando la licentia francese con la modestia italiana che a lui è naturale, modi perhò che melio si cognoscono che si sapiano scrivere »].
[13] Bibl. nat., ms. it. 1998, p. 118-119 : Zuan Badoer, Paris, 16 oct. 1516 [« Ditta M.tà rispose : “Sì, se vui li farete dar lo Imperador per marito come me havete promesso.” El nuntio deventò rosso et palido in un puncto, dicendo : “Sacra M.tà ! questa è cosa grande, et lo ambassator veneto qui lo harà a male !” Dicta M.tà replicò : “Et che ! volete vui far mentire el roy ?” S. S. dixe : “Supplico quella che dica in la fazon che io le dixi.” Alhora, ridendo S. M. più che mai l’habia veduto, me dixe : “Ambassator, tolete tal mie parole in bona parte, ché ’l nuntio me ha dicto che l’Imperator era solito lassar la moira (moglie) sua in pegno ne le hostarie quando non haveva danari, et che hora, non havendo moglie, era bon darli Madama, azò la impegnasse.” Unde io respusi tuôr el tutto in optima parte, et, acquetato el nuntio, se intrò in altre cose più piacevole »].
[14] Bibl. nat., ms. it. 1714, p. 40-41 : Zuan Antonio Venier, Zuan Pisani, Sebastiano Giustiniano, Paris, 14 févr. 1531 [« Gionti alla presentia del Re Chr.mo, che fu heri, fussemo con singolar benignità raccolti dalla M. S., così per la illarità del volto come per una facillima cortesia della bareta et uno frequente dir : “Siate li benvenuti !” abbracciandone de maniera che non se li potesse basar la mano. Et era nella camera privata, in piedi, benché li fusseno molti de questi signori cardinali et grandi della corte. Ma la M. S. del tutto mancava di ogni spettacolo et cerimonia, et così stando in piedi li presentassemo le lettere credentiali di Vostra Serenità, le qual aperte, tolte in mano da predetta M.tà, immediate vedute disse : “Le sono latine”, et tacitamente continuò a legere quelle fino al fine… »].
[15] Garrett Mattingly, Renaissance Diplomacy, Boston-Londres, 1955, p. 38-39.
[16] Bibl. nat., ms. it. 1714, p. 294 : Zuan Antonio Venier et Marino Giustiniano, 5 déc. 1532 [« “Io non voglio che l’ambassator novo me faci puncto de renga, puncto, puncto”… Et mi accomodai alla brevità che par sii desiderata da S. M. per le facende soe, o ver piaceri »].
[17] C’était pourtant l’usage normal en Italie et ailleurs (Mattingly, Renaissance Diplomacy, p. 37).
[18] Nonciatures de Clément VII, éd. Jean Fraikin, t. I, Paris, 1906, p. 33-34.
[19] Bibl. nat, ms. it. 1715, p. 101-102 : Marino Dandolo, 7 juin 1541. Voir aussi it. 1998, p. 395 [« se rimase lì tutto arrossito con molta annotatione di tutti i circumstanti »].
[20] Bibl. nat., ms. it. 1716, p. 240 : (Marino Dandolo), Compiègne, 14 août 1547 [« essendo il proprio di questa corte starsi priva di ogni cerimonia »].
[21] Giovanni Cecchi, « Il viaggio degli ambasciatori fiorentini al re di Francia nel 1461, descritto da Giovanni di Francesco di Neri Cecchi loro cancelliere », éd. Gaetano Milanesi, dans Archivio storico italiano, 3e série, t. 1, 1865, p. 23.
[22] Mantoue, Arch. di Stato, Arch. Gonzaga 642 : Francesco Borsieri au duc de Mantoue, Paris, 25 août 1549.
[23] Bibl. apost. Vat., ms. Urb. lat. 1697, fol. 299v.
[24] Bibl. nat., ms. it. 377, fol. 99v [« con domestichezza et affabilità francese, e non regia, ma privata »].
