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Retour sur l’amour courtois

Alain Corbellari

Corbellari, Alain, « Retour sur l’amour courtois », Cahiers de Recherches Médiévales et Humanistes, 17 | 2009, 375-385.

Extrait de l’article

Est-il bien raisonnable de vouloir revenir sur la question tant débattue de l’amour courtois ? Le fait est que si d’innombrables points de casuistique ont suscité d’interminables commentaires, si l’idéologie de telle ou telle œuvre ou de telle ou telle part du corpus amoureux médiéval a donné lieu à une bibliographie impressionnante, la définition et la délimitation des diverses expressions de l’amour dans la littérature du Moyen Âge ont au fond toujours oscillé entre deux pôles exemplairement incarnés par deux articles parus à un siècle de distance dans la Romania : pour Gaston Paris1, le concept devait être compris de manière restrictive et intensive à partir d’un corpus trié sur le volet ; pour Rüdiger Schnell2, en revanche, il doit être défini de manière large et extensive comme la somme des « discours courtois sur l’amour ». Le premier érudit, inductif, partait d’un a priori de sublimité qui ne lui faisait retenir comme pertinents à sa définition que les textes correspondant à un modèle très précis, à savoir, en tout et pour tout, la lyrique troubadouresque, Le Chevalier à la Charrette de Chrétien de Troyes et le De Amore d’André le Chapelain ; le second, déductif, finit par diluer la précision du concept dans la variété inépuisable des textes. Au-delà de cette divergence fondamentale, le fait qu’il n’y ait sans doute jamais eu là autre chose qu’un jeu de société n’a, il est vrai, guère été remis en question depuis Gaston Paris, qui a définitivement discrédité une croyance romantique (illustrée en particulier par Stendhal3) en la réalité des tribunaux d’amours. La question de la pertinence du terme d’« amour courtois » (lancé par Gaston Paris lui-même – on l’a assez rappelé !4) a, en revanche, fait, depuis les années 1970, l’objet de nombreuses remises en question. L’appellation, aujourd’hui plus répandue, de fin’amor, qui a le mérite de remonter aux troubadours, résout-elle au demeurant tous les problèmes ? Le fait est qu’elle s’applique d’abord au concept glosé par Gaston Paris, celui d’un amour inégalitaire et adultère tendant à prolonger le désir au détriment de son accomplissement. Et l’on comprend que Rüdiger Schnell, dans son désir d’élargir sa définition, s’en soit finalement tenu, après en avoir critiqué la pertinence, au concept – plus malléable, précisément, puisque moderne – d’« amour courtois », qui pouvait ainsi devenir le terme générique subsumant les variétés particulières de relations amoureuses qu’a connues la littérature médiévale.

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