L’évolution de la maison du roi : des derniers Valois aux premiers Bourbons
Jacqueline Boucher
Comment citer cette publication :
Jacqueline Boucher, "L’évolution de la maison du roi : des derniers Valois aux premiers Bourbons", dans XVIIe siècle, 34e année, n° 137, oct-dec. 1982, p. 359-379. Article réédité sur Cour de France.fr le 1er septembre 2012 (https://cour-de-france.fr/article2483.html).
[Page 359 de la première édition]
Le monde hétéroclite de la Cour se composait, sous les derniers Valois et les premiers Bourbons, des membres des maisons royales, de leurs parents et clients, du personnel gouvernemental, difficile à distinguer des courtisans ordinaires, de solliciteurs, venus à des titres divers, d’ambassadeurs étrangers accompagnés de leurs familiers, et il était suivi de marchands privilégiés et de nombreux parasites. C’était un véritable creuset social.
La Cour de France est encore mal connue en profondeur. Trop souvent sa mention évoque un rassemblement humain parfaitement discipliné, évoluant à Versailles sous le regard de Louis XIV, alors à l’apogée de sa puissance, et devenu un instrument de gouvernement : image stéréotypée qui fait oublier que des groupes humains sont rarement caractérisés par l’immobilisme. La Cour évolua avec le temps, comme toutes les sociétés, et subit des influences extérieures, tout en élaborant sa propre civilisation. Nous avons pu nous en persuader en observant celle de Henri III [1].
Les maisons royales constituaient le noyau de la Cour. Parmi elles, la maison du roi, par le nombre de ses services et l’importance de ses effectifs, par le prestige gagné à entourer le souverain, donnait le ton aux autres. La mieux connaître, c’est pénétrer plus avant dans les remous politiques et sociaux du XVIe et du XVIIe siècle. Disposons-nous, en ce qui la concerne, de bases solides d’approche ? Quelle était, dans sa structure, la part de la tradition et de l’innovation ? L’ampleur de son recrutement s’explique-t-elle par le hasard ou l’opportunisme royal ? Le statut de ses membres était-il le même ou n’y eut-il pas entre eux un clivage préludant à la formation, dans son niveau supérieur, sous Louis XV, d’une caste qui se réserva des honneurs particuliers [2] ?
1. Les bases d’une étude quantitative et qualitative
1) Conséquences d’une administration négligente
Des états de la maison du roi, service par service, étaient dressés chaque année, selon un très ancien usage, au milieu d’importunes
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sollicitations de courtisans et avec, en arrière-fond, le désir du souverain de faire des économies sur la tenue de sa Cour : objectifs opposés générateurs de conflits ! La cour des aides enregistrait ces états, ce qui donnait une base solide aux privilèges des officiers de la maison. La chambre des comptes vérifiait les dépenses de cette dernière, y compris le versement ou le refus de gages. Les grands incendies du Palais de Paris, où ces documents étaient entassés (1618, 1737 et 1776), expliquent la disparition de beaucoup d’entre eux, mais la négligence eut aussi une grande part dans ces destructions. Une note, contenue dans un des dossiers de l’écurie du roi, nous apprend, à la fin de la Régence, que pour la période allant de 1557 à 1721, le greffe de la cour des aides ne contenait plus que 46 états de ce service de la maison du roi, au lieu de 164 qui auraient dû s’y trouver. Ceci était signalé avant les grands incendies du XVIIIe siècle.
L’esprit administratif se développa à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle. Des scribes furent chargés de faire, avec les documents qui existaient encore, de grandes récapitulations des officiers domestiques royaux depuis la fin du XVe siècle ou le milieu du XVIe. Après le dernier grand incendie du Palais, furent systématiquement recopiés les états de maison qui subsistaient ou leurs fragments. L’exactitude du collationnement fut certifiée par la signature d’Amelot de Chaillou, secrétaire d’Etat à la maison.
Nos meilleures sources sont donc les états et comptes annuels, originaux ou recopiés [3] . Ils expriment une situation à une date précise, alors que les grandes récapitulations pèchent par de nombreuses imprécisions ou des inexactitudes [4] : travail de seconde main qui ne sera guère utile ici [5].
A partir du milieu du XVIIe siècle, parallèlement au progrès de l’esprit administratif, des publicistes (La Lande, Pinson de La Marinière, Du Verdier, N. Besongne...) éditèrent, sous le titre d’Etats de la France, de petits livres qui donnaient la composition des maisons royales et quelques renseignements sur le gouvernement du royaume et son élite sociale [6]. Ces publications se perfectionnèrent à partir de 1661. Besongne, aumônier de la maison du roi et clerc de sa chapelle, les réédita en les complétant, relayé à partir de 1699 par L. Trabouillet, son neveu, survivancier de l’une de ses charges de cour [7].
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L’espacement de ces rééditions fut très irrégulier : de 1 à 3 ans jusqu’en 1702, de 4 à 6 ensuite. Leur principal défaut est de ne pas dénombrer suffisamment le personnel de certains services, principalement des écuries et des services de chasse, et de mêler dans les dénombrements faits, sans clairement les distinguer toujours, les servants, qui étaient officiers domestiques royaux, et ceux qui ne possédaient pas cette qualité. Nous n’utiliserons donc ces petits livres qu’occasionnellement, comme des ouvrages de seconde main, dont les auteurs s’inspirèrent des états portés à la cour des aides, complétés par des informations verbales.
Les états de maison et de paiement et les comptes, tous annuels, qui ont été la base de nos dénombrements, ont le défaut de ne pas former de séries continues. Leur espacement est des plus irréguliers. Nous chercherons à donner au moins une estimation par décennie des effectifs des grands services de la maison du roi, faute de pouvoir les apprécier selon une périodicité régulière.
Ces documents, qui sont pourtant les meilleurs, présentent quelques différences aux mêmes dates entre leurs estimations. Souvent étaient inscrits sur les états de maison davantage d’officiers que les documents de paiement n’en mentionnaient : résultat des embarras financiers chroniques de la monarchie [8]. Des désaccords entre documents proviennent de l’hésitation à attribuer à certains membres de la maison du roi la qualité d’officiers. Des documents de 1699, par exemple, ne peuvent se recouper entièrement : états des services de la maison, d’une part, évaluation globale de leur personnel, d’autre part [9]. L’époque de Louis XIV a vu le passage d’une société de clientèle à une société d’administration. La notion d’officier domestique se précisait peu à peu ; des membres des maisons royales avaient d’ailleurs intérêt à maintenir l’équivoque. Si Besongne et Trabouillet hésitaient à dénombrer le personnel des écuries et des services de chasse, c’est parce que Louis XIV, pendant son règne personnel, a constamment cherché à réduire, non les serviteurs de sa maison, mais ceux qui avaient qualité d’officiers. De nombreux documents de travail, entre autres trois projets concernant l’allégement du nombre des officiers des écuries pour 1689 et les économies à en attendre, illustrent cette politique [10].