[25] Ibid., fol. 136v [« i principi… mai cuoprono alla presenza di S. M., o siano del sangue o siano d’altra sorte »]. En 1603, l’ambassadeur de Venise admire la haute idée que donne le roi de France de sa majesté quand il est en représentation : personne n’est couvert sauf les ambassadeurs, cardinaux et princes. Le reste du temps, il est l’homme le plus familier du monde (Berthold Zeller, Henri IV et Marie de Médicis, Paris, 1888, p. 61).
[26] Bibl. nat., ms. it. 377, fol. 177 [« Lo trattò con più domestichezza e rispetto che non fece a Fiorenza, per confermarsi (sic) all’uso di queste parti »].
[27] Bibl. apost. Vat., ms. Urb. lat. 1697, fol. 302.
[28] Mantoue, Arch. di Stato, Arch. Gonzaga 283 : Mario Equicola à Margherita Cantelmo, Lyon, 14 juin 1502.
[29] Mantoue, Arch. di Stato, Collezione autografi Volta 2 : Stazio Gadio au marquis de Mantoue, Tours, 12 août 1516. Aussi, F. de Gonzague au même, mêmes réf.
[30] Ivan Cloulas, Catherine de Médicis, Paris, 1979, p. 343.
[31] Mantoue, Arch. di Stato, Arch. Gonzaga 633 : Stazio Gadio au marquis de Mantoue, Sisteron, 16 janv. 1516 [« né si havea niente rispetto al re »]. Voir aussi ibid. : le même au même, Marseille, 25 janv. 1516, et Giovan Francesco Grossi à la marquise de Mantoue, Marseille, 24 janv. 1516
[32] Bibl. apost. Vat., ms. Urb. lat. 1697, fol. 296 [« li restò segno »].
[33] Mantoue, Arch. di Stato, Arch. Gonzaga 633 : Stazio Gadio au marquis de Mantoue, Moulins, 29 juil. 1516.
[34] Correspondance des nonces en France Capodiferro, Dandino et Guidiccione (1541-1546), éd. Jean Lestocquoy, Rome, 1963 (Acta nuntiaturae Gallicae, 3), p. 87 [« lasciarsi trattare come un balordo, per non usare la propria parola di S. M., che fu “un coglione”, che pur la dirò con riverentia »].
[35] Bibl. nat., ms. it. 1998, p. 417 : Zuan Antonio Venier aux chefs des Dix, Lyon, 12 août 1542, « Sa Majesté est devenue terrible : elle crie, menace et réprimande » [« S. M. è fatta terribile, perché crida, minaccia e riprende… »].
[36] Correspondance des nonces… Capodiferro…, p. 39 [« tanto terribile, exacerbato et collerico… S. M. dice et si riscalda, lo fa (si può dire) in una piazza, essendo nella sala sua, piena di persone di ogni natione »] (c’est moi qui souligne).
[37] Édouard Bourciez, Les mœurs polies et la littérature de cour sous Henri II, Paris, 1886, p. 35.
[38] Abel Desjardins et Giuseppe Canestrini (éd.), Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, Paris, 1859-1885, 6 vol., t. IV, p. 417.
[39] Ibid., p. 494. Le roi apparaît tout à l’opposé des idéaux humanistes qui prônent la vertu d’équanimité parmi les principales exigences éthiques : la répression des manifestations de douleur, de colère, la supériorité de la raison sur la passion (Weise, L’ideale, p. 117-222).
[40] Albéri, Relazioni, t. IV, p. 123-124 [« Di qui nasce che il re di Francia è tanto domestico con i suoi sudditi che li ha tutti per compagni, e non è mai escluso nessuno dalla sua presenza, tanto che ancora i lacchè, gente vilissima, hanno ardimento di voler penetrare nell’intima camera del re, e vedere tutto quello che si fa, e sentire tutto quello che si parla. E chi ha da trattare cosa d’importanza, bisogna avere pazienza di trattarla ove sia tanta gente, e parlare più basso che si può per non essere sentito. E questa domestichezza, sebbene fa la nazione insolente e prosuntuosa, la fa però amorevole, devota e fedele verso il suo principe »].
[41] Bibl. apost. Vat., ms. Urb. lat. 1697, fol. 302-302v [« (La reina madre, la reina regnante) et il re similmente mangiando davano di continuo audientia, admettendo ciascuno indifferentemente con molta domestichezza, entrando ciascuno a suo piacere senz’alcuna difficultà, et è tanta la piacevolezza del re con gli sudditi, che gl’entrano in camera sin quando si mette la camisia, et le reine anch’elleno sono in questo facilissime, uso antico delli re et reine di Francia. Dalla qual libertà sapendosi tutti li loro secreti, osservandosi l’attioni, penetrandosi gl’humori, venendosi quasi in un disprezzo et ardire, che dalla troppa familiarità ben spesso nasce, sono forsi causate più facilmente le revolutioni et l’introduttione della nuova religione, accompagnate da una leggierezza superba et vana di queste genti »].
[42] La civile conversation, p. 228.
[43] Albéri, Relazioni, t. IV, p. 34.
[44] Cecchi, « Il viaggio », p. 24-25 : « … une telle multitude de seigneurs et de gentilshommes et d’autres venus écouter, s’étant arrêtés dans la salle avant la chambre, que les ambassadeurs, leur chancelier et les jeunes (de leur suite) ne purent qu’à grand-peine entrer dans la chambre, à cause de la grande presse et du très grand tumulte » [« … tanta moltitudine di signori et gentili huomini et altri per udire, che nella sala dinanzi alla camera s’erano fermati, che a gran fatica poterono gl’imbasciadori et loro cancelliere et giovani entrare dentro alla camera per la gran chalcha et tumulto grandissimo »].
[45] Mantoue, Arch. di Stato, Arch. Gonzaga 638 : Giovan Battista da Gambara au duc de Mantoue, Paris, 9 nov. 1539 [« con gran fatica, per il grandissimo concorso della gente che vi era »].
[46] Desjardins et Canestrini, Négociations, t. III, p. 189 [« la camera era molto piena di gentiluomini… »].
[47] Correspondance du nonce en France Fabio Mirto Frangipani (1568-1572 et 1586-1587), éd. A. Lynn Martin, Rome, 1984 (Acta nuntiaturae Gallicae, 16), p. 248 [« piena alla franzosa di gentilhuomini… »].
[48] Desjardins et Canestrini, Négociations, t. IV, p. 194.
[49] Alessandro de’ Medici, Lettres du cardinal de Florence sur Henry IV et sur la France, 1596-1598, trad. Raymond Ritter, Paris, 1955, p. 64.
[50] Gustave-Nicolas Fischer, La psychosociologie de l’espace, Paris, 1981, p. 61.
[51] Desjardins et Canestrini, Négociations, t. III, p. 423.
[52] Albéri, Relazioni, t. IV, p. 362 [« insoliti veramente a quella nazione, spezialmente alla nobiltà (domestichissima, come ognun sa, con il suo re)… »] (c’est moi qui souligne).
[53] Desjardins et Canestrini, Négociations, t. IV, p. 545 [« sendovi in effetto molte cose che è impossibile che questa nazione possi osservarle »].
[54] Ibid., p. 694.
[55] Un triste tableau de la politesse française en 1600 dans les premiers chapitres de Maurice Magendie, La politesse mondaine et les théories de l’honnêteté en France de 1600 à 1660, Paris, 1925.
[56] Bibl. nat., ms. it. 377, fol. 210v.