2) La notion d’officier domestique royal
Elle se précisa peu à peu. Jusqu’au milieu du XVIIe siècle toutes les personnes inscrites sur un état porté à la cour des aides avaient ce statut. Cependant la législation royale tenta de fixer des règles. L’ordonnance d’Orléans (1560) réservait les privilèges qui caractérisaient
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les officiers domestiques aux personnes qui servaient réellement et qui touchaient les « gages appartenans à l’office » ; celle de Blois (1579) exigeait un minimum de 20 écus de gages ; l’édit de juin 1614 sur les tailles confirma cette exigence, en en dispensant toutefois ceux qui servaient dans les Sept Offices [11].
La royauté hésitait. Au début de son règne, Henri IV justifiait les privilèges de ses officiers domestiques par le fait que leurs appointements n’avaient pas été augmentés depuis longtemps : argument sensible en période d’inflation [12]. Un peu plus tard, il déplorait que ces privilèges donnassent « désir aux riches d’en abuser et de se faire employer aux états, sans que la plupart d’entre eux face aucun service » et il déclarait nécessaire de réduire cette exemption [13]. Louis XIII à son tour dénonça, dans un règlement sur sa maison (1625), le trop grand nombre d’officiers inutiles et privilégiés [14]. Il révoqua, en novembre 1641, leur exemption de taille, mais, en novembre 1643, Anne d’Autriche dut la rétablir [15].
La législation ne liait d’ailleurs pas les mains du roi. Sur l’état de sa maison pour 1584, Henri III, pressé par la nécessité, divisait ses officiers en trois catégories : ceux qui seraient payés, ceux qui ne le seraient que selon les possibilités et ceux qui ne le seraient pas, mais les uns et les autres conservaient les privilèges qui distinguaient l’officier de tout autre serviteur [16].
Dans la seconde moitié du XVIe siècle, la situation se précisa. L’officier domestique jouissait de privilèges et avait des appointements annuels, liés à sa charge. Le simple serviteur n’avait pas de privilèges, mais pouvait toucher une rétribution, souvent exprimée sous forme d’un salaire quotidien, sur les fonds du service auquel il appartenait, et il était au moins nourri. C’est ainsi que l’état de l’écurie, pour 1689, donne une liste des officiers privilégiés, puis une liste d’employés non officiers (et c’est dit expressément), sans véritables gages, mais pouvant avoir « des provisions pour recevoir au trésor roial des récompenses toute l’année » [17].
Les privilèges d’officiers domestiques avaient été étendus en 1653 aux gardes du corps, aux Cent Suisses, aux mousquetaires et aux chevau-légers de la garde. En 1678, un édit stipula que les gages et droits des officiers domestiques royaux ne pourraient être saisis ni hypothéqués par leurs créanciers et héritiers [18]. Cette politique,
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contrastant avec celle de Louis XIII, pouvait paraître large. En pratique, Louis XIV en limita les effets en diminuant le nombre de ses serviteurs qui avaient qualité d’officiers.
Les dénombrements que nous tenterons de faire ne concerneront donc que les officiers de la maison du roi. Parfois des états de maison et des comptes de paiement laissent entrevoir la présence de quantité de serviteurs non privilégiés, mais n’en donnent jamais de liste. L’équivoque est grande, même dans les Etats de la France publiés par Besongne et Trabouillet avec la prétention d’être exhaustifs. Non seulement ils mêlaient officiers et non-officiers, mais souvent, surtout à propos des Sept Offices, ils notaient que « quantité de garçons » servaient aussi. Faute de sources suffisantes, il n’est pas possible d’étudier complètement l’emploi à la Cour de Louis XIV, pas plus qu’à celle de ses prédécesseurs.
Nous ne compterons pas davantage ici de jeunes éléments de la maison du roi, qui n’avaient pas qualité d’officiers, mais qui étaient plutôt des apprentis, rendant de menus services : les enfants de musique de la chapelle et de la chambre, les pages de la chambre, des écuries et de la vénerie-fauconnerie, tous entretenus et instruits. Leur nombre était, selon les cas, fixe ou variable [19]. Objet d’une éducation semblable à celle que donnaient les académies que fréquentait la jeune noblesse [20], les pages de la grande écurie et les autres se faisaient d’utiles relations.
3) Attribution, partage et cumuls de charges
Déjà dans la seconde moitié du XVIe siècle, les grands officiers transmettaient leurs charges à des parents ou alliés. En 1582, le puissant clan de Lorraine-Guise détenait celles de grand maître de France, grand chambellan et grand veneur et, par un adroit mariage, espérait s’emparer bientôt de celle de grand écuyer. L’exécution à Blois du duc de Guise ruina les positions de ce clan dans la maison du roi.
L’hérédité caractérisa de plus en plus la transmission des charges de Cour. Pour diminuer les prérogatives du grand maître, Henri III, en 1585, créa une charge de grand maître des cérémonies en faveur d’un de ses fidèles, G. Pot de Rhodes. Douze membres de cette famille l’exercèrent tour à tour avant qu’elle ne fût vendue sous Louis XIV [21].
La délimitation du pouvoir du roi et de celui des grands officiers de sa maison n’obéissait pas à des règles fixes, mais dépendait
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des circonstances et du caractère du souverain. Selon la coutume, les grands officiers nommaient aux emplois de leur service. En 1574, Henri III avait repoussé la prétention du duc de Guise de dresser, en sa qualité de grand maître de France, l’état entier de la maison du roi [22]. S’il y avait consenti, sa maison n’eût été peuplée que de créatures des Lorrains. Le duc de Bellegarde, grand écuyer à partir de 1589, très fidèle sujet du roi, introduisit sous Henri IV une instance devant le conseil privé pour que lui fût reconnu le droit de nommer aux menus offices et emplois par commission des écuries [23]. Les droits qui lui furent confirmés furent respectés par Louis XIII, même quand il tomba en disgrâce ou pendant le procès de Cinq Mars, son successeur [24].