[57] Zeller, Henri IV, p. 359 : l’ambassadeur toscan reçu par Henri IV se retire ensuite contre le mur, « et je me tins là deux heures, considérant et admirant cette manière libre de traiter et cette facilité des discussions avec le roi, et sa familiarité à l’égard de tout un chacun » [« et quivi stetti due hore, considerando et ammirando questo libero modo di trattare et questa facilità di negoziare con il re, et familiarità sua con ciascuno »]. Il est éloquent de comparer ces sentiments à ceux qu’éprouve au XVIIIe siècle un Italien présenté à Louis XV : « Encore que j’eusse été prévenu que le roi ne parlait pas au commun des étrangers, et qu’une telle privation m’importât bien peu, je ne pus malgré cela avaler la manière jupitérienne de ce prince, Louis XV, lequel, toisant celui qu’on lui présentait de la tête aux pieds, ne donnait signe d’en avoir reçu impression aucune ; alors que si l’on disait à un géant : “ Voici, je vous présente une fourmi”, celui-ci, la regardant, sourirait au moins, ou dirait peut-être : “Oh ! quelle jolie bestiole !” ou alors, quand bien même il ne le dirait pas, c’est son visage qui le dirait pour lui » [« Ancorché io fossi prevenuto che il re non parlava ai forestieri comuni, e che certo poco m’importasse di una tal privazione, con tutto ciò non potei inghiottire il contegno Giovesco di quel regnante, Luigi XV, il quale squadrando l’uomo presentatogli da capo a piedi, non dava segno di riceverne impressione nessuna ; mentre se ad un gigante si dicesse : “Ecco ch’io gli presento una formica”, egli pure guardandola, o sorriderebbe, o direbbe forse : “Oh che bell’animaluzzo !” o, se anche il tacesse, lo direbbe il di lui viso per esso »] (Vittorio Alfieri, Vita, introd. Marco Cerruti, Milan, 1987, p. 109).
[58] Gigliola Soldi Rondinini, « Aspects de la vie des cours en France et en Bourgogne par les dépêches des ambassadeurs milanais (seconde moitié du XVe siècle) », dans Adelige Sachkultur des Spätmittelalters, Vienne, 1982, p. 198 [« per quella inhumanità de’ Todeschi, apud quos tanta barbaries est ut principum nomina et humanitatem non intelligunt »].
[59] Mantoue, Arch. di Stato, Arch. Gonzaga 634 : Nestor Visconte à Frédéric Gonzague, Lyon, 28 juin 1518 [« … perché qua io ci sto tanto male chontento che non è poxibile ad dire. Chàuxalo la barbara generatione che ci è, ché per mia fede mai fui in locho più rusticho e salvaggio chome in questo, sì di donne chome di homini. Di modo che se V. S. non mi fa presto tornare a chasa, dubito che del gran dispiacere ch’io mi piglio giornalmento (sic) di lassarci le ossa… »].
[60] Annibal Caro, De le lettere familiari… libro primo, Venise, 1587, p. 115 [« Sono stato in uno paese barbaro, con gli orsi et con le scimmie. Così si possono chiamare questi huomini et queste femine… Qui gli huomini et le cose tutte rappresentano lordezza et ferità… »].
[61] Andrea Minucci, « Descrizione di un viaggio fatto nel 1549 da Venezia a Parigi, di Andrea Minucci arciv. di Zara », éd. Jacopo Bernardi, dans Miscellanea di storia italiana, t. 1, 1862, p. 98 : [« Non sono da comparare nella politezza e nei costumi a questi nostri d’Italia »]. Les voyageurs remarquaient effectivement la politesse des étudiants italiens : l’enseignement lui accordait une large place, les connaissances étaient inséparables de l’élégance de leur emploi (Weise, L’ideale, p. 171 n.).
[62] Albéri, Relazioni, t. XV, p. 29. La cour de Charles Quint était pourtant dite, dix ans auparavant, « ben creata », mais sans doute grâce à l’influence espagnole (ibid., t. I, p. 341).
[63] A Naples en 1495, il fallait attendre trois heures pour une audience de Charles VIII, d’après Sanudo, et on s’en plaignait (C. De Frede, « Più simile a mostro che a uomo». La bruttezza e l’incultura di Carlo VIII nella rappresentazione degli Italiani del Rinascimento », dans Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, t. 44, 1982, p. 547 n.).
[64] Stephen Kolsky, « The Good Servient » : Mario Equicola, Court and Courtier in Early Sixteenth-Century Literature », dans The Italianist, n° 6, 1986, p. 47.
[65] Mantoue, Arch. di Stato, Arch. Gonzaga 639 : Giovan Battista da Gambara au duc de Mantoue, Paris, 5 janv. 1540.
[66] Mantoue, Arch. di Stato, Arch. Gonzaga 638 : Fabrizio Bobba au duc de Mantoue, 26 juin 1539 [« Ogni giorno la cosa peggiora, dico di modo che si fa intollerabile… Avanti la camara soa non gli è tanto di spatio che a pena gli possino capire doe persone, essendo la intrata a capo una scala stretta fatta a lumaga, la qual scalla sempre si trova sì piena di gente che chi non si trova de’ primi non può salire più su. Né perhò si sta sopra tal scalla per speranza di esser admesso in la camara, ma per aspettare se per sorte S. E. uscesse da là, il che aviene di raro, ché per una via secreta se ne va alla camara del re. Et quel che dispera le persone hè che non vogliano rispondere, né pur dire : “Andativi con Dio !” il che sarebbe pur manco malle che trattare le brigate da bestie. Avant’hieri si trovassimo per caso a questo passo, l’ambasciatore di Portugallo, el de Ongaria, el di Ferrara et io, dove doppo stati più d’una hora, occorse uscire uno di camara de S. E., et como quel di Portugallo si trovava più vicino, si sburlò dentro, et cum poca sodisfatione de S. E. gli parlò. Quel de Ongaria, che fin la sera avanti havea fatto chiamar audientia, quando el di Portogallo uscete fuori, volse far como lui, et intrò fra doi uschii. Il portiere lo rebbutò fuori, et cum tal furia che gli serrò una gamba fra l’uschio et il muro, cum suo gran despiacere non sollo d’animo ma della gamba, di modo che se ne parti sdegnato fin al colmo… »].
[67] Correspondance des nonces en France Carpi et Ferrerio (1535-1540), éd. Jean Lestocquoy, Rome, 1961 (Acta nuntiaturae Gallicae, 1), p. 528 [« Per dirli il vero, si usa di poco rispetto alli ambasciatori, che è una vergogna ! »]. Mais déjà plus tôt, on trouve des mentions semblables, du moins sur les serviteurs : « Il est bien vrai que ces gens de peu sont de la plus grande arrogance et ne respectent personne » [« L’è ben vero che queste gentaie sono superbissime et non hanno rispetto a persona »] (Mantoue, Arch. di Stato, Arch. Gonzaga 633 : Stazio Gadio au marquis de Mantoue, Vienne, 22 févr. 1516).
[68] Bibl. nat., ms. it. 1715, p. 66 : Francesco Giustiniano au doge de Venise, Paris, 18 févr. 1547.
[69] Mantoue, Arch. di Stato, Arch. Gonzaga 636 : Giacomo Suardino au marquis de Mantoue, Chelles, 8 janv. 1521 [« sì che vorei volentera adesso aver finito la mia anbassaria »].
[70] Cité dans Alessandro Luzio, « Isabella d’Este e Leone X dal congresso di Bologna alla presa di Milano (1515-1521) », dans Archivio storico italiano, t. 40, 1907, p. 23 [« il poco rispecto e gravi urtoni e bastonate che hanno dato li Francesi a molte persone nobille italiani, talmente che non han aùto rispecto né a servitori del papa né ad altri : li gentilhomini venetiani hanno havuto la lor parte »].
[71] Mantoue, Arch. di Stato, Arch. Gonzaga 638 : Giovan Battista da Gambara au duc de Mantoue, Amboise, 2 déc. 1539.