Sans aller absolument contre les droits des grands officiers, Louis XIV les restreignit. Avant 1655, le grand maître de France délivrait des commissions de maître d’hôtel du roi. Lorsque le grand Condé retrouva cette grande charge, perdue à l’époque de sa rébellion, il dut renoncer à la plus grande partie de ce droit de nomination. En 1700, sans difficulté, Louis XIV ôta au cardinal de Bouillon, dont la conduite à Rome lui avait déplu, sa charge de grand aumônier [25].
À tout moment, en vertu d’un pouvoir supérieur, le roi pouvait transformer un emploi en office. Deux exemples ici : sur l’état de maison de 1677, Jacques Populus exerçait à titre d’office la charge de commis de contrôleur général de la maison du roi, tenue jusque-là en simple emploi [26]. En 1699, Louis XIV transformait en office de « secrétaire de la chambre à la conduite des ambassadeurs », avec appointements triplés, un simple emploi d’aide à la conduite des ambassadeurs, exercé pendant une soixantaine d’années par un vieux serviteur [27].
Un registre de placets, présentés à Henri III en 1586-87, les fragments de quelques autres, datant de 1580-81, montrent qu’existait déjà l’habitude de résigner, échanger, vendre des emplois et charges de la maison du roi, mais que l’autorisation du roi était indispensable [28]. Louis XIII, rompant avec les habitudes de ses prédécesseurs, annonça en 1625 l’intention de mettre fin à ces trafics, dans l’espoir de réduire peu à peu, par extinction, le nombre des emplois de sa maison [29]. Cet espoir était vain et, sous Louis XIV, il sembla plus opportun d’utiliser ce que d’aucuns appelaient abus pour multiplier
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le nombre des grâces dont le roi pouvait disposer. Dès juillet 1653, une déclaration, faite en son nom, rappelait que les officiers domestiques avaient pleine jouissance de leurs charges, mais qu’elles restaient à la disposition du souverain [30]. Louis XIV, systématiquement, organisa la vente et l’échange de charges de sa maison et de celles de ses proches et octroya, comme autant de faveurs, des survivances et des brevets de retenue sur le prix de vente éventuel des offices domestiques [31].
Ces procédés aboutirent à des cumuls de charges et emplois, en dépit de l’ordonnance de Blois, jamais observée d’ailleurs, qui les avait interdits [32]. En 1682, sur 1.219 charges d’officiers de la maison étroite du roi, 49 étaient détenues par 23 personnes [33]. De même, des partages de charges étaient pratiqués. L’un des cas les plus curieux fut celui de la charge de compositeur de la chapelle du roi : à partir de 1677, elle fut partagée entre deux personnes, et même entre trois en 1700 [34].
Dans les dénombrements effectués ici, nous ne prendrons en considération que les charges, non les personnes les cumulant ou les partageant.
2. Les officiers de la maison du roi
1) Effectifs de la maison traditionnelle
Nous proposons d’appeler maison étroite ou traditionnelle celle qui réunissait les services qui dépendaient du grand aumônier, du grand maître de France, du grand chambellan, du grand maréchal des logis et du capitaine de la porte. Les états de maison les présentaient comme un ensemble. D’autres états étaient dressés pour les services annexes, que nous verrons un peu plus loin : écuries, services de chasse et prévôté de l’hôtel.
L’irrégularité de la documentation, tantôt rare et chronologiquement très espacée, tantôt assez abondante, nous a conduite à retenir un chiffre d’effectifs par décennie (Tableau 1). Pour les années 1651-1660, la documentation originale fait même complètement défaut et des publications du milieu du XVIIe siècle, qui s’en inspirèrent avant qu’elle ne disparût, sont hésitantes et imprécises [35].
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Les estimations que nous présentons [36] des officiers de la maison traditionnelle, normalement inscrits, avec privilèges et émoluments, montrent l’effort fait par les souverains pour maintenir une certaine stabilité numérique. Henri III, importuné par un grand nombre de solliciteurs, qu’il ne pouvait pas tous décourager, alors que s’ouvrait la grave crise de succession au trône et que la Ligue se montrait menaçante, préféra inscrire sur l’état de sa maison 216 officiers non gagés en supplément des autres. Henri IV, qui restaura l’autorité monarchique, put diminuer les effectifs de ses officiers et les ramener peu à peu à un niveau inférieur à celui du règne de François II. Les difficultés réapparurent en 1610 : nécessité de fondre la maison du premier roi Bourbon avec celle du dauphin, devenu Louis XIII, laquelle était importante. Les époques de minorité royale, caractérisées par l’affaiblissement de l’Etat, ne permettaient pas de renvoyer des officiers inutiles.
La remise en ordre, effectuée par Louis XIII à partir de 1624, expliquée d’ailleurs dans le règlement de 1625 de sa maison, ne fut que de courte durée. L’existence simultanée pour 1638 d’un état de maison et d’un état de paiement montre qu’il y avait plus d’officiers inscrits que le roi ne voulait en payer. En 1624, le second Bourbon avait fait disparaître les nombreux aumôniers et secrétaires sans gages qui encombraient sa maison, mais, en 1633, cette dernière comptait 119 maîtres d’hôtel gagés au lieu des 12 traditionnels ; en 1650, cette inflation s’était amplifiée à la faveur d’une nouvelle minorité royale : 321 maîtres d’hôtel et 309 gens de métier, au lieu des quelques dizaines habituelles ! [37] La Couronne ralliait des fidèles par ces procédés et l’abus fut plus grand au milieu du XVIIe siècle que sous Henri III : en 1657, certaines publications signalaient encore la présence de 170 maîtres d’hôtel « tirans tous gages » [38].
Il n’est pas possible de douter que le nombre excessif d’officiers dans la maison du roi fût lié à la conjoncture politique. L’affaiblissement périodique du pouvoir royal empêchait qu’on luttât contre
un mal nettement perçu. En 1559-60, un compte de la maison du roi annonçait la volonté de réduire plusieurs catégories d’officiers déjà pléthoriques, surtout celle des gentilshommes de la chambre
au nombre de 113. En rupture avec cette intention le compte de 1572-74 énumérait 134 gentilshommes de la chambre, classés en deux listes : ceux qui étaient inscrits sur la seconde devaient remplacer ceux de la première qui décéderaient ou démissionneraient [39]. Si
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Louis XIII osa, en 1624, réduire de 252 à 10 ses aumôniers et de 316 à 11 les secrétaires de sa chambre [40], ce fut en concordance avec l’entrée de Richelieu au conseil, qui marqua un profond redressement de l’autorité royale (29 avril 1624).