[72] Modène, Arch. di Stato, Cancelleria estero, Ambasciatori, Francia 35 : Giulio Alvarotto au duc de Ferrare, Paris, 23 juin 1559 [« il contestabile a dosso alle genti con bastonate del diavolo ! »].
[73] Bibl. nat., ms. ital. 377, fol. 183 ; publié par Alessandro D’Ancona, « Descrizione di un banchetto nel 1600 », dans Mélanges offerts à M. Émile Picot, Paris, 1913, t. I, p. 421.
[74] Mantoue, Arch. di Stato, Arch. Gonzaga 639 : Giovan Battista da Gambara au duc de Mantoue, Paris, 7 janv. 1540.
[75] De Lamar Jensen, « Caterina de’ Medici and Her Florentine Friends », dans XVIth Century Journal, t. 9, 1978, p. 65.
[76] C’est ce qui semble ressortir de cette lettre : « Chi vuol considerare alla tavola et alla costuma del sedere di Francia, Anghilterra era disopra da Portugallo. Chi vuol mo’ haver rispetto alla mano del nuntio, Portugallo era disopra de Anghilterra ». (Giulio Alvarotto au duc de Ferrare, Paris, 15 févr. 1553, cité dans Bartolomeo Fontana, Renata di Francia, duchessa di Ferrara, t. I, Rome, 1889, p. 320).
[77] Bibl. nat., ms. it. 1998, p. 49 : Marco Antono Barbaro, Paris, 16 févr. 1567.
[78] Stefano Guazzo, Dialoghi piacevoli, Venise, 1586, fol. 100 [« prudentissimo atto, degno d’un tanto re »].
[79] Bibl. nat., ms. it. 1727, fol. 135v : Alvise Contarini au doge de Venise, Angers, 30 mars 1570.
[80] Milan, Bibl. Ambr., ms. T. 167 sup., fol 78 : Jacopo Corbinelli à Giovan Vincenzo Pinelli, Blois, 4 avril 1581 (cf. J. Corbinelli, Il carteggio…, 1578-1587, éd. Marisa Gazzotti, Milan, Univ. cattol. del Sacro Cuore, 1982, dactylogr., n° 62) [Quant aux préséances que Votre Seigneurie me demande, l’affaire n’est pas aussi simple qu’elle le pense, d’abord parce que le maître des cérémonies ne séjourne presque jamais à la cour, ensuite parce qu’un tel prétend avoir le pas sur tel autre pour une raison, et que le second prétend le contraire pour une autre… » [« Quanto alle precedentie che V. S. mi domanda, non son cose così facili come La crede, prima perché il maestro delle cirimonie non sta quasi mai alla corte, ma si sta al suo paese, di poi che tal pretende d’haver a precedere a un tale per un conto, che quel tale pretende d’haver a preceder a lui per un altro… »].
[81] Milan, Bibl. Ambr., ms. T. 167 sup., fol. 79: le même au même, Blois, 21 avril 1581 (et éd. Gazzotti, n° 63) [« Da 10 anni in qua, queste precedentie hanno patito tante alterationi che non se ne sa più nulla »].
[82] Venise, Bibl. Marc., ms. it. VI 296 (= 5846) [« Non ritrovasi regno né stato alcuno o principato nella christianità, nel quale gl’ordini e regole di caminare o innanzi o vero indietro siano più male regolate, ordinate e stabilite che nella Francia »]. Ce traité, comme le montrent des indices trop nombreux pour être étudiés ici, fut rédigé en France. L’auteur est-il français ou italien ? Il écrit « questo regno », même « nostro re », mais on trouve des expressions semblables chez des exilés italiens. Seule cette phrase d’introduction permet de penser à un auteur étranger. Texte original ou traduction, ce ms. reste du moins une preuve de plus de l’intérêt que les Italiens portent aux préséances en vigueur dans les cours étrangères, et de la mauvaise réputation de la France de ce point de vue. [Addendum 1990 : Le traité est bien français, et a été également connu en version originale en Italie. Cf. une copie dans Bibl. apost. Vat., ms. Chig. Q II 39, fol. 199-227v.]