La forte autorité de Louis XIV rendit durable la remise en ordre et l’allégement des effectifs, qu’annonça une déclaration du roi du 30 mai 1664 [41]. Tout au plus peut-on observer des oscillations
Tableau 1 : Maison traditionnelle du roi
[Note de l’éditeur : la statistique fournit les chiffres suivants :
Année | Officiers |
---|---|
1560 | 1049 |
1572 | 1064 |
1584 | 1096 + 216 |
1599 | 1062 |
1605 | 1024 |
1612 | 1361 + 419 |
1624 | 1034 |
1638 | 1142 + 48 |
1645 | 1709 |
1650 | 1995 |
1664 | 914 |
1672 | 980 |
1677 | 1138 |
1689 | 903 |
1695 | 890 |
1705 | 853 |
1713 | 886 |
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modérées, selon que la prospérité ou l’épreuve caractérisait ce long règne. En 1673, le roi se laissa aller à autoriser le grand maître de sa garde-robe à retenir, en qualité d’officiers domestiques, autant de marchands et d’artisans qu’il voudrait, d’où un résultat abusif : 160 en 1677 et 230 en 1683 et 1684. En fixant, en 1689, leur nombre à 26, Louis XIV revint au bon sens [42]. À la fin du règne du Roi-Soleil, le nombre de ses officiers domestiques était inférieur à celui des derniers Valois. Il n’avait donc pas pratiqué le faste pour le faste.
2) Structure de la maison traditionnelle
Les départements qui la composaient n’évoluèrent guère en un siècle et demi, sinon par l’apparition de quelques nouvelles fonctions au niveau des officiers. Le nombre des grands officiers de la Couronne resta faible. N’avaient cette qualité de manière indiscutable que le grand maître de France, le grand chambellan et, depuis le début de 1589 et hors de la maison étroite, le grand écuyer. On discutait encore en 1700 à la Cour de la question de savoir si la charge de grand aumônier de France la possédait [43]. En revanche, le nombre de grands dignitaires de Cour, dirigeant des services de la maison du roi, augmenta un peu. Traditionnellement, il y avait le capitaine de la porte et le grand maréchal des logis, auxquels s’ajoutèrent le grand maître des cérémonies, en 1585, et le grand maître de la garde-robe, en 1669.
La conjoncture politique obligeant, comme on l’a vu, à recruter à certaines dates des officiers inutiles, ne toucha pas tous les services. On peut constater par exemple un développement régulier des Sept Offices (Tableau II), qui groupaient le gobelet (= panneterie et échansonnerie-bouche), la cuisine-bouche, la panneterie, l’échansonnerie et la cuisine-commun, la fruiterie et la fourrière [44]. Ces services très utilitaires, puisqu’ils fournissaient les aliments, le bois et le moyen de s’éclairer, ne permettaient pas d’approcher familièrement le roi et ne tentaient pas les parents ou clients des Grands. Leur développement, dans la proportion d’1/3 en un siècle et demi, répondait à la nécessité de mieux desservir les tables du roi et de ceux qui avaient bouche à la Cour. Là encore, Louis XIV établit la stabi-lité des effectifs des officiers, après avoir créé en 1664-67 un Petit Commun, qui s’ajouta au Grand Commun, pour desservir les tables du grand maître et du grand chambellan. Toutefois une nouveauté, signe d’une évolution des mœurs, se manifesta sous son règne : plusieurs « faiseurs d’eaux », c’est-à-dire de liqueurs, apparurent dans
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Tableau II : Les sept offices de la maison du roi
ces services. Cela correspondait à la montée de la consommation d’alcool dans le royaume et à la présentation de liqueurs dans les réceptions des grands appartements [45]. Des moralistes : le premier curé de Versailles, la Princesse Palatine, femme de Monsieur, s’indignèrent de l’alcoolisme qui sévissait à la Cour, surtout chez les jeunes gens et les femmes [46].
L’évolution de la maison du roi, en fonction des techniques nouvelles et du changement des mœurs, peut aussi être observée au niveau du personnel de santé, qui dépendait du grand chambellan
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(Tableau III). Ce personnel se diversifia et se spécialisa de plus en plus [47]. On peut sans doute railler la plupart des pratiques curatives de cette époque. Il semble pourtant qu’au niveau de la chirurgie des progrès furent accomplis et que Louis XIV en bénéficia [48]. La com-position du service de santé prouve le souci de faire entrer dans la maison du roi les nouveautés, aussi bien sous son règne que sous celui de ses prédécesseurs. Il est remarquable que Louis XIV ait pu accentuer cette diversification, sans devoir augmenter les effectifs de ce personnel. Le congédiement, depuis le milieu du XVIIe siècle, de quantité de médecins, qui ne servaient pas, permit d’obtenir ce résultat.
3) Les services annexes de la maison du roi
Étaient rattachés à la maison du roi des services qui n’étaient pas seulement utilisés pour la commodité du souverain régnant, mais qui étaient indispensables à l’ensemble de la vie de la Cour.
A) Les écuries :
Un règlement de 1582 sépara la grande et la petite écurie, tout en laissant au grand écuyer le soin d’ordonnancer les dépenses de l’une et de l’autre. D’autres règlements de 1578 et 1585 lui reconnaissaient d’ailleurs un pouvoir supérieur.
Il n’est pas facile de préciser ce qui différenciait ces deux départements. La petite écurie, qui vit grandir son autonomie à partir de 1582, semble avoir été surtout le service « du corps », assurant, au roi et à son entourage immédiat, les moyens nécessaires pour se déplacer quotidiennement. La grande écurie, qui comptait en proportion moins de cochers et de postillons que la petite, donc moins d’attelages, regroupait en revanche un très nombreux personnel qui était indispensable dans les cérémonies et circonstances solennelles : musiciens, hérauts d’armes... Sur les états de maison et les comptes, la différence entre l’une et l’autre n’apparaît guère pendant un siècle et demi et de singulières contradictions existent. D’une part, les écuyers d’écurie (en fait de la petite) continuèrent après 1582 de figurer sur les états de la maison traditionnelle, alors que les écuyers de la grande écurie, appointés d’ailleurs différemment, furent toujours inscrits sur l’état de l’écurie. D’autre part, on ne dressait qu’un état de l’écurie, sur lequel parfois une mention permet d’apercevoir que tel ou tel officier servait dans l’une ou l’autre section. Respectant cette habitude, nous avons dénombré les écuyers de la petite écurie avec les officiers de la maison traditionnelle. L’état de l’écurie,
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Tableau III : Le personnel de santé de la maison du roi
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ou les comptes se rapportant à elle, nomment généralement, au XVIIe siècle, les officiers du haras royal. Nous ne les avons pas fait entrer ici dans nos dénombrements, parce que tous les documents, surtout ceux du XVIe siècle, ne les mentionnent pas régulièrement.
Pourquoi Henri III sépara-t-il la grande de la petite écurie ? Manie, habituelle chez lui, de tout réglementer ? Ou plutôt désir de mieux adapter ce service annexe à l’évolution des techniques de transport ? On constate en effet dans le dernier tiers du XVIe siècle une vogue nouvelle et très grande de l’emploi des voitures. La correspondance des ambassadeurs d’Angleterre à la Cour des derniers Valois est à ce sujet d’un vif intérêt. Henri III demanda un jour à l’un d’eux si la reine Elizabeth voyageait à cheval ou en coche. Pour la remercier d’un présent, il lui offrit un coche vraiment princier et, un peu plus tard, le duc de Joyeuse envoya à cette reine un très beau carrosse. Les mérites respectifs de ces deux types de véhicules étaient discutés. Un jour qu’il quittait Blois pour Paris en carrosse, Henri III en descendit après quelques lieues en se plaignant d’y être fort mal. Les commissaires royaux, envoyés en 1582 dans les provinces pour préparer la réunion d’une assemblée de notables, utilisèrent soit des coches, soit des carrosses [49]. La petite écurie, avec bon nombre de cochers, a pu permettre au roi de se déplacer conformément à sa recherche du confort.
On remarquera les variations particulièrement brusques pendant un siècle et demi du nombre des emplois d’officiers d’écurie (Tableau IV) [50]. La tentative de Henri III, en 1588, de réduire brusquement, pour motif d’économie, leur nombre, ne put être maintenue par son successeur. D’ailleurs se doutant des résistances qui s’opposeraient à son intention, le dernier Valois avait écrit au comte de Charny, son grand écuyer, qu’il avait dressé lui-même l’état de l’écurie afin de lui épargner la colère des radiés [51].
Le développement étonnant des effectifs des écuries sous Henri IV et Louis XIII tient surtout à l’absence de définition précise de l’officier domestique royal, peut-être aussi au laxisme du grand écuyer Bellegarde. Prenant par exemple, en 1605, sous sa protection le poète Malherbe et ne pouvant obtenir que le roi l’inscrivît dans la maison étroite, il le fit émarger au budget de la grande écurie ! [52] À la fin de son règne, Louis XIII réagit en distinguant les officiers
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Tableau IV : L’écurie du roi
gagés des autres. Louis XIV renoua, en 1661, avec cette politique [53], puis, à partir de 1664, décida d’opérer d’importants retranchements parmi les officiers de ce service, si considérables qu’il ne put les maintenir. Il hésita encore avant de parvenir à la remarquable stabilisation de la fin du règne. Il est probable que les serviteurs de l’écurie, qui ne gardèrent pas la qualité d’officiers, furent maintenus comme simples employés et eurent des successeurs. En effet, le salaire et l’entretien de très nombreux servants figurent à la suite de la liste des officiers sur les états, avec parfois des conditions particulières : en 1667, un maréchal de forge était seulement nourri, « a la charge quil nabandonnera jamais lescurie » [54].
Combien ces serviteurs étaient-ils ? Nous ne pouvons que faire des suppositions. Tandis que l’état de l’écurie, pour 1694, dénombrait
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250 officiers, l’Etat de la France de cette année-là comptait au moins 444 personnes attachées à la grande et à la petite écurie et, en outre, « quantité » d’autres : chevaucheurs, tireurs d’armes, personnel de cuisine et de santé, artisans, etc. [55]. La différence entre ces deux chiffres (plusieurs centaines) était celle qui existait entre l’ensemble du personnel et les officiers. Il est probable que le total restait proche de celui de 1661 : 622 servants qui étaient encore maintenus avec privilèges, le roi ne distinguant encore que les gagés régulièrement et ceux qui seraient payés selon les possibilités. À la fin du règne, le roi n’avait pas réduit le nombre des employés des écuries, mais, comme dans la maison étroite, diminué le nombre de ceux qui bénéficiaient d’un statut social favorable.
B) Les services de chasse :
Ils furent toujours l’objet des sollicitudes des derniers Valois et des premiers Bourbons, dont les goûts cynégétiques sont bien connus. Si Henri III, à cet égard, fut une exception, il ne négligea pas pour autant d’entretenir ses services de chasse, faisant acheter des chiens à l’étranger et en recevant volontiers en présent, ainsi que des oiseaux. Il souhaitait que son grand veneur, le duc d’Aumale, ne multipliât pas les autorisations de chasser dans les forêts royales, « afin que je y puisse prandre mon plaisir quand bon me semblera » [56].
Ses services se composaient de quatre départements, qui ne furent pas remis en cause dans la période considérée ici : vénerie, louveterie, toiles de chasse et fauconnerie. Les documents les concernant nous sont parvenus de manière encore plus fragmentaire que ceux de l’écurie et certains départements en sont parfois absents [57].
Comme pour la grande et la petite écurie, la limite des pouvoirs respectifs des grands officiers, qui commandaient les services de chasse, était imprécise. En 1671, un différend opposait le grand veneur et le grand louvetier [58]. Plus étrange fut le cas des « oiseaux de la chambre » ou « vols du cabinet ». Le personnel qui y servait était ordinairement inscrit avec celui de la grande fauconnerie, mais sous rubrique spéciale et mentionné sous une autorité qui varia : à la fin du XVIe siècle, il dépendait du grand veneur ; en 1640, il était sous la charge du grand fauconnier, ce qui était plus logique. Louis XIV développa beaucoup ces vols, qui s’ajoutaient à ceux de la grande fauconnerie, et se décida à en faire un service spécial. Par des lettres de jussion, du 14 décembre 1688, il ordonna qu’un état spécial des oiseaux de la chambre fût porté à la cour des aides et
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le chef de ce personnel devint « capitaine général des fauconneries du cabinet », indépendamment du grand fauconnier, en dépit d’un jugement antérieur et contraire [59]. En fait, la volonté du roi prévalait toujours, en dépit de la coutume et des règlements. En 1585 déjà, c’était au duc de Joyeuse, premier gentilhomme de sa chambre, que Henri III avait donné le soin de faire entretenir les oiseaux de la chambre et les fauconniers de celle-ci, non au grand veneur, comme Ie portait l’état des services de chasse de cette année-là [60].