[83] Anne Denis, Charles VIII et les Italiens : histoire et mythe, Genève, 1979, p. 121 [« Franzesi fanno poco conto de cardinali, et manco de altra zente, et per la superbia loro fanno poco honor et extimatione, sì come si suol fare in Italia»].
[84] Alessandro Luzio et Rodolfo Renier, Gara di viaggi fra due celebri dame del Rinascimento, Alessandria, 1890 (extrait de Intermezzo, t. 1), p. 8 [« Se la corte romana per cerimonie e distinctione di persone è maravigliosa, questa di Franza per disordine, per confusione, per non discernersi un homo da l’altro et per un certo vivere libero et non taxato, è stupenda e mirabile. De cardinali mancho conto se tene in questa corte che non si fa de capellani a Roma. Non si vede alchuno dargli loco né haverli rispecto dal re in fori, qual verso ogniuno che se li può per prosumptione aproximare è humanissimo e respectivo ; et sopra el tutto alle donne, cum levarsi da sedere e la b[e]retta di testa, presta grande honore »].
[85] Ibid., p. 9 [« et si stete cum gran spasso e recreatione »].
[86] Bibl. nat., ms. it. 1676, fol. 201 : Anselmo Dandino à Giovan Battista Schiani, Paris, 28 févr. 1580.
[87] Ibid., fol. 38 : le même au même, Paris, 18 août 1578 [« per quanto comporta la qualità di questi paesi »].
[88] Correspondance nonce en France Giovanni Battista Castelli (1581-1583), éd. R<obert Toupin, Rome, 1967 (Acta nuntiaturae Gallicae, 7), p. 132 [« Io continuo nella opinione che ho havuta dai primi dì che venni a questa corte, che in niun loco li nuntii appostolici, per quel che ho veduto alle corti dell’Imperatore et di Spagna, siano manco prezzati di quello che sono a questa corte »].
[89] Zeller, Henri IV, p. 335 [« Questi cardinali sarebbono stati intorno alla persona del re fra il principe et cortigiani, come vi stanno per l’ordinario, assai bene stretti et pigiati, come gli altri »].
[90] Bibl. nat., ms. it. 1676, fol. 141v : Anselmo Dandino à Giovan Battista Schiani, Paris, 19 juil. 1579 : « Il doit venir bientôt un ambassadeur du Roi Catholique…, et parce que je sais qu’il faut surveiller la manière dont on parle, je voudrais qu’on m’apprît de là-bas si je dois l’appeler Excellence : je n’ai pu m’en assurer ici, puisqu’il n’y a pas d’ambassadeur qui le sache, et que les Français usent du “vous” avec tout le monde » [« Dovrà venir qua presto un ambasciadore per il Re Catholico… et perché so che bisogna avertire come si parla, vorrei di costà sapere se debbo usar seco dell’Eccellentia, perché qui non me ne so’ potuto chiarire, non ci essendo ambasciadore che lo sappia, et usando i Franzesi il voi con tutti »].