Dans le dénombrement des officiers des services de chasse, nous avons toujours compté ceux des vols de la chambre avec ceux de la fauconnerie, les états originaux ayant toujours suivi ce mode de rédaction, même à la fin du règne de Louis XIV, et nous n’avons pas compté les capitaines et gardes des forêts royales qui apparaissent parfois, mais rarement, sur les états parvenus jusqu’à nous.
On remarquera (Tableau V) la progression relativement régulière, dans des proportions modérées, du nombre des officiers attachés à ces services. Une exception : l’énorme gonflement de 1596.
Tableau V : Services de chasse du roi
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Passionné de cet exercice, il semble que Henri IV ne garda aucune mesure, mais peut-être, à une date où beaucoup d’anciens Ligueurs se ralliaient à lui, fut-il bien aise d’en admettre dans un service de sa maison. En effet, l’état de 1596 signale 132 gentilshommes de vénerie, alors qu’on en comptait ordinairement une quarantaine. Un emploi nouveau de « grand vautrayeur », non maintenu par la suite, fut même alors créé.
Le caractère incomplet de la documentation (louveterie et toiles sont parfois absentes) empêche de faire une comparaison absolument rigoureuse. Toutefois, comme à propos du reste de la maison du roi, il est évident que Louis XIV évita dans ses services de chasse de multiplier le nombre des officiers domestiques. Comme son père l’avait fait en 1640, dans une période de difficulté financière, en 1705 il fit des coupes sombres parmi ses officiers de chasse, sacrifiant momentanément ceux de la louveterie.
C) La prévôté de l’hôtel et le problème des gardes :
Encore plus pauvre est la documentation concernant la prévôté de l’hôtel du roi, dont le chef doubla, en 1578, son titre de celui de grand prévôt de France avec dignité accrue. Son domaine était celui de la police et de la justice de la Cour, dans un certain rayon par rapport aux lieux où elle séjournait. La police ne consistait pas seulement à faire régner l’ordre, mais se doublait d’une action économique : surveillance des marchands privilégiés qui suivaient la Cour et qui ne pouvaient exercer leur activité qu’avec l’autorisation du grand prévôt, réglementation des prix des marchandises [61].
Il y eut presque un triplement du nombre des officiers de ce service du milieu du XVIe à la fin du XVIIe siècle (Tableau VI) : doublement des gardes, mise en place d’un vrai personnel de justice [62]. Les résultats en furent positifs. L’insécurité à la Cour était effroyable à la fin du XVIe siècle et pendant les minorités royales. Au contraire, l’envoyé de l’Électeur de Brandebourg signalait, en 1690, comme un grand progrès le fait qu’on était en pleine sécurité dans les palais royaux et sur les chemins qui y menaient [63]. Le Roi-Soleil pouvait même exiger du grand prévôt Sourches, pendant le Carême de 1685, de lui signaler les membres de la Cour qui n’observaient pas l’abstinence rituelle [64] !
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Tableau VI : La prévôté de l’hôtel
Cette sécurité nouvelle tenait plus à l’action de la prévôté qu’à la multiplication des gardes. Outre les deux bandes de Cent Gentilshommes, dits « à bec de corbin », à fonction traditionnelle et surtout garde d’honneur, le roi était entouré de gardes dits « du dedans du Louvre » et d’autres formations « du dehors du Louvre » [65]. Nous ne dirons rien ici de ces dernières, véritable maison militaire, composée de troupes d’élite, qui jouèrent un rôle non négligeable pendant les campagnes de Louis XIV.
Tentons une rapide approche des gardes qui approchaient le plus du roi. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, chaque bande de Cent Gentilshommes comptait 100 hommes et au moins 3 officiers. Supprimées entre 1629 et 1643, puis rétablies, elles avaient chacune un effectif total de 114 hommes et officiers en 1699 [66]. Parmi les gardes dites « du dedans du Louvre », les gardes de la porte ont été compris dans l’estimation de la maison étroite et ceux de la prévôté dans celle de ce service, conformément aux états de maison ou de paiement. Les quatre compagnies de gardes du corps existaient déjà sous
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les derniers Valois, leurs capitaines étant inscrits parmi les gentils-hommes de la chambre. En 1625, Louis XIII fixait à 114 l’effectif de chaque compagnie. Ce nombre total de gardes du corps passa de 456 à cette date à 496 en 1699 [67]. À la même époque, Dangeau les disait beaucoup plus nombreux : 1.680 au début de l’année 1690 et 1.656 en 1699 après une diminution [68]. Contradiction entre ces deux sources ? Nous ne le croyons pas. Dangeau comptait probablement tous les hommes qui servaient dans les gardes du corps, tandis que les documents se rattachant à des états de la maison du roi ne comptaient parmi eux que ceux qui avaient le statut et les privilèges des officiers domestiques royaux. Quant aux Cent Suisses, ils étaient clairement nommés comme tels sous Henri IV, mais déjà beaucoup de Suisses se trouvaient parmi les gardes des derniers Valois [69]. En 1657, leur compagnie comptait 116 membres et 128 en 1699 [70].
Ces diverses gardes ont pu contribuer à la sécurité nouvelle observée à la Cour sous Louis XIV, mais bien davantage à l’éclat des cérémonies. L’envoi de gardes du corps aux armées pendant les campagnes du Roi-Soleil, sans que la sécurité en fût affectée dans les palais royaux, doit nous en persuader. La prévôté renforcée de l’hôtel remplissait bien ses fonctions.
Les lacunes de la documentation nous empêchent d’aller plus avant et de faire des bilans comparatifs des effectifs de la maison du roi sur un siècle et demi. Nous pouvons cependant remarquer, à l’aide des estimations présentées ici, que Louis XIV, autour de 1700, reconnaissait le statut d’officier domestique à un nombre plus faible de ses serviteurs que ne le firent Henri III et Henri IV à la fin du XVIe siècle. La réputation d’une Cour fastueuse, entourant le Roi-Soleil, est à réviser. Si des tables régulièrement servies ou des fêtes brillantes ont donné l’impression que le luxe régnait autour de lui, Louis XIV, par souci de ne pas multiplier des privilèges fiscaux dont le poids retombait sur le reste de la population, établit une stricte hiérarchie entre officiers aux privilèges renforcés et autres serviteurs de sa maison. En limitant avec persévérance le nombre des premiers, il mena une politique semblable à celle de Colbert de remise en ordre des finances et d’allégement des charges des communautés rurales.