[91] Mantoue, Arch. di Stato, Arch. Gonzaga 656 : Giovan Battista Salvato au châtelain de Mantoue, Amboise, 30 janv. 1572 [« Et poiché sono in questo proposito de’ titoli, che è uno de i gran travagli che sieno nelle cancellarie, non voglio lasciare di dire una mia opinione…, et questa è che, poiché l’abuso et l’ambitione sono arrivati tanto innanzi che è un vitupèro, et se l’huom non erra in adulatione con l’universale si perde colui a chi si scrive, et se gli si dà il titolo che egli vuole si ci mette quasi del suo et pare che ci sia poca degnità di chi scrive, se la cosa stesse a me, userei con questi Francesi lo stile alla francese, comminciando la lettera con un bello “Mons.re”, et per tutta la lettera lo tratterei di « voi », et poi farei il soprascritto della lettera di questa maniera : “A Mons.re di Believre del privato consiglio della Mtà Chr.ma”, o vero “del Re Chr.mo”, etc. Et così l’huom fuggirebbe il dargli quello che di ragione non se gli deve, né essi si potriano dolere, et se bene questo stile è usato solo nella lingua francese, nondimeno io, nello scrivere a Francesi overo che stanno come Francesi in questa corte, li farei passare tutti per questa stampa. Non dico però de’ duchi et marescialli, de’ quali si sa il dovuto titolo, ma di certi huomini di consiglio et persone simili, che bisogna conservarsi amiche… »]. Dans les passages entre guillemets, je respecte les abréviations de l’auteur (il a corrigé le premier « Mons.re » sur « Monsig.re »).
[92] Mantoue, Arch. di Stato, Arch. Gonzaga 643 : Francesco Borsieri au châtelain de Mantoue, Saint-Germain, 3 août 1550. Borsieri ajoute qu’il ignore si ce titre se trouvait à l’intérieur ou à l’extérieur de la lettre.
[93] Milan, Bibl. Ambr., ms. B 9 inf., fol. 134 : Jacopo Corbinelli à Giovan Vincenzo Pinelli, Paris, 16 janv. 1571 [« L’essere condutti all’extremo d’ogn’adulatione ci fa cercare di queste minutie »]. Cf. J. Corbinelli, Il carteggio, 1565-1578, éd. Maria Grazia Bianchi, Milan, Univ. cattol. del Sacro Cuore, 1982, dactylogr., n° 66.
[94] Guazzo, Dialoghi piacevoli, t. II, fol. 21v. Guazzo exagère même l’insignifiance de Gonesse, aujourd’hui chef-lieu de canton du Val-d’Oise (arr. de Montmorency) : « Ce Gonesse est le plus petit et misérable village de toute la France » [« Questo Gonessa è il più picciolo e meschino villaggio di tutta la Francia »].
[95] Venise, Bibl. Marc., ms. it. VII. 2585 (= 12477), p. 29.
[96] Bibl. nat., ms. it. 1676, fol. 282v-283 : Anselmo Dandino à Giovan Battista Schiani, Blois, 20 déc. 1580 [« sopra che, non può se non dirsi che habbia gran ventre, se ha portato in esso nove mesi un regno come questo »]. Dandino critiquait des lettres venues de Rome avec ces adresses erronées.
[97] Beranrdo Dovizi da Bibbiena à Laurent II de Médicis, Ancenis, 18 juil. 1518, dans Girolamo Ruscelli (éd.), Lettere di principi, t. I, Venise, 1562, fol. 40v.
[98] Mantoue, Arch. di Stato, Arch. Gonzaga 639 : Giovan Battista da Gambara au duc de Mantoue, Melun, 6 juin 1540.
[99] Les mœurs polies et la littérature de cour sous Henri II, Paris, 1886, p. 322-323.
[100] Œuvres, éd. Ludovic Lalanne, t. IX, p. 369.
[101] Castiglione, Il libro del cortegiano, II, 37, p. 175.
[102] Guazzo, La civile conversation, p. 400 et suiv.
[103] Mantoue, Arch. di Stato, Arch. Gonzaga 634 : Stazio Gadio au marquis de Mantoue, Paris, 23 mars 1517 [« vien homo ben acostumato et savio con modi da signore, et non putto come el si partì da casa »].
[104] Zeller, Henri IV, p. 334 [« et sicurtà ancora, come se l’avesse praticata già di lungo tempo »].
[105] Guazzo, Dialoghi piacevoli, fol. 12v [« nella sua fronte certi caratteri di gravità che nol lasciano parere in tutto francese… humanità che nol lascia parere tutto italiano »].