L’implantation d’une administration et la naissance d’un esprit bureaucratique nous sont révélés par l’étude méthodique de projets
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pour réduire la maison du roi ou la stabiliser : grande nouveauté par rapport aux vœux pieux des règnes précédents, suivis souvent de brutales volte-face.
La tradition, certes, continua de marquer la structure de la maison du roi, des réajustements de détail permettant de suivre l’évolution des mœurs et des techniques. Sous une immuabilité apparente, la maison du roi refléta pourtant une évolution essentielle de la société française : la disparition, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, des clientèles des Grands, capables d’imposer leur volonté au roi, y compris dans la composition de sa maison. Après les infructueuses tentatives de son père, Louis XIV imposa sa volonté dans la détermination du nombre des charges de sa maison et leur transmission. À une société de fidèles succédait une société de sujets.
Note de l’éditeur : Cette réédition a été faite avec l’aimable autorisation du premier éditeur, la revue XVIIe siècle.
Notes
[1] J. BOUCHER, Société et mentalités autour de Henri III (thèse de lettres, Lyon, 1977 ; Atelier de Lille, 1981). [Note de l’éditeur : Réédité en 2007 (Paris, Honoré Champion)].
[2] F. BLUCHE, Les honneurs de la Cour (Cahiers nobles, fasc. 10-11, 1957).
[3] Ces états et comptes sont aux Arch. Nat., séries O 1, Z 1 A et KK. Ils ne forment jamais de séries régulières. Ce ne sont que des documents isolés pour les XVIe et XVIIe siècles.
[4] Surtout Ms. franç. 7854 et 7856 et Ms. Clairambault 836-837 (B.N.).
[5] E. GRISELLE en a publié de larges extraits avec d’autres pièces dans Etats de la maison du roi Louis XIII, de celles de sa mère, de ses sœurs, de sa femme et de ses fils (Paris, 1912). [Note de l’éditeur : cette publication est disponible en ligne.
[6] La plupart se trouvent dans la série Lc. 25 des Imprimés de la B.N. [Note de l’éditeur : ces livres ont fait l’objet d’une publication en ligne dans le cadre du projet Curia].
[7] Toutes les éd. semblent être à la B.N. : résultat d’une enquête menée auprès de 35 bibl. de Paris et de province ; résultat aussi de l’affirmation de Besongne, en tête des volumes de 1687 et 1698, de donner la 14e, puis la 19e réédition, la première édition valable, selon lui, étant celle de 1661, rééditée il partir de 1663.
[8] En 1638, par ex., un état de paiement comptait 1.142 officiers dans la maison étroite, contre 1.190 dans une récapitulation faite au XVIIIe siècle : E. GRISELLE, o.c., p. 1-48 et 134-139.
[9] Ms. Clairambault 814, fol. 313-321 et 397-398 (B.N.) : dans ce cas nous préférons l’estimation détaillée à l’estimation globale.
[10] Arch. Nat. série O 1 872.
[11] F. ISAMBERT, Recueil des anciennes lois françaises (28 vol., Paris, 1829), tome 14, nos 8 (art. 125) et 103 (art. 342) et tome 16, n° 40 (art. 25).
[12] G. BLANCHARD, Ordonnances et édits des rois de France (2 vol., Paris, 1715), tome 2, p. 1224.
[13] Edit sur les tailles (1600) : F. ISAMBERT, o.c., tome 15, n° 139 (art. 25).
[14] L. BOUCHEL, Recueil d’arrests notables (Paris, 1630), p. 900-905.
[15] Ms. 1094 de la Bibl. du Sénat, fol. 253 et 279.
[16] Arch. Nat. KK 139.
[17] Arch. Nat., O 1 872 (état de 1689).
[18] N. BESONGNE, Etat de la France (2 vol., Paris, 1680), tome 1, p. 366 et sq. Ms. 1094 de la Bibl. du Sénat, fol. 405.
[19] Depuis le XVIe siècle il y avait 24 pages de la chambre. Le nombre des pages des écuries variait : en 1686, l’Etat de la France de Besongne (tome 1, p. 191-195 et 209-210) disait qu’il y avait fonds pour 19 à la grande écurie et bien davantage de pages en réalité.
[20] F. BLUCHE, Les pages de la grande écurie (Cahiers nobles, 1966, fasc. 28-30) et La vie quotidienne de la noblesse française au XVIIIe siècle (Paris, 1973), p. 131-134.
[21] Journal du marquis de Dangeau (éd. SOULIÉ, DUSSEUX..., 19 vol., Paris, 1854-60), tome 1, p. 114-115 (30 janv. 1685).
[22] L. TRABOUILLET, Etat de la France (3 vol., Paris, 1702), tome 1, p. 51 et sq.
[23] F. DUMONT, Inventaire des arrêts du conseil privé (2 vol., Paris, 1969-71), tome II. n° 2140 (en 1597).
[24] N. BESONGNE, Etat de la France (2 vol., Paris, 1680), tome 1, p. 147-149.
[25] DANGEAU, o.c, tome 1, p. 98, et tome 7, p. 369-375.
[26] Arch. Nat. Z 1 A 475 (état de 1677) et les Etats de la France de N. BESONGNE, antérieurs à cette date et annonçant cette possibilité.
[27] DANGEAU, o.c., tome 6, p. 68, et tome 7, p. 90. ZI A 476 et 477 (états de 1700 et 1705).
[28] B.N., Ms. franç. 16218, fol. 169-180, et 21480.
[29] Règlement donné par L. BOUCHEL, o.c.
[30] N. BESONGNE, Etat de la France (2 vol., Paris, 1682), tome 1, p. 383 et sq.
[31] Voir sur ces trafics, le Journal de DANGEAU et les Mémoires du marquis de SOURCHES, grand prévôt (éd. COSNAC et BERTRAND, 13 vol., Paris, 1882-93).
[32] F. ISAMBERT, o.c., tome 14, n° 103 (art. 267).
[33] Cet Etat de la France, déjà cit., concorde dans ses estimations avec l’état de 1683, manuscrit : ZI A 475.
[34] Z 1 A 475, 476 et 477.
[35] Pour la décennie 1651-60, on peut comparer deux publications : DU VERDIER, Vray et nouveau estat de la France (Lyon, 1657), et PINSON DE LA MARINIERE, L’estat de la France dans sa perfection (Paris, 1658) : présence d’au moins 1.149 officiers dans la maison traditionnelle, en fait bien plus.
[36] Le tableau I a été dressé à partir de comptes : KK 129, 134, 139, 151 et 204 12 (Arch.
Nat.), d’états originaux de paiement : Ms. Dupuy 852 et Ms. franç. 23058 (B.N.), d’états de
maison envoyés à la cour des aides et recopiés en 1777 : Z 1 A 472 à 477 (Arch. Nat.). Des
états originaux de paiement d’officiers ont été publiés par E. GRISELLE, Supplément à la maison
du roi Louis XIII (Paris, 1912), p. 79-101, et La maison du roi Louis XIII..., p. 134-159
[37] ZI A 472 et Ms. franç. 23058 déjà cit. (états de 1633 et 1650).
[38] DU VERDIER, o.c., p. 145, et Estat général des officiers domestiques de la maison du roy (public. anonyme, Paris, 1657) : Bibl. de Lyon, n° 357.172.
[39] KK 129, fol. 9-14, et KK 134, fol. 11 v° - 17 r°.
[40] E. GRISELLE, La maison du roi Louis XIII, p. 1-48 (extrait du Ms. franç. 7854, B.N.).
[41] F. ISAMBERT, o.c., tome 18, n° 433.
[42] ZI A 475 et 476 (états de 1677, 1683, 1684 et 1689). Comparer avec N. BESONGNE, Etat de la France (2 vol., Paris, 1678 et 1694), tome 1 : maison du roi, chap. III.
[43] DU VERDIER, o.c., p. 71. E. de BARTHÉLEMY, Les grands écuyers et la grande écurie de France (Paris, 1868), p. 30. DANGEAU, o.c., tome 7, p. 369.
[44] Tableau dressé à l’aide des documents déjà cités. N’ont été comptés que les officiers préparant, portant divers éléments ou lavant le linge, non les huissiers et maîtres d’hôtel qui servaient.
[45] R. DION, Histoire de la vigne et du vin en France (Paris, 1959), p. 486 et sq. DANGEAU, o.c., tome 4, p. 401-402 (25 nov. 1693).
[46] Mémoires du curé de Versailles, F. Hébert (éd. G. GIRARD et H. BRÉMOND, Paris, 1927), p. 33-34. Correspondance de Madame, duchesse d’Orléans (éd. JAEGLÉ, 3 vol., Paris, 1890), tome 1, p. 119-125.
[47] Tableau dressé à l’aide des documents déjà cités concernant les effectifs de la maison étroite.
[48] Dr E. DEGUÉRET, Histoire médicale du grand roi (Paris, 1924).
[49] Calendar of state papers : reign of Elizabeth (23 vol., London, 1861-1950), tome XIII, p. 484-486, XV, 18-23, 34-35 et 145, XVI, p. 247, XVII, p. 339-342, et XVIII, p. 511-512 (entre 1580 et 1584).
[50] Tableau dressé à l’aide d’états et comptes provenants de : Arch. Nat. KK 143-144, Z 1 A 488 et 0 1 872 ; B.N. Ms. franç. 16216, fol. 30 et sq., et Ms. Dupuy 852, fol. 188-194 et 252-270. Pour 1631, deux documents : l’état de l’écurie dans le Ms. franç. 16216 et un état de paiement, tiré du Ms. Clairambault 829 de la B.N., publié par E. GRISELLE, Ecurie, vénerie, fauconnerie et louveterie du roi Louis XIII (Paris, 1912), p. 1-13.
[51] Ms. Champion 5084 (Bibl. de l’Institut) : copie du Ms. franç. 16046, fol. 14 (B.N.), 23 janv. 1588.
[52] R. FROMILHAGUE, La vie de Malherbe (Paris, 1954), p. 185.
[53] O 1 872 : l’état de l’écurie pour 1661 nomme 326 officiers avec tous leurs droits et 307 payés selon ce que le roi ordonnerait.
[54] O 1 872 : état de 1667.
[55] Ibid. : état de 1694. N. BESONGNE, Etat de la France (2 vol., Paris, 1694), tome 1, chap. VI.
[56] Ms. Champion 5068, 5069 et 5073 (Bibl. de l’Institut) : plusieurs copies de lettres sur ces achats et présents. Ibid. 5075 au sieur de Suzannes (oct. 1583), à propos du grand veneur.
[57] Le tableau V des effectifs a été dressé avec : Arch. Nat. KK 145 et ZI A 491, 492 et 493 ; Bibl. Nat. Ms. franç. 16216, fol. 335 et sq., Ms. Clairambault 814, fol. 397-398. et Nelles acq. franç. 997.
[58] B.N., Ms. Clairambault 830, fol. 106.
[59] Documents cités à la note 59. N. BESONGNE, Etat de la France (2 vol., Paris, 1694), tome 1, p. 229 et sq. L. TRABOUILLET, Ibid. (3 vol., Paris, 1699), tome 1, p. 216. DANGEAU, o.c., tome 8. p. 134 (26 avril 1688).
[60] Arch. Nat. KK 145 et Z 1 A 498 (documents de 1585).
[61] E. DELPEUCH, « Les marchands et artisans suivant la Cour » (Revue hist., de droit français et étranger, 1974, p. 379-413). M. DELOCHE, Les Richelieu, le père du cardinal, F. du Plessis (Paris, 1923) : il fut grand prévôt de France.
[62] Arch. Nat., KK 114 (6e compte) et 142 et Z1 A 509.
[63] E. SPANHEIM, Relation de la Cour de France en 1690 (éd. SCHEFER, Paris, 1882), p. 151 et sq.
[64] Mémoires du marquis de Sourches, tome 1, p. 192.
[65] Marquis de QUINCY, Histoire militaire du règne de Louis le Grand (7 vol., Paris, 1726), tome 7, p. 272-280. Les Cent Gentilshommes et les gardes « du dedans du Louvre » ne servaient pas comme tels aux armées, sauf les gardes du corps. XVIe
[66] B.N., Ms. franç. 7857 et Ms. Clairambault 814, fol. 333-334 et 817, fol. 48-49.
[67] Art. VII du règlement de sa maison et Ms. Clairambault 814, fol. 329-332.
[68] DANGEAU, o.c., tomes 3, p. 72, et 7, p. 211 (3 mars 1690 et 16 déc. 1699).
[69] N. TOMMASEO, Relations des ambassadeurs vénitiens sur les affaires de France au XVIe siècle (2 vol., Paris, 1838), tome 2, p. 525-527.
[70] Estat général des officiers domestiques... (1657) déjà cité ; Ms. Clairambault 814, fol. 338